Sans feu ni lieu, Nélie Laborde (Lyna Khoudri) s’engage comme infirmière avec la Croix-Rouge en 1914. Sur le front, sa route croise celle de Rose Juillet (Maud Wyler), une Suissesse, en chemin vers Nancy où une place de lectrice l’attend auprès d’une riche veuve de la Haute Société protestante, liée à son défunt père. Un assaut allemand et un éclat d’obus qui blesse mortellement Rose conduit Nélie à prendre sa place et à se présenter chez Mme de Lengwil (Sabine Azéma) qui l’accueille à bras ouverts. Mais, coup du sort : Rose, qui n’est pas morte, arrive à Nancy en comptant bien reprendre sa place.
La Place d’un autre se présente comme un thriller avec pour thème une usurpation d’identité dont on se demande jusqu’à la dernière minute si elle sera ou non dévoilée : Mme de Lengwil, qui fait profession de donner sa confiance avec tant de parcimonie, finira-t-elle par ouvrir les yeux sur l’usurpation dont Nélie s’est rendue coupable ? donnera-t-elle enfin raison à Rose, qui clame sans succès sa bonne foi ? ou se laissera-t-elle aveugler par l’amour maternel qu’elle voue irrépressiblement à la jeune Nélie ?
La Place d’un autre joue avec beaucoup d’intelligence avec le spectateur. À qui en effet ira notre sympathie dans ce face-à-face ? À Nélie, la fausse Rose, qui est l’héroïne du film que nous suivons à chaque plan, dont la rage à sortir de son état de pauvresse nous a séduit, dont nous espérons qu’elle trouvera enfin sa « place » dans une société qui jusqu’alors la lui avait refusée ? Ou bien à la vraie Rose, victime d’une injustice criante dont le sort inique devrait nous révolter ?
La Place d’une autre est un film d’un grand classicisme. Il aurait pu être tourné, à l’identique, dans les années soixante-dix (avec Isabelle Adjani dans le rôle de Nélie et Edwige Feuillère dans celui de Mme de Lengwil). Il suit platement la chronologie du récit, avec quelques rebondissements que la bande-annonce hélas a par avance dévoilés. La diction affectée de ses personnages frôle l’affèterie et rappelle plus le dix-neuvième siècle (le roman de Wilkie Collins a été écrit en 1873) que le vingtième.
Pour autant, il serait injuste de reprocher à ce film de crouler sous son dispositif. Servi par le jeu de ses actrices impeccables, La Place d’un autre ne marquera peut-être pas l’histoire du cinéma mais se regarde sans déplaisir. Libération l’écrit mieux que moi : « On croit bâiller, et puis, la sécheresse de la mise en place, le tact avec lequel le drame psychologique s’immisce dans le sentimentalisme du mélo, l’indécision d’un basculement dans le thriller expriment finalement l’élégance plutôt adroite d’un film qui ne nous indiffère pas complètement. »