Mad Max: Fury Road ★☆☆☆

Après Mad Max (1979), Mad Max II – le défi (1981) et Mad Max – Au delà du dôme du tonnerre (1985), il a fallu attendre trente ans la sortie de Mad Max: Fury Road.
Dit autrement : les trois quarts de l’audience juvénile de la salle où j’étais allé le voir en 2015 n’étaient pas nés à la sortie des premiers épisodes !
Si les vrombissements post-apocalyptiques des bolides customisés et le perfecto de Mel Gibson ont bercé mon enfance, sur quel ressort cet opus tardif joue-t-il chez un public nourri entretemps de mille autres références ?

Deux longues heures ne m’auront pas donné la réponse à cette question.
George Miller nous livre un spectacle visuel gratuit.
Gratuit ? pas tant que ça. Le moindre plan est si sophistiqué qu’il a probablement coûté à lui seul le PIB du Swaziland.

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La Loi du marché ★★★☆

On réagira différemment selon ses opinions politiques à La Loi du marché présenté à Cannes en 2015 et couronné par le César du meilleur film.

Si on penche à droite, on trouvera bien caricaturale la charge contre l’entreprise accusée de tous les maux.

Si on penche à gauche, on sera ému aux larmes par ce portrait sans concession d’un homme qui lutte contre un système qui bafoue sa dignité.

Mais, où qu’on se situe, on ne pourra qu’être impressionné par la maîtrise du réalisateur et par le jeu des acteurs, Vincent Lindon en tête qui a amplement mérité la Palme.

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Le Trou ★★★☆

La Cinémathèque française a consacré le mois dernier une rétrospective à Jacques Becker. l’un des plus grands réalisateurs des années 50, il a laissé une œuvre hétéroclite : des films naturalistes (Goupi mains rouges, Casque d’or), des polars (Touchez pas au grisbi), des œuvres plus intimistes qui annoncent la Nouvelle vague (Rendez-vous de juillet, Rue de l’estrapade).

Le Trou est son dernier film. Jacques Becker est mort avant d’en avoir fini le montage. C’est son chef d’œuvre.

Il est inspiré d’une histoire vraie : la tentative d’évasion d’un groupe de prisonniers de la prison de la Santé relatée par l’un de ses protagonistes, José Giovanni, dans son tout premier roman. Toute l’action se déroule dans leur cellule et dans les sous-sols de la prison dont ils essaient de s’évader. Avec une économie de moyens remarquable et une efficacité redoutable, sans aucune musique mais avec une attention aigüe au bruitage, Becker filme en longs plans séquences quasi-documentaires la réalisation d’une évasion. On voit ces co-détenus mettre en œuvre un plan méticuleusement exécuté ; on partage vite leur anxiété et leur impatience.

L’enjeu dramatique ne se résume pas à la question de savoir s’ils parviendront à creuser ce trou dans le plancher de leur cellule pour accéder aux souterrains de la prison qui communique avec les égouts de Paris. Un autre enjeu est la solidarité des prisonniers auxquels se greffe un cinquième détenu dont on se demande pendant tout le film s’il les trahira ou pas.

À sa sortie en 1960, le film avait été d’autorité réduit de trente minutes par son producteur. Il ressort dans son version originale de deux heures douze. Happé par le suspense de cette évasion dont on ignore juste à l’ultime scène si elle réussira ou pas, je n’ai pas regardé ma montre une seule fois.

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De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites ★☆☆☆

De l’influence… a pour héroïne Beatrice Hunsdorfer, une femme d’une quarantaine d’années. Séparée de son mari, elle élève seule ses deux filles et vit dans une maison délabrée dont elle sous-loue une chambre à des personnes en fin de vie.

De l’influence… a été tourné en 1972 par Paul Newman qui était alors au sommet de sa gloire. Le rôle de Beatrice est interprétée par son épouse, l’actrice Joanne Woodward. Il est tiré d’une pièce de théâtre qui venait de remporter le Prix Pulitzer.

De l’influence… est emblématique de son temps. À commencer par son titre à rallonge qu’on n’aurait plus l’idée de donner aujourd’hui.
Il est inspiré d’une pièce de théâtre, comme l’était un grand nombre de films de la décennie précédente : Qui a peur de Virginia Wolf ?, La Chatte sur un toit brûlant, Un lion en hiver
Surtout il s’inscrit dans un registre dramatique qui est aujourd’hui totalement passé de mode. À l’époque, le théâtre et le cinéma avaient une tendance à l’hystérisation qui s’est perdue. Les personnages étaient paroxystiques, au bord de la folie. Aujourd’hui, si le sujet des films n’a pas changé – Aurore sorti le mois dernier avait pour héroïne une femme divorcée élevant seule ses deux filles – leur ton n’est plus le même. Il est plus réaliste, plus doux, et surtout plus comique. La solitude d’une mère célibataire, hier, faisait pleurer. Aujourd’hui, elle fait, à tort ou à raison, rire.

Faster, Pussycat! Kill! Kill! ★★★☆

Attention ! Film culte ! L’intraduisible et impayable Faster, Pussycat! a pour héroïnes trois amazones qui sillonnent le désert californien dans leurs voitures de course.

Le film commence par quelques lignes lues en voix off : « Ladies and gentlemen, welcome to violence, the word and the act. While violence cloaks itself in a plethora of disguises, its favorite mantle still remains . . . sex. »
Suivent des images psychédéliques de stripteaseuses filmées en contre-plongée face à des spectateurs masculins émoustillés et éructants.
Le film à proprement parler commence par un plan séquence : trois cabriolets roulent à vive allure sur une piste. Soudain, l’un d’eux bifurque vers un lac. Sa conductrice stoppe, descend de voiture et plonge dans l’eau. Une autre conductrice la rejoint bientôt. Une mêlée s’ensuit. D’abord dans l’eau. Puis sur la berge. On l’aura compris : tout est bon pour filmer deux filles à gros seins se rouler dans la boue.

Faster Pussycat! a été tourné avec trois bouts de ficelle en 1965 par Russ Meyer, un ancien photographe de Playboy passé derrière la caméra. Sans s’encombrer d’un scénario sophistiqué, il y filme ses fantasmes : des femmes libérées, violentes, à la poitrine démesurée.

Faster Pussycat! est à la fois terriblement sexiste et étonnamment féministe. C’est une série B au mauvais goût assumé qui charrie tous les stéréotypes du film X : jolies pépés, T-shirts mouillés, latex fétichistes, grosses cylindrées … Mais c’est aussi un film dont les héroïnes sont des femmes. Des femmes qui utilisent leur sexualité agressive pour subvertir les codes d’un monde d’hommes. L’affiche du film le montre : Tura Satana, une ex stripteaseuse nippo-amérindienne, toute de cuir (dé)vêtue, fait une clé de bras à un homme cloué au sol.

Faster Pussycat! est le film culte de Quentin Tarantino. Impossible de le voir aujourd’hui sans penser à son Death Proof qui en est directement inspiré. C’est à la fois l’intérêt et la limite du film de 1965. Faster Pussycat! a inspiré une œuvre qui en a sophistiqué et modernisé l’écriture et qui, du coup, l’a démodé.

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Casanova ☆☆☆☆

J’ai tout détesté dans « Le Casanova de Fellini » : le libertinage triste, le scénario répétitif, les monstres chers à Fellini, le titre narcissique….
Est-ce parce que le film, qui porte à la caricature l’esthétique kitsch des années 70, est passé de mode ? Ou suis-je à ma grande honte hermétique au génie du Maestro ?

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Utu ★☆☆☆

L’action de Utu se déroule en Nouvelle-Zélande pendant les années 1870 durant la colonisation de cet archipel par les Britanniques.

Utu signifie vengeance en maori. Le sujet du film est celui d’une triple vengeance.
Vengeance de Te Wheke, un supplétif de l’armée britannique qui se rebelle contre ses maîtres après le sac de son village, se tatoue le visage, chante des hakas et prend la tête d’une troupe de guérilleros.
Vengeance de Williamson, un colon blanc rendu fou de douleur par l’assassinat de sa femme par les rebelles maoris.
Vengeance du lieutenant Scott, un Néo-Zélandais blanc dont l’histoire personnelle le conduit à se démarquer des méthodes violentes du colonel Elliot, chargé de mater la rébellion.

Sorti en 1983, Utu figure au nombre des 1001 films à voir avant de mourir. Il doit ce statut à sa renommée en Nouvelle-Zélande dont il raconte un pan de l’histoire. Un peu comme La Marseillaise ou Paris brûle-t-il ? dans l’hexagone. Cette célébrité et la curiosité qu’inspire ce petit pays antipodique expliquent que Utu ressorte en salles cette semaine à Paris.

Je dois confesser une grande déception à la découverte de cette pépite méconnue. La faute sans doute à l’époque où il a été tourné. 1983, c’est Le Retour du Jedi, L’Étoffe des héros, Tchao Pantin et Scarface. Des œuvres, je l’admets volontiers, que nous avions en leur temps vues et aimées. Mais des œuvres qui ont mal vieilli. En ces temps là, les films sont longs, lents, horriblement mal éclairés.

Utu ne fait pas exception. Pendant près de deux heures, c’est une succession vite monotone de combats mal filmés. Les paysages grandioses de la Nouvelle Zélande, que Peter Jackson allait rendre mondialement célèbres en en faisant l’arrière-plan du Seigneur des anneaux vingt ans plus tard, sont gris et pluvieux. Même les personnages de Te Wheke, qui retourne contre le colon la violence exercée contre ses compatriotes, ou de Wiremu, qui préfère construire une relation apaisée avec les Britanniques plutôt que de nourrir un combat stérile, n’émeuvent pas.

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Le Ministère de la Peur / Espions sur la Tamise ★★☆☆

Alors qu’il vient d’être libéré de l’institution où il a passé deux ans pour avoir pratiqué l’euthanasie sur sa femme, Stephen Neale gagne lors d’une tombola un gâteau. Poursuivi par des espions nazis et suspecté par la police britannique, il doit seul contre tous faire la preuve de son innocence.

« Ministry of Fear » – qui est sorti en France sous le titre « Espions sur la Tamise » avant de retrouver un titre plus proche de l’original – est un jalon intéressant dans l’œuvre de Fritz Lang. Le génial réalisateur allemand a trouvé refuge depuis peu aux États-Unis – après un court séjour en France. Il se cherche.

Les fulgurances expressionnistes du « Docteur Mabuse » ou de « M le maudit » sont derrière lui. Fritz Lang n’est pas encore devenu le maître du film noir, un genre qui trouvera avec « Le démon s’éveille la nuit » et « La Femme au gardénia » ses canons indépassables.

« Ministry of Fear » est un film d’espionnage qui louche vers Hitchcock. De l’intrigue passablement embrouillée (inspirée de Graham Greene qui n’a pas encore signé ses chefs d’œuvre), du duo complice que forment ses deux protagonistes en quête de vérité (qui rappelle celui de « Une femme disparaît »), du héros injustement soupçonné  (joué par Ray Milland qui ne soutient pas la comparaison avec Cary Grant) à la campagne anglaise où se déroule l’action, tout rappelle le maître britannique. Hitchcock… en moins bien.

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Jeux d’été ★★★☆

Marie est danseuse étoile. Elle répète « Le Lac des cygnes ». Elle reçoit au courrier le journal de Henrik, son premier amant, mort une dizaine d’années plus tôt dans des circonstances tragiques. La lecture de ce journal la reconduit sur les lieux du drame et fait affleurer les souvenirs d’un été d’insouciance.

« Jeux d’été » est une réalisation de jeunesse de Ingmar Bergman, âgé de trente-deux ans à peine. Il  contient déjà tous les thèmes de l’œuvre de l’immense cinéaste suédois.

Une ode à la nature. Les souvenirs de Marie la ramènent à un été ensoleillé durant lesquels les deux amants multipliaient les bains de mer, comme dans Monika (1952). On les voit dévorer des baies comme dans Les Fraises sauvages (1957).

Dieu est mort. L’œuvre de Bergman est traversée par la question de la foi. C’est le sujet central de son film le plus célèbre, Le septième sceau (1957). Dans Les communiants (1962), Max von Sydow joue le rôle d’un pasteur ébranlé par le suicide de l’une de ses ouailles.

Mais la vie est la plus forte. On aurait tort de résumer l’œuvre de Bergman à un austère exercice métaphysique et doloriste. Si Dieu est mort, nous dit-il, nous sommes libres d’échapper à son regard et à son courroux, libres de vivre. Et même la mort ne doit pas nous priver du goût de la vie ; car elle ne réussira jamais à nous priver du souvenir de nos bonheurs passés.

Telles sont déjà en filigrane les étapes de l’évolution du personnage de Marie. Le journal de Hendrik lui rappelle le bonheur qu’elle a connu avec lui, sur les bords de la Baltique. Il lui rappelle son désespoir à sa mort, incompréhensible et inique, qui lui fit perdre la foi. Mais elle l’exhorte à vivre pleinement sa vie, aussi futile et dérisoire soit-elle.

Old Joy ★★☆☆

Deux hommes partent camper en forêt. Ils se baignent dans une source d’eau chaude puis rentrent chez eux.

Avant de tourner Certaines femmes qui est sorti le mois dernier sur nos écrans, Kelly Reichardt avait tourné en 2006 Old Joy. Le voir aujourd’hui c’est toucher du doigt l’extrême cohérence de l’œuvre de cette réalisatrice indé, par ailleurs auteure des très réussis Wendy et Lucy, La Dernière piste et Night Moves.

Le scénario de Old Joy tient sur un timbre poste. C’est sa principale qualité ; c’est aussi son principal défaut.

On peut se laisser hypnotiser par la simplicité dépouillée de cette histoire. Rien ne se passe que de très ordinaire dans Old Joy. Un long trajet automobile de la ville vers la forêt. Quelques hésitations sur l’embranchement à trouver. Une nuit autour d’un feu de bois. Une marche. Un bain dans une source. Puis le trajet retour en tous points semblables à l’aller. La vie tout simplement.

Ce refus radical de faire « joli », de dramatiser constitue-t-il un retour à l’authenticité vraie du cinéma, loin de tout artifice ? Sans doute. Mais le cinéma offre la possibilité de compresser le temps et l’espace, de raconter des histoires, bref de sublimer la réalité. Réduire le cinéma à n’être qu’un miroir posé sur le bord de chemin, c’est comme demander à un peintre de photographier la réalité.

Et puis surtout… c’est très chiant.

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