Un crime dans la tête ★★★☆

Le sergent Raymond Shaw (Laurence Harvey) reçoit la Medal of Honour à son retour de Corée. Mais le major Bennett Marco (Frank Sinatra) découvre que le sergent a, en fait, été victime d’un lavage de cerveau et est devenu la marionnette d’un complot communiste destiné à déstabiliser les États-Unis.

Un crime dans la tête est un film au destin étonnant. Il doit son existence à l’acharnement de Frank Sinatra qui, à l’époque, faisait la pluie et le beau temps à Hollywood et a convaincu les studios d’adapter le roman de Richard Condon. Mais il connut à sa sortie en 1962 un échec critique et public cinglant. Frank Sinatra en racheta les droits et la légende veut qu’il en ait interdit la diffusion après l’assassinat de JF Kennedy en novembre 1963. C’est seulement dans les années 70 que le film renoua avec le succès au point d’être devenu aujourd’hui une référence.

Frank Sinatra s’est réservé le rôle principal. Il a embauché Janet Leigh auréolée du succès de Psychose pour jouer celui de sa fiancée. Mais, dans le rôle de la mère du sergent Shaw, Angela Lansbury lui vole la vedette. En 2007, Newsweek la rangeait parmi les dix plus grands méchant(e)s de l’histoire du cinéma.

Un crime dans la tête manifeste un anticommunisme primaire. En même temps, il critique l’aile maccarthyste du parti républicain. Son intrigue n’est guère crédible. Il est difficile de croire au personnage de Yen Lo, avatar de Fu Manchu de Guerre froide, et au pouvoir hypnotique qu’il exerce sur le sergent Shaw. Mais les outrances du scénario loin de lui nuire renforcent le charme de ce film tellement daté qu’il en devient intemporel.

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Une chambre en ville ☆☆☆☆

À Nantes en 1955, les amours tragiques d’un ouvrier gréviste avec la fille de sa logeuse.

Les Parapluies de Cherbourg est un de mes films préférés. Pas très surprenant de ma part qui tient La La Land comme le meilleur film de la décennie. Tout m’y est enchantement : ses dialogues entièrement chantés, ses décors aux couleurs pimpantes, la guerre d’Algérie en arrière-plan politique, la musique de Michel Legrand, la candeur de Catherine Deneuve…

Je n’avais jamais vu Une chambre en ville, sorti près de vingt ans plus tard, dont une critique élogieuse garantissait qu’il n’avait pas à pâlir de la comparaison avec le film de 1964. J’ai profité d’une rétrospective Jacques Demy à Écoles 21 – le nouveau nom du Desperado – pour combler cette lacune.

Bien mal m’en prit. J’ai tout détesté dans ce film ridicule. Les dialogues entièrement chantés manquent cruellement de naturel. Les décors aux couleurs pimpantes sont criards. Les luttes ouvrières en arrière-plan politique sont sans intérêt. La musique de Michel Colombier n’arrive pas à la cheville de celle de Michel Legrand. Le jeu maladroit de Richard Berry, petite gouape aussi peu crédible en gréviste que je le serais en champion du monde de beach volley, et celui de Dominique Sanda, nue sous son coûteux manteau de fourrure (sic), réussissent à faire oublier la performance de Danielle Darrieux, impeccable en vieille dame indigne.

Au point que, l’espace d’un instant, ma passion juvénile et romantique pour Les Parapluies de Cherbourg s’est trouvée mise en cause. L’adorerais-je encore si je le revoyais aujourd’hui ? Que dirais-je de ses dialogues entièrement chantés de ses décors aux couleurs pimpantes ? Ai-je détesté Une chambre en ville parce que c’est un mauvais film ? Ou parce que Les Parapluies de Cherbourg n’est pas si bon que je le pensais ?

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Profils paysans, chapitre 1 : l’approche ★★☆☆

À quelques jours de la sortie de son nouveau film, 12 jours, les Trois Luxembourg programme une rétrospective Depardon. C’est l’occasion de voir ou de revoir les réalisations les plus célèbres de ce grand documentariste, qui filma le monde derrière son objectif avant de se recentrer depuis une quinzaine d’années sur la France.

Profils paysans était un projet qui tenait à cœur à ce fils d’agriculteur monté à la ville pour faire de la photographie. Il s’agissait, quarante ans plus tard, de revenir sur les terres de son enfance pour y filmer les derniers témoins d’une paysannerie en voie d’extinction. Dans l’Aubrac, des veuves, des célibataires octogénaires cultivent encore quelques arpents, élèvent encore quelques bêtes dans des fermes décaties.

Raymond Depardon a pris son temps pour filmer ces paysans d’un autre temps. Il y a consacré près de dix ans. Il y a mis surtout une infinie tendresse. Très intrusive, sa caméra, qui filme sans fard des intérieurs modestes et des situations intimes – ainsi des soins qu’une infirmière prodigue à l’œil énucléé de Louis Brès – est toujours respectueuse. On sent que chaque interview a été préparée par de patientes discussions autour de la table de la salle commune et d’un verre de fine, histoire d’apprendre à se connaître et à s’apprivoiser.

Comme Farrebique, Profils paysans constitue un fantastique témoignage anthropologique. Nous ne sommes plus en 1945, au temps où la vie paysanne était encore la norme d’une société qui tardait à s’urbaniser. En 2000, la paysannerie et son mode de vie sont à bout de souffle. Les fermes sont vides, silencieuses. Leurs derniers habitants sont des vieillards, témoins désuets d’une époque où l’on ne parlait pas encore le français.  On les voit qui négocient leurs bêtes avec un maquignon ou qui tentent de céder leur exploitation à des jeunes agriculteurs fraîchement diplômés du lycée agricole dont on se demande avec consternation quelle charme ils imaginent à cette vie recluse. C’est le même constat que dressait Sans adieu, le documentaire de Christophe Agou sorti le mois dernier.

Pourquoi alors ne mettre que deux étoiles ? Parce qu’en dépit de la révérence due à la démarche documentaire de Depardon, le rythme très lent de ses interviews, leur caractère répétitif, l’austérité voulue de ses décors, la tristesse de ses vies exténuées distillent un parfum d’ennui dont il est difficile de se défaire.

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Farrebique ★★★☆

Farrebique est un hameau du Rouergue dans l’Aveyron à une trentaine de kilomètres de Rodez. À la ferme, le grand-père règne en maître. Ses deux fils l’assistent en attendant de lui succéder. L’aîné est marié et a déjà quatre enfants. Le cadet « fréquente » la fille du voisin.

De décembre 1944 à novembre 1945, Georges Rouquier a planté sa caméra dans la ferme de fermiers qui lui étaient apparentés. Il en a filmé les jours et les heures. Son documentaire connut à l’époque un succès retentissant. Il fut sélectionné hors compétition à Cannes – mais y obtint néanmoins un prix. Il fut ensuite projeté à l’Opéra de Paris en présence du président du Conseil.

Farrebique est un documentaire qui fait date dans l’histoire du genre. Comme Flaherty, qui devint célèbre en filmant la vit des Inuit, Rouquier fait œuvre d’anthropologue. Il filme les saisons au fur et à mesure qu’elles se déroulent, de l’hiver à l’automne. Les hommes et leurs activités retiennent bien sûr son attention. Mais il s’intéresse aussi à la nature dont il filme – en accéléré – la métamorphose. Rompant avec les règles aujourd’hui consacrées du documentaire, il n’hésite pas à demander à ses protagonistes de se mettre en scène : ainsi on fait du fils cadet un célibataire – alors qu’il était en fait déjà marié – et on demande au grand-père de simuler sa mort – la petite histoire veut qu’il ait suivi le tournage de sa mise en bière derrière la fenêtre de sa chambre.

Farrebique a valeur historique. On y voit la paysannerie des années 40 telle qu’elle était, une population encore majoritaire en France à l’époque avant que les Trente Glorieuses et l’exode rural ne la vident de ses forces vives. Si aujourd’hui, les documentaires (Farrebique ressort le même jour que Sans adieu) ou les films (Petit paysan) qui décrivent le monde rural montrent des fermes dépeuplées, où un seul homme suffit à faire tourner l’exploitation, on est surpris du nombre d’habitants de Farrebique : une dizaine dont trois hommes d’âge adulte.

Bizarrement aucune allusion n’est faite à la guerre qui vient de se terminer – Jeux interdits tourné à la même époque est autrement plus ancré dans son temps. Pour autant, la paysannerie de Farrebique n’est pas immuable. Même si elle pratique l’élevage et la polyculture, même si elle mélange l’occitan et le français, même si elle mange la soupe au pain et fait chabrot, elle se modernise : on installe l’électricité, on achète les premières machines qui facilitent les moissons.

Les Terrasses ★★★☆

Merzak Allouache s’est fait connaître avec des comédies grand public : Chouchou (qui avait lancé Gad Elmaleh) ou Bab el Web (qui avait lancé Faudel). Le ressort de ces comédies pas toujours fines : traiter par l’humour les décalages culturelles entre la France et l’Algérie.

L’humour en moins, la finesse en plus, Merzak Allouache est revenu filmer Alger du haut de ses terrasses.

Cinq terrasses, cinq quartiers, cinq histoires.
Tout aussi sombres les unes que les autres : un frère qu’on torture pour qu’il cède sa part d’héritage, un vieil oncle qu’on séquestre, des jeunes enrôlés par un imam djihadiste, des squatteurs qu’on expulse, des propriétaires qu’on assassine…

Cette accumulation est servie par une remarquable mise en scène. Le réalisateur évite le film à sketches, composé de cinq chapitres successifs, et lui préfère, comme Alaa Al Aswany dans L’Immeuble Yacoubian, une composition plus complexe où les histoires s’entremêlent et se répondent.

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Titicut Follies (1967) ★★★☆

Frederick Wiseman tourne en 1967 son tout premier documentaire, dans un noir et blanc granuleux, avec un son inaudible, dans le service psychiatrique d’un hôpital militaire. Il n’est pas encore le « pape du documentaire » mondialement reconnu, consacré en 2017 par un Oscar d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. Mais, déjà, il a posé les règles dont il ne s’éloignera guère et auquel le documentaire contemporain a l’obligation de se conformer : montrer plus que démontrer en filmant sans commentaire, sans voix off, sans sous-titres.

Pour ces raisons, Titicut Follies impressionne par sa modernité. C’est un documentaire marquant de l’histoire du documentaire. Mais c’est aussi un documentaire inscrit dans son époque : un temps où les Noirs étaient minoritaires dans les établissements pénitentiaires, un temps où les gardiens et même les médecins avaient la clope vissés au bec, un temps où la guerre du Vietnam constituait l’arrière-plan politique de la vie en prison.

Mais, au-delà de ces considérations historiographiques, Titicut Follies impressionne voire traumatise par le portrait sans concession qu’il fait de la vie en prison. On est loin de l’artificialité des séries américaines (Prison Break, Orange Is the New Black) qui donnent au spectateur une fallacieuse impression de familiarité. Wiseman filme des prisons sales, bruyantes, incroyablement dures aux hommes.

Au vu de ce portrait à charge de l’institution pénitentiaire, on se demande comment Wiseman a pu obtenir l’autorisation de filmer. D’ailleurs, on n’est qu’à moitié surpris par le jugement rendu par la Cour du Massachusetts qui en a interdit la diffusion (Wiseman s’était pourvu devant la Cour suprême mais sa requête n’a pas été examinée) non pas pour maintenir le secret sur les pratiques répréhensibles des services pénitentiaires mais par respect pour la vie privée des patients livrés nus à l’œil inquisiteur d’une caméra.

Car Wiseman filme les patients de la prison de Bridgewater dans leur traumatisante nudité. Il montre un fou qui déblatère sans queue ni tête, un autre qui est intubé pour être nourri de force, un troisième (le même ?) dont on fait la toilette mortuaire avant de sceller son cercueil, un autre encore qui essaie vainement de convaincre une commission de révision qu’il est sain d’esprit et n’a pas sa place ici. Les images sont crues, brutales. Sans doute cette vérité sert-elle à nourrir un procès. Le procès d’une psychiatrie d’un autre âge – comme Vol au-dessus d’un nid de coucou allait la dépeindre huit ans plus tard. Soigner et punir pour paraphraser Foucault – dont les travaux sur le bio-pouvoir sont contemporains. Mais ces images sont aussi celles d’humains souffrants qu’on en peut regarder sans souffrir à son tour.

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La Tête haute ★★★☆

Bouleversant… mais…

On ne pourra qu’être bouleversé par La tête haute, un film qui décrit avec une justesse exceptionnelle l’adolescence tourmentée de Malony qu’un éducateur (Benoît Magimel) et une juge pour enfants (Catherine Deneuve) cherchent à sauver de sa violence auto-destructrice.
Remarquablement interprété, le film d’Emmanuelle Bercot qui a fait l’ouverture de Cannes en 2015 contient des scènes splendides : la rupture brutale avec son premier éducateur, sa découverte maladroite de la sexualité…

Pourtant, à la réflexion, on peut se demander si la réalisatrice ne rate pas sa cible qui, en trop voulant nous montrer comment la société doit traiter ses éléments les plus fragiles, ne finit pas par nous en désespérer.

Frôlant parfois l’exposé didactique, le film expose les différentes formules expérimentées pour aider Malony : CER, CEF, contrôle judiciaire, établissement pénitentiaire… La réalisatrice cite à deux reprises le prix élevé de ces processus d’accompagnement coûteux. Le pompon est décroché avec une séance de sophrologie proposée aux jeunes en difficulté pour se réconcilier avec leur corps.

Ce n’est pas Malony qui se bat contre la société (comme Rosetta le faisait dans le film des frères Dardenne) mais la société qui se bat coûteusement pour lui. Et elle est bien mal payée en retour tant Malony refuse de saisir la main qui lui est tendue jusqu’à un happy end d’autant plus décevant que la principale qualité du film est son âpreté.

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Mad Max: Fury Road ★☆☆☆

Après Mad Max (1979), Mad Max II – le défi (1981) et Mad Max – Au delà du dôme du tonnerre (1985), il a fallu attendre trente ans la sortie de Mad Max: Fury Road.
Dit autrement : les trois quarts de l’audience juvénile de la salle où j’étais allé le voir en 2015 n’étaient pas nés à la sortie des premiers épisodes !
Si les vrombissements post-apocalyptiques des bolides customisés et le perfecto de Mel Gibson ont bercé mon enfance, sur quel ressort cet opus tardif joue-t-il chez un public nourri entretemps de mille autres références ?

Deux longues heures ne m’auront pas donné la réponse à cette question.
George Miller nous livre un spectacle visuel gratuit.
Gratuit ? pas tant que ça. Le moindre plan est si sophistiqué qu’il a probablement coûté à lui seul le PIB du Swaziland.

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La Loi du marché ★★★☆

On réagira différemment selon ses opinions politiques à La Loi du marché présenté à Cannes en 2015 et couronné par le César du meilleur film.

Si on penche à droite, on trouvera bien caricaturale la charge contre l’entreprise accusée de tous les maux.

Si on penche à gauche, on sera ému aux larmes par ce portrait sans concession d’un homme qui lutte contre un système qui bafoue sa dignité.

Mais, où qu’on se situe, on ne pourra qu’être impressionné par la maîtrise du réalisateur et par le jeu des acteurs, Vincent Lindon en tête qui a amplement mérité la Palme.

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Le Trou ★★★☆

La Cinémathèque française a consacré le mois dernier une rétrospective à Jacques Becker. l’un des plus grands réalisateurs des années 50, il a laissé une œuvre hétéroclite : des films naturalistes (Goupi mains rouges, Casque d’or), des polars (Touchez pas au grisbi), des œuvres plus intimistes qui annoncent la Nouvelle vague (Rendez-vous de juillet, Rue de l’estrapade).

Le Trou est son dernier film. Jacques Becker est mort avant d’en avoir fini le montage. C’est son chef d’œuvre.

Il est inspiré d’une histoire vraie : la tentative d’évasion d’un groupe de prisonniers de la prison de la Santé relatée par l’un de ses protagonistes, José Giovanni, dans son tout premier roman. Toute l’action se déroule dans leur cellule et dans les sous-sols de la prison dont ils essaient de s’évader. Avec une économie de moyens remarquable et une efficacité redoutable, sans aucune musique mais avec une attention aigüe au bruitage, Becker filme en longs plans séquences quasi-documentaires la réalisation d’une évasion. On voit ces co-détenus mettre en œuvre un plan méticuleusement exécuté ; on partage vite leur anxiété et leur impatience.

L’enjeu dramatique ne se résume pas à la question de savoir s’ils parviendront à creuser ce trou dans le plancher de leur cellule pour accéder aux souterrains de la prison qui communique avec les égouts de Paris. Un autre enjeu est la solidarité des prisonniers auxquels se greffe un cinquième détenu dont on se demande pendant tout le film s’il les trahira ou pas.

À sa sortie en 1960, le film avait été d’autorité réduit de trente minutes par son producteur. Il ressort dans son version originale de deux heures douze. Happé par le suspense de cette évasion dont on ignore juste à l’ultime scène si elle réussira ou pas, je n’ai pas regardé ma montre une seule fois.

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