La Fille inconnue ★★★☆

Je place les frères Dardenne au sommet. Au sommet de mon palmarès personnel : « Rosetta », « Le Silence de Lorna », « Le Gamin au vélo » figurent parmi mes films préférés. Au sommet, je crois aussi, de la cinématographie de ce début de siècle. Je prends le pari que, dans un siècle, leurs noms seront cités parmi la dizaine de réalisateurs marquants de notre temps.

Aussi chacun de leur film est-il un événement que j’attends avec une impatience joyeuse.

Celui-ci ne m’a pas étonné tant il ressemble aux précédents.

Par son cadre d’abord : les bords de la Meuse à Liège, une fois encore, gris et laids, mais filmés sans misérabilisme.

Par son héroïne ensuite : une femme, seule, de chaque plan, constamment en mouvement, souvent filmée de dos, mue par une idée fixe. Emilie Duquenne dans « Rosetta », Cécile de France dans « Le Gamin au vélo », Marion Cotillard dans « Deux jours, une nuit ».

Par son titre également : un titre court, qui claque et qui prétend, par sa brièveté même, à l’universel.

Par le dilemme moral qu’il pose : Olivier Gourmet acceptera-t-il l’apprenti qui a provoqué la mort de son fils (« Le Fils ») ? Lorna abusera-t-elle l’homme qu’elle doit épouser pour régulariser sa situation administrative (« Le Silence de Lorna ») ? Marion Cotillard convaincra-t-elle ses collègues de renoncer à leur prime pour qu’elle garde leur emploi (« Deux jours, une nuit ») ?

Dans « La Fille inconnue », les frères Dardenne posent une question pour y répondre immédiatement. Pouvons-nous rester indifférents à la misère du monde ? La réponse est évidemment négative. La mystérieuse inconnue, qui vient frapper à vingt heures passé à la porte du cabinet du docteur Davin et qui trouve porte close, va obséder la jeune praticienne qui s’estime coupable de sa mort.

Mais « La Fille inconnue » est moins un film sur les réfugiés qui meurent anonymes dans nos rues, que sur la médecine et sa pratique. « Le Docteur » ou « La Consultation » – le titre d’un livre de Martin Winckler auquel le film des Dardenne emprunte énormément – aurait été plus approprié. Car c’est l’éthique du médecin que le film questionne : sa porte ouverte à la détresse physique et morale, ses gestes patients et compatissants, les connaissances qu’il doit mobiliser pour établir un diagnostic exact, la disponibilité de chaque instant.

« La Fille inconnue » est un film à montrer à tous ceux et celles qui se destinent au beau métier de médecin.

La bande-annonce

Deepwater ★☆☆☆

C’est l’histoire du plus grave accident jamais intervenu sur un plate-forme pétrolière américaine offshore et de la plus grave catastrophe écologique qui s’ensuivit : l’incendie de Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010.

L’affiche ne laisse guère de place au suspens. L’immense monstre d’acier s’écroulera dans l’océan (sauf que la scène se déroulera en pleine nuit, rendant l’incendie plus photogénique, alors que l’affiche bizarrement le saisit en plein jour). On se doute que survivra à la catastrophe le sympathique héros, Mark Wahlberg, dans le rôle d’un chef électricien courageux près à risquer sa vie pour sauver une jeune collègue à forte poitrine en T-shirt mouillé (comment son image de bon mari et bon père n’en prend-elle pas un coup ?). Le seul suspens est de savoir qui parmi les survivants perdra la vie. Le vieux contremaître revenu de tout joué par Kurt Russell ? L’horrible ingénieur dont la mesquinerie et l’avidité l’ont conduit à des risques fatals joué par John Malkovitch ? Le noir de service joué par… ah désolé il n’est pas crédité au générique ?

Autant dire qu’il n’y a guère de suspens. Alors qu’y a-t-il à sauver de ce « Deepwater » ? Pas grand’chose.

Qu’il soit adapté d’une histoire vraie ne le rend pas plus émouvant. J’ai déjà ecrit cent fois la rage dans laquelle me plongeait cette béquille d’un marketing qui s’imagine rendre le cinéma plus émouvant en rattachant le scénario d’un film à une histoire vécue.

Quid alors de la critique du capitalisme que « Deepwater » véhiculerait ? Je l’ai trouvé bien manichéenne (l’explosion est causée par l’inconscience d’un ingénieur qui viole des mesures de sécurité élémentaires) et bien peu convaincante.

Alors « Deepwater » ? Une oubliable série B.

La bande-annonce

The Program ★☆☆☆

Un dupeur dopé (Libération ! Si tu me lis recrute moi !)

Lance Armstrong a menti toute sa vie. Sa morphologie ne le prédisposait pas à devenir un champion. Trop petit, trop gros, trop musclé. Amaigri par le cancer qui le frappe à 25 ans et surtout dopé par les cocktails-miracles du docteur Ferrari, le cycliste texan va remporter sept Tours de France d’affilée. Il entre dans la légende… et en sort avec fracas lorsque les révélations de ses camarades, l’enquête de l’agence américaine anti-dopage et sa confession publique au talk show d’Oprah Winfrey révèlent l’ampleur du « programme ».

Pareil destin est une mine d’or pour le cinéma. Stephen Frears – qu’on a connu plus inspiré quand il filmait « les liaisons dangereuses » ou « The Queen » – déroule gentiment. Il raconte chronologiquement l’ascension (c’est le cas de le dire !), la gloire et la chute de Armstrong.

Il s’est inspiré du récit de David Walsh, le journaliste irlandais qui a dénoncé le scandale de l’EPO – oubliant au passage les enquêtes des journalistes de L’Équipe ou du Monde. Du coup, c’est un procès à charge contre Big Tex. Ben Foster essaie de lui donner un peu d’ambiguïté dans quelques scènes compatissantes où il campe le héros au chevet d’enfants atteints du cancer. Mais rien n’y fait : Lance Armstrong apparaît comme un monstre d’ambition, avide au gain, tyrannisant ses coéquipiers et le reste du peloton. Ce que le personnage gagne en noirceur, il le perd en subtilité. Dommage.

La bande-annonce

L’Odyssée ★★★☆

Coup de cœur pour « L’Odyssée » bien mal servi par une critique assassine (celle du Monde gagne la Palme de la méchanceté vipérine) mais qui rencontre depuis mercredi un succès public mérité.

On connaît tous le commandant Cousteau, son bonnet rouge, ses fines lunettes et ses drôles de costumes futuristes. On connaît moins la vie de ce capitaine de corvette qui démissionna de la Marine nationale pour filmer le « monde du silence ». L’époque n’était ni aux documentaires animaliers façon National Geographic ni aux plaidoyers écologiques. Financé par l’industrie du pétrole, Jacques-Yves Cousteau filmait les océans pour mieux les conquérir. C’est sous l’influence de son fils Philippe qu’il posa à la fin de sa vie à l’ambassadeur de la planète en danger.

Pour raconter la vie du plus américain de nos héros nationaux, c’est le plus américain des réalisateurs français qui a été choisi. Jérôme Salle, le réalisateur des « Largo Winch » et de « Zulu », sait y faire. La production ne lui a pas mégoté son budget. Son scénario qui rebondit d’un continent à l’autre (la côte varoise, le détroit d’Ormuz, New York, Ushuaia) a un petit air de James Bond.

Mais c’est surtout par ses interprètes que vaut « L’Odyssée ». Pierre Niney a un rôle qui manque de l’ambiguïté qui lui aurait donné de la profondeur. Audrey Tautou fait un tabac, la clope au bec, dans celui de Mme Cousteau, menant à la baguette ses hommes. Enfin, Lambert Wilson force l’admiration. Aussi crédible à quarante ans qu’à soixante-dix, il adopte tous les tics du personnage (le bonnet rouge, les lunettes et même l’horrible accent Frenchie) sans donner l’air de le singer ou de se déguiser. Chef égocentrique vénéré par ses hommes, amoureux fou de sa femme et mari infidèle, brisé par la mort d’un fils qu’il n’a pas su aimer, il est convainquant jusque dans ses paradoxes.

La bande-annonce

L’Histoire officielle ★★☆☆

« L’Histoire officielle » ressort sur les écrans. En 1985, ce film avait fait sensation. Alors que l’Argentine sortait à peine de la dictature, le film de Luis Puenzo en dénonçait les crimes. Auréolé de l’Oscar du meilleur film étranger et de la Palme de la meilleure interprétation féminine, « L’Histoire officielle » prenait immédiatement rang parmi les films iconiques. Un statut qu’il partage avec ces films qu’on montre dans les lycées pour illustrer un pays ou une époque : « Crias Cuervos », « Missing », « Yol », « L’Homme de fer »…

« L’Histoire officielle » mérite-t-il tant d’honneur ? Pas sûr. Certes le film n’est pas sans finesse, qui ne raconte pas les exactions de la junte mais leur découverte progressive par une professeure d’histoire habituée à enseigner à ses élèves l’histoire officielle. Elle découvrira que l’enfant qu’elle a adoptée est la fille d’une prisonnière politique morte en captivité.

Pour autant, « L’Histoire officielle » a bien mal vieilli. Comme tant de films des années quatre-vingts, il en a toutes les tares : des costumes hideux, des lumières marronnasses, un faux rythme languissant… Depuis trente ans, le cinéma argentin n’a pas cessé d’interroger les heures les plus sombres de son histoire et a réalisé sur celles ci des œuvres moins célèbres mais plus réussies: « Buenos Aires 1977 », « L’Œil invisible », « Kamchatka », « La Femme sans tête », « Dans ses yeux ».

 

La bande-annonce

Aquarius ★☆☆☆

La soixantaine, Clara habite un bel appartement en bord de mer. Mais des promoteurs sans vergogne souhaitent l’en déloger pour construire un condominium de luxe.

Dans « Les Bruits de Récife » (2012), Kleber Mendonça Filho interrogeait, à partir de la rénovation urbaine d’un quartier de la capitale du Pernanbouc, le vivre-ensemble brésilien, la dureté de ses rapports de classe et de race. Son propos est aujourd’hui moins sociologique et plus psychologique. « Aquarius » est moins un film sur un lieu – la résidence ainsi nommée que Clara ne veut pas quitter – qu’un film sur une femme.

Sonia Braga est au cinéma brésilien ce que Catherine Deneuve est au cinéma français : une égérie, une figure de drapeau, un navire amiral. À soixante ans passés, l’héroïne de « Dona Flor et ses deux maris » et du « Baiser de la femme araignée » n’a rien perdu de sa beauté et de son élégance. Elle est de tous les plans dans « Aquarius » – et même dans le prologue du film qui éclaire, en 1980, son passé familial. Comme Catherine Deneuve, Sonia Braga intimide par sa beauté altière et émeut par la fragilité qu’on y sent parfois percer.

« Aquarius » est un film sur le temps qui passe, sur la nostalgie, sur la perte (Clara qui a déjà perdu son mari et qui voit s’éloigner ses enfants, ne veut pas renoncer à la dernière chose qui la rattache à son passé). Mais le temps qui passe passe bien lentement dans ce film qui s’étire inutilement pendant plus de deux heures vingt. Ramassé en une heure trente, il aurait mérité une ou deux étoiles de plus.

La bande-annonce

Mercenaire ★★☆☆

La bande-annonce de « Mercenaire » est de celles qui mettent l’eau à la bouche. Car ce premier film d’un réalisateur fraîchement émoulu de la Femis traite de deux sujets rarement vus sur grand écran. Le premier : les Wallisiens, ces Français d’outre-Pacifique, leurs tatouages, leur langue doucement chantante, leurs rites mâtinés de christianisme. Le second : le rugby – un sport rarement sinon jamais filmé au cinéma – ses ambiances viriles et ses petites magouilles.

« Mercenaire » raconte l’histoire d’un jeune joueur de rugby wallisien recruté par un club de rugby du Lot-et-Garonne. « Comme un lion », qui suivait un jeune joueur de football sénégalais recruté en France, entretient une fausse ressemblance avec « Mercenaire ». Le film de Samuel Collardey dénonçait un nouvel esclavagisme. Tel n’est pas le propos de celui de Sacha Wolff, même si son titre, réducteur, souligne cet aspect des choses.

« Mercenaire » a de plus grandes ambitions. C’est un documentaire quasi anthropologique sur une communauté en situation postcoloniale. C’est une chronique du racisme ordinaire qui frappe un étranger dans une petite ville de province. C’est une tragédie grecque sur l’amour monstrueux d’un père pour un fils qu’il refuse de perdre.

C’est beaucoup pour un seul film. Et c’est trop pour les épaules – pourtant tout sauf frêles – de l’acteur principal, le jeune Toki Pilokio, qui peine à endosser un rôle trop grand pour lui.

Le Ciel attendra ★☆☆☆

Les Dossiers de l’Écran présentent : « Radicalisation : Des clés pour comprendre » avec un film de Marie-Castille Mention-Schaar qui raconte en parallèle l’histoire – vraie sinon vraisemblable – de Mélanie qui se radicalise et de Sonia qui se deradicalise.

La réalisatrice récidive. Avec Les Héritiers, elle avait déjà fourni le film du mardi soir avant le débat « Intégration à l’école : mission impossible ? ». Ariane Ascaride – qu’on aperçoit en juge d’instruction compréhensive – y était plus-que-parfaite en professeure d’histoire de seconde qui, à force de patience et d’humanité, réussissait à transmettre à une classe black-blanc-beur de ZEP les valeurs de la République.

Comment reprocher à Marie-Castille Mention-Schaar de prendre à bras le corps les sujets d’actualité les plus brûlants ? Comment ne pas être bouleversé par ces deux jeunes filles, par leur vulnérabilité, par leurs erreurs, par l’impuissance de leurs parents ?

Mais comment dans le même temps ne pas être gêné par le didactisme pesant de Le Ciel attendra, par le manichéisme de ses personnages, jeunes filles révoltées, parents dépassés, recruteurs invisibles et manipulateurs ? Comment se laisser emporter par un suspense tué dans l’œuf puisqu’on sait dès le départ que Sonia se déradicalisera tandis que Mélanie suivra le chemin inverse ? Et comment ne pas préférer Les Cowboys qui, avec une toute autre finesse, décrivait sans chercher à la catégoriser, la rage impuissante d’un père à la recherche de sa fille disparue ?

La bande-annonce

Les sept mercenaires ★☆☆☆

Mais quelle mouche a piqué Hollywood de faire un remake du western indépassable de John Sturges (1960) avec Yul Brynner et Steve McQueen ? A-t-on voulu attirer un public nostalgique comme moi de ce chef d’œuvre ? Ou un autre qui ne l’aurait pas vu et qui s’imaginerait s’en approcher à travers son remake ? Qu’un pareil film puisse se monter est tristement révélateur de la paresse et de la frilosité des majors

Car il n’y a pas grand chose à tirer du travail laborieux de Antoine Fuqua. Respectueux de l’original, il en garde la trame archiconnue : des villageois martyrisés recourent à une bande de mercenaires pour se libérer du tyran qui les oppriment. Les chapitres convenus du western de John Sturges sont respectés. D’abord le patient recrutement des sept mercenaires – qui en 2016 incarnent un échantillon plus bigarré qu’en 1960. Ensuite la formation des villageois à l’art de la guerre. Enfin, après une attente fébrile, l’assaut final, la résistance héroïque, les pertes nombreuses (qui parmi les sept succombera ? qui survivra ?) et la victoire.

Sauf que rien de ce qui faisait le charme épique du western de 1960 ne fonctionne. Aucun des mercenaires, lesté désormais d’un lourd passé psychologisant, n’est attachant. Ni Denzel Washington qui reprend le rôle de Yul Brynner (pourquoi pas), ni Chris Pratt dans celui de Steve McQueen.

Le plus paradoxal survient avec le générique final qui reprend l’espace de quelques mesures, la célébrissime musique de Elmer Bernstein (mais si ! vous la connaissez !). On est pris pendant quelques secondes d’une excitation qui s’éteint aussitôt que se dissipe l’illusion qu’on n’est malheureusement pas en train de revoir l’original mais hélas de découvrir une pâle copie.

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Anna Halprin et Rodin ★★☆☆

Née en 1920, Anna Halprin danse depuis près d’un siècle. Elle a fréquenté les plus grands : Martha Graham dont elle fut l’élève, Merce Cunningham dont elle fut la partenaire, Trisha Brown dont elle fut le professeur. Elle a traversé tous les styles et les a souvent devancés comme dans « Profiles and Changes » où les danseurs se dénudaient sur scène : ce spectacle fut, pour ce motif, censuré en 1965 alors qu’une telle scène est aujourd’hui d’une banalité convenue.

Ruedi Gerber avait déjà consacré à la chorégraphe américaine en 2010 un premier documentaire où elle faisait retour sur sa carrière. Celui-ci est moins nostalgique. Il suit un atelier qu’elle anime sur une plage de Californie du nord battue par les vents, avec quelques danseurs non professionnels en quête d’un nouveau dialogue corporel inspiré des sculptures d’Auguste Rodin.

La démarche de l’artiste n’est pas éloignée de celle d’un gourou entouré des adeptes de sa secte. Ses références répétées au pelvis et à la kinesthésie, ces corps nus qui se contorsionnent dans la boue peuvent parfois prêter à sourire.

Mais, tout sens du ridicule bu, l’art d’Anna Halprin, son audace, sa quête du Vrai et du Beau produisent une émotion rare.

La bande-annonce