Laila in Haifa ★☆☆☆

Amos Gitaï est originaire de Haïfa, la grande ville portuaire du nord d’Israël. il y a découvert le club Fattoush, un café-restaurant doublé d’un espace d’exposition, où se côtoient Juifs et arabes, Israéliens et Palestiniens, hommes et femmes, homos et hétéros. Il aurait pu y filmer un documentaire. Il préfère la fiction.

Unité de temps. Unité de lieu. Tout se passe l’espace d’une soirée, quasiment en temps réel. Tout aurait pu d’ailleurs tenir sur une scène de théâtre. Tout aurait pu être filmé en un long plan séquence, techniquement magistral et dont d’ailleurs le premier plan du film – qui commence par une bastonnade sur le parking du club – laisse augurer ce qu’il aurait pu être.

L’affiche du film évoque « 5 femmes. 5 histoires ». J’ai dû aller regarder le casting pour les identifier. Car ces cinq histoires là, d’importance inégale, ne sont pas immédiatement identifiables.

À tout seigneur tout honneur, commençons par Laila, la propriétaire du club. Elle donne son nom au film alors qu’elle n’en est pas au centre. La raison en est peut-être dans l’allitération que son prénom permet.
Khawla travaille au Club. Elle est mariée à Hisham le cuisinier qui aimerait lui faire un enfant, mais entretient une liaison avec Gil, le photographe que Laila expose – et dont elle est, elle aussi l’amante.
Naama est israélienne et la demi-soeur de Gil. De passage dans le bar, elle y rencontre un séduisant palestinien avec lequel elle ira immédiatement faire l’amour sur le siège arrière de sa voiture.
Bahira est une activiste palestinienne qui déborde de haine. Elle est venue au club pour racketter Kamal, le mari de Laila, beaucoup plus âgé qu’elle, dont l’immense fortune finance les hobbies de sa jeune épouse.
Hanna, la soixantaine bien entamée, est une veuve qui cherche encore l’âme sœur. Un rendez-vous en ligne la confronte à un date passablement surprenant.
On pourrait encore évoquer Roberta qui veut faire jouer son carnet d’adresse pour exposer Gil à Los Angeles. Mais on a déjà épuisé le quota féminin annoncé sur l’affiche.

Vous n’y avez rien compris ? Moi non plus ! Et c’est bien là que le bât blesse.
Car, si l’on voue une admiration révérencielle à Amos Gitaï qui, depuis plus de trente ans, surplombe de son oeuvre impressionnante le cinéma israélien, si l’on ne peut qu’applaudir au projet interculturel de son film, on doit hélas, constater que le résultat en est fort brouillon sinon totalement incompréhensible.
Ces chassés-croisés polyglottes (les personnages s’expriment en hébreu, en arabe et en anglais selon leur identité culturelle) me sont restés passablement obscurs. Et quand j’en ai enfin compris le sens – ou plutôt quand j’ai cru les avoir compris – j’y suis resté insensible.

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Une histoire d’amour et de désir ★★★★

Ahmed et Farah se rencontrent le premier jour de la rentrée à la Sorbonne, sur les bancs de la fac de lettres, dans un cours consacré à la poésie arabe galante. Lui (Sam Outalbali), fils d’immigré algérien, vient du 9-3. Elle (Zbeda Belhajamor) débarque tout droit de Tunisie. Entre eux, c’est le coup de foudre immédiat. Mais chacun l’exprime à sa façon. Lui, engoncé dans les codes virilistes des cités, combat le désir qu’il éprouve. Elle, plus libérée, ne comprend pas ce garçon qui lui résiste.

Disons-le tout net : Une histoire d’amour et de désir est le meilleur film du mois. Et à ceux qui, perspicaces, m’opposeront qu’il est sorti le 1er septembre et que j’écris sa critique dès le 5 du mois, je renchérirai : Une histoire d’amour et de désir est le meilleur film d’un été qui, ces jours-ci, à Paris tout au moins, semble délicieusement jouer les prolongations !

Comme son titre l’annonce, Une histoire d’amour et de désir est d’abord un film qui raconte les premiers émois d’un couple amoureux et sa découverte de la sexualité. Il le fait avec une sensualité débordante, avec pudeur mais sans pruderie, en convoquant les plus belles pages de la littérature arabe érotique, un moyen – certes un peu téléphoné – d’exciter les sens des personnages – et des spectateurs avec eux – mais aussi de rappeler que l’Islam n’a pas pour seul visage celui des Talibans obscurantistes de Kaboul.

Le sujet du premier amour pourrait sembler convenu. il a déjà été si souvent traité dans la littérature et au cinéma. Mais Leyla Bouzid le renouvelle en renversant les rôles. Contrairement aux usages, ce n’est pas la fille, timide et vierge, qui résistera au garçon, mais l’inverse. Ici, c’est Ahmed qui, malgré le désir qui l’enflamme, repousse les avances de Farah. Son attitude, qui désarçonne la jeune fille, a plusieurs causes. Elle s’explique par son inexpérience (Ahmed est puceau), par sa timidité (il est maladivement incapable d’exprimer ses sentiments et de prendre la parole en public). Elle s’explique aussi par les valeurs dans lesquelles il a grandi, dans sa famille et dans sa cité, où la fille doit impérativement conserver sa virginité jusqu’au mariage et où celles qui ne respectent pas cette règle – comme Farah dont la sexualité débridée le choque – ne méritent pas le respect.

Car, Une histoire d’amour et de désir, comme son titre ne l’annonce pas, est aussi un film social sinon politique. Ahmed et Farah incarnent deux façons archétypales d’être magrébin en France aujourd’hui. Le père d’Ahmed est un intellectuel algérien déclassé qui a dû fuir les années de plomb en Algérie. Au chômage de longue durée, il nourrit une double rancœur contre l’Algérie qui l’a rejeté et contre la France qui l’a si mal accueilli. Son fils a été élevé dans l’ignorance de la culture et de la langue de ses origines avec comme seule planche de salut la poursuite d’études supérieures à Paris. Farah a un profil bien différent. Double autobiographique de la réalisatrice Leyla Bouzid, elle est issue de la classe moyenne tunisienne, francophone et francophile. Elle est née et a grandi à Tunis, y a passé son baccalauréat. Mais, douloureusement consciente du manque d’opportunités que son pays lui offre, elle vient à Paris, poussée par ses parents, y poursuivre ses études (comme Leyla Bouzid qui, après des études de lettres à la Sorbonne, intégra la Fémis).

J’avais adoré le premier film de Leyla Bouzid, sorti fin 2015, À peine j’ouvre les yeux. Je lui ai préféré encore le deuxième. Espérons qu’il ne faudra pas attendre si longtemps le troisième. Quant à Sam Outalbali, l’acteur si juste qui joue Ahmed, on devrait le revoir très bientôt sous la direction de Cédric Jimenez, le réalisateur de BAC Nord, dans Novembre, le film qu’il vient de tourner sur les attentats du 13-Novembre avec Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain….

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Pour l’éternité ★☆☆☆

Pour l’éternité est le dernier film du réalisateur suédois Roy Andersson. Projeté à la Mostra de Venise à l’automne 2019, sa sortie en France a été plusieurs fois repoussée à cause de la pandémie. Il emprunte la même forme radicale que les précédents films de ce réalisateur rare (il a réalisé six longs-métrages seulement en cinquante ans de carrière) : une succession kaléidoscopique de vignettes filmées en longs plans fixes dans des décors froids sinon lugubres où évoluent des personnages d’âge mûr écrasés par la fatigue de vivre.

Présentée ainsi, l’oeuvre de Roy Andersson n’attirera que quelques cinéphiles pointus et passablement masochistes. J’en fais partie, qui ne rate aucun de ses films depuis l’étonnant Chansons du deuxième étage qui le fit découvrir hors de son pays natal en 2000.

Pour autant, j’ai beau être masochiste, j’avoue avoir approché mes limites avec ce film-là, qui pourrait être son dernier (Roy Andersson a 78 ans). Chacun de ses plans, à l’exception peut-être du treizième, repris par l’affiche, qui montre deux amoureux à la Chagall survoler une ville en ruines, charrie une telle tristesse qu’on se sent vite écrasé. Que dire par exemple du quatrième : « A woman, described by the narrator as “incapable of feeling shame,” turns and looks back at the camera with an annoyed expression » ou du tout dernier : « A man’s car breaks down on a country road, and he attempts to fix it himself with little success. » ?

On a la furieuse impression que le réalisateur a monté à la va-comme-je-te-pousse une succession de saynètes dont l’idée lui serait progressivement venue et dont on peine à comprendre la cohérence. Sans doute chacun de ces plans, au cadrage millimétré, dont le sujet sinon les couleurs rappellent le désespoir qui sourd dans les tableaux de Edward Hopper, constituent-ils autant d’oeuvres d’art. Mais elles seraient peut-être plus à leur place dans une installation muséographique que dans une salle de cinéma.

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Chers camarades ! ★★☆☆

Le 1er juin 1962, suite à la brutale augmentation des prix de la viande et du beurre, les ouvriers de l’usine ferroviaire de Novotcherkassk, dans le sud de la Russie, se mettent en grève. Ils marchent sur la mairie. Une fusillade éclate tuant vingt-six manifestants, en blessant des dizaines d’autres. Les autorités déclarent immédiatement l’embargo sur cet événement qui ne sera révélé que trente ans plus tard après la chute de l’URSS.

Le vétéran Andreï Konchalovsky, quatre-vingts ans bien sonnés, qui faisait ses débuts derrière la caméra à cette époque là, s’est directement inspiré des faits pour en faire son dernier film. Il arrive sur les écrans quelques mois à peine après Michel-Ange, d’une toute autre facture.

Konchalovsky aurait pu tourner un documentaire ; mais il préfère réaliser une fiction centrée sur le personnage de Lioudmila, magistralement interprétée par Ioulia Vyssotskaïa, une des grandes dames du théâtre contemporain russe. Ancienne infirmière durant la Grande Guerre patriotique, staliniste chevronnée qui regrette la mort du Petit père des peuples et la prudente libéralisation initiée par Nikita Khrouchtchev, Lioudmila est membre du conseil municipal. Elle est partisane de la ligne dure face aux manifestants et exige qu’ils soient sévèrement punis. Mais elle ignore que sa propre fille, encore étudiante, âgée de dix-huit ans à peine, qu’elle élève seule, est dans leur rang. De l’hôpital, à la morgue, à la fosse commune où les corps des tués ont été enterrés en catimini, elle cherche sa trace.

L’originalité du film est de nous présenter les événements, non pas du point de vue des manifestants (les héros sont d’habitude deux jeunes gens pris sous le feu des balles qui réussissent miraculeusement à survivre et y gagnent la sympathie des spectateurs), mais de celui des autorités, d’abord débordées par l’ampleur de l’hésitation et hésitant à la réaction à lui opposer.

Chers camarades ! a remporté le prix spécial du jury à Venise en 2020. Ce genre de prix honore autant sinon plus le réalisateur auquel il est décerné, souvent en fin de carrière, dont on veut une dernière fois saluer l’oeuvre, que son film lui-même. C’est peut-être le cas de ce Chers camarades ! qui ne brille pas par ses qualités cinématographiques.

Certes l’interprétation de Ioulia Vyssotskaïa est impressionnante qui habite son rôle et qui, dans le feu de la manifestation et en réaction au drame intime qui la frappe, est obligée de reconsidérer toutes ses valeurs. Mais le reste de l’interprétation est guindée. Et le film est bien académique. Konchalovksy l’a tourné en noir et blanc parce que, dit-il, le souvenir que nous avons de cette époque est définitivement constitué d’images en noir et blanc. Le problème est que son noir et blanc est trop élégant, trop velouté, pour être crédible et retrouver la patine des images de l’époque.

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Petites danseuses ★★☆☆

La caméra empathique d’Anne-Claire Dolivet filme pendant une année une troupe de fillettes qui suivent les cours d’un atelier de danse dans le dix-huitième arrondissement parisien. Elle s’attache à quatre d’entre elles, Jeanne, la plus jeune, six ans à peine, Olympe, la plus espiègle, Ida, la plus douée et Marie, la plus hésitante.

Le sujet de ce documentaire peut inspirer quelques préventions. On pourrait craindre qu’il ait été paresseusement choisi pour attirer le public captif de toutes ces petites filles qui rêvent de devenir étoiles de l’Opéra et de leurs mères qui projettent sur elles leurs rêves inaboutis.

Et sa première moitié corrobore ces craintes. Sans grande originalité, on assiste à quelques leçons où l’on voit évoluer ces enfants minuscules qui essaient de se plier à l’implacable discipline de la barre sous la férule d’une professeure exigeante mais juste ; on suit ces jeunes filles, chez elles, où on imagine volontiers que la réalisatrice a eu l’autorisation de tourner en obtenant l’accord de parents d’abord réticents à dévoiler leur intimité.

Mais lentement, le documentaire prend de l’intérêt. Derrière des images gentillettes de fillettes en tutu qui s’essaient aux entrechats, on découvre une étonnante palette de sentiments : leur passion pour la danse, leur rêve à la fois inaccessible et admirablement ambitieux d’en faire leur métier, leur concentration, la peur qui les prend aux tripes – et qu’elle nous communique – à l’approche des concours, leur douleur physique quand elles se blessent, leur joie ineffable quand elles décrochent enfin une médaille.

Je me suis surpris à m’émouvoir alors que rien a priori, dans cette palette de sentiments-là n’aurait dû me toucher : je n’ai pas fait des pointes enfant et n’ai pas de petite fille hélas à accompagner à son cours de danse. Et j’imagine alors l’émotion que doit ressentir la petite spectatrice de six ans assise au bout de ma rangée et sa maman qui la couve.

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Un triomphe ★★☆☆

Etienne (Kad Mérad) est un acteur en galère. Sa vie privée est un champ de ruines : sa femme, actrice elle aussi, l’a quitté et sa fille étudiante s’est éloignée de lui. Sa vie professionnelle n’est pas en meilleur état : il n’est plus remonté sur les planches depuis des années.
Aussi accepte-t-il le job alimentaire que lui propose son ami Stéphane (Laurent Stocker) : animer un atelier de théâtre en prison. La tâche s’avère difficile pour Etienne qui doit se faire accepter des détenus et convaincre la directrice de la prison (Marina Hands) de l’autoriser à monter avec eux En attendant Godot.

Un triomphe fait partie de ces films noyés de bons sentiments dont on imagine, à la seule lecture du résumé, le moindre des rebondissements. On sait par avance les difficultés qu’Etienne rencontrera pour réussir à faire jouer la pièce de Beckett par des acteurs amateurs, brochette soigneusement représentative de tous les profils qu’on rencontre en prison (le caïd algérien, l’immigré burkinabé, le Kevin blanc analphabète….). On pressent que son énergie et son enthousiasme vaincront tous les obstacles et que le film se terminera sous les ovations du public avec des acteurs soudainement touchés par la grâce des planches et un metteur en scène réconcilié avec lui-même et, qui sait, avec sa fille et sa femme en prime.

Un triomphe ne remplit qu’en partie ce cahier des charges un peu trop formaté pour susciter un réel enthousiasme. Certes Kad Mérad, qui n’a plus grand chose à prouver, parfait dans le rôle, réussit à entraîner avec lui la petite bande de détenus qu’il a réussi à recruter. En attendant Godot sera monté, la troupe et son metteur en scène ovationnés. Le film aurait pu s’arrêter là et je me serais rengorgé de mon infaillible clairvoyance – et de mon cynisme mesquin.

Mais Un triomphe dure un quart d’heure de plus. Je n’en dirai rien pour ne pas en gâcher le plaisir, sinon que ce quart d’heure s’inspire de l’histoire vécue en 1986 en Suède par le metteur en scène Jan Johnsson. L’épisode suscita un commentaire amusé de Samuel Beckett qui était encore en vie à l’époque : « C’est ce qui est arrivé de mieux à ma pièce depuis que je l’ai écrite ». Je vous laisse le découvrir.

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Fragile ★★★☆

Az (Yasin Houicha) est né et a grandi à Sète. Il est depuis longtemps en couple avec Jessica (Tiphaine Daviot) qui rompt avec lui le jour où il lui demande sa main et le laisse éploré. Mais Az peut compter sur ses amis pour le réconforter et sur Lila (Oulaya Amamra), une jeune chorégraphe qui est allée se brûler les ailes à Paris, pour lui apprendre à danser et reconquérir son aimée.

Emma Benestan fut l’assistante réalisatrice d’Abdellatif Kechiche. Elle réalise son premier film à Sète, sur les lieux même où furent tournés La Graine et le Mulet et Mektoub, my love. Elle filme les mêmes jeunes et leurs marivaudages amoureux. Certes sa caméra n’a pas la même intensité que celle de son impressionnant mentor. Elle ne suscite pas non plus le même malaise que le male gaze reproché à Abdellatif Kechiche.

Fragile est autrement plus léger, qui louche volontiers du côté de la comédie romantique (la réalisatrice parle dans son dossier de presse mi-ironique d’un Dirty Dancing sétois). Trois étoiles pourrait sembler bien généreux pour un film si frivole et l’est probablement. Mais Fragile est parfaitement réussi, drôle, touchant, crédible, enthousiasmant. Son scénario ménage quelques efficaces rebondissements jusqu’à sa conclusion prévisible mais enthousiasmante. Sa direction d’acteurs est aux petits oignons, qu’il s’agisse des seconds rôles particulièrement réussis interprétés par Guillermo Guiz et Raphaël Quenard, ou de Oulaya Amamra, César du meilleur espoir féminin pour Divines en 2017, qui confirme si besoin en était, que le cinéma français compte une nouvelle star.

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Drive My Car ★☆☆☆

Yūsuke Kafuku, un acteur de théâtre renommé, est invité à Hiroshima en résidence pour y monter une adaptation d’Oncle Vania avec une troupe cosmopolite et polyglotte. Il est veuf depuis deux ans. Sa femme, scénariste pour la télévision, est morte brutalement après que Yūsuke a découvert son infidélité, le frustrant d’une explication qu’il n’a jamais pu avoir avec elle. Pour le rôle d’Oncle Vania, Yūsuke recrute Kôji Takatsuki, un jeune acteur qu’il suspecte d’avoir eu une liaison avec sa femme. La production lui impose un chauffeur, une jeune femme mutique, Misaki Watari, dont Yūsuke accepte mal la présence mais avec laquelle va bientôt se nouer un lien puissant.

Drive My Car arrive sur nos écrans auréolé de son prix du scénario à Cannes où, disent les mauvaises langues, la Palme d’or ne lui aurait échappé qu’au seul motif de l’obligation dans laquelle s’était cru le jury de la décerner à une réalisatrice. Il est l’oeuvre de Ryūsuke Hamaguchi, un jeune réalisateur japonais, dont les précédents films – Senses et Asako I & II – avaient favorablement impressionné la critique – à défaut de me convaincre tout à fait.

Dans ma critique de Asako I & II, je regrettais d’être déjà passé à côté de Senses et de passer à côté de ce film-là. Je pourrai hélas rajouter aujourd’hui, à mon grand regret, n’avoir pas adhéré à Drive My Car.

Mon regret est d’autant plus grand qu’autour de moi, je n’en lis que du bien – à l’exception d’une ou deux passionarias anti-conformistes. Partout, tous et toutes s’enthousiasment et s’enflamment : « La beauté de Drive My Car réside dans sa manière de donner chair à une série d’abstractions et de dispositifs purement théoriques, d’employer toutes sortes d’éléments du médium cinéma pour leur faire dégorger leur sensualité autonome et en faire les instruments d’une vérité singulière » écrit un Jacques Mandelbaum sous ecsta dans Le Monde. « Un film qui résonne indirectement avec le vécu intime de chacun·e et qui risque de briller longtemps dans la nuit noire de notre inconscient chaviré » renchérit un Thierry Josse inclusif dans Les Inrocks.

J’avais lu ces critiques avant d’aller voir le film. [Beaucoup de mes amis me disent qu’ils s’interdisent de lire les critiques avant de voir un film afin de ne pas être « influencés ». Je suis d’une opinion radicalement différente, estimant au contraire utile d’aborder une oeuvre avec toutes les clés en main pour la comprendre et l’apprécier]. Je m’étais préparé à voir une oeuvre marquante, par sa durée (près de trois heures), par son ambition. Je n’ai certes pas été déçu : le film est long et ambitieux, qui traite de questions essentielles : la vie, la mort, l’amour. Mais – et c’est une grande frustration car je peine à y mettre des mots – je n’ai pas été embarqué. Ce road movie, dont le personnage principal est peut-être la SAAB rouge de son héros, m’a laissé sur le bord du chemin.

La faute selon moi à une succession de situations que j’ai trouvées trop improbables, à commencer par cette scénariste qui invente ses histoires dans un demi-sommeil, après l’amour, et qui les reconstitue le lendemain matin avec l’aide de son mari. Le personnage de Takatsuki, jeune premier ombrageux, auquel le metteur en scène confie contre toute raison le premier rôle de sa pièce et qui se révèlera sans que rien ne le laissât présager ultra-violent, m’a semblé un ton en-dessous du reste de la distribution. Enfin, j’ai trouvé trop facile le personnage de Misaki, la chauffeure qu’il faut lester d’un lourd passé familial pour lui donner l’intensité dramatique qu’elle n’a pas.

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Passion simple ★★★☆

Hélène (Laetitia Dosch), professeure de lettres à la Sorbonne, mère de famille divorcée, raconte la passion exclusive et dévorante qu’elle a connue un hiver durant pour Alexandre (Sergei Polunin), un jeune diplomate russe en poste à Paris. Pendant plusieurs mois, elle a vécu  dans la petite maison qu’elle occupe en banlieue ouest avec son fils unique, l’attente fébrile de ses visites, la fièvre de leurs peaux réunies, l’orgasme de leurs étreintes, la douleur de le voir se rhabiller et la quitter si vite pour rejoindre sa femme. Entre ses rencontres épisodiques, Hélène continue à vivre : elle s’occupe de son fils, donne ses cours, va au cinéma avec une amie, fait ses courses au supermarché. Mais sa vie toute entière est suspendue aux appels de cet amant fuyant et à l’annonce tant attendue de leurs prochains rendez-vous amoureux.

Passion simple est un roman d’Annie Ernaux, écrit à la première personne du singulier, sorti en 1992. L’auteure, déjà célèbre de La Place, avait déjà atteint la cinquantaine et décrivait l’état de subjugation dans laquelle l’avait plongée la passion amoureuse éprouvée pour un amant russe avec lequel pourtant elle n’avait rien en commun.

Ce témoignage d’une grande brièveté – le livre fait quatre-vingts pages à peine – avait été fraichement accueilli par la critique féministe. Elle reprochait à Annie Ernaux de décrire une femme soumise, dominée, esclave de ses sens, réduite à attendre passivement les visites de son amant. En un mot, une femme passionnée d’un homme qui se joue d’elle. Que l’auteure dresse au final un bilan positif de cette liaison, qu’elle estime qu’elle en était sortie grandie et meilleure semblait une preuve supplémentaire de son aveuglement.

Le livre faisait l’impasse sur les rencontres de l’auteure avec A., laissant au lecteur les imaginer sinon les fantasmer. Danielle Arbid filme sans fard leurs corps amoureux : le corps tatoué et musculeux d’Alexandre dont on comprend volontiers l’attraction qu’il exerce sur son amante, celui d’Hélène, blond, rond, lisse et nu (il serait de mauvaise grâce de lui reprocher d’être trop beau par rapport à celui dix ou vingt ans plus âgé, qu’on imaginait être celui de Annie Ernaux). Sa caméra, tout en douceur, baigne dans une lumière hivernale et évite les pièges du male gaze.

Passion simple réussit à la fois à être profondément sensuel et extrêmement cérébral. Profondément sensuel, il l’est grâce à ces scènes d’amour torrides sans jamais être graveleuses. Mais Passion simple ne se réduit pas à cette simple dimension. Comme son titre l’annonce, il s’agit de la description chimiquement pure d’une passion exclusive et oblative, de celles que Éluard décrivait : « j’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde » et de la sublimation de l’être aimé décrite par Stendhal et son analyse de la cristallisation amoureuse. Qu’elle soit vécue par une femme importe finalement peu – dévoilant l’inanité de la critique ultra-féministe : un homme l’éprouverait tout identiquement. L’histoire de cette passion-là reste à écrire… et à filmer.

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Tom Medina ★☆☆☆

Tom Medina est un jeune homme à l’énergie débordante. Il débarque en Camargue chez Ulysse pour y apprendre le métier de gardian. Au contact de la nature, malgré les visions qui le hantent, Tom cherche la paix qu’il n’avait jamais connue.

Tony Gatlif a soixante-dix ans bien sonnés. Il tourne des films depuis quarante ans, reconnaissables au premier coup d’oeil qui ont pour héros des parias au grand cœur. Fils de gitan, Gatlif a filmé les Roms, en France et dans le monde, au point de s’en faire le chantre voire l’ambassadeur. Romain Duris fut son acteur fétiche, qui tourna dans trois de ses films : Gadjo Dilo (son plus grand succès), Je suis né d’une cigogne et Exils. David Murgia, un jeune acteur belge venu du cirque, lui ressemble de façon étonnante.

Tony Gatlif vécut une enfance chaotique et connut les maisons de correction. Il fut sauvé par un éducateur qui lui transmit la passion des chevaux. Tom Medina porte cette trace autobiographique.

La Camargue dispute à son acteur principal la tête d’affiche. Tom Medina y est tourné de bout en bout, au bord du Vaccarès, sur les rives de la Méditerranée, dans les rues de Saintes-Maries-de-la-mer. Mais il refuse l’imagerie de carte postale couramment utilisée pour le peindre.

Comme beaucoup de films de Tony Gatlif, Tom Medina bouillonne de vie. Ses personnages débordent d’une énergie communicative et inspirent une empathie immédiate, son héros en premier lieu, mais aussi Ulysse, son père de substitution, que campe Slimane Gazi, un habitué des rôles de gangsters dans un rôle à contre-emploi, et Stella, la fille de celui-ci, interprétée par la chanteuse de brutal pop Karoline Rose Sun.

Pour autant, comme beaucoup de films de Tony Gatlif, Tom Medina pèche par son scénario brouillon. Une fois son héros installé dans le mas d’Ulysse, entre taureaux et moustiques, l’action fait du surplace, les caractères n’évoluent pas, l’ennui s’installe jusqu’au dénouement prévisible.

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