Le Ministère de la Peur / Espions sur la Tamise ★★☆☆

Alors qu’il vient d’être libéré de l’institution où il a passé deux ans pour avoir pratiqué l’euthanasie sur sa femme, Stephen Neale gagne lors d’une tombola un gâteau. Poursuivi par des espions nazis et suspecté par la police britannique, il doit seul contre tous faire la preuve de son innocence.

« Ministry of Fear » – qui est sorti en France sous le titre « Espions sur la Tamise » avant de retrouver un titre plus proche de l’original – est un jalon intéressant dans l’œuvre de Fritz Lang. Le génial réalisateur allemand a trouvé refuge depuis peu aux États-Unis – après un court séjour en France. Il se cherche.

Les fulgurances expressionnistes du « Docteur Mabuse » ou de « M le maudit » sont derrière lui. Fritz Lang n’est pas encore devenu le maître du film noir, un genre qui trouvera avec « Le démon s’éveille la nuit » et « La Femme au gardénia » ses canons indépassables.

« Ministry of Fear » est un film d’espionnage qui louche vers Hitchcock. De l’intrigue passablement embrouillée (inspirée de Graham Greene qui n’a pas encore signé ses chefs d’œuvre), du duo complice que forment ses deux protagonistes en quête de vérité (qui rappelle celui de « Une femme disparaît »), du héros injustement soupçonné  (joué par Ray Milland qui ne soutient pas la comparaison avec Cary Grant) à la campagne anglaise où se déroule l’action, tout rappelle le maître britannique. Hitchcock… en moins bien.

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Jeux d’été ★★★☆

Marie est danseuse étoile. Elle répète « Le Lac des cygnes ». Elle reçoit au courrier le journal de Henrik, son premier amant, mort une dizaine d’années plus tôt dans des circonstances tragiques. La lecture de ce journal la reconduit sur les lieux du drame et fait affleurer les souvenirs d’un été d’insouciance.

« Jeux d’été » est une réalisation de jeunesse de Ingmar Bergman, âgé de trente-deux ans à peine. Il  contient déjà tous les thèmes de l’œuvre de l’immense cinéaste suédois.

Une ode à la nature. Les souvenirs de Marie la ramènent à un été ensoleillé durant lesquels les deux amants multipliaient les bains de mer, comme dans Monika (1952). On les voit dévorer des baies comme dans Les Fraises sauvages (1957).

Dieu est mort. L’œuvre de Bergman est traversée par la question de la foi. C’est le sujet central de son film le plus célèbre, Le septième sceau (1957). Dans Les communiants (1962), Max von Sydow joue le rôle d’un pasteur ébranlé par le suicide de l’une de ses ouailles.

Mais la vie est la plus forte. On aurait tort de résumer l’œuvre de Bergman à un austère exercice métaphysique et doloriste. Si Dieu est mort, nous dit-il, nous sommes libres d’échapper à son regard et à son courroux, libres de vivre. Et même la mort ne doit pas nous priver du goût de la vie ; car elle ne réussira jamais à nous priver du souvenir de nos bonheurs passés.

Telles sont déjà en filigrane les étapes de l’évolution du personnage de Marie. Le journal de Hendrik lui rappelle le bonheur qu’elle a connu avec lui, sur les bords de la Baltique. Il lui rappelle son désespoir à sa mort, incompréhensible et inique, qui lui fit perdre la foi. Mais elle l’exhorte à vivre pleinement sa vie, aussi futile et dérisoire soit-elle.

Old Joy ★★☆☆

Deux hommes partent camper en forêt. Ils se baignent dans une source d’eau chaude puis rentrent chez eux.

Avant de tourner Certaines femmes qui est sorti le mois dernier sur nos écrans, Kelly Reichardt avait tourné en 2006 Old Joy. Le voir aujourd’hui c’est toucher du doigt l’extrême cohérence de l’œuvre de cette réalisatrice indé, par ailleurs auteure des très réussis Wendy et Lucy, La Dernière piste et Night Moves.

Le scénario de Old Joy tient sur un timbre poste. C’est sa principale qualité ; c’est aussi son principal défaut.

On peut se laisser hypnotiser par la simplicité dépouillée de cette histoire. Rien ne se passe que de très ordinaire dans Old Joy. Un long trajet automobile de la ville vers la forêt. Quelques hésitations sur l’embranchement à trouver. Une nuit autour d’un feu de bois. Une marche. Un bain dans une source. Puis le trajet retour en tous points semblables à l’aller. La vie tout simplement.

Ce refus radical de faire « joli », de dramatiser constitue-t-il un retour à l’authenticité vraie du cinéma, loin de tout artifice ? Sans doute. Mais le cinéma offre la possibilité de compresser le temps et l’espace, de raconter des histoires, bref de sublimer la réalité. Réduire le cinéma à n’être qu’un miroir posé sur le bord de chemin, c’est comme demander à un peintre de photographier la réalité.

Et puis surtout… c’est très chiant.

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Les Contrebandiers de Moonfleet ★☆☆☆

« Les Contrebandiers de Moonfleet » est un film sur lequel je lisais depuis des années des analyses enthousiastes.

Il occupe dans la filmographie du grand maître allemand une place à part. C’est son premier film en Cinémascope. C’est un film de cape et d’épée, tourné en studios. Son jeune héros, un orphelin, rappelle Dickens ; son intrigue sur fond de piraterie évoque Stevenson.

J’ai profité d’une rétrospective Fritz Lang à l’Action Christine pour le voir enfin. Quelle ne fut ma déception !

J’ai eu l’impression de voir un de ces nanars italiens des années 50 : « Le Pirate de l’épervier noir » ou « Le Fils du corsaire rouge ». Je lis que les décors sont gothiques avant l’heure ; je trouve sinistre cette lande battue par les vents et criardes ces rivages aux couleurs artificielles. J’entends qu’il s’agit d’un conte initiatique emblématique de la noirceur des personnages langiens ; je vois surtout un gamin tête-à-claques et un héros, fort mal joué par Stewart Granger dans son pantalon en cuir moulant, dont on sait par avance qu’il renoncera à son métier de contrebandier pour embrasser un choix plus vertueux.

Les cinéastes de la Nouvelle Vague firent des « Contrebandiers de Moonfleet » l’un de leurs films cultes. On se demande bien pourquoi.

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Les Bureaux de Dieu ★★☆☆

Avant de tourner Le Concours qui est sorti le 8 février sur nos écrans ou Le Bois dont les rêves sont faits en 2016, Claire Simon avait réalisé en 2008 ce film sur le planning familial.

La documentariste aime circonscrire son sujet et n’en pas sortir : la Femis, le bois de Vincennes ou la gare du Nord. Ici, elle installe sa caméra dans les locaux d’une agence du Planning familial et n’en sort pas. Défilent des femmes qui cherchent des réponses à leurs questions sur la sexualité, la contraception, l’avortement.

Les saynètes se succèdent, avec le risque parfois de créer un effet de monotonie. Telle jeune fille se plaint d’un retard de règles et demande la pilule du lendemain. Telle autre a passé les délais légaux pour une IVG en France et se voit recommander d’aller en Espagne.

Aucun militantisme dans l’attitude des personnels du Planning. C’est le bien-être des patients qui leur importe. Ils ne les poussent ni à interrompre ni à poursuivre leur grossesse, mais à prendre un choix éclairé et libre.

Le procédé utilisé par Claire Simon pour réaliser ce quasi-documentaire soulève quelques interrogations. Elle a choisi de confier les rôles des personnels sociaux à des acteurs connus : Nathalie Baye, Nicole Garcia, Béatrice Dalle, Michel Boujenah… On imagine qu’il y a derrière chacune de ces participations un engagement personnel. Cet engagement n’a en soi rien de critiquable. Mais c’est le résultat qui l’est plus : le mélange d’acteurs professionnels et amateurs et la reconstitution (sur)jouée de situations qu’on imagine volontiers que la documentariste a rencontrées en période d’observation.

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Sourires d’une nuit d’été ★★★☆

L’intrigue de ce vaudeville, inspiré de Shakespeare, de Beaumarchais et de Marivaux, est passablement complexe. Il se déroule dans les années 1900 en Suède. Frederik, un avocat veuf, d’âge mûr, est remarié avec Anne, une très jeune femme. Henrik, le fils qu’il a eu de sa première épouse, en est amoureux. Lui-même a une maîtresse, Désirée (la bien-nommée), une actrice de théâtre, laquelle est entretenue par un aristocrate, le comte Malcom, que l’épouse essaie vainement de reconquérir. L’ensemble de ces personnages se retrouvent la nuit de la Saint-Jean dans le château de la mère de Désirée.

Sélectionné au Festival de Cannes de 1956, Sourires d’une nuit d’été est le film qui a révélé Ingmar Bergman à la presse et au public international. Mais ce n’est pas un film représentatif de l’œuvre de l’austère réalisateur suédois qui, sans aller jusqu’à le renier, en a toujours minoré l’importance.

Sourires d’une nuit d’été n’est pas sans rappeler La règle du jeu de Renoir – Bergman admirait le cinéma français de Carmé, Duvivier, Renoir. Il en a la finesse, la légèreté, l’humour. Les personnages masculins sont interprétés avec un formalisme empesé par la fine fleur de l’Académie royale de Suède. Les rôles féminins sont jouées par des actrices hors pair, Eva Dahlbeck « le porte-étendard de la féminité triomphante » selon l’expression de Bergman.

Après ce succès, Bergman tournait Le Septième sceau puis Les Fraises sauvages. Son cinéma prenait un tour radical. Pour le meilleur et pour le pire.

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Musique dans les ténèbres ★★☆☆

Dengt Vylbeke, un aristocrate, perd la vue durant son service militaire. Abandonnée par sa fiancée, il est soigné par Ingrid, sa bonne, qui tombe amoureuse de lui. Mais l’amour de celle-ci n’est pas payé de retour car l’écart de classe est trop grand.
Après avoir échoué au concours du conservatoire, Bengt trouve un emploi de pianiste dans un hôtel. Il retrouve Ingrid qui s’est entretemps fiancé.

« Musique dans les ténèbres » est une réalisation de jeunesse de Ingmar Bergman. Venu du théâtre, le réalisateur, âgé de trente ans à peine, n’a pas encore trouvé ses marques. Il tourne des films de commande qui louchent du côté du réalisme français de Renoir, Carné ou Duvivier. Rien n’annonce le tournant que prendra son œuvre, pour le meilleur et parfois pour le pire, lorsqu’elle traitera à bras le corps les sujets de la foi, de l’amour, d’un monde sans Dieu.

Inspiré d’un roman de l’écrivaine suédoise Dagmar Edqvist, le scénario de « Musique dans les ténèbres » est à la limite de la mièvrerie. Il a néanmoins offert à Bergman son premier succès critique et public.

Aujourd’hui, l’intérêt du film est ailleurs. Il réside dans l’approche documentaire de Bergman, qui ne connaît, à ma connaissance, aucun autre exemple dans le reste de son œuvre. Le réalisateur est allé filmer à l’institut des jeunes aveugles de Stockholm (Jim Jarmusch a fait la même chose à Paris avec Béatrice Dalle dans l’un des sketch de Night on Earth en 1991) et il y a pris un vif intérêt dont le film, quasi-documentaire, porte la trace.

Freaks ★★★☆

Des monstres sont exhibés dans un cirque : lilliputien, microcéphale, sœurs siamoises, femme à barbe… Hans, le nain, est amoureux de Cléopâtre, la belle trapéziste qui, apprenant qu’il va hériter, décide de l’épouser puis de l’empoisonner. La communauté des monstres prend la défense de l’un des siens et se venge de la plus atroce des manières.

« Freaks » est un film de 1932 qui ressort en version restaurée au Grand Action. Il fait partie des « 1001 films à voir avant de mourir ». « Freaks » mérite cette célébrité à plusieurs titres. Il s’agit en premier lieu d’un documentaire étonnant sur le cirque et ses « curiosités » – ainsi qu’on les appelait à l’époque. On y voit des monstres. Des vrais (la MGM avait rassemblé tous les monstres des cirques américains). Comme il n’en existe plus. Ou comme, du moins, on ne les montre plus. Et on ne peut s’empêcher de ressentir une curiosité malsaine et voyeuriste à les découvrir.

Il s’agit en deuxième lieu d’une histoire profondément morale. Le plus monstrueux des personnages est la belle Cléopâtre qui, avec la complicité du fier Hercule, dupe l’innocent Hans et manque de l’assassiner. Au contraire, les monstres manifestent les plus hautes qualités : la solidarité autour de leur compagnon menacé, l’ingéniosité pour piéger la meurtrière….

Mais il s’agit en troisième et dernier lieu d’un film à la morale ambiguë. Car les monstres infligent à leur assaillant une punition d’une monstruosité inouïe, presque fantastique, jetant du coup un doute sur leurs qualités morales que je viens de vanter.

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Masculin, féminin ★☆☆☆

En 1965, Jean-Luc Godard a trente-cinq ans. Il est à un tournant de sa vie. Il a quitté Anna Karina l’année précédente et rencontrera Anne Wiazemsky l’année suivante. Il a tourné ses plus grands films : « À bout de souffle » en 1959, « Le Mépris » en 1963, « Pierrot le fou » en 1965. Il est conscient d’être arrivé au bout de son œuvre et se cherche un nouvel élan. Il va se tourner vers un cinéma plus engagé pour répondre aux accusations de nombrilisme adressées aux auteurs de la Nouvelle Vague et vers un cinéma plus expérimental qui tourne le dos aux formes traditionnelles de narration et entend se délivrer des contraintes techniques d’un lourd plateau. Pour le dire autrement, Godard va se mettre à tourner n’importe quoi n’importe comment !

Cette dérive avait été annoncée par des signes avants-coureurs : « Le petit soldat » (1962), dont le héros est un déserteur de l’armée française réfugié à Genève, évoquait la guerre d’Algérie et avait été censuré en France. « Vivre sa vie » (1962) était une enquête sociologique sur la prostitution à Paris.

« Masculin, féminin » est un peu le croisement de ces deux inspirations. Son héros, joué par Jean-Pierre Léaud – qui entame une longue collaboration avec le réalisateur suisse – joue le rôle d’un conscrit démobilisé militant contre la guerre au Vietnam (Françoise Hardy fait un cameo, non crédité au générique, dans le rôle de l’épouse d’un général américain). Chantal Goya (oui ! Chantal Goya !) incarne une jeune femme qui rêve de percer dans la chanson – et qui chante déjà fort mal pourtant. Marlène Jobert – dont c’est le tout premier film –  joue sa meilleure amie créant un trio amoureux au vague arrière-plan lesbien (le scénario est notamment inspiré d’une nouvelle de Maupassant sur ce thème : « La Femme de Paul »)

Jean-Pierre Léaud trouve un petit boulot pour l’IFOP et interroge ses interlocuteurs. Aux frontières de la fiction et du documentaire, ses questionnaires sont l’occasion de sonder la jeunesse française. Particulièrement drôle est l’interview de Elsa Leroy qui fut sacrée « Mademoiselle Age tendre » en 1965. Mais « Masculin, féminin » n’est pas léger, qui parle de sexe, d’avortement et qui sera, pour ce motif, interdit aux moins de dix-huit ans à sa sortie – alors que son propos nous semble bien innocent aujourd’hui.

Sans doute « Masculin, féminin » constitue-t-il un témoignage historique sur la France des années 60 qui s’ennuie déjà et sur ses « enfants de Marx et de Coca Cola ». Pour autant, faute de raconter une histoire, faute de scénariser son enquête, le cinéma de Godard reste d’un abord bien ingrat et résiste mal à l’épreuve du temps.

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La Marseillaise ★★★☆

La Révolution française par le petit bout de la lorgnette.

A la différence d’un Abel Gance qui filme un Napoléon héroïque, Jean Renoir choisit de traiter non pas la grande histoire mais la petite. On verra certes Louis XVI et sa cour ; mais rien sur Robespierre, Danton ou Murat. Cette « chronique de quelques faits ayant contribué à la chute de la monarchie » – comme l’annonce le sous-titre du film – a pour héros quelques Marseillais enrôlés volontaire qui monteront à Paris, le chant de Rouget de Lisle aux lèvres, prendront d’assaut les Tuileries la nuit du 4-août et partiront combattre à Valmy.

La Révolution française vue par le Front populaire.

« La Marseillaise » se termine en 1792 avant l’exécution du Roi et la Terreur. Parti pris discutable au regard de l’historiographie la plus récente qui a confirmé l’intuition de Clémenceau : la Révolution est un bloc dont on ne saurait séparer le bon grain (jusqu’en 1793) de l’ivraie (après l’exécution de Louis XVI). Ignorant la dérive thermidorienne, Jean Renoir donne à voir une Révolution française en résonance avec l’esprit du Front populaire et avec la CGT qui lui avait passer commande de cette fresque : l’histoire édifiante du Peuple révolté contre l’ordre monarchique. Pour autant, le réalisateur de « La grande illusion » est trop fin pour sombrer dans le manichéisme. Mais, comme il le fera dire à son personnage dans « La Règle du jeu », chacun a ses raisons, même parmi les aristocrates.