Une femme de notre temps ☆☆☆☆

La cinquantaine, Juliane Verbecke (Sophie Marceau) est commissaire de police à Paris. Durant ses loisirs, elle écrit des polars. Elle ne se remet pas de la mort accidentelle de sa sœur Lara, cinq ans plus tôt. Son chagrin est décuplé quand elle découvre l’infidélité de son mari (Johan Heldenbergh).

Tout est raté dans le dernier film de Jean-Pazul Civeyrac qu’on avait connu plus inspiré (Mes Provinciales). À commencer par ce titre prétentieux qui voudrait faire de cette femme trompée mais entière le symbole de son époque.

Sophie Marceau incarne le rôle-titre. On la reconnaît facilement sur l’affiche. Mais elle est méconnaissable dans la bande annonce, les traits tirés par les liftings ou les années qui passent. L’actrice-préférée-des-Français (l’est-elle encore ?) a le mérite de se faire rare sur les écrans. Ici elle fait la gueule pendant tout le film dans le rôle improbable d’une commissaire de police qui ne mène aucune enquête et d’une écrivaine qui n’écrit pas une ligne.

On comprend mal ce que le réalisateur a voulu lui faire jouer : la détresse de la femme trompée ? la détermination d’une Diane vengeresse ? la bifurcation d’une vie qui bascule ? Sophie Marceau a appris à tirer à l’arc pour les besoins du rôle. Les heures de coaching se voient à l’écran : on entend son professeur lui répéter « le coude levé ! » quand elle arme ses flèches.

Le scénario la met dans des situations aussi dénuées de crédibilité qu’embarrassantes. À commencer par celle, dans la garçonnière de son mari (qui donne sur la porte Saint-Denis), où elle assiste à ses ébats bruyants depuis la salle de bains. De façon récurrente, il recourt aux cauchemars et aux réveils en sursaut pour faire avancer l’action, une facilité qu’on pensait prohibée par le code de déontologie des scénaristes. Le ridicule culmine avec la scène finale dont on ne dira rien, mais que l’affiche laisse augurer (eh oui ! c’est ça ! vous avez bien compris !).

La bande-annonce

Novembre ★★★★

Après Bac Nord, qui avait divisé la critique, Cédric Jimenez s’attaque aux attentats du 13 novembre 2015. Sacrée gageure ! Que pouvait-il en dire qu’on n’en sache déjà, après en avoir vécu heure par heure à l’époque le déroulement, après avoir suivi le procès du V13, après avoir lu les chroniques si intelligentes d’Emmanuel Carrère dans L’Obs ? Comment créer du suspense sur une histoire dont on connaît par avance chacun des rebondissements et le dénouement ? Cédric Jimenez choisit de laisser de côté les attentats proprement dits et de se focaliser sur la traque par les services de police, tétanisés par la crainte d’une seconde vague, des terroristes qui ont survécu aux attaques.

Il a convoqué tout le ban et l’arrière-ban du cinéma français – au point de faire regretter que Jean Dujardin monopolise à lui seul l’affiche qu’il aurait pu/dû partager avec ses collègues. Jean Dujardin d’ailleurs, aussi excellent soit-il, a désormais un problème avec les rôles dits « sérieux » tant on l’a vu dans des parodies décocher des répliques désopilantes avec son sourire irrésistible. En gilet pare-balles, le flingue à la ceinture, il est sur tous les fronts à la SDAT à Levallois, sur le terrain, sautant dans un Falcon pour aller interroger le père d’un suspect au Maroc, au point de se demander s’il est doté du don d’ubiquité.
Sandrine Kiberlain joue le rôle de sa supérieure, la directrice centrale de la police judiciaire (une fonction qui à l’époque était exercée par une femme, Mireille Balestrazzi). On la suit trop peu et on aurait aimé la voir ferrailler avec ses homologues de la place Beauvau ou de l’Elysée pour savoir comment la crise avait été gérée au sommet de l’Etat.
C’est que le sujet du film se situe sur le terrain et non dans les antichambres, dans la traque policière et dans elle seulement. Elle est assurée par des policiers anonymes qu’interprètent Anaïs Demoustier, Jérémie Rénier, Sofian Khammès, Stéphane Bak… On ne saura rien d’eux, de leur passé, de leurs familles. On les suivra simplement dans la quête haletante qui les obnubile cinq jours de rang.

Il y a trois façons de critiquer Novembre.

La première (la thèse) est de lui reprocher de ne pas faire de politique, de traiter le V13 sur le mode du pur cinéma d’action, d’en négliger les causes et les conséquences, sans éviter certaines caricatures, comme l’opposition manichéenne entre les méchants terroristes et les bons flics.

La deuxième (l’antithèse) est au contraire de faire de la politique sans en avoir l’air, de flirter avec les thèses de l’extrême-droite, comme on en avait déjà fait le procès à Bac Nord, en renvoyant l’image d’une France menacée par le terrorisme et par l’islamisme, un danger contre lequel seul l’engagement sacrificiel de nos forces de police pourrait nous protéger.

La troisième (la synthèse) est de prendre Novembre pour ce qu’il est : un film incroyablement efficace racontant une traque policière, avec ses fausses pistes (ce trafiquant de shit pris pour un terroriste, cet infiltré malencontreusement placé en garde à vue…) et ses brutales accélérations. Cédric Jimenez sait y faire pour raconter une histoire passablement embrouillée mais d’une parfaite lisibilité. Ses personnages sont exempts du manichéisme qu’on pourrait leur reprocher : quand Anaïs Demoustier se lance dans une audacieuse course poursuite en scooter dans les rues de Paris, elle se fait vite recadrer par Jean Dujardin qui lui reproche une procédure hors des clous. Idem pour Jean Dujardin lui-même qui perd sa maîtrise face à un fondamentaliste narquois.

Novembre nous prend aux tripes et nous cloue à notre fauteuil de la première à la dernière minute. On regrette presque qu’il ne prenne pas plus son temps et ne dure pas une demi-heure de plus. C’est, de mon point de vue, l’un des meilleurs films de l’année.

La bande-annonce