Le Privé (1973) ★★★☆

Philip Marlowe (Elliott Gould) est un détective privé qui vit seul à Los Angeles avec son chat. Par fidélité pour son ami, Terry Lennox, il accepte de le conduire en pleine nuit au Mexique avant d’apprendre à son retour que Sylvia, l’épouse de Terri, a été assassinée et que Terry est accusé du crime. L’annonce du suicide de Terri et de ses confessions ne suffit pas à dissiper les doutes de Marlowe qui décide d’élucider ce meurtre mystérieux.
Son enquête le mène chez les voisins des Lennox, les Wade. Roger Wade est un romancier alcoolique en panne d’inspiration. Eileen Wade suspecte son mari d’avoir eu une liaison avec Sylvia et de l’avoir tuée.

À sa sortie en 1973, Le Privé avait connu un bide retentissant. Les critiques et les spectateurs ne lui avaient pas pardonné les libertés qu’il avait prises avec le roman de Chandler et avec les règles iconiques du film noir.
Il est vrai qu’Elliot Gould ne ressemble guère à Humphrey Bogart ni les 70ies aux 40ies. Mais, à y regarder de plus près, Altman n’est pas si infidèle à Chandler qu’on le lui reproche. Certes, on n’imagine pas Humphrey Bogart câliner son chat comme Elliott Gould dans la première scène du film. Mais les deux hommes partagent le même code d’honneur, le même dandysme, le même refus des règles d’une société frelatée par le crime, la luxure et l’alcoolisme. Et si la fin du Privé s’éloigne considérablement de celle du roman de Chandler, elle en a le même esprit.

Aujourd’hui, Le Privé a été réhabilité. Il a trouvé sa place dans le panthéon du cinéma hollywoodien. Il le doit à l’aura de son réalisateur, le grand Robert Altman, et aussi à sa place dans l’histoire du film noir dont il constitue comme un post-scriptum seventies.

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La Flèche brisée (1950) ★★★☆

Après la guerre de Sécession, un soldat démobilisé, Tom Jeffords (James Stewart), cherche de l’or en Arizona. La guerre y fait rage entre l’armée de l’Union et les Indiens apaches du chef Cochise (Jeff Chandler). Jeffords, qui avait secouru un jeune Apache blessé et bénéficié en retour de la clémence des Indiens, ne partage pas les préjugés des Blancs à leur égard. Il veut apprendre leur langue, comprendre leur culture et trouver avec eux un accord pour mettre fin aux guerres interminables qui les opposent aux Blancs.

La Flèche brisée est un film marquant dans l’histoire du western. Bien avant Danse avec les loups ou Pocahontas, il rompt avec l’imagerie traditionnelle qui prévalait jusqu’alors. Le western participait d’un mythe, celui de la frontier sans cesse repoussée. Les colons blancs, appuyés par l’armée américaine, y entreprenaient une œuvre prométhéenne : ils construisaient une nation, se battant contre une nature ingrate et contre ses occupants, violents et fourbes, ravalés à un statut quasi-animal de bêtes sauvages dont il fallait se défier et qu’il fallait exterminer. Ils étaient du côté du Bien, les Indiens du côté du Mal.

Loin du manichéisme d’un John Ford, Delmer Daves, qui a voyagé chez les Indiens et appris leur langue, cherche à les réhabiliter. Il y réussira en partie. Jeff Chandler, l’interprète légendaire de Cochise, personnifiera pour longtemps ce chef apache à la fois indomptable et ouvert au dialogue. Dans le rôle de « passeur de cultures », James Stewart effectue grâce à ce rôle et grâce à celui qu’il tient dans Winchester 73 qu’il tourne la même année, un tournant dans sa carrière. Le gendre idéal qu’il incarnait dans les comédies de Capra, de Cukor ou de Lubitsch, a vieilli. Il est plus aguerri, plus philosophe. Il devient le héros de western par excellence : L’Appât, L’Homme de la plaine, L’Homme qui tua Liberty Vallance, La Conquête de l’Ouest….

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Assaut (1976) ★★★☆

Un commissariat de police est sur le point de fermer dans le sud de Los Angeles. Bishop, un lieutenant noir inexpérimenté, est chargé d’y assurer l’ultime garde en compagnie d’un sergent, d’une secrétaire et de la standardiste. Alors qu’un convoi transportant trois détenus vers un établissement de haute sécurité y fait une halte inopinée et qu’un père de famille, qui vient de perdre sa fille sauvagement assassinée, y pénètre, le commissariat est pris sous le feu d’une horde d’assaillants surarmés qui ont juré de venger la mort de six des leurs tués la veille par la police.

Quand il tourne en vingt jours Assault on Precinct 13, avec un budget de fortune, des acteurs inconnus, John Carpenter n’a pas trente ans et un seul film, passé inaperçu, à son actif. À sa sortie aux Etats-Unis en 1976, le film est un échec critique et commercial. Mais il bénéficie en Europe d’un bouche à oreille élogieux et devient bientôt culte. Carpenter accèdera à la célébrité deux ans plus tard avec Halloween et connaîtra son heure de gloire dans les années 80 en multipliant les succès : New York 1997, The Thing, Christine….

Ce qui frappe dans Assaut, c’est combien le manque de temps et de moyens, loin de nuire au film, a forcé son réalisateur à des solutions simples et efficaces. Unité de temps – tout se passe en moins de vingt-quatre heures – unité de lieu – l’action se déroule dans le commissariat et dans ses environs immédiats – unité d’action – les assiégés résisteront-ils à leurs mystérieux assaillants ?

Cette série B regorge de maladresses, de plans mal cadrés, mal montés. Sa musique, aussi iconique soit-elle devenue, est horriblement datée. Son scénario souffre d’un manque d’écriture. Ses acteurs sont calamiteusement dirigés. Pour autant, tous ces défauts font paradoxalement la qualité de ce film qui se regarde comme une confiserie sans âge. La raison en est peut-être que Carpenter – qui reconnaît sa dette aux classiques de Howard Hawks – a inventé un genre, à l’intersection du western et du film d’horreur (les assaillants, sans mots ni visages, évoquent les zombies de Romero). La raison en est tout simplement que Assaut se laisse regarder avec le plaisir régressif de passer un bon moment.

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Été violent (1959) ★★☆☆ / La Fille à la Valise (1961) ★★★☆

Valerio Zurlini est un réalisateur italien méconnu. Sa gloire a été éclipsée par celle de ses illustres contemporains : Rossellini, Visconti, Fellini, Pasolini…. Proche par son style introspectif d’un Antonioni, mais ouvert comme l’étaient les néo-réalistes à son époque, à son histoire et aux conflits de classe, Zurlini ne mérite pas l’oubli dans lequel il est tombé. Quelques-uns de ses films repassent parfois en salles ; certains ont même été restaurés. Le plus célèbre est son tout dernier, une adaptation du Désert des Tartares tournée, avant la révolution khomeyniste et sa destruction dans un tremblement de terre en 2003, dans la citadelle de Bam en Iran.

Été violent (1959) et La Fille à la valise (1961) sont ses deuxième et troisième films. Ils présentent plusieurs ressemblances. Ce sont deux productions franco-italiennes, comme il s’en tournait beaucoup à l’époque. Les capitaux venaient de France, le tournage se déroulait en Italie avec des acteurs et un plateau technique italiens. Un ou deux acteurs étaient quand même français fort mal doublés en italien : c’est Jean–Louis Trintignant dans Été violent, auréolé du succès sulfureux de …Et Dieu créa la femme, et Jacques Perrin dans La Fille à la valise, qui avait dix-neuf ans à peine. et que Zurlini refera tourner à plusieurs reprises.

Les deux films racontent une histoire d’amour déséquilibrée entre une femme plus âgée et un homme plus jeune, à peine sorti de l’enfance. Roberta (Eleonora Rossi Drago), l’héroïne de Été violent, est la veuve d’un officier de marine mort au combat (l’action se déroule en 1943 pendant la déroute des troupes italiennes) ; Aida (Claudia Cardinale), l’héroïne de La Fille à la valise est une chanteuse de cabaret d’origine modeste dont on apprendra qu’elle a laissé derrière elle un enfant. Roberta fait la connaissance de Carlo (Jean-Louis Trintignant), le fils d’un dignitaire fasciste, qui a jusqu’à présent réussi à ignorer la dure réalité des combats. Aida rencontre le jeune Lorenzo (Jacques Perrin) après avoir été abandonnée par son playboy de grand frère.

Comme chez Antonioni, Zurlini est un cinéaste du couple, de ses embrasements et de ses impasses existentielles aussi. Mais son cinéma est incarné dans un contexte socio-politique bien précis. Été violent se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme dans Une journée particulière, le chef d’oeuvre de Scola avec le couple mythique Loren-Mastroianni, la petite histoire, celle d’une rencontre, d’un coup de foudre et d’une séparation, y percute la grande.

Tournés dans un noir et blanc d’une folle élégance, les deux films valent le détour. Le second a un avantage sur le premier : l’interprétation radieuse de Claudia Cardinale, dans un rôle à la Bardot.

La bande-annonce de « Été violent »
La bande-annonce de « La Fille à la valise »

Le Carrosse d’or (1952) ★★★☆ / French Cancan (1954) ★★★☆

Le Carrosse d’or : Une troupe de comédiens sans le sou débarque dans une colonie espagnole d’Amérique latine au XVIIIème siècle pour s’y produire. Camilla (Anna Magnani), l’interprète de Colombine, a plusieurs courtisans. Le premier, rencontré durant la traversée, est un bel officier espagnol. Le deuxième est Ramon, le célèbre toreador, venu l’applaudir lors de la première représentation donnée par la troupe. Le troisième et non des moindres est le vice-roi en personne qui décide sur une foucade de lui offrir le carrosse d’or qui vient de lui être livré.
French Cancan : Danglard (Jean Gabin) est un producteur de spectacles qui nourrit un projet audacieux. Transformer une guinguette populaire en salle de music-hall attirant le tout-Paris et  produire au Moulin rouge un spectacle de chahut-cancan, une danse inventée plusieurs décennies plus tôt. Mais, pour mener à bien ce projet, Danglard devra rallier le soutien de riches mécènes.

Au début des années cinquante, Jean Renoir rentre des Etats-Unis où il a passé la guerre, après un crochet par l’Inde où il tourne Le Fleuve. La soixantaine bien entamée, il entame la dernière partie de sa carrière. La Grande Illusion, La Règle du jeu, La Bête humaine sont derrière lui.

Il signe une trilogie consacrée au spectacle : Le Carrosse d’or sur la commedia dell’arte, French Cancan sur le cabaret et enfin en 1956 Elena et les hommes sur le guignol.

Adapté d’une pièce de Prosper Mérimée, Le Carrosse d’or a un parfum de frivolité. C’est en apparence une comédie de mœurs exotique ; mais Le Carrosse d’or recèle une réflexion bien plus profonde sur le théâtre, pour lequel Camilla renoncera à l’amour de ses prétendants. Il en va de même de French Cancan, tiré d’un scénario original de Jean Renoir lui-même dont Danglard constitue un double autobiographique, un homme qui fait passer son art et sa liberté de création avant tout.

Le Carrosse d’Or et French Cancan valent aussi par leur photographie et leur mise en scène. Les couleurs y explosent ; le rythme en est trépidant ; les décors jouent sur les perspectives, les personnages passant sans cesse d’un plan à l’autre. Ce sont des films en constant mouvement où la caméra reste presque tout le temps parfaitement immobile. Une leçon de cinéma pour les jeunes cinéastes qui croient qu’il suffit d’agiter l’objectif dans tous les sens pour donner l’illusion du mouvement.

Le Carrosse d’or, dont François Truffaut a dit qu’il était le film « le plus noble et le plus raffiné jamais tourné », et French Cancan n’ont pas pris une ride.

Un extrait du Carrosse d’or
La bande-annonce de French Cancan

Un amour de Swann (1983) ★★☆☆

Charles Swann (Jeremy Irons) est un dandy parisien. Il fréquente régulièrement le salon du duc (Jacques Boudet) et de la duchesse (Fanny Ardant) de Guermantes, dont le frère, le baron de Charlus (Alain Delon) est l’un de ses plus proches amis. Charles Swann s’est amouraché d’une demi-mondaine, Odette de Crécy (Ornella Mutti), au passé sulfureux, dont la fréquentation pourrait l’obliger à se couper de son monde. Profondément épris, Swann, affligé d’une jalousie maladive, ne supporte pas la liberté d’Odette et ses fréquentations, notamment avec les Verdurin.

Longtemps l’œuvre si riche de Marcel Proust est passée pour inadaptable au cinéma. Le réalisateur allemand a relevé le défi en 1983 en prenant quelques précautions : il s’est entouré de prestigieux scénaristes, Peter Brook et Jean-Claude Carrière, et des acteurs les plus bankables de l’époque. C’est d’ailleurs la distribution qui fait bien mal vieillir le film : si Jeremy Irons et Ornella Mutti tenaient le haut de l’affiche à l’époque, le temps a montré qu’ils n’étaient pas des stars inoubliables. Parlant et l’un et l’autre trop mal le français, ils furent doublés au montage, le premier par Pierre Arditi dont la voix clairement reconnaissable crée un effet troublant de dissonance, la seconde par Micky Sebastian, bien trop guillerette et joyeuse pour le rôle de Odette, évanescente et mélancolique. Le choix d’Alain Delon fit polémique et son interprétation de Charlus, trop caricaturale, divisa.

L’action est ramassée en vingt-quatre heures seulement et débute plusieurs mois après la rencontre de Charles et d’Odette alors que la narration de Proust suit plus patiemment l’ordre chronologique. Pour autant, il serait injuste de crier à la trahison. Un amour de Swann est scrupuleusement fidèle au roman, à son histoire, à ses personnages, à leurs sentiments si sublimement analysées dans ce qui passe à raison comme l’une des plus grandes œuvres littéraires jamais écrites.

Certes, il y manque le phrasé proustien, cette petite musique que font naître ses interminables périodes. Mais l’élégance des décors et des costumes est bien là.
Le défaut structurel et inévitable du film est de mettre en images des personnages et des situations qu’on avait imaginés différemment. Swann est-il trop dandy, à traîner au lit jusqu’à point d’heure, à se faire habiller par son valet, à courir Paris toute la nuit sans ménager son cocher ? Odette est-elle trop frivole ? Mme Verdurin (Marie-Christine Barrault), qui rit à s’en décrocher la mâchoire est-elle à ce point ridicule ? Mme de Guermantes est-elle à ce point cruelle ? Charlus est-il décidément si ouvertement de la jaquette ? Et que dire enfin de la sonate de Vinteuil d’autant plus mystérieuse et fascinante à la lecture du livre que, par construction, on ne l’entendra jamais alors que le film est bien obligé en nous la faisant entendre de lever ce voile de mystère ?

Je vais avouer le rouge au front une incompréhension du livre que le film a levée. Sans ignorer la signification du cryptique « faire catlaya », je pensais que Charles et Odette entretenaient, jusqu’à leur mariage (pardon du spoiler !), une relation platonique. Proust en effet ne dit pas explicitement le contraire. Quel n’a pas été mon étonnement devant le film et ses scènes de sexe et de stupre !

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La Veuve joyeuse (1934) ★★★☆

La Marchovie est en émoi : une très riche veuve (Jeannette MacDonald), dont les impôts financent à eux seuls la moitié du budget de ce petit royaume d’Europe centrale, menace de s’expatrier à Paris. Une seule solution : y dépêcher le comte Danilo (Maurice Chevalier), un fringant officier et un Don Juan, pour qu’il la séduise, l’épouse et la convainque de revenir en Marchovie.

En plus d’être l’une des plus célèbres opérettes de tous les temps, La Veuve joyeuse est un film mythique. Ernst Lubitsch y déploie tout son talent. Son film est d’une folle élégance. Élégance des costumes et des décors bien sûr, même si son noir et blanc n’en restitue pas toute la richesse. La Veuve joyeuse fut à l’époque l’un des films les plus chers jamais réalisés. Les scènes de bal y sont éblouissantes. Mais plus encore élégance des situations et des sentiments.

La Veuve joyeuse est un film d’une grande sensualité dénué de tout sentimentalisme. C’est la marque des films de Lubitsch qui parle souvent d’amour mais ne sombre jamais dans la sentimentalité. S’y joue le jeu de l’amour sinon celui du hasard, entre des hommes et des femmes qui s’attirent et se repoussent, qui se repoussent pour mieux s’attirer, comme dans les comédies de Hawks ou de Capra. Pour autant, La Veuve joyeuse n’est pas un film vulgaire, tout au contraire. C’est un film drôle, au prétexte presque rocambolesque, on se croirait dans Le Sceptre d’Ottokar.

Jeannette MacDonald n’a peut-être pas le charisme des stars hollywoodiennes. C’était une chanteuse plus qu’une actrice et c’est sa voix qu’on entend dans les solos. Maurice Chevalier était la coqueluche de l’Amérique. Son accent très français y faisait merveille. Son jeu outré a mal vieilli. Pour autant, La Veuve joyeuse n’en reste pas moins un chef d’œuvre lubitschien à la hauteur de sa réputation.

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Possession (1981) ★☆☆☆

De retour chez lui à Berlin d’une longue mission, Mark (Sam Neill) retrouve sa femme (Isabelle Adjani), qui veut le quitter, et son fils. Mark est persuadé qu’Anna entretien une liaison avec Heinrich (Heinz Bennent) ; mais celui-ci lui soutient que leur liaison est aujourd’hui terminée. Avec l’aide d’un détective privé qu’il a embauché, Mark retrouve face au Mur l’appartement où Anna a ses mystérieux rendez-vous et découvre avec stupéfaction les causes de son inéluctable éloignement.

Possession est un film culte. L’interprétation hallucinée et hallucinante d’Isabelle Adjani lui a valu le prix d’interprétation féminine à Cannes (un prix qui, fait unique dans l’histoire du festival lui fut décerné pour son rôle dans deux films en compétition cette année là : Possession et Quartet de James Ivory) et le César de la meilleure actrice (le premier des cinq qu’elle a obtenus dans cette catégorie).

À première vue, Possession est un film d’horreur qui, comme son titre l’indique, raconte l’envoûtement d’une femme. Mais, à y regarder de plus près, c’est aussi, c’est peut-être surtout l’historie de la désintégration violente d’un couple. C’est peut-être aussi, nous disent des exégètes mieux inspirés que moi, une allégorie sur le double, voire une critique du communisme et du totalitarisme.

À quarante ans de distance, Possession est un film qui a mal vieilli. L’hystérie, la violence qui l’habitent sont épuisantes. Il est à craindre que le traitement que Zulawski a infligé à son actrice lui vaudrait aujourd’hui un procès pour harcèlement. Adjani raconte d’ailleurs sans fard le traumatisme qu’elle a subi sur le plateau. On la croit volontiers.

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Il était une fois l’Amérique : Hospital (1970) ★★★★

À l’occasion de la rétrospective intégrale programmée au Centre Pompidou de l’ensemble de ses films, Meteor Films, son distributeur en France, ressortent en salles trois de ses documentaires réalisés en noir et blanc au tout début de sa carrière, au tournant des années soixante et soixante-dix. Frederick Wiseman y entame son immense radioscopie des institutions américaines : après un hôpital psychiatrique (Titicut Folies) et un lycée (High School), Frederick Wiseman pose sa caméra dans une brigade de police du Missouri (Law and Order), un grand hôpital new-yorkais (Hospital), un tribunal pour mineurs du Tennessee (Juvenile Court).

Les règles de la grammaire qui régira toute son oeuvre sont déjà posées : des documentaires-vérité, tournés avec une équipe minimale (un cadreur et Wiseman lui-même qui se charge de la prise de son), des heures de rushes, aucun carton explicatif, aucune voix off pour contextualiser et expliquer des images qui parlent d’elles-mêmes grâce à un énorme travail de découpage et de montage.

Hier soir, une conférence-débat était organisée au MK2 Beaubourg devant une salle comble, appâtée par la présence du réalisateur. Hélas, Frederick Wiseman, affaibli par le grand âge (il aura quatre-vingt-quinze ans le 1er janvier) a dû se décommander. Le débat, animé par Hervé Brusini, n’en a pas moins été passionnant. Y participaient Charlotte Garçon des Cahiers du cinéma, la sociologue Nadège Vézinat dont sort aujourd’hui en librairie Le Service public empêché et le documentariste Jean-Xavier Lestrade (Un coupable idéal, Laëtitia) qui a adressé aux films de Wiseman le plus juste des compliments : « ils nous rendent plus intelligents ».

Je pensais avoir vu les meilleurs documentaires de Wiseman et plaçais tout en haut Welfare sur les déshérités qui affluent dans un centre d’assistance sociale à New York. Mais Hospital m’a plus enthousiasmé encore au point que c’est lui que je conseillerais à qui n’aurait jamais vu de documentaire de Wiseman.

On y découvre, de l’intérieur, le fonctionnement d’un grand service public. On y découvre ses employés dévoués mais débordés et ses usagers qui ne demandent qu’une chose : qu’on leur manifeste un peu d’humanité. Les scènes, captées sur le vif, se succèdent dans un tempo qui ne languit jamais. On y voit un gamin en larmes abandonné à lui-même pour lequel les infirmières cherchent désespérément un lit, un travesti pris en charge par un psychiatre qui essaie sans succès d’en confier le soin à l’assistance sociale qui n’en veut pas, une femme âgée, intubée, qui manque de mourir d’un grave œdème pulmonaire, veillée par un prêtre en soutane…

Hospital ressemble à la vie. On y traverse toute une gamme d’émotions. On est ému aux larmes du corps squelettique d’un malade, dont on pressent la fin prochaine, silencieusement ausculté par un médecin. On rit à gorge déployée devant un jeune beatnik sous emprise vomissant tripes et boyaux en plein bad trip. Le film dure 1h24 et on est frustré qu’il se termine si vite – Wiseman aura entendu notre frustration dont les films suivants seront beaucoup plus longs au point de friser l’overdose.

Jean-Xavier de Lestrade a encore raison en citant les deux réalisateurs qui ont influencé son travail et celui de tous les documentaristes français : Wiseman et Depardon. D’ailleurs Hospital rappelle Urgences de Depardon, tourné à l’Hôtel-Dieu de Paris avec le même dispositif une vingtaine d’années plus tard. Sur les deux rives de l’Atlantique (Wiseman s’est installé en France et y a réalisé plusieurs films, sur la Comédie-Française, l’Opéra de Paris, le Crazy Horse ou le restaurant gastronomique des frères Troisgros à Roanne), Wiseman filme les institutions, ceux qui y travaillent, ceux qui en sont les usagers ou les clients. À rebours de tout manichéisme, sans en faire ni le procès ni la publicité, il en décortique le fonctionnement, en révèle les injonctions contradictoires. Magistral.

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The Wicker Man (1973) ★★★☆

Après avoir reçu une lettre anonyme, l’inspecteur de police Neil Howie (Edward Woodward) débarque sur une petite île reculée des Hébrides écossaises pour y enquêter sur la disparition d’une jeune fille. Chrétien dévot, il y découvre une communauté repliée sur elle-même, vouant un culte aux dieux païens. Lord Summerisle (Christopher Lee), dont l’ancêtre a introduit la culture de fruits rares qui a fait la richesse de ses habitants, y cumule les fonctions de chef civil et d’autorité religieuse.

The Wicker Man – aussi connu sous son titre français, Le Dieu d’osier – est un film mythique. Il compte au nombre des 1001 films à voir avant de mourir. Sa scène finale est d’anthologie. Le film lui doit sa célébrité. Mais l’intérêt du film ne s’y résume pas.

The Wicker Man en effet croise trois fils. Le premier est un thriller qui aurait pu être banal si son épilogue à la fois n’en révélait toute l’architecture et ne lui donnait sa dimension tragique. Le deuxième est une enquête anthropologique sinon théologique – Robin Hardy est documentariste de formation – qui questionne les us et coutumes d’une communauté insulaire reculée et sa relation aux forces divines. Le troisième, celui qui peut selon les opinions sembler le plus démodé ou le plus intéressant, est l’ambiance post-Woodstock. Certaines scènes d’ailleurs furent coupées à la sortie – telle la sarabande endiablée de Britt Ekland, future James Bond girl deux ans plus tard dans L’Homme au pistolet d’or.

Au total, The Wicker Man crée un genre, le folk horror, dont Midsommar reprendra, avec le succès que l’on sait, les codes.

La bande-annonce