Cette musique ne joue pour personne ★☆☆☆

Jeff (François Damiens) est un caïd entouré de fidèles lieutenants : Neptune (Ramzy Bedia), Jesus (JoeyStarr), Poussin (Bouli Lanners), Jacky (Gustave Kervern)… Mais, la cinquantaine approchant, Jeff et ses hommes semblent envahis par le vague à l’âme et pris d’un soudain besoin de poésie : Jeff est tombé amoureux d’une caissière (Constance Rousseau), Jacky se laisse attendrir par l’épouse déjantée d’un débiteur qui se pique de théâtre (Vanessa Paradis), Jesus et Poussin jouent au baby-sitter avec Jessica, la fille de Jeff…

Samuel Benchetrit tisse une œuvre originale, entre littérature, théâtre et cinéma. Cette musique… est son septième film après Chien en 2018 que j’avais beaucoup aimé où jouaient déjà Vanessa Paradis, son épouse à la ville, Bouli Lanners et Vincent Macaigne (qui fait ici une apparition dispensable dans une saynète onirique dont on peine à comprendre la raison d’être). Samuel Benchetrit fait aussi jouer son fils Jules – qu’il a eu avec Marie Trintignant. On l’aura compris : le cinéma est pour lui une affaire de famille.

Comme Kervern & Delépine, comme Quentin Dupieux, Benchetrit est volontiers un cinéaste de l’absurde. On aime… ou pas.

Un caïd sanguinaire qui se met à rédiger des alexandrins pour séduire une caissière, une bourgeoise bègue qui monte sur les planches pour camper Simone de Beauvoir dans une comédie musicale, une seconde frappe qui utilise la manière forte pour convaincre des lycéens d’aller à la boum de la fille de son patron…. Je ne suis pas cul-serré au point de ne pas en rire. Je ne reproche pas à cette accumulation de scènes désopilantes leur manque de drôlerie. Je leur reproche leur facilité voire leur paresse. Rien n’est plus facile, me semble-t-il, que d’inventer une situation absurde : un pneu tueur en série, une mouche gigantesque …. et puis quoi encore ? un taureau en string ? un Basque unijambiste ? un canari qui parle ?

La bande-annonce

Le Sommet des dieux ★☆☆☆

En 1924, l’Anglais Georges Mallory s’est lancé à la conquête de l’Everest, jusqu’alors invaincu. Son corps fut retrouvé à quelques encablures du sommet sans parvenir à déterminer s’il l’avait ou non atteint. Le développement de son appareil photo aurait permis d’élucider ce mystère. C’est à la poursuite de cet appareil que Fukamachi, un photographe japonais de montagne se lance plus de soixante ans plus tard. Son enquête le met en contact avec Habu Jôji, un alpiniste d’exception qui, après avoir signé des ascensions vertigineuses, avait mystérieusement disparu.

Le Sommet des dieux est d’abord un roman de Baku Yumemakura adapté en manga quelques années plus tard par Jiro Taniguchi. Son édition au Japon puis sa traduction en France remporta un vif succès : prix du meilleur dessin à Angoulême en 2005 et 380.000 exemplaires vendus.

Près de vingt ans plus tard, après que bien des adaptations eurent été envisagées (dont un film d’animation en images de synthèses co-réalisé par Eric Valli, l’auteur de Himalaya, l’enfance d’un chef), c’est finalement à Patrick Imbert, un animateur passé par l’Ecole des Gobelins [merci pour cette page de publicité locale] qui avait jusque là surtout participé à des films pour enfants (Ernest et Célestine, Le Grand Méchant Renard….), que le projet est échu. Je lis ici ou là que le résultat constitue la synthèse réussie de la ligne « claire » franco-belge et du manga japonais. N’y connaissant quasiment rien en BD, qu’il s’agisse de ligne claire ou de manga, je serais bien présomptueux d’affirmer le contraire.

Si je n’y connais rien en BD, j’aime beaucoup la montagne. Dans ma jeunesse, j’ai poussé le goût du risque jusqu’à gravir quelques sommets. L’âge venant, j’ai lu et regardé avec une vertigineuse fascination tout ce qui touche de près ou de loin à l’alpinisme. La Neige en deuil fut longtemps mon film préféré. La Mort suspendue reste mon récit de montagne favori. Les Survivants me donne encore des sueurs froides. Et Free Solo, Oscar 2019 du meilleur documentaire, m’a littéralement cloué sur mon siège.

Aussi je ne pouvais pas rater ce Sommet des dieux. Force m’est d’avouer que j’en ai hélas été déçu. Certes, l’histoire a du souffle qui joue à saute-moutons avec les époques, l’enquête autour de la mort de Mallory tournant vite court et le récit se focalisant sur la vie de Habu. Mais pour le reste, j’ai trouvé que l’animation n’apportait rien. Pire, elle enlevait à la haute montagne une part de sa majesté. Elle rendait mal compte de la souffrance des alpinistes, de leur essoufflement, de leur épuisement. Et, pire que tout, Le Sommet des dieux se réduit, malgré sa musique inspirante, à une description bien trop convenue de la passion obsessionnelle que la conquête des cimes inspire.

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Stillwater ★★★☆

Bill Baker (Matt Damon) est Américain. Sa fille Allison (Abigail Breslin, ex-Little Miss Sunshine) a été condamnée pour avoir tué sa petite amie, alors qu’elle était étudiante à Marseille. Elle purge aux Baumettes sa peine en clamant son innocence. Son père, alcoolique repenti et born again, vient régulièrement lui rendre visite. Quand Allison le lance sur une nouvelle piste que son avocate refuse de creuser, c’est lui qui décide de mener l’enquête, en dépit du barrage de la langue et du fossé culturel. Virginie (Camille Cottin), une Française rencontrée par hasard, lui apporte son concours.

On pouvait redouter le pire en découvrant le pitch de Stillwater et sa bande-annonce : une énième resucée de Taken où Matt Damon endosserait le costume fripé de Liam Neeson pour aller sauver sa fille au pays des froggies. Mais c’était mal connaître Tom McCarthy, le réalisateur tout en finesse de Spotlight (Oscar 2016 du meilleur film et du meilleur scénario original) et Matt Damon qui est décidément l’un des plus grands acteurs américains de sa génération, aussi brillant sinon plus que Tom Hanks ou Leonardo DiCaprio qui injustement l’éclipsent.

Stillwater réussit en effet à surprendre par son intelligence. Il ne se réduit pas au thriller qu’on avait imaginé. Son intrigue prend le temps (le film dure deux heures vingt sans qu’on regarde une seule fois sa montre) d’un détour par le drame familial. Son vrai sujet se dessine lentement : il s’agit moins d’élucider les circonstances du crime dont Allison est accusée que de réconcilier un père et sa fille. Le plus intéressant est le cadre dans lequel il est filmé : Marseille qui décidément, après Bac Nord et Bonne mère, est à la mode cette année.

Tom McCarthy aurait pu se contenter d’en faire un décor de carton pâte vaguement exotique. Mais, ce lecteur de la trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo a eu l’intelligence de s’entourer de Thomas Bidegain et Noé Debré, les scénaristes de Jacques Audiard. À contrepied des films américains dans lesquels tout le monde parle anglais, le personnage joué par Matt Damon se heurte frontalement à la barrière de la langue. Il découvre un Marseille bigarré : celui des banlieues Nord et celui du septième arrondissement. Subtilité supplémentaire : Virginie n’est pas une marseillaise de souche mais une parisienne qui est venue s’y installer comme beaucoup aujourd’hui.

Dans ce biotope là, Matt Damon réussit de bout en bout à coller à son rôle : celui d’un redneck bourru, la casquette vissée sur le crâne. Sa composition restera l’une des meilleures surprises de l’année et lui vaudra peut-être en mars prochain l’Oscar qu’il n’a jamais eu.

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Dune ★★☆☆

Dans un avenir lointain, l’humanité est organisée selon un modèle médiéval : autour d’un empereur qui répartit à sa guise des fiefs à ses vassaux. La planète Arrakis, un immense désert de sable seulement peuplé de terribles vers géants et de rares autochtones, les Fremen, est convoitée pour ses richesses naturelles. Son exploitation, jusqu’alors assurée d’une main de fer par la maison Harkkonen, est confiée par l’Empereur à la maison Atréides. Son chef, le duc Leto Atréides (Oscar Isaac), sa compagne, Lady Jessica (Rebecca Ferguson), disciple du Bene Gesserit, une puissante congrégation exclusivement féminine qui use de pouvoirs supranaturels pour influencer l’ordre du monde, et leur fils Paul (Timothée Chalamet) qu’une rumeur insistante présente comme un futur Messie, viennent prendre possession d’Artakis. Leurs fidèles lieutenants les accompagnent : Duncan Idaho (Jason Momoa), Gurney Halleck (Josh Brolin). Mais le danger rode….

Dune est sans doute l’un des événements cinématographiques les plus attendus de l’année. Sa sortie, initialement prévue en octobre 2020 a dû être repoussée une première fois à cause du Covid en novembre 2020 puis à l’automne 2021. Présenté en avant-première mondiale à la Mostra, il sort en France le 15 septembre mais devra attendre le 22 octobre aux Etats-Unis. Warner a annoncé une sortie simultanée en salles et sur la plateforme HBO au grand dam de son réalisateur, Denis Villeneuve.

Dune est de ces films qu’il faut impérativement voir en salles sur un écran immense tant le spectacle est majestueux. Chaque plan ou presque est un tableau de maître qui joue sur les couleurs et les compositions. On y voit souvent des humains minuscules dans des décors immenses. La musique de Hans Zimmer (qui décidément, depuis près de quarante ans, a participé à plus de films qu’aucun réalisateur ou aucun acteur) souligne emphatiquement cette majesté. On lui fait souvent le reproche d’être tonitruante. J’ai la faiblesse depuis Crimson Tide – que Edouard Balladur avait repris pour ses meetings de campagne en 1995 – de le porter dans mon cœur. [Citer Edouard Balladur dans une de mes critiques ! Done]

On disait le roman de Franck Herbert publié en 1965 intransposable. David Lynch s’y était cassé les dents au début des années 80. Son Dune est l’un des films les plus calamiteux jamais tournés. Jodorowsky s’y est essayé. Son projet était pantagruélique : Mick Jagger, Orson Welles et Salvador Dali étaient évoqués pour les rôles principaux avec Moebius aux décors et les Pink Floyd à la musique. Finalement c’est Denis Villeneuve qui a relevé le défi, un réalisateur canadien qui, comme tous les réalisateurs d’exception de tous les pays du monde, est venu aux Etats-Unis poursuivre la carrière prometteuse entamée au Québec avec Incendies. À Hollywood, Villeneuve a tourné Prisoners avec Hugh Jackman, Enemy avec Jake Gyllenhaal (que j’ai félicité pour ce rôle lorsque je l’ai croisé au musé Picasso en 2015 [Name-dropping take 2]), Sicario avec Benicio del Toro, Premier contact, peut-être l’un de mes films préférés de la décennie, aussi beau que profond, et Blade Runner 2049. Bref une série exceptionnelle de films qui furent autant de succès critiques que commerciaux. Difficile de trouver à Hollywood réalisateur aussi consacré sinon peut-être Alfonso Cuarón ou Alejandro Iñárritu.

On ne peut pas regarder Dune sans penser à La Guerre des étoiles qui en a repris beaucoup des éléments au point que Herbert faillit l’attaquer pour plagiat à sa sortie en 1977. Un empire intergalactique, une planète désertique, un jeune héros appelé à un destin hors du commun, des batailles au sabre : tout y était, tout y est, l’humour en moins.

Dune aura coûté dit-on 165 millions de dollars, soit un peu plus d’un million de dollars par minute – ou encore quelques 175.000 dollars par seconde. Cet argent faramineux n’a pas été dépensé en vain. Il se voit. Il en jette plein les yeux et plein les oreilles.

On peut se laisser emporter par ce spectacle grandiose et immersif. On peut aussi y rester totalement étranger, ne lui trouver aucune humanité, n’éprouver aucune émotion. Après 2h35 et y avoir beaucoup réfléchi, je ne sais toujours pas quel parti embrasser. Une amie cinéphile, plus lapidaire que moi a écrit : « Je n’ai RIEN à dire sur Dune. Ce bel objet sans humanité, noyé dans une musique tonitruante, parle un langage qui m’est totalement étranger. » L’excessive longueur de ma critique, que je n’arrive pas à conclure par une opinion tranchée, démontre à la fois mon manque de conviction et de talent.

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La Nuit des rois ★☆☆☆

La MACA (Maison d’arrêt et de correction de Côte d’Ivoire) est la prison d’Abidjan. Barbe noire en est le Dangoro, le caïd tout puissant ; il possède un droit de vie et de mort sur tous les prisonniers. Mais son règne touche à sa fin et sa succession déjà se prépare. Vieillissant et malade, Barbe noire décide d’organiser un rituel ancien : une nuit des rois. Un prisonnier devra, toute la nuit durant, raconter des histoires. S’il perd l’attention de ses spectateurs, il sera tué.
Le sort en échoit à Roman, un détenu tout récemment incarcéré. Il se lance dans la narration de la vie fantasmée de Zama King, un chef de gang qui profita des désordres de la guerre civile pour faire régner la terreur à Abidjan.

La Nuit des rois est un film étonnant qui emprunte à plusieurs sources. Ses premières images nous plongent dans une ambiance déjà souvent visitée d’enfer carcéral, débordant de violence, de sueur et de testostérone : Prison Break, Un prophète, Midnight Express, La Ligne verte…. Mais la suite du film nous emmène sur d’étonnants chemins de traverses. On pense bien sûr aux Mille et une nuits et au défi relevé par Shéhérazade. On pense aussi aux incantations des griots africains.

L’ensemble est baroque, échevelé, plein de bruit et de fureur. Pourtant, la mayonnaise ne prend pas. On ressort de la salle en se disant que le sujet de La Nuit des rois aurait fait un formidable spectacle de danse contemporaine mais pas un bon film.

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Blue Bayou ★☆☆☆

Antonio LeBlanc (Justin Chon) a été abandonné à sa naissance en Corée. Il a été adopté et a grandi en Louisiane. Il a épousé Kathy (Alicia Vikander), une infirmière dont il attend un enfant et prend soin de Jessie, l’enfant que Kathy a eu avec Ace, un policier, dont elle s’est brutalement séparée. Antonio a eu une enfance difficile, s’est laissé embringuer par quelques amis dans des vols à la tire et a eu maille à partir avec la justice. Tout est rentré dans l’ordre depuis son mariage avec Kathy grâce à son travail de tatoueur. Mais, après une altercation avec les forces de l’ordre, provoquée par Ace, Antonio apprend que ses papiers ne sont pas en règle et qu’il est sous la menace d’une expulsion vers la Corée.

Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être ému par Antonio LeBlanc, son patronyme en pied-de-nez et sa tragique histoire. Blue Bayou brasse des thèmes intimidants : la perte de ses racines, l’abandon, la filiation et la paternité, le couple, l’iniquité des lois d’immigration aux Etats-Unis, la bêtise et le racisme des forces de l’ordre… Il en rajoute une couche avec le personnage de Parker Nguyen, une immigrée vietnamienne qui se meurt d’un cancer.

C’est beaucoup. C’est sans doute trop. Et la coupe, déjà bien pleine, déborde dans son dernier quart, interminable (le film dure près de deux heures), qui réussit à nous montrer successivement les cinq fins alternatives que Blue Bayou aurait pu avoir.

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L’Affaire collective ★★★☆

Un incendie dans une discothèque de Bucarest, le club Colectiv, a tué vingt-six personnes en octobre 2015. Plus grave encore : dans les jours et les semaines qui suivirent, pas moins de trente-huit personnes moururent des suites de cet incendie par la faute, pour beaucoup, de la mauvaise qualité des soins qui leur furent prodigués à l’hôpital.

L’Affaire collective a deux héros – et deux sujets – au risque de l’éparpillement.

Dans la première partie du film, la caméra suit les pas de Catalin Tolontan et de ses collègues de Gazeta Spoturilor (un journal sportif !) qui mènent l’enquête non tant autour de l’incendie proprement dit que sur les conditions détestables d’hospitalisation des victimes et partant, l’état de déréliction du système de santé roumain. Grâce à quelques lanceurs d’alerte – une docteure, deux comptables courageuses d’un hôpital – ils mettent à jour un système de corruption généralisée : une entreprise pharmaceutique véreuse surfacturait des biocides hyper-dilués et inefficaces à des directeurs d’hôpitaux qu’elle corrompait par des pots-de-vin. Grâce aux révélations de Tolontan, le directeur de cet entreprise va être mis en examen avant de décéder dans des circonstances obscures.

L’Affaire collective abandonne hélas ce fil pour s’intéresser à un autre qui se révèle vite autant sinon plus fascinant. Elle filme le nouveau ministre de la santé qui prend ses fonctions en mai 2016 après la démission fracassante du cabinet Ponta. Ses premiers pas n’augurent rien de bon. Âgé de trente-deux ans à peine, le jeune Vlad Voiculescu semble bien inexpérimenté pour faire face au défi qu’il doit relever : assainir un système de santé corrompu jusqu’à la moëlle. L’ancien activiste doit concilier éthique de responsabilité (il est le ministre d’un gouvernement qui doit des comptes aux Roumains) et éthique de conviction (il ne peut qu’être révulsé par l’ampleur de la corruption que le scandale Colectiv a révélé et qu’il répugne à couvrir). On le voit, entouré de ses plus proches conseillers, dans la préparation fiévreuse d’une conférence de presse où il lui faudra tenir une ligne de crête impossible.

Le documentaire immergé d’Alexander Nanau, le réalisateur inspiré de Toto et ses sœurs et le directeur de la photographie de Nothingwood, se regarde comme un thriller passionnant. Les scènes qu’il a réussi à filmer sont si haletantes qu’on s’y prend à deux fois pour vérifier dans le dossier de presse qu’il ne s’agit pas d’une fiction reconstituée ni d’un faux vrai documentaire mais bien d’images tournées sur le vif.

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Summertime ★★☆☆

Par une chaude journée d’été, vingt-cinq habitants se croisent dans les rues de Los Angeles et y dévoilent un pan de leur vie : deux jeunes rappeurs en quête de célébrité, un Noir-Américain gay qui cherche désespérément à se faire servir un cheeseburger, un couple en thérapie, une amoureuse éconduite qui stalke son ex, un employé de fast food débordé par une clientèle hargneuse et revendicative, etc.

Summertime est le second film du jeune réalisateur Carlos Lopez Estrada, qui avait fait des débuts remarqués en 2018 avec Blindspotting, qui mettait en scène deux marginaux, un Noir en fin de conditionnelle et un Hispanique déjanté, dans les rues d’un Oakland en voie de gentryfication.

Summertime explore encore la veine de la comédie urbaine. La ville de Los Angeles filmée avec une empathie communicative (on pense à la palette chromatique de Tangerine ou aux premières comédies new yorkaises de Spike Lee) y est autant sinon plus la principale héroïne que ses vingt-cinq personnages.

Mais Carlos Lopez Estrada a recours a une forme particulièrement originale. Son film, inspiré par les séances de « spoken word » qu’il avait organisées avec une série de poètes de L.A., est un objet cinématographique non identifié. Il relève plus du genre de la performance que de celui de la comédie ou du drame proprement dit. Il s’agit de montrer bout à bout plusieurs poètes déclamant leur oeuvre. Le risque est celui de la juxtaposition : coller une série de performances devenant vite à la longue répétitives. Ce risque là n’est qu’à moitié évité dans un film marabout-bout de ficelle au scénario passablement indigent, qui aurait pu durer une demie-heure de plus ou de moins.

Autre écueil que n’évite pas Summertime : la bien-pensance woke qui donne une tribune à toutes les minorités visibles et à leurs revendications aussi légitimes soient-elles contre le racisme, l’homophobie, la grossophobie…

Pour autant, les poèmes mis en images ont une telle force, le talent de leurs jeunes auteurs est si impressionnant, l’énergie avec laquelle ils déclament leur oeuvre si communicative qu’on ne peut que se laisser emporter par la force de Summertime. Les mots fusent, jaillissent, explosent…. N’espérez pas lire les sous-titres : ils défilent à une telle vitesse que vous n’y arriverez pas. Mais laissez vous retourner, chahuter, déranger par cette éruption rageuse et slameuse.

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Berlin Alexanderplatz ★★☆☆

Francis est originaire de Guinée-Bissao. Il est arrivé en Allemagne au péril de sa vie, perdant dans la traversée sa femme noyée. Sans papiers, malgré son aspiration à une vie honnête, il n’a d’autre solution que de travailler sous les ordres de Reinhold, un petit dealer, infirme et psychopathe, qui manque le tuer après un cambriolage. Devenu manchot, Francis est recueilli par Mieze, une prostituée. Il croit enfin accéder avec elle au bonheur qui le fuyait depuis si longtemps. Mais c’était sans compter avec le machiavélisme de Reinhold.

Berlin Alexanderplatz est un monument qui occupe dans la littérature allemande une place envahissante. Quelque part entre La Montagne magique et L’Homme sans qualités. Ce roman touffu, qui entrelace les points de vue et les styles, dont Alfred Döblin a reconnu la dette qu’il doit au Ulysse de James Joyce, a longtemps passé pour intransposable au cinéma, même si Piel Jutzi en signait dès 1931 une adaptation. Si Fassbinder s’y est frotté au début des années quatre-vingts, c’est pour en tirer une série TV de quatorze épisodes et de près de quinze heures.

Il fallait donc un sacré culot au réalisateur allemand d’origine afghane Burhan Qurbani pour s’attaquer à ce monstre sacré. Il assume crânement son audace, en transposant l’intrigue – qui se déroulait dans le Berlin de l’entre-deux-guerres – à l’époque contemporaine, en faisant du héros, un repris de justice dans le roman de Döblin, un Africain sans papiers et du racisme un de ses enjeux.

Pas évident pour moi de me faire une opinion éclairée du résultat, faute d’avoir lu le livre (j’ai passé la moitié de l’été à suer sang et eau sur les presque mille pages de La Montagne magique) ou vu la série de Fassbinder. J’ai compris de son résumé toutefois que Qurbani est resté fidèle au roman – jusqu’à son dénouement dont il s’en écarte en partie.
Je ne me suis pas ennuyé, même si le film dure plus de trois heures. Pour autant, je me demande, si l’œuvre n’aurait pas été plus efficace en série de trois ou quatre épisodes.

Je lui reconnais une qualité : m’avoir donné envie d’aller à la source du livre qui l’a inspiré.

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De bas étage ★☆☆☆

Mehdi (Soufiane Guerrab) est un perceur de coffres dont les cambriolages sont de plus en plus risqués et de moins en moins rentables. Sa compagne, Sarah (Souheila Yacoub), qui désapprouve son mode de vie l’a quitté et travaille dans un salon de coiffure. Le couple a eu un enfant que Sarah élève seule mais auquel Mehdi est très attaché.

Le premier film de Yassine Qnia, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, est sorti au cœur de l’été, sans guère de publicité, coincé entre OSS 117  et Jungle Cruise. Cela ne lui a pas donné la meilleure visibilité.

Autre handicap : De bas étage brouille les pistes, laissant penser à un de ces polars poisseux qui prennent la banlieue pour théâtre là où il s’agit en fait plutôt d’un drame social pudique, sans effets de manches, mettant en scène l’échec d’un homme. Au surplus, son héros, possessif et violent, obsédé par le contrôle, n’en est pas un et ne suscite guère l’empathie du spectateur.

Difficile avec autant de handicaps assumés d’enthousiasmer la critique qui pourtant aurait aimé aimer ce premier film qui met au premier plan deux jeunes acteurs pleins d’avenir : Soufiane Guerrab, cantonné jusqu’à présent aux rôles plutôt comiques, et Souheila Yacoub qui mettait le feu à Climax de Gaspar Noé.

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