Soy Nero ☆☆☆☆

Nero a grandi à Los Angeles. Il en a été expulsé vers le Mexique. Après plusieurs tentatives infructueuses, il parvient à revenir en Californie avec une idée en tête : servir dans les rangs de l’armée pour obtenir, à l’issue de son engagement, la citoyenneté américaine.

Comme l’annonce la phrase qui surplombe l’affiche du film, « Soy Nero » se veut « une fable qui synthétise toute la géopolitique du monde ». Ce film voudrait évoquer en un seul geste à la fois le drame de l’immigration chicano aux États-Unis et l’hybris de l’interventionnisme militaire américain. Projet ambitieux ! Projet stimulant sur le papier d’un réalisateur anglo-iranien résidant en France dont l’œuvre interroge la notion d’identité et de frontière.

La déception est d’autant plus grande que les espérances étaient élevées. Faute de moyens, « Soy Nero » colle à son héros qu’on accompagne en de longs plans séquence. On le suit d’abord dans ses tentatives de franchissement du mur qui sépare les Etats-Unis du Mexique. Le deuxième tiers du film le retrouve sans transition à Beverley Hills, dans une luxueuse villa dont son frère fait mine d’être le propriétaire alors qu’il n’en est que l’homme à tout faire. La rupture est plus radicale encore avec la dernière partie du film. Nero – qui a dû changer d’identité entretemps – patrouille un check point sous l’uniforme américain. Les choses, comme on l’escomptait, tournent mal.

Sans doute Rafi Pitts a-t-il trop voulu brasser. Son film en contient deux voire trois. Mais, défaut plus rédhibitoire encore, il le fait sous une forme languissante, éthérée, qui distille l’ennui plus qu’il ne suscite l’intérêt.

La bande-annonce

La Danseuse ★★★☆

Dans la danse classique, tout part des pieds. Loïe Fuller décida de danser avec ses bras et inventa la danse moderne en 1892. Tournoyant sur un piédestal dans des jeux de lumière, noyée dans des mètres de soie, cette Américaine connut la gloire à Paris avant d’être éclipsée par sa compatriote Isadora Duncan.

C’est cette histoire haute en couleurs que raconte Stéphanie Di Giusto dans un premier film audacieux. À cheval sur les deux rives de l’Atlantique, « La Danseuse » est une reconstitution soignée de la Belle époque, un splendide portrait de femme(s) et surtout un choc esthétique.

Du Far West à l’Opéra de Paris, pas un bouton de manchettes ne manque aux acteurs tous remarquables qu’on retrouve avec plaisir : Gaspard Ulliel en dandy proustien autrement plus convaincant que chez Dolan, Mélanie Thierry qui gagne en profondeur avec les années sans rien perdre de sa grâce, François Damiens et Louis-Do de Lencquesaing en directeurs de salle…

Deux femmes se distinguent que, hors l’amour fou de leur art, tout oppose. Deux danseuses qui se disputent, dans un combat perdu d’avance par Loïe Fuller, le rôle titre : Soko au visage dur, presque masculin, au corps athlétique et souffrant, à la détermination inébranlable et, dans le rôle de Isadora Duncan, Lily-Rose Depp, si frêle, si gracieuse, si enfantine, qu’on peine encore à regarder sans chercher en elle les traits de ses deux parents.

Les chorégraphies de Loïe Fuller, éclairées par Benoît Debie, sont envoûtantes. Elles sont d’une telle beauté qu’elles en éclipsent le reste du film. On aurait aimé que les scènes dialoguées soient plus courtes et les scènes dansées plus longues.

La bande-annonce

Brooklyn Village ★☆☆☆

Une famille new-yorkaise emménage dans une maison à Brooklyn héritée d’un père défunt. Son rez-de-chaussée est occupé par une couturière à laquelle le propriétaire avait accordé un loyer modéré. Les nouveaux propriétaires ne l’entendent pas de cette oreille.

« Brooklyn Village » est le titre français (sic) de « Little Men ». Les distributeurs français ont parié sur le cachet local du film. Alors qu’il n’en a aucun. Et ajouté un commentaire stupide : « Un cousin éloigné de Woody Allen ». Alors que ce film ne se situe jamais sur le registre comique.

Tout au plus « Brooklyn Village » peut-il se voir comme un documentaire sur la gentryfication d’un quartier de New York jadis populaire. L’arrivée des classes moyennes fait monter les prix et entraîne l’éviction des classes laborieuses.

Mais le sujet du film est ailleurs. C’est dans son titre original qu’il faut le chercher. « Little Men » : des gens de peu, des petites gens qui, comme l’aurait dit Jean Renoir, ont tous leur raison. Leur raison d’élever le loyer pour ces bobos moins aisés qu’il n’y paraît (elle fait bouillir la marmite tandis qu’il rêve de percer sur les planches) et leur raison de s’y opposer pour cette immigrée chilienne unie au précédent propriétaire par des liens dont la nature restera mystérieuse.

Mais surtout « Little Men » fait référence aux deux ados : le fils du couple, artiste et rêveur, le fils de la couturière, plus extraverti. Entre eux naîtra dès la première rencontre une amitié comme seule l’adolescence en connaît. Viendra-t-elle à bout du conflit qui oppose les adultes ? C’est tout l’enjeu du scénario.

Et telle est la limite de « Brooklyn Village ». Tout le film est basé sur un suspense assez pauvre : les adultes trouveront-ils une solution à leur conflit immobilier ? La réponse brutale manque de subtilité.

La bande-annonce

Victoria ★★★☆

Ténor du barreau, sexy et intelligente, Victoria est pourtant en pleine crise de la quarantaine : sa vie sexuelle est un néant, son ex la diffame sur son blog, son meilleur ami, accusé d’agression à main armée, insiste pour qu’elle assure sa défense au mépris des règles déontologiques de sa profession.

La bande-annonce semblait tout dire d’une RomCom au déroulé prévisible : cette cousine de Bridget Jones allait se tirer d’une mauvaise passe en retrouvant l’amour avec son baby sitter. Bizarrement, « Victoria » raconte cela. Mais il le fait avec une telle subtilité, un tel charme, une telle intelligence que ce film moins léger qu’il n’y paraît est une réussite absolue.

Grâce à qui ? À Justine Triet, espoir de la nouvelle vague française, révélée par son premier film « La Bataille de Solférino ». Son scénario est un splendide portrait de femme. Sur la corde raide de la comédie et du drame. Infiniment crédible. Victoria, on l’a tous déjà rencontrée – surtout si on est parisien, juriste et quarantenaire. C’est la fille sympa, brillante et drôle qui a toujours su traverser la vie et ses cahots à force de volonté. On sent qu’elle a des fêlures, mais elle les cache bien. Le film de Justine Triet montre à la perfection comment ces fêlures menacent de s’élargir. La séquence sans paroles qui voit Victoria sombrer dans la dépression est un modèle du genre.

Mais c’est surtout à Virginie Efira que « Victoria » doit sa réussite. De tous les plans, l’actrice belge a peut-être trouvé le rôle de sa vie. Un rôle qui la tire loin des comédies un peu pataudes dans lesquelles sa fraîcheur menaçait de se faner. Un rôle loin des caricatures que ce cinéma-là nous sert trop souvent : Victoria n’est ni une célibataire en mal de mec, ni une bourgeoise mal mariée. Victoria est une femme de son temps. Une mère célibataire. Qui aime son travail, mais n’y réussit pas toujours. Qui aime ses enfants mais ne leur consacre pas assez de temps. Qui aime l’amour, mais est saturée de sexe ; qui aime le sexe, et qui cherche l’amour. Victoria, c’est vous ; Victoria, c’est moi. Enfin presque.

La bande-annonce

War Dogs ★★☆☆

Deux potes deviennent trafiquants d’armes… pour le gouvernement américain.

Que tourner après « Very Bad Trip » ? Pour répondre à ce défi, Todd Phillips a commencé par tourner « Very Bad Trip 2 » en 2011 puis « Very Bad Trip 3 » en 2013. Puis, parce qu’il fallait bien passer à autre chose, il s’est emparé de cette histoire vraie.

Des war dogs, des chiens de guerre qui s’enrichissent du commerce des armes, le cinéma en a déjà montrés. « Lord of War » d’Andrew Niccol avec Nicholas Cage peignait la vie du trafiquant d’armes ukrainien Viktor Bout.

Mais « War Dogs » n’est pas un film sur la guerre et ses trafics. « Arms and the Dudes » aurait fait un titre plus fidèle. Car s’il y est question d’armes, son sujet est les deux lascars qui s’enrichissent de leur commerce. Jonah Hill est un escroc à la petite semaine dont le bagout se rit de tous les obstacles. Miles Teller joue son ami d’enfance, entrainé malgré lui dans des mensonges de plus en plus dangereux. 

« War Dogs » a un double défaut. Il n’est pas assez drôle pour être drôle : malgré la présence de Jonah Hill au générique, Todd Phillips a égaré l’humour transgressif qui avait fait le succès du premier « Very Bad Trip » (jetons un voile pudique sur les deux suivants oubliables et oubliés). Il n’est pas non plus assez sérieux pour être sérieux. « Lord of War » et son inoubliable première scène étaient indépassables. Ils ne seront pas dépassés.

La bande-annonce

Cézanne et moi ★☆☆☆

L’amitié qui lia les deux Aixois Cézanne et Zola était un beau sujet de film. Las ! c’est Danièle Thompson, la fille de Gérard Oury, plus connue pour ses comédies franchouillardes (« La Bûche », « Décalage horaire », « Fauteuils d’orchestre ») que pour sa profondeur historique, qui l’a eue.

Elle abat la tâche besogneusement. Avec un découpage faussement compliqué. En 1888, le peintre toujours maudit rend visite au romancier déjà célèbre et lui reproche d’avoir utilisé leur amitié pour nourrir son œuvre « L’Oeuvre » (non ! je ne bégaie pas). Cette rencontre est l’occasion de revisiter par flash-backs l’histoire de leur vie depuis leur rencontre à l’école communale d’Aix : les premières amours, la réussite littéraire pour Zola, l’insuccès pour Cézanne. Le procédé devient vite répétitif.

« Cézanne et moi  » – qui aurait aussi bien pu s’appeler « Zola et toi » ou « Cézanne, Zola et nous » – est-il sauvé par l’interprétation des deux Guillaume ? Même pas. Gallienne en fait trop qui surjoue le génie incompris avé l’accent. Canet, n’en fait pas assez, exagérant l’austérité de l’auteur des Rougon-Macquart.

Si « Cézanne et moi » décroche un César, ce sera pour les costumes, impeccables, et pour les maquillages (le postiche de Zola est criant de vérité). Sauf que, vérification faite, il n’y a pas de César du meilleur maquillage.

La bande-annonce

Where To Invade Next ★★☆☆

Qui ne connaît Michael Moore, sa casquette de baseball, son humour décapant, ses documentaires hilarants qui sont autant de pièces à charge sur les maux de l’Amérique : « Bowling for Columbine », « Fahrenheit 9/11 » (Palme d’or 2004), « Sicko »… Quelques années plus tard – et quelques kilos en plus – le comique américain est toujours aussi mordant.

Le titre du dernier opus de son œuvre pourrait induire en erreur. Il n’y est pas question, après l’Irak et l’Afghanistan, de campagnes militaires. Fions nous plutôt au sous-titre : « Et si le meilleur venait d’ailleurs ? ».

L’ailleurs dont il est ici question c’est l’Europe que Michael Moore sillonne à sauts et à gambades. À chaque étape de cette collection de cartes postales, le procédé est le même : Michael Moore recueille, stupéfait, le témoignage d’un autochtone sur ses « bonnes pratiques » : les congés payés en Italie, le système éducatif en Finlande, la dépénalisation de l’usage de la drogue au Portugal, les droits des femmes en Islande. Et en France la qualité de nos cantines scolaires. L’Europe serait-elle un paradis comme l’affirme une employée allemande rencontrée par Michael Moore ? Le documentariste n’a pas la naïveté de le croire. Il recueille « les fleurs, pas les mauvaises herbes » comme il le dit joliment. Mais en ces temps d’euroscepticisme à tout crin, il n’est pas désagréable de se voir rappeler d’un Persan de passage les avantages de notre système.

Le meilleur, c’est le meilleur pour l’Amérique et ses habitants. On ferait fausse route en pensant que « Where to Invade Next » est un hymne à l’Europe et à son modèle social. C’est, comme tous ces précédents documentaires, un procès à charge de l’Amérique – peinte en creux comme le royaume de la malbouffe, des violences policières, des discriminations faites aux femmes – et un appel aux armes lancé à ses ressortissants. Et s’il donne une image bien irénique de notre continent, ne mégotons pas !

La bande-annonce

Juste la fin du monde ☆☆☆☆

Xavier Dolan me gonfle. Voilà bientôt une dizaine d’années que le petit génie canadien fait monter le buzz. Cannes lui a fait la courte échelle, sélectionnant la quasi-totalité de ses films et les couvrant de prix – seule la Palme d’Or lui a échappé – qui sont autant d’occasions de discours de remerciements hauts en couleurs. Sans doute faut-il reconnaître à Laurence Anyways (2012) un certain coffre ; mais j’ai déjà dit ici tout le mal que je pensais de l’insipide Tom à la ferme (2013) et du surcoté Mommy (2014).

Ce n’est pas Juste la fin du monde qui me réconciliera avec Xavier Dolan. Pourtant, j’avais aimé sa bande-annonce, diffusée en boucle durant tout le mois de septembre et son beau crescendo. Las ! le film en est l’homothétie inutilement étirée sur quatre-vingt-quinze minutes. Soit un fils prodigue (Gaspard Ulliel) – dont on connaît le lourd secret dès la première scène du film – qui revient dans sa famille et y retrouve sa mère (Nathalie Baye), sa sœur cadette (Léa Seydoux), son frère aîné (Vincent Cassel) et l’épouse de celui-ci (Marion Cotillard).

Pendant une heure trente cette petite famille va hystériquement se couper la parole. Ça parle beaucoup. mais on comprend vite que le sujet est précisément celui de l’incommunicabilité. Chaque personnage est enfermé dans son stéréotype.
Gaspard Ulliel = la bonté sulpicienne
Nathalie Baye = la mère ripolinée
Vincent Cassel = le prolo brutal
Léa Seydoux = la jeunesse révoltée
Marion Cotillard = la soumission compatissante

Comme dans La Chanson de l’éléphant dont il interprétait le rôle principal, Xavier Dolan filme une pièce de théâtre. Pour « faire cinéma », il filme ses personnages en très gros plans – qui laissent parfois planer le doute d’un plan de tournage découpé de façon à accommoder l’agenda sans doute très chargé de chacune de ces cinq stars. Comme à son habitude, il égaie cette mise en scène oppressante de quelques envolées lyriques (un flash back au flou hamiltonien) et d’une musique racoleuse (Camille, Moby et – il fallait oser – O-zone). Au bout de trente minutes, on a compris et on étouffe.

La bande-annonce

Comancheria ★★☆☆

Pour rembourser le crédit immobilier qui les étouffe, deux frères s’improvisent braqueurs de banque. Deux Rangers opiniâtres les traquent.

Terre traditionnelle des Comanches, la Comancheria est située à l’ouest du Texas. C’est une région aride et inhospitalière. C’est le cadre de ce film hybride, à l’intrigue volontairement minimaliste, à la confluence du drame social, du polar et du western.

Drame social. L’Écossais David MacKenzie filme l’Amérique profonde. L’Amérique des petits bleds paumés, des motels poisseux, des casinos glauques. L’Amérique écrasée par la crise de subprimes. L’Amérique obsédée par les armes à feu et la liberté d’en faire (mauvais) usage. La terre regorge de pétrole comme dans Giant ; mais la misère partout menace comme dans Promised Land.

Polar. Toby (Chris Pine beau comme un Dieu) et son frère  (Ben Foster chien fou) braquent des banques avec l’amateurisme des néophytes et l’audace de ceux qui n’ont plus rien à perdre. Un peu Bonnie and Clyde. Un peu Thelma et Louise. Deux Rangers, un pré-retraité (Jeff Bridges au sommet de son art) et un sang-mêlé, mènent l’enquête à leur façon. Violence en moins, on pense à No Country for Old Men.

Western. Dans sa dernière partie, Comancheria subvertit les codes du western. Difficile d’en dire plus sans dévoiler le dénouement de l’intrigue. Moins prévisible que la sanglante confrontation finale, le face à face qui la suit donne au film une profondeur inattendue.

La bande-annonce

Une nouvelle année ★☆☆☆

Igor et Zhenia forment un couple uni. Ils font leurs premiers pas à Moscou dans la vie active : Zhenia vient d’être embauchée dans un journal branché tandis que Igor travaille comme taxi clandestin. Mais lentement, le fossé entre eux se creuse.

Après l’amour, le désamour.

Il fut un temps où on filmait des histoires d’amour. Aujourd’hui, la mode semble être aux histoires de désamour, un nom commun mentionné par Littré mais qui s’est répandu depuis une vingtaine d’années seulement. J’ai dit ici tout le bien que je pensais de « L’économie d’un couple ». On pourrait citer « Blue Valentine » de Derek Cianfrance (2010) qui révéla Ryan Gosling ou « 5*2 » de François Ozon (2004) qui racontait une rupture à partir de son épilogue.

La démarche est la même chez Oksana Bychkova. Par petites touches, elle raconte la lente dissolution d’un couple. Des petites différences, qu’on croit solubles dans l’amour, deviennent des fossés. Elle est extravertie ; il est taciturne. Elle aime sortir et danser ; il préfère inviter des amis et boire jusqu’à l’ivresse.

Le scénario est d’une délicatesse toute tchékovienne ; le jeu des acteurs est parfait ; pour autant « Une nouvelle année » n’est jamais bouleversant, pas même dans sa dernière scène saluée par plusieurs critiques.

La bande-annonce