Cunningham ★★☆☆

Merce Cunningham est sans doute l’une des figures les plus marquantes de la danse contemporaine. Sa carrière se déroule sur près de soixante-dix ans depuis la création de sa compagnie à New York en 1953 jusqu’à sa mort en 2009, pendant lesquels il montera 180 ballets et participera à 700 performances.
Elle est marquée par sa collaboration avec John Cage, un maître de la musique minimaliste, et avec d’autres artistes de la scène new-yorkaise : Bob Rauschenberg, Andy Warhol, Jasper Johns…

La réalisatrice Alla Kovgan revient sur les trente premières années de sa carrière de 1942 à 1972 – rien ne permettant de comprendre clairement pourquoi elle s’y est limitée. Elle le fait avec des images d’archives, des interviews et des ré-interprétations contemporaines des oeuvres iconiques de Cunningham : Antic Meet (1958) avec lequel Cunningham fait ses débuts sous les huées à Paris, dansant seul, une chaise attachée au dos, Summerspace (1958) dans le décor pointilliste et solaire de Rauschenberg (qu’on voit sur l’affiche du film), Rainforest (1968) avec les incroyables oreillers remplis d’hélium de Warhol.

Rompant avec l’enseignement de Martha Graham, Merce Cunningham prône une danse sans émotion. Il refuse de lui donner un sens. Il tourne le dos à l’interprétation dans le sens classique du terme. Il s’en remet au hasard pour l’organiser. Il répertorie une gamme de mouvements puis jette les dés pour en définir l’ordre et la direction. La musique y joue un rôle accessoire, les danseurs s’entraînant d’ailleurs en silence avec pour seul repère le chronomètre de Cunningham.

Une telle approche fascine et glace en même temps. La danse de Cunningham est parfaite. Mais elle n’a pas de cœur.
Le documentaire de Alla Kovgan lui ressemble. Il raconte chronologiquement l’histoire de la création de la compagnie. Il évoque le couple indissociable que forment Merce Cunningham et John Cage jusqu’à la mort de ce dernier en 1992. Mais aucun sentiment n’affleure. Ni entre les deux amants, ni parmi les membres de la troupe où l’on devine que la froideur du maître a causé bien des frustrations, ni dans la danse de Cunningham, belle mais vide.

La bande-annonce

Echo ★★☆☆

Echo n’est pas un film comme les autres. Mais est-ce seulement un film ?
On y voit cinquante-six courtes saynètes tournées en plan fixe. Certaines durent quelques secondes à peine ; d’autres dépassent la minute. Une séance d’aquagym dans une piscine à ciel ouvert. Une employée de musée qui se dispute au téléphone avec le père de son enfant. Une femme et son bébé qui regardent la neige tomber par la fenêtre. Des éboueurs qui ramassent les poubelles dans une rue de Reykjavik. Deux réfugiés expulsés de force par la police d’un temple protestant où ils avaient trouvé refuge.
Pas de lien logique entre chacun de ces plans sinon l’unité de temps : ils se déroulent tous autour des fêtes de Noël.

Le cinéma, comme tous les arts, est construit autour de règles. Et les cinéastes comme tous les artistes ont envie de les outrepasser.
Après avoir réalisé des films conventionnels, Rúnar Rúnarsson a voulu rompre avec la linéarité du récit dans un film aussi kaléidoscopique que son affiche l’annonce. La démarche est la même que celle qui avait inspiré Roy Andersson dans Chansons du deuxième étage. C’était aussi celle de Régis Jauffret dans son énorme roman Microfictions qui comptait cinq cent minuscules nouvelles. Il s’agit de coller bout à bout une série de vignettes, des scènes de fictions ou purement documentaires, pour raconter le monde.

À condition d’en avoir été prévenu, on peut se laisser hypnotiser par le procédé et apprécier chaque saynète comme on goberait des M&M’s, l’un après l’autre. Certaines sont plus marquantes que d’autres : en particulier celle qui met face à face les deux filles d’un couple recomposé qui se rencontrent pour la première fois.

Pour ne pas sembler moins disruptif que l’époque l’exige, on peut aussi se laisser convaincre par la démarche iconoclaste du réalisateur et par son refus de la linéarité du récit. Le problème est que ces vignettes, aussi léchées soient-elles, auraient dû au bout du compte faire sens. Et ce n’est pas toujours le cas. On comprend que Rúnar Rúnarsson ambitionne de dresser un portrait à charge de la société islandaise. Mais son film, qui a l’élégance de durer une heure et dix-neuf minutes à peine, aurait pu durer une heure de plus ou de moins sans que rien n’y change.

La bande-annonce

Official Secrets ★★★☆

En mars 2003, alors que les États-Unis et le Royaume Uni s’apprêtaient à déclencher les hostilités contre l’Irak de Saddam Hussein en dépit d’une opinion publique hostile à la guerre, Katharine Gun, une employée du GCHQ, le service de renseignements électroniques britannique, a fait fuiter un mémo confidentiel de la NSA demandant à Londres son soutien pour connaître et influencer le vote des membres du Conseil de sécurité des Nations Unies sur une résolution autorisant le déclenchement des hostilités.

Vous avez réussi à lire jusqu’au bout la phrase qui précède, inutilement longue et alambiquée ? Vous vous passionnez pour la géopolitique et l’histoire des relations internationales ? Vous aimez le droit ? Vous allez adorer Official Secrets, un film terriblement intelligent inspiré de faits réels.

Official Secrets a pour héroïne une lanceuse d’alerte, interprétée par la gracile Keira Knightley – qui pour une fois, ne joue pas en crinoline, une jeune femme d’un roman de Jane Austen. Profondément hostile à la guerre contre l’Irak – à l’instar d’une large majorité de la population britannique – révulsée par les mensonges de Bush et de Blair – qui voulaient faire croire à l’existence d’armes de destruction massive en Irak pour convaincre l’opinion de l’urgente nécessité d’un conflit – elle entre grâce à ses fonctions au GCHQ en possession d’un document qui révèle la conspiration dont le gouvernement américain se rend coupable. Le divulguera-t-elle au risque de violer la loi qu’elle a juré de respecter au moment de son recrutement et au risque de mettre en cause sa vie et celle de la famille ? Le suspense est mince. Quelle stratégie de défense adoptera-t-elle avec l’aide de son avocat (interprété par le mielleux Ralph Fiennes qui semble porter sur ses frêles épaules tout le malheur du monde) ? La question est déjà plus intéressante.

Star system oblige, le film prend le parti de raconter l’histoire du personnage interprété par Keira Knightley. Mais on sent le scénario hésiter à suivre une piste différente et pas moins stimulante : il s’agit d’abandonner un instant la lanceuse d’alerte et de s’intéresser à la façon dont la presse va recevoir ses informations et décider de leur publication. Pendant une demi-heure le scénario bifurque et nous entraîne, comme les excellents Spotlight ou Pentagon papers l’avaient déjà fait, au sein de la rédaction de The Observer. On y retrouve une poignée de journalistes courageux, interprétés par des seconds couteaux britanniques (Matt Smith, le prince Philipp de The Crown, Matthew Goode, Rhys Ifans…). Et on en viendrait presque à regretter que cette piste-là, à laquelle on commençait à s’attacher, ne soit pas plus creusée.

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