L’Hermine ★★★☆

Je suis allé à reculons voir L’Hermine. Je déteste Luchini que je trouve précieux et prétentieux. J’arrive dans la salle bondée. Je suis le plus jeune spectateur (ce qui m’arrive de moins en moins souvent) : j’en suis ravi… et terrifié.

Mais, dès les premières scènes, mes préventions disparaissent. Christian Vincent (La Discrète, Beau fixe, La Séparation) a le chic pour nous installer dans une situation : une petite ville de province, un magistrat misanthrope, un procès d’assises et ses jurés tirés au sort.
On imagine alors un film de procès comme le cinéma américain nous en donne tant d’exemples. On se trompe.
L’Hermine n’est pas un film de prétoire. C’est un film sur la Justice et ceux qui la rendent.

Bien sûr on pourra être touché par la panoplie des membres de la cour d’assises : son président ronchon, sa greffière dévouée, son avocat général timoré et les jurés composant une radioscopie caricaturalement représentative de la société française.
On pourra aussi s’attacher à l’accusé soupçonné d’avoir assassiné son enfant dont on se doute très vite qu’il a commis ce crime avec la complicité de son épouse. Couple écrasé par la misère sociale et l’abrutissement. On imagine que sa culpabilité ou son innocence va éclater. Il n’en sera rien. On croit assister à un coup de théâtre ; mais il ne faut pas s’y fier. En deux phrases, le président recadre les débats, explique aux jurés que leurs questions resteront sans réponses et qu’un procès n’a pas pour objet de faire surgir la vérité.

Comme jamais au cinéma – sinon dans quelques rares documentaires – on décortique la procédure pénale : la sélection des jurés, le poids du président et de ses assesseurs, l’indépendance de l’avocat général, le rôle de la défense… Et on le fait sans didactisme pesant, l’air de ne pas y toucher.

Car Christian Vincent a le bon goût de nous faire croire que l’essentiel est ailleurs. Dans la résurrection d’un homme revenu de tout qui croise un amour perdu et essaie de remonter le temps. Sidse Babett Knudsen est parfaite dans le rôle de la femme idéale. Le dernier plan est merveilleux. Il nous fait presque oublier la richesse du reste du film.

La bande-annonce

Knight of Cups ☆☆☆☆

J’avais beau avoir été prévenu, je suis allé voir le dernier film de Terrence Malick, plein d’impatience et de curiosité. Je savais depuis The Tree of Life et À la merveille que le génial réalisateur de La Ligne rouge et des Moissons du ciel avait versé dans un prêchi-prêcha panthéiste.

Ses films ne s’embarrassent plus d’un scénario, mais se résument à la juxtaposition prétentieuse de plans sans queue ni tête. Ils ne s’embarrassent plus non plus de dialogues, préférant recourir à une pesante voix off.

Knight of Cups suit Christian Bale dont on comprend qu’il est un scénariste en mal d’inspiration. Il se soigne en faisant l’amour à de sublimes blondes sylphides – ce qui donne quelques jolis plans. Mais, comme chacun sait, la chair est triste (oh là là c’est profond cette réflexion !) et le souvenir (ou peut-être le fantasme ?) du grand amour n’est jamais loin : s’agit-il de Cate Blanchett ou de Natalie Portman, qu’on croirait l’une et l’autre sorties d’une pub pour Chanel (ou Giorgio Armani ?) ?
On ne le saura jamais… et à la vérité on s’en fiche.

Knight of Cups est-il un sublime poème métaphysique auquel je n’ai rien compris ? ou un grand n’importe quoi d’un vieil érotomane paresseux ? Dans un cas comme dans l’autre, j’ai perdu mon temps et vous recommande de ne pas perdre le vôtre.

La bande-annonce

21 Nuits avec Pattie ★★☆☆

Les Coen, les Dardenne, les Taviani… Pourquoi tant de frères… et si peu de sœurs ?

Arnaud et Jean-Marie Larrieu sont donc frères. Leur filmographie déjà bien nourrie présente une étonnante cohérence. Ils filment le sexe avec une énergie dionysiaque. Le sexe plus fort que l’apocalypse dans Les Derniers Jours du monde. Le sexe plus fort que la mort dans 21 Nuits avec Pattie.

Ils le filment ou plutôt ils en parlent. Car l’érotisme de leur dernier film, voire la pornographie, est plus dit que montré.
Shéhérazade des temps contemporains, Pattie (Karin Viard) y raconte ses frasques sexuelles avec une élégance et une gouaille communicatives. Caroline (Isabelle Carré) l’écoute mi gênée mi tentée.

Ces historiettes auraient pu suffire à faire un film. Mais les frères Larrieu ont préféré lui juxtaposer une pesante histoire de fantôme : la mère de Caroline vient de passer de vie à trépas et sa dépouille a mystérieusement disparu.

Du coup, le film des frères Larrieu se transforme en L’Inconnu du lac hétérosexuel ; il lui emprunte sa chaude lumière méridionale, sa sensualité omniprésente, ses mystères non élucidés…
Ce qui fait beaucoup pour un seul film.

La bande-annonce

Les Cowboys ★★★☆

C’est l’histoire d’une famille, ou plutôt de sa décomposition, de 1994 à 2011. 1994 est l’année où Kelly, la fille aînée, disparaît. On apprendra qu’elle a volontairement quitté sa famille pour suivre Ahmed, un musulman radicalisé.
On ne dira pas ce qui surviendra en 2011 sinon que l’épilogue du film coïncide avec la mort de Ben Laden. Entretemps l’islamisme a marqué le monde suivant une chronologie (New York 2001, Madrid 2004, Londres 2005) qui scande la quête par son père et son frère de la sœur absente.

Thomas Bidegain emprunte la trame de son histoire à La Prisonnière du désert, mythique western de John Ford.
Mais en la transposant à d’autres cowboys, il lui donne une actualité troublante. D’autant que sa sortie, que les producteurs ont hésité à repousser, a coïncidé avec les attentats du 13 novembre.

Deux films en un. La chronique familiale, soit la lente dérive d’un père qui n’accepte pas la disparition de sa fille et qui détruit sa famille en voulant la reconstituer. Le documentaire brûlant d’actualité, soit l’exil volontaire et le ralliement à l’intégrisme d’une Française dont les motivations nous resteront à jamais étrangères.

La bande-annonce

Marguerite & Julien ★★☆☆

Marguerite et Julien de Ravalet ont été exécutés en 1603 pour inceste. François Truffaut avait souhaité en faire un film. Valérie Donzelli (La Guerre est déclarée) mène ce projet à bien. Au lieu de tourner en costumes ou de transposer les faits à l’époque contemporaine, elle choisit de multiplier les anachronismes volontaires comme Jacques Demy dans Peau d’âne. Des robes à volants et des hélicoptères. Des lampes torches et des charrettes à bras.

Valérie Donzelli aurait pu faire un film dérangeant sur l’inceste ou un film romantique sur l’amour. Elle décide de raconter l’histoire d’amour d’un frère et d’une sœur. Jérémie Elkaïm et Anaïs Demoustier ont probablement dix ans de trop pour leur rôle.

À cette réserve près, ils sont parfaits. On oublie qu’ils sont frère et sœur. On prend parti pour eux. On espère que leur amour triomphera et que les obstacles que la société leur oppose céderont. Et c’est bien là le problème : leur couple est trop sain pour incarner l’inceste.

La bande-annonce

Mia madre ★★☆☆

Le dernier film de Nanni Moretti est couvert d’éloges. Il les mérite.
Le plus grand réalisateur italien contemporain est au sommet de son art. Après une série de films politiques, berlusconisme oblige (Le Caïman, Habemus Papam), il revient à l’autobiographie de ses tout premiers films (Palombella Rossa, Journal intime). Mais, comme Woody Allen, il n’interprète plus son propre rôle : il le confie à Margherita Buy qui joue le rôle d’une réalisatrice hypocondriaque qui peine à terminer son dernier film tandis que sa mère se meurt à l’hôpital. Moretti, lui, joue à contre-emploi le rôle de son frère, rassurant et plein de bon sens.

Le maestro réussit comme jamais à maintenir la balance entre la comédie italienne bouffonne et le drame intimiste.
D’où vient alors mon manque d’enthousiasme pour ce film dont je viens de chanter les louanges ? D’un scénario qui mollement chemine jusqu’à un épilogue attendu ? D’une galerie de personnages tous excellemment joués mais stéréotypés (la diva américaine, la mère courageuse, l’ado paumée…) ?

La bande-annonce

Au Cœur de l’Océan ★☆☆☆

Au Cœur de l’Océan raconte l’histoire vraie qui a inspiré Moby Dick à Herman Melville : le naufrage de l’Essex, coulé par une énorme baleine blanche au milieu du Pacifique.
Ron Howard s’acquitte de sa tâche avec le talent d’honnête faiseur qui caractérise son éclectique filmographie : Willow (1988), Apollo 13 (1995), Un homme d’exception (2001), Da Vinci Code (2006)… Son scénario suit les étapes prévisibles de ce drame : la préparation de l’expédition, la rencontre du monstre marin, le naufrage, la longue dérive des survivants… Les scènes d’action sont impressionnantes si tant est qu’on se laisse encore impressionner par des images de synthèse. Le héros, Chris Hemsworth (Thor, Rush) a un charisme de cachalot.
Bref, on ne regarde pas sa montre ; mais on aura tôt fait d’oublier ce divertissement sans relief. Dit autrement : c’est assez (hi hi) !

La bande-annonce

Un + une ★☆☆☆

Claude Lelouch tourne depuis cinquante ans le même film. Son titre varie : Un homme et une femme, Hommes femmes, mode d’emploi, Un + une… mais, sourd aux modes fluctuantes, c’est toujours le même film sur la magie de l’amour.

J’adore son cinéma, son énergie, sa générosité et même sa musique (si ce n’est pas un coming out, ça y ressemble !). La bande-annonce de son dernier film m’avait mis l’eau à la bouche. De l’amour, de l’humour, des voyages ! Tout ce que j’aime !

Quelle ne fut ma déception !
L’action se déroule en Inde où Claude Lelouch aurait récemment connu une révélation en recevant le darshan (étreinte) d’Amma, un gourou du Kerala. Il essaie de nous faire partager cette expérience mystique en campant deux Français : un compositeur donjuanesque sur le point de se ranger et l’épouse un peu barrée de l’ambassadeur de France.

Si Jean Dujardin et Elsa Zylberstein sont terriblement séduisants, dans leurs rôles de quarantenaires amoureux de l’amour, ils sont abandonnés à eux-mêmes sans texte ni direction d’acteurs. Les plans s’étirent au-delà du nécessaire frisant le ridicule. Le scénario progresse cahin-caha au rythme des étapes ferroviaires du périple des héros – et de quelques libertés prises avec la géographie indienne. Le comble est atteint avec Christophe Lambert dans le rôle de l’ambassadeur en smoking, mari amoureux et trompé, et d’un épilogue parisien qui pèse des tonnes.

La bande-annonce

Back Home ★☆☆☆

Le dernier film de Joachim Trier – sans lien de parenté avec Lars – a été présenté à Cannes sous le titre Louder than Bombs. Ses distributeurs français l’ont rebaptisé après le 13-Novembre. Car il n’a rien à voir avec le terrorisme ou la guerre. Quoique…

Isabelle Huppert y joue le rôle… d’une morte. Photographe de guerre, elle s’est suicidée. Son mari (Gabriel Byrne) élève seul deux garçons. L’aîné (Jesse Eisenberg), aujourd’hui adulte et jeune père de famille, sait la vérité, le cadet (Devin Druid), en pleine crise d’adolescence l’ignore.
Joachim Trier, le réalisateur prometteur de Oslo, 31 août, a voulu « raconter une histoire à plusieurs voix sur une famille dont chacun des membres vit une même expérience à sa manière ». Le cadet est traumatisé par la mort de sa mère qu’il ne comprend pas. L’aîné peine à entrer dans l’âge adulte. Le père cherche la façon la plus douce de révéler la vérité à son fils. Même la mère défunte est convoquée par des flash-back pour élucider les raisons de son acte.

Le film se construit comme une mosaïque faite de petits fragments éparpillés. Dans cet appareillage, c’est bizarrement Isabelle Huppert qui est la plus décalée. Parce qu’elle est morte ? parce qu’elle est française ? Le film n’aurait pas perdu en cohérence sans elle. Elle aurait pu être gommée. Au centre mais absente. Comme Kevin Costner dans Les Copains d’abord de Lawrence Kasdan (1983) : il jouait le rôle d’un suicidé à l’enterrement duquel tous ses copains se réunissaient. Il n’apparaissait pas à l’écran, sinon, dans la première scène, dans son cercueil à ses obsèques. Mais tout le film gravitait autour de lui. Joachim Trier aurait dû utiliser le même procédé. Il aurait paradoxalement donné plus de présence à Isabelle Huppert.

La bande-annonce

Cafard ★★★☆

Pendant la Première Guerre mondiale, une division blindée belge, envoyée combattre aux côtés de l’armée tsariste sur le front de l’Est, est prise au piège de la révolution bolchevique. Pour revenir en Belgique, elle devra faire le tour du monde, de Sibérie en Chine, du Japon aux États-Unis.

Cette histoire vraie constitue la toile de fond de Cafard, un étonnant objet animé non identifié qui lorgne du côté de Hugo Pratt et de son Corto Maltese. Les mouvements des acteurs ont été enregistrés en motion capture et retravaillés à la palette graphique. Le résultat n’est pas toujours réussi mais a le mérite de l’innovation : silhouettes anguleuses, proches de l’abstraction, grands aplats de couleurs vives.
Cafard est un film d’animation pour adultes. Il a eu du mal à trouver son public : trop dense pour les enfants, trop léger pour les adultes. Mais le détour vaut la peine.

La bande-annonce