Vue sur mer ★☆☆☆

Précédé d’une critique calamiteuse, Vue sur mer a quasiment quitté les écrans au bout d’une semaine d’exploitation.
L’action est censée se passer dans une minuscule calanque du sud de la France (en fait le tournage a eu lieu à Malte) au début des années 70.
Brad Pitt joue le rôle d’un écrivain en quête d’inspiration, qu’accompagne sa femme, prisonnière d’un lourd secret.
Ils s’installent dans un hôtel qui surplombe la mer et y sont rejoints par un jeune couple (Melvil Poupaud, décidément omniprésent sur les écrans ces temps-ci, et Mélanie Laurent) en lune de miel.

Le couple et ses désordres constituent un grand sujet de cinéma. Dans les années 60, un certain cinéma américain, proche du théâtre, lui a donné ses lettres de noblesse mettant en scène les stars d’Hollywood : La Chatte sur un toit brûlant (Taylor et Newman), Qui a peur de Virginia Wolf ? (Taylor et Burton). Le cinéma d’auteur européen a pris le relais : La Nuit d’Antonioni, Scènes de la vie conjugale de Bergman.

Écrasée par ses immenses références, Angelina Jolie Pitt – ainsi qu’elle se dénomme depuis son mariage – a elle-même réalisé ce film au troublant parfum cathartique.
La façon dont elle se met en scène avec Brad Pitt, couple à l’écran, couple à la ville, fascine et interroge.
Ces deux stars, parmi les plus médiatisées au monde, ressemblent-elles à leurs doubles de cinéma ? Alcoolisme pour lui ? Dépression pour elle ? Et voyeuriste excitation pour les deux à observer les ébats de leurs voisins de chambres ?
On se demande ce qu’ils sont allés chercher dans ce huis clos autobiographique, en mettant en scène leur propre vulnérabilité. À montrer qu’ils forment un couple semblable à tous les autres, sujet au doute et aux crises ? Ou que, une fois les masques tombés, l’amour, même chez les célébrités, consiste à accepter l’autre tel qu’il est et à s’accepter soi-même ?

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Le Grand Jeu ★☆☆☆

Le Grand Jeu explore un champ délaissé du cinéma français : le sommet de l’État. Des Trois Jours du Condor à House of Cards, le cinéma américain, lui, l’a exploré en tous sens. En revanche rares et souvent maladroits sont les films français qui s’aventurent dans les couloirs du pouvoir : L’Exercice de l’État (qui ne méritait pas les louanges qu’il a reçus), Une affaire d’État (avec André Dussolier déjà)…

Le Grand Jeu raconte une manipulation politique. Pour faire tomber le ministre de l’Intérieur, un homme d’influence (André Dussolier) décide de monter en épingle la menace de l’extrême gauche radicale. Un écrivain (Melvil Poupaud), en pleine crise de la page blanche, est recruté pour rédiger un appel à l’insurrection qui servira de document à charge pour démontrer la dangerosité de cet extrême gauche et le laxisme du ministre.

Le film a deux défauts : le premier – comme L’Exercice de l’État en son temps – est son manque de crédibilité. Non ! Le sommet de l’État – ou du moins celui que je connais – n’est pas peuplé de comploteurs et d’hommes de main. Ce qu’on y fait est beaucoup plus banal et beaucoup moins illégal.
Le second est plus rédhibitoire encore s’agissant d’une œuvre de cinéma. Le film commence sur un bon tempo. Mais il s’enlise dans sa seconde moitié lorsque l’écrivaillon part se réfugier à la campagne. La nuit urbaine dans laquelle se déroulait la première partie convenait mieux que le jour laiteux qui baigne la seconde. Et il sombre définitivement dans sa conclusion, qui louche du côté du film d’action sans s’en donner les moyens.

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La Vie très privée de Monsieur Sim ★★☆☆

Monsieur Sim est persuadé d’avoir raté sa vie et il n’a pas tort : il vient de divorcer et de perdre son travail. Quand on lui propose de vendre un nouveau modèle de brosse à dents, il se perd sur les routes du Massif central, ensorcelé par la voix de son GPS.

Jonathan Coe fait partie de ces rares auteurs qui se bonifient au fil de leur œuvre. Si j’ai bien aimé ses premiers livres (Les Nains de la mort, Testament à l’anglaise...), ses plus récents sont mes préférés.
J’étais d’autant plus curieux de découvrir l’adaptation de son avant-dernier roman en date.
Bizarrement, on la doit à un réalisateur français, Michel Leclerc, auteur de l’excellent Le Nom des gens. Pourquoi un réalisateur britannique ne s’y est-il pas collé ? Mystère…

Mais il y a plus grave. Si l’adaptation est globalement fidèle au roman, elle s’en éloigne à son épilogue. Or le roman de Jonathan Coe se terminait par un twist magistral – qu’il m’est impossible d’évoquer sans en spoiler tout le génie – que le film ignore. En lieu et place, le film de Michel Leclerc se termine par une queue de poisson paresseuse et réductrice. L’humour grinçant et toujours juste de Jean-Pierre Bacri ne suffit pas à exonérer ce film de ce défaut rédhibitoire.

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Hector ★★★☆

Hector est devenu SDF parce que la vie lui est insupportable. Depuis quinze ans il a coupé tout contact avec sa famille. Sa vie de galères n’a qu’un point fixe : les fêtes de Noël qu’il passe à Londres dans un refuge de sans-abri. Hector vieillit. Hector est malade. On comprend au début du film que sa maladie est grave et que ce réveillon sera peut-être le dernier.

Peter Mullan joue évidemment le rôle de Hector. Ce grand acteur du cinéma social écossais a déjà bien des fois endossé ce rôle : chez Ken Loach d’abord (My Name is Joe), puis chez ses épigones (Une belle journée de Gaby Dellal, Tyrannosaur de Paddy Considine). Du coup, son histoire, qui alterne les rencontres heureuses et malheureuses,  ne ménage guère de surprises, sinon un épilogue qui ne correspond pas à celui que le film laissait funestement attendre.

Si Hector ne nous surprend guère,  il biberonne au lait de la tendresse humaine. Ce n’est pas grand-chose mais c’est déjà immense.

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Le Pont des espions ★★☆☆


On peut dire beaucoup de bien ou beaucoup de mal de Spielberg.
Beaucoup de bien : il a signé les plus grands succès du cinéma américain de ces quarante dernières années depuis Les Dents de la mer jusqu’à La Liste de Schindler en passant par E.T. ou Les Aventuriers de l’arche perdue.
Beaucoup de mal aussi : c’est un réalisateur sans génie, aux idées simplistes et aux recettes éculées, dont le cinéma vieillira mal et que les générations futures jugeront avec sévérité.

C’est précisément ce jugement balancé qu’on peut porter sur sa dernière réalisation.
Le Pont des espions est basé sur une histoire vraie – car Spielberg sait, non sans démagogie, que le potentiel émotionnel de ses films est d’autant plus grand qu’il s’inspire d’une histoire vraie. Ici, celle de l’avocat américain James Donovan qui, pendant la guerre froide, assista le gouvernement dans des négociations délicates d’échanges d’espions ou de libérations d’otages.
On se tromperait en considérant que Le Pont des espions est un film sur la guerre froide. Outre que Berlin y est filmé sous une neige artificielle qui prive cette ville de toute authenticité, Spielberg traite toujours et encore le même sujet : la démocratie américaine et la défense de ses valeurs. Comme dans Lincoln, comme dans Il faut sauver le Soldat Ryan, Spielberg dresse un monument aux valeurs constitutives des États-Unis d’Amérique, mélange d’individualisme irréductible et de messianisme compassionnel.
Selon les goûts et l’humeur, on y verra une bien-pensance poisseuse ou une humanité bouleversante.

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Cosmos ☆☆☆☆


Quand je ne comprends pas un film, je suis tiraillé entre deux sentiments contradictoires. Le premier est la détestation : je déteste ce film qui m’est hermétique. Le second, un peu moins prétentieux, est la honte et le regret : je suis trop bête pour le comprendre et regrette de ne pas l’être un peu moins pour y comprendre quelque chose.

Rarement ces deux (trois ?) sentiments contradictoires se sont-ils autant opposés qu’à la vision du dernier film de Andrzej Zulawski, adapté de Witold Gombrowicz.

Ces références écrasantes m’interdisaient de tenir Cosmos pour une hystérie foutraque, pour un brouillon potache. Pourtant, la direction d’acteurs en roue libre, le scénario inconsistant, la mise en scène aux abonnés absents, évoquent plus un étudiant prétentieux de la Fémis en fin de scolarité que deux des plus grands artistes polonais contemporains.

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Suburra ★★★☆


Le cinéma italien est de retour.
Et il ne se réduit pas à Nanni Moretti, largement galvaudé.

Une génération de jeunes cinéastes nourris au lait – ou plutôt au Red Bull – des séries américaines est en train de prendre la relève. Sa marque de fabrique : des polars compliqués qui croisent le crime et la politique. Ses titres phares : ACAB (All Cops Are Bastards), Romanzo Criminale, Gomorra
Stefano Sollima a réalisé le premier et dirigé les séries TV inspirées des deux suivants. Il a utilisé un scénario de Giancarlo De Cataldo (l’auteur du roman dont Romanzo Criminale a été tiré). Son action se passe à Rome où jadis les puissants et la pègre se croisaient dans le quartier de toutes les débauches, Subure.

Suburra est un film choral peuplé de toutes les caricatures du film noir : le politicien véreux, la pute au grand cœur, le tueur froid, le caïd sous acide…
Une intrigue, à la fois très complexe et parfaitement lisible, va les rapprocher bien malgré eux.
Sollima réussit à croquer des personnages bigger than life. On n’oubliera pas de sitôt la maison des Anacleti, cette famille tzigane enrichie dans le racket, bruyante et saturée des symboles d’une richesse trop vite acquise. Ou l’appartement de Numéro 8 construit sur la plage d’Ostie qu’il rêve de transformer en Las Vegas.
Suburra ne résiste pas à quelques facilités de mise en scène : une esthétique de pub, une BOF envahissante. Mais ces défauts ne suffisent pas à ternir le plaisir qu’on prend à ce film sous ecstasy.

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Demain ★★☆☆


Demain explore en cinq chapitres les solutions possibles à la crise écologique : alimentation, énergie, économie, démocratie, éducation.

Ce documentaire optimiste a d’abord suscité chez moi l’irritation : trop de bons sentiments, trop de manichéisme, trop de simplifications. Et surtout un gros ras-le-bol contre l’idéologie à la mode qui jette le bébé avec l’eau du bain, voue aux gémonies le capitalisme libéral au motif qu’il asservit les pauvres, engraisse les riches et détruit la planète en oubliant que grâce à lui le monde a connu depuis deux siècles la croissance le plus rapide.

Mais je reconsidère mon opinion sur Demain. Pour saluer d’abord l’enthousiasme communicatif de ses auteurs, qui rompt avec le catastrophisme apocalyptique qui caractérise la plupart des documentaires écologiques, vantant la beauté de notre planète et annonçant son inexorable destruction. Cyril Dion et Mélanie Laurent cherchent des solutions. Peu importe qu’ils aient dépensé pour ce faire le bilan carbone de 5.000 Éthiopiens ! Qui suis-je, dans mon fauteuil, pour leur en faire le reproche ?
Et pour remettre en cause mes vieilles convictions. Que le capitalisme et la démocratie nous aient apporté depuis deux siècles la prospérité et la croissance est une chose. Que l’efficacité de ce système perdure en est une autre. Peut-être est-il temps de remettre en cause l’idéologie de la croissance. Peut-être est-il temps de lui chercher des alternatives.

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Le Dernier Jour d’Yitzakh Rabin ★☆☆☆


Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin avait, sur le papier, tout pour me plaire. Un film polémique sur la politique contemporaine qui revisite l’une des pages les plus dramatiques de l’histoire d’Israël. Et un film de Amos Gitaï grâce auquel j’ai découvert dans les années 90 le cinéma israélien avec des films comme Kadosh (1999) qui m’avait enthousiasmé.

Sauf que la filmographie d’Amos Gitaï alterne le pire et le meilleur, s’égarant sur des chemins de traverse pas toujours bien maîtrisés. Et que sa lecture de l’assassinat du Premier ministre israélien, tombé sous les balles d’un extrémiste sioniste qui lui reprochait la signature des accords d’Oslo, ne m’a pas convaincu.

Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin alterne les images d’archive et les reconstitutions fictionnelles. Pourquoi ce mélange ? Quel parti sert-il sinon celui de créer un flou entre le réel et la fiction ? Il fallait choisir son camp : le documentaire pur ou la reconstitution intégrale. Amos Gitaï ne choisit pas entre les deux, comme si l’indécision l’avait emporté.

Du coup, son film est trop long, qui s’étire durant deux heures trente interminables. Une durée d’autant plus pénible que le montage manque terriblement de nerfs, faisant se succéder de longs face-à-face dialogués qui ont plus leur place au théâtre qu’au cinéma.

Grosse déception…

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Une histoire birmane ★☆☆☆

La Birmanie (ou le Myanmar selon la terminologie officielle) s’ouvre au monde. J’ai eu la chance de m’y rendre en mai 2013. Dans les rues de Rangoon (qui, comme chacun sait, n’est plus la capitale, délocalisée à Naypyidaw), des bouquinistes vendent des vieux livres poussiéreux. Au touriste occidental, rapidement identifié à ses longs cheveux blonds (si si !), ils proposent un livre et un seul : Burmese days (Une histoire birmane) de George Orwell qui servit dans cette colonie de la Couronne britannique entre 1922 et 1927.

Le film-documentaire d’Alain Mazars tisse deux histoires : celle du séjour de George Orwell dans cette inhospitalière colonie et celle de la Birmanie contemporaine.
La première n’est quasiment pas documentée : aucune photo – sinon un portrait de groupe flou – plus de témoignage écrit, rien que le roman susmentionné publié en 1934 et éclipsé par La Ferme des Animaux et 1984.
Pour raconter la seconde, Alain Mazars refuse deux facilités : la collection de cartes postales (filmer Rangoon sans montrer la pagode Shwedagon, c’est comme filmer Paris sans Tour Eiffel) et le discours militant. C’est plutôt à une exploration onirique que nous sommes conviés. Alain Mazars imagine que George Orwell s’est réincarné dans la Birmanie contemporaine. Il part sur les traces de sa vie antérieure et cherche les réincarnations de ses personnages : qui serait Winston, le héros de 1984 dont le seul crime est de tenir un journal intime ? qui serait O’Brien, le traître qui se fait passer pour ami ? qui serait Goldstein, le chef de la rébellion (inventé par Big Brother pour servir de bouc-émissaire à la haine populaire) ?

Une Histoire birmane – comme Dakar, ta Nostalgie dont j’ai parlé récemment ici – est peut-être victime de son exigence. À force de vouloir éviter les lieux communs et les facilités, elle entraîne le spectateur vers une abstraction désincarnée.

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