Green Room ★★☆☆

Green Room est un survival. En français, on dit « film de survie » ; mais en anglais, ça sonne nettement mieux, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qu’un survival ? Un film dont les héros survivent. Quels héros ? Parfois seul (le héros de Into the Wild ou de 127 heures), souvent en groupe (Délivrance, Massacre à la tronçonneuse). À quoi survivent-ils ? Aux éléments déchaînés (Le Jour d’après), à la fin du monde (La Route), à des zombies (World War Z), à des extraterrestres (Alien)…

Le survival est un genre hobbesien, qui dépeint une situation anarchique où la violence se déchaîne contre des victimes innocentes abandonnées à elles-mêmes, mais qui illustre aussi la nécessité de reconstruire un ordre sur des valeurs : le héros survivra à force de volonté et d’inventivité, le groupe se défendra en apprenant à coopérer. Le survival est aussi un genre « genré » : a priori plus fragiles, les filles y survivent pourtant mieux, soit que leur intelligence les préserve… soit que leur T-shirt mouillé constitue un argument impossible à sacrifier en cours de route.

Green Room est donc un film de genre qui suit des règles bien connues : unité d’action (un groupe de punk rock lutte contre des skinheads), unité de lieu (l’action se déroule dans un rade miteux, au cœur d’une forêt menaçante), unité de temps (le film dure jusqu’à épuisement de ses personnages).

Rien de nouveau sous le soleil – ou plutôt sous la pluie triste de l’Oregon. Entre les quatre sympathiques membres du groupe punk et les skinheads aux lacets rouges s’engage une lutte à mort. Un huis clos oppressant et gore où tous les coups sont permis : poignard, gros calibre, pitbull…

Trop convenu pour ne pas rapidement sombrer dans l’oubli ? Mais suffisamment original pour retenir l’attention ? Un peu les deux…

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Dalton Trumbo ★★★☆

Scénariste à Hollywood, Donald Trumbo fut victime de la chasse aux sorcières pendant les années 50. Coupable d’être membre du Parti communiste, il fut emprisonné puis licencié. Il dut recourir à des pseudonymes et à des prête-noms pour continuer à travailler, rédigeant des scénarios de série B mais aussi des chefs-d’œuvre couronnés aux Oscars (Vacances romaines en 1954, Les Clameurs se sont tues en 1957).

Dalton Trumbo a les traits de Bryan Cranston, le héros de la cultissime série Breaking Bad. Autour de lui les silhouettes plus vraies que nature de Kirk Douglas, John Wayne, Otto Preminger et Edward G. Robinson. La jeune Elle Fanning (Somewhere, Super 8, Twixt…) confirme son talent de future star.

Sans doute la réalisation de Jay Roach est-elle trop académique pour susciter l’admiration. Mais il ne faut pas bouder son plaisir face à cette reconstitution soignée du Hollywood des années 50 et à ce destin poignant d’un homme qui ne renia jamais ses convictions ni ne perdit son sens de l’humour face à l’hystérie maccarthyste.

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Les Habitants ★☆☆☆

Raymond Depardon est le photographe qu’on connaît quand on n’en connaît pas d’autres. Le fondateur de la mythique agence Gamma en 1966. Le documentariste qui a filmé VGE en campagne (1974, une partie de campagne, 1974), le Tibesti (La Captive du désert, 1990), les comparutions immédiates à la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris (10e Chambre, instants d’audience, 2004) L’auteur de la photographie officielle du président de la République.

Chacune de ses expositions, chacune de ses publications, chacun de ses documentaires sont désormais un événement pour ses admirateurs éclairés et élitistes. « Les Habitants » ne déroge pas à la règle. Il y continue son tour de France en caravane entamé en 2012. Cette fois-ci, il y a installé un studio et a invité des passants à y continuer, deux par deux, le dialogue entamé dans la rue.

Le procédé n’est pas naturel. Même si le réalisateur n’a retenu qu’un dixième des rushes qu’il a tournés,  on peine à croire que les passants ne prennent pas un tant soit peu la pose – parce qu’on la prendrait sans doute soi-même dans la même situation.

Plus grave : le choix opéré par Depardon au montage. Le cinéaste-photographe nous montre des gens ordinaires. Soit. Mais ce qui frappe c’est leur médiocrité, leur étroitesse d’esprit voire leur veulerie. Les femmes sont des victimes résignées, les hommes des égoïstes immatures. Leur unique sujet de discussion, comme s’il n’y en avait pas mille autres en 2015 (les attentats terroristes, la politique, leur travail…) : leur couple. Des couples misérables, cabossés par l’alcool, la violence, les grossesses non désirées, sans amour, sans respect. Que de telles situations existent, on veut bien le croire. Mais qu’elles soient représentatives de la France dépasse la mesure.

Vous me rétorquerez que Depardon ne fait pas oeuvre de sociologue, que ces « habitants » ne sont pas représentatifs. Soit. Mais se pose dès lors la question de la raison d’être de ce documentaire. En enchaînant paresseusement des face à face déprimants de vulgarité, quel objectif Depardon poursuit-il ? Nous dessiller les yeux, nous autres spectateurs CSP++, sur une réalité qui nous est étrangère ? Ou donner à voir une France rance au risque de donner raison aux Zemmour et consorts ?

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Maggie a un plan ★☆☆☆

On lit ici ou là que le « Greta Gerwig movie » serait en train de devenir un genre cinématographique à part entière. Soit des films bobos new-yorkais racontant la vie d’une grande fille dégingandée, trop diplômée pour avoir les pieds sur terre, trop complexée pour être sereine et trop exigeante pour être épanouie. Bref une Woody Allen blonde et jeune.

La réussite de Frances Ha était totale. Mistress America transformait l’essai.  Maggie’s plan crée-t-il une franchise ?

On aurait aimé le croire alors que Greta Gerwig est rejointe en haut de l’affiche par des stars reconnues : Ethan Hawke (dont la carrière alterne films hollywoodiens pas idiots et films indépendants CSP++) et Julianne Moore (dont il faut à tout prix entendre en VO l’hilarant accent danois).

Le problème est que le scénario du film de Rebecca Miller ne tient pas la route. Dans une première partie, la plus réussie, pétaradante comme un Woody Allen, on y suit une Maggie célibataire en mal d’enfant s’essayer à l’insémination artificielle avec le sperme d’un mathématicien producteur de cornichons (sic) avant de céder aux avances d’un anthropologue mal marié.
La seconde partie se déroule quelques années plus tard. Maggie s’est mariée avec son anthropologue et en a eu une petite fille dont les moues ravissantes ne suffisent pas à lui faire ignorer la faillite de son couple. Aussi se met-elle en tête – tel est le « plan » de Maggie annoncé dans le titre – de rabibocher son mari avec son ex-femme.

Cette histoire manque terriblement de crédibilité.  Pire : elle manque d’intérêt surtout quand elle prend un chemin de traverse au Québec, se payant le luxe d’oublier son héroïne sur le bord de la route. Comment réussir un « Greta Gerwig movie » sans Greta Gerwig ?

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Un jour avec, un jour sans ★★☆☆

Un jour avec, un jour sans, c’est Smoking, No Smoking made in Korea. Ou, pour le dire autrement à ceux qui auraient oublié le César du meilleur film 1994, deux versions d’une même histoire.

Cette histoire est la même que celle que raconte Hong Sangsoo dans tous ses films  : un homme rencontre une femme. Ici un réalisateur de cinéma – double autobiographique de l’auteur – qui, arrivé un jour trop tôt au festival où il présente son film, fait la connaissance, au détour de la visite d’un temple, d’une artiste-peintre.

L’histoire de cette rencontre, sans grand intérêt ni rebondissement dramatique, traîne en longueur pendant près d’une heure. À ce stade, je n’étais pas loin de partager le coup de gueule du Nouvel Obs : « Vaut mieux rester à la maison regarder le robinet goutter. Au moins, il se passe quelque chose. » Ou, comme je l’avais écrit dans ma critique d’un précédent film de Hong SangSoo : « On s’ennuie, mais avec élégance. »

Or le film s’arrête… pour recommencer. La même histoire se répète. La même ? pas tout à fait. Et on se prend à chercher les différences – en essayant tant bien que mal, bien que le sommeil gagne, à se remémorer la première partie du film. Hong Sangsoo est beaucoup trop subtil pour que les deux parties s’opposent pièce à pièce. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, il ne s’agit pas de raconter une histoire qui tourne mal, puis la même qui tourne bien. Il s’agit au contraire, par des voies différentes, d’arriver au même résultat. Ou par les mêmes voies d’arriver à un résultat différent.

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Ce sentiment de l’été ★★★☆


Ce sentiment de l’été, c’est d’abord la nostalgie de ce qui était et qui n’est plus. Ce sentiment de l’été est un très beau film lacanien sur le « travail de deuil ». Sur le chemin de son bureau, Sasha, trente ans à peine, tombe, terrassée par un mal dont on ne saura rien (AVC ? crise cardiaque ?). Son décès subit laisse en miettes un compagnon et une sœur cadette qui doivent lentement réapprendre à vivre. Le film annonce leur inéluctable rapprochement mais son épilogue nous évitera cette conclusion cousue de fil blanc.

Ce sentiment de l’été, c’est aussi, comme Conte d’été de Rohmer, au pied de la lettre, un film de saison. Son histoire se déroule l’été, à trois ans d’intervalle, dans trois villes différentes : Berlin où Sasha travaillait, Paris où sa sœur habite et New York d’où son compagnon est originaire.

L’originalité assumée du scénario tient dans cette tension : comment filmer la mort dans la torpeur estivale ? comment filmer le deuil dans la liesse vacancière ? Avec une grande subtilité, Mikhaël Hers parvient à maintenir son film sur un fil. Le fil paradoxal d’un chagrin lumineux et d’un retour à la vie nostalgique.

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Dans ma tête un rond-point ★☆☆☆


La production cinématographique en provenance d’Afrique du Nord connaît une vitalité qu’il est difficile de ne pas relier aux « printemps arabes ». En témoignent les succès polémiques de Much loved (Maroc), À peine j’ouvre les yeux (Tunisie) ou Après la bataille (Égypte).

Par construction, l’Algérie, qui n’a pas connu son « printemps arabe », devrait occuper une place à part dans ce paysage. Pourtant, elle aussi voit surgir depuis quelques années des œuvres, documentaires ou de fiction, qui portent sur la société un regard étonnamment critique. Mention spéciale aux films réalisés par Merzak Allouache : Les Terrasses (2013) et Nadir Moknèche : Le Harem de Madame Osmane (2000), Viva Laldjérie (2004) et Délice Paloma (2007). Et aux documentaires de Malek Bensmaïl : La Chine est encore loin (2008) et Contre-Pouvoirs (2015).

Le documentaire de Hassen Ferhani s’inscrit dans ce courant. Il a été entièrement tourné aux abattoirs d’Alger. Pourtant, rien n’est dit sur le travail de la viande. C’est aux hommes et à leur vie que le réalisateur s’intéresse, non aux animaux et à leur mort. Ville dans la ville, les abattoirs sont un microcosme de la société algérienne. On y parle d’amour et de politique, de musique et de football.

La lenteur de la mise en scène doit nous faire toucher du doigt l’immobilisme de l’Algérie contemporaine. Le problème est que l’immobilisme n’est pas une qualité cinématographique. Intrigué pendant la première partie du film, on s’ennuie ferme pendant la seconde.

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La Saison des femmes ★★★☆

Bollywood produit plus de films que Hollywood. Une minorité d’entre eux parvient en Occident. Tournés pour l’exportation, ils ne sont d’ailleurs pas les plus représentatifs. La Saison des femmes est de ceux-là qui, en raison de son sujet et de ses scènes dénudées, n’a pas obtenu son visa d’exploitation en Inde.

Son sujet est simple : les femmes indiennes et l’oppression qu’elles subissent. Trois héroïnes trentenaires d’un petit village du Gujarat vivent depuis leur plus jeune âge dans une société phallocratique. La plus âgée, mère à quinze ans, veuve à dix-sept, marie son fils et revit, à travers sa belle-fille, l’expérience traumatisante qui fut la sienne. La deuxième, gaie comme le jour, désespère d’avoir un enfant d’un mari ivrogne et violent. La troisième a échappé au mariage pour tomber dans la prostitution.

Bollywood filme à la truelle. Ce cinéma ne se distingue pas par sa subtilité mais par son manichéisme. Nos trois héroïnes sont des mères courage alors que les hommes qu’elles croisent sont des brutes, des lâches ou des idiots qui arborent des boucles d’oreilles ridicules. Lesté de bons sentiments, La Saison des femmes n’en est pas moins émouvant. On y passe du rire aux larmes en un clin d’œil jusqu’à un happy end prévisible mais réjouissant.

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Un vrai faussaire ★☆☆☆

Guy Ribes est un faussaire qui, pendant plus de trente ans, a peint des toiles de maîtres. Arrêté, jugé et condamné, il témoigne à visage découvert.

Sa vie avait déjà fait l’objet d’un livre publié l’an passé aux Presses de la Cité (« Autoportrait d’un faussaire »). On y découvrait les arcanes faisandés du marché de l’art, ses entremetteurs véreux, ses experts peu scrupuleux, ses collectionneurs prétentieux. Mais le documentaire a sur le livre l’avantage de nous montrer le faussaire à l’œuvre. D’un talent incroyable, ce stakhanoviste de la peinture réussit à peindre à la manière d’artistes aussi différents que Picasso, Léger ou Matisse. Il ne s’agit pas de reproduction à l’identique, de « faux », mais de « pastiches » amalgamant plusieurs œuvres, plus difficiles à démasquer si le faussaire est doué. Et Guy Ribes l’est plus qu’à son tour.

Le personnage est truculent. On le croirait tout droit sorti d’un film dialogué par Audiard. Le documentariste Jean-Luc Leon s’est laissé fasciner par son sujet, laissant trop tard la parole à d’autres protagonistes : un collectionneur que Ribes a pigeonné, le policier qui l’a arrêté, le procureur qui a demandé sa condamnation… Leurs témoignages, notamment celui du policier, forment d’utiles contrepoints aux affabulations du faussaire. Ainsi, le personnage se dégonfle. L’ogre fascinant, l’artiste surdoué devient un misogyne répugnant, un mythomane pathétique.

Plus grave encore, le sujet est gâché par une réalisation paresseuse. Le documentaire n’est tendu par aucun fil rouge, par aucun suspense. Il s’agit d’une longue interview mise en image qui a défloré son sujet au bout de trente minutes. Rien à voir avec « Merci patron ! » qui construit une histoire d’espionnage drolatique pour dénoncer les pratiques du groupe LVMH ou avec « Le Challat de Tunis » qui créait un suspense haletant autour de la légende urbaine d’un « balafreur » à moto zébrant les fesses des femmes trop court vêtues.

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Chala, une enfance cubaine ★★☆☆

(« Les quatre cent coups » + « Entre les murs »)x Cuba = « Chala ». Soit l’histoire d’un petit Cubain attachant que l’enseignement d’une maîtresse d’école comme on n’en fait plus va sauver.

« Chala » est noyé dans les bons sentiments. Un jeune garçon, la douzaine, de père inconnu, vit avec sa mère, prostituée et toxicomane. Il occupe ses loisirs avec les animaux : des pitbulls entraînés pour des combats de chiens (vous voyez le symbole : la violence et l’enfer du jeu) et des pigeons voyageurs (vous (re)voyez le symbole : la liberté et le désir d’évasion). Dans cet univers de brutes, le seul espoir est à l’école où Chala est l’élève de Carmela. La soixantaine, celle-ci ne vit que pour ses élèves depuis que sa fille a émigré aux États-Unis. On dirait l’instituteur de « Être et avoir ». Pour couronner le tout, Chala est amoureux de sa camarade de classe, la ravissante Yeni dont le père, qui réside à La Havane sans permis de séjour, est menacé d’expulsion.

À ce niveau de bien-pensance, on frise l’asphyxie. Mais on en est sauvé par tout le reste : la qualité de la direction d’acteurs, le rythme et la vitalité du récit, les audaces d’un scénario qui ne mâche pas ses critiques contre l’immobilisme du régime, et la lumière de La Havane.

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