Miss Marx ★☆☆☆

Eleanor Marx (Romola Garai) était la fille cadette de Karl Marx. Elle a vingt-huit ans à peine à la mort de son père, quand elle rencontre Edward Aveling (Patrick Kennedy), un panier percé, coureur de jupons, avec qui elle vivra une longue et tumultueuse passion. Elle aura à cœur de transmettre l’oeuvre de son père et de faire l’avocate avant l’heure du droit des femmes.

Le marxisme, largement dévoyé par l’application qui en a été faite dans l’URSS stalinienne et dans la Chine maoïste, continue d’inspirer quelques esprits qu’on jugera progressistes ou aveugles, selon le bord où on se situe. La personnalité de Karl Marx continue à fasciner. Raoul Peck, cinéaste et militant, ancien ministre de la culture de Haïti, s’était intéressé à la naissance de son inspiration en brossant, à rebours de l’image engoncée qu’il a laissée dans les livres d’histoire, le portrait d’un jeune homme plein de fougue (Le Jeune Karl Marx, 2016). La réalisatrice italienne Susanna Nicchiarelli, qui avait consacré son premier film à Nico, la chanteuse du Velvet Underground, fait le pari curieux de se focaliser sur la dernière fille de l’idéologue allemand. Son film sur Nico avait pour accroche : « La femme derrière l’icône », nous promettant de percer l’intimité de la muse d’Andy Warhol. Miss Marx pourrait avoir le même : la femme – Eleanor Marx – derrière l’icone – Karl son père.

Le programme était alléchant et la bande annonce m’avait mis l’eau à la bouche. Le résultat est hélas décevant. Mis à part une BOF décalée, mêlant des titres originaux du groupe punk Downtown Boys avec des classiques de Chopin ou de Liszt bizarrement réarrangés, Miss Marx est d’un classicisme éhonté. Même si l’excellente Romola Garai lui insuffle une sacrée énergie, la personnalité d’Eleanor Marx peine à susciter l’empathie. Des plans languissants la montrent entourée de quelques intellectuels marxistes qui, grâce à la générosité du riche Engels, théorisent le sort du lumpenprolétariat en fumant le cigare. On applaudit certes à ses discours féministes avant-gardistes, à son dévouement pour l’interdiction du travail des enfants – qui sera bientôt proscrit, preuve du machiavélisme des odieux capitalistes ou de leur humanité ? Mais on ne réussit pas à se passionner pour ses déboires conjugaux auprès d’un mari veule et hypocrite.

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Babysitter ☆☆☆☆

Jeune père de famille, Cédric (Patrick Hivon), la quarantaine, est mis à pied par son employeur pour un geste déplacé qu’il a eu à la sortie d’un match de MMA en compagnie de ses camarades sévèrement alcoolisés, immortalisé par les réseaux sociaux. Son frère Jean-Michel (Steve Laplante), éditorialiste bien-pensant d’un journal à grand tirage, lui recommande de s’en excuser publiquement. Cédric s’attelle à la rédaction d’une lettre, qui deviendra bientôt un livre.
Sa femme (Mona Chokri), en pleine dépression post partum  reprend le travail avant le terme de son congé maternité. Cédric, incapable de s’occuper seul de son bébé, recrute alors une babysitter (Nadia Tereszkiewicz).

Monia Chokri, réalisatrice tuniso-québecoise, s’était fait connaître par son premier film, La Femme de mon frère, une comédie célibattante dont elle tenait déjà le premier rôle. J’avais trouvé bien des qualités à ce film ; je lui avais trouvé aussi un défaut : entretenir une constante hystérie, souvent hilarante, mais à la longue épuisante.

C’est exactement ce même défaut que j’adresserai à ce Babysitter, bien mal nommé, car le personnage de la babysitter y tient un rôle somme toute secondaire. Chaque scène y est construite, filmée, cadrée avec un excès de sophistication qui en rend l’enchaînement éreintant.
L’autre problème est que ce formalisme particulièrement élaboré n’est au service de rien ou de pas grand chose. Après la première demi-heure, le scénario fait du surplace. On passe la dernière heure du film à s’ennuyer devant une histoire qui n’avance pas et dont le sujet même – le féminisme post #MeToo – nous interdit de nous réjouir publiquement d’une de ses rares qualités : les appâts gironds de Nadia Tereszkiewicz.

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Employé/Patron ★★☆☆

Rodrigo (Nahuel Perez Biscayart) est un jeune père de famille qui dirige aux côtés de son père une exploitation agricole. Pour conduire ses tracteurs, il recrute Carlos (Cristian Borges), un jeune gaucho de dix-huit ans à peine, passionné d’équitation, qui lui aussi vient d’avoir un bébé. Une tragédie va bientôt les déchirer.

Employé/Patron a d’abord une vertu : nous faire voyager dans un no man’s land terriblement exotique, aux confins de l’Uruguay et du Brésil, une riche terre agricole, plate comme la main, équitablement habitée par les hommes et les chevaux.

Mais il en a une autre, plus centrale : celle d’analyser la relation transclassiste d’un patron et de son employé. Le thème est cher au cinéma d’Amérique latine où la relation entre les employés de maison et leurs patrons a donné lieu déjà à plusieurs films remarquables : le chilien La Nana (2009), l’argentin La Fiancée du désert (2017), les brésiliens Les Bonnes Manières (2018) et Trois Étés (2018). Il y a là manifestement un enjeu très fort dans ses sociétés là, qui est peut-être moins pregnant dans nos sociétés où la domesticité a quasiment disparu, mais qui n’en est pas moins pour autant universel.

Rodrigo et Carlos ont presque le même âge. Ils viennent tous les deux d’avoir un enfant. Cela suffira-t-il à les rapprocher ? Ou la différence de classe restera-t-elle entre eux un fossé infranchissable ?

On aurait aimé que ces questions soient plus fouillées. Malheureusement, la caméra de Manuel Nieto Zas s’en désintéresse. Elle est happée dans le dernier tiers du film par un autre sujet, quasi-documentaire : un raid hippique qui oppose dans la pampa uruguayenne les meilleurs gauchos et les chevaux les plus résistants dans un galop de plus de cent kilomètres.
Ce documentaire n’est pas sans exotisme pour un spectateur européen, jusqu’à sa conclusion, fatale et prévisible. Mais il a le tort de nous éloigner de ce qui aurait dû rester le seul sujet du film.

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Vortex ★★★☆

Lui (Dario Argento, le pape du giallo italien qu’on avait plus souvent vu derrière la caméra que devant) a quatre-vingt ans et a été victime trois ans plus tôt d’un accident vasculaire qui menace de se répéter ; mais il garde sinon le pied ferme et la tête claire. Elle (Françoise Lebrun, l’égérie de Jean Eustache), ancienne psychiatre, a deux ans de moins que son époux mais est frappée d’un Alzheimer qui ne veut pas dire son nom. Ce couple habite un appartement labyrinthique du vingtième arrondissement parisien. Leur fils (Alex Lutz), un ancien toxicomane qui essaie tant bien que mal de décrocher, ne peut qu’assister impuissant à leur lente déchéance.

Gaspar Noé est un réalisateur qui ne laisse pas indifférent. On aime ou on déteste son cinéma coup de poing, volontiers provocateur, parfois un peu gratuit. Qui a vu Irréversible , la description brutale d’un viol en treize plans antichronologiques, s’en souvient à jamais. Enter the Void, Love ou Climax ne sont pas loin d’avoir eu sur moi le même impact. Critiquant Love, j’écrivais il y a cinq ans : « (…) il y a dans le cinéma de Gaspar Noé, qu’on l’aime ou pas, un dynamisme, une urgence, une ambition qui forcent l’admiration. Loin des « petits » films français pleins d’une ironie souriante, sitôt vus sitôt oubliés, Gaspar Noé ose traiter des sujets ambitieux. Tant pis s’il s’y fracasse. » Je pourrais au mot près dire la même chose de ce Vortex.

De quoi s’agit-il ? Du même sujet que celui traité avec la maestria que l’on sait par Michael Haneke il y a dix ans dans Amour : un couple aimant, au crépuscule de sa vie, dont l’épouse lentement perd la tête face à son mari impuissant. Cette histoire a déjà été racontée dans un film couvert de prix : palme d’or à Cannes, cinq Césars, dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur acteur, de la meilleure actrice, et l’Oscar du meilleur film étranger. Qu’y ajouter ? L’ombre portée d’Amour pèsera toujours sur Vortex et l’éclipsera à jamais.

Gaspar Noé, qui est un petit malin avide d’innovations formelles, utilise un procédé original pour filmer son histoire : le split screen. On voit deux images à l’écran filmées par deux séries de caméras : l’une s’attache à lui, l’autre à elle. Quelle est l’utilité de ce procédé, sinon celle de pouvoir afficher une originalité à tout prix ? Montre-t-il que ces deux vieillards évoluent dans deux univers séparés que rien ne réunira jamais plus ? Ce n’est guère évident, sachant qu’ils passent leurs journées ensemble à se croiser et à se recroiser.

Vortex dure deux heures et vingt deux minutes. C’est beaucoup. C’est trop. Au bout de quelques minutes, à suivre l’héroïne dans ses errances dont on comprend vite qu’aucune logique ne les guide plus sinon le chaos d’un cerveau déréglé, on se dit que le film sera long. Très long. Trop long. Quelques rebondissements viennent le relancer au bout d’une heure, notamment l’irruption de leur fils – au risque, dans deux séquences où on le voit loin de l’appartement parental, de nous faire perdre de vue ce qui aurait dû rester le seul lieu et le seul sujet du film. Mais Vortex n’en reste pas moins exténuant. Au point de se demander si Gaspar Noé n’a pas voulu avec sadisme épuiser notre patience. Tout comme il ne veut rien nous épargner avec tous ses détails scabreux d’une issue que l’on sait par avance fatale à son récit.

Arrivé à ce point de ma critique, je devrais logiquement la solder par une note assassine. Pourquoi trois étoiles alors à ce film dont je viens de dire qu’il plagiait le chef d’oeuvre de Haneke, que son split screen était m’as-tu-vu, que sa durée était exténuante ? Parce que, malgré tous ses défauts, Vortex et le cinéma de Gaspar Noé demeurent envers et contre tout un cinéma cent fois plus exigeant, dérangeant, novateur que le tout-venant dont Canal Plus – qui l’a produit – nous abreuve à longueur de semaines.

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Et j’aime à la fureur ★★★☆

Qu’on l’ait aimé ou pas, on se souvient tous de C’est arrivé près de chez nous, cet Ovni cinématographique transgressif en noir et blanc, débarqué de Belgique en 1992 avec son humour trash en bandoulière. Son héros, Benoît Poelvoorde, a eu depuis la carrière que l’on sait. Ses deux co-réalisateurs en revanche ont disparu de la circulation. L’un d’eux Rémy Belvaux (le frère cadet de Lucas Belvaux) s’est suicidé à trente-neuf ans en se jetant sous un train après une brillante carrière dans la publicité. L’autre, André Bonzel, n’avait pas donné signe de vie avant ce documentaire autobiographique qu’il signe la soixantaine déjà entamée.

Et j’aime à la fureur (dont le titre si poétique est emprunté à Baudelaire) est monté à partir des bobines de films que André Bonzel a collectionnées toute sa vie durant et de celles qu’il a lui-même filmées. Dans un joyeux désordre on y découvre des pans de la vie de ces ancêtres, notamment d’une branche très nantie de sa famille, enrichie par les brevets industriels d’un aïeul imaginatif. On y découvre aussi des images du jeune André qui, dans les années 60 et 70, passait ses vacances sur la Côte d’Opale. Sevré d’amour paternel, le jeune homme s’est trouvé un père de substitution chez un oncle médecin, passionné de cinéma qui lui fit découvrir Chaplin et Keaton. Très tôt, il s’est mis à filmer en Super 8 ses copines. Leurs images ressurgissent, près de cinquante ans plus tard, nimbées d’une aura érotique que les commentaires du réalisateur expliquent avec gouaille.

Et j’aime à la fureur ne dessine pas le portrait d’un jeune homme des Trente Glorieuses. Il n’a aucune portée sociologique et ne nous dit rien, ou pas grand chose, sur son époque contrairement au Retour à Reims sorti il y a quelques semaines. Ce documentaire au nombrilisme revendiqué n’en est pas pour autant dénué d’intérêt.
J’ai trouvé très juste et extrêmement touchant le regard qu’André Bonzel porte sur sa vie. Une vie ratée après un premier film tourné à trente ans à peine et vite porté aux nues. Un premier succès qui ne débouchera sur aucun autre, sinon des projets avortés faute de financement ou des refus de réaliser les films qu’on lui proposait. Ces échecs successifs en auraient rendu amer plus d’un. André Bonzel ne l’est pas. Il considère avoir réussi sa vie grâce à la femme qu’il rencontra en 1987 à Prague qui devint son épouse et la mère de ses trois enfants.

Et j’aime à la fureur a profondément résonné en moi. J’ai parfois – qui ne l’a pas ? – l’impression d’avoir raté ma vie, d’être passé à côté de ce que je rêvais qu’elle devienne, quand j’avais vingt ans et que l’ambition m’étouffait. Mais comme André Bonzel, j’ai eu la chance providentielle de rencontrer une personne qui l’a ensoleillée et lui a donné le sens, la beauté et la richesse que, sans elle, je n’aurais jamais eu la chance de connaître. Merci la vie….

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La Ruse ★★☆☆

En 1943, les Alliés, après avoir envahi l’Afrique du Nord, s’apprêtent à mettre pied en Europe et à débarquer en Sicile. Mais l’opération amphibie s’avère délicate et la résistance des forces italiennes et allemandes féroce. Pour la faciliter, le MI5 va essayer de convaincre le renseignement allemand que le débarquement aura lieu en Grèce et non en Italie. L’opération Mincemeat fut menée à bien par une unité du MI5 dirigée par le commandant Montaigu (Colin Firth) et le lieutenant Cholmondeley (Matthew Macfayden).

La Ruse (sortie au Royaume-Uni sous le titre Operation Mincemeat dont on se demande pourquoi il n’a pas été conservé à l’identique) raconte avec un soin scrupuleux l’une des opérations de désinformation les plus audacieuses menées par l’espionnage britannique. Le réalisateur John Madden (Shakespeare in Love, Indian Palace) a pris soin de respecter la vérité historique. Il reconstitue les bureaux du MI5, dans un sous-sol poussiéreux de l’Amirauté, près de Downing Street, ainsi qu’en quelques plans extérieurs un Londres plongé dans l’obscurité par le Blitz où les rares passants se déplaçaient avec des lampes-tempête faute d’éclairage public.

Tout est authentique dans La Ruse, sinon peut-être la romance platonique qui se noue entre le commandant Montaigu et une jeune veuve séduisante de son équipe. Ce rôle est interprété par Kelly Macdonald, une actrice écossaise révélée par Trainspotting et qui fut notamment l’héroïne d’une mini-série que j’avais binge-watchée dans les années 2000, State of Play. Le plaisir concupiscent que j’ai pris à la revoir et qui m’a ôté toute subjectivité explique pour beaucoup mon indulgence pour ce film historique que la critique a trouvé exagérément classique et qui, aux Etats-Unis, a été diffusé par Netflix sans trouver le chemin des salles.

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En même temps ★★☆☆

Après une soirée bien arrosée lors de laquelle le premier (Jonathan Cohen), élu macroniste cynique, était censé arracher l’accord du second (Vincent Macaigne), écologiste bon teint, pour la construction d’un parc de loisirs à l’emplacement d’une forêt centenaire, deux maires de province se retrouvent suite à l’action d’un commando féministe collés l’un à l’autre. Comment se sortiront-ils de cette situation embarrassante ?

Le dixième film du tandem Kervern-Délépine est sorti sur les écrans quatre jours avant le premier tour de la présidentielle. Une échéance qui décidément a aimanté la production cinématographique dont on a vu plusieurs films de plusieurs genres sortir autour de cette date (Les Promesses, La Campagne de France, Le Monde d’hier…). En même temps emprunte à la comédie sinon à la parodie. Le projet était séduisant et la présence derrière la caméra de ce duo de réalisateurs, parmi les plus incisifs que le cinéma français connaisse, dont les précédents films (Effacer l’historique, I Feel Good, Saint-Amour…), grâce à un cocktail unique d’humour absurde et de poésie misérabiliste, avaient réussi à merveille à croquer la « France d’en bas », mettait l’eau à la bouche.

Les critiques pourtant faisaient grise mine et le public n’a pas suivi. En même temps a fait un bide et n’était plus à l’affiche, quatre semaines après sa sortie, que dans quelques rares salles parisiennes. cela ne m’a pas empêché d’aller l’y voir et de m’y amuser.

Même si son scénario est un peu faiblard qui, une fois les deux héros collés l’un à l’autre (après une scène hilarante que je vous laisse découvrir), se borne à leur faire enchaîner une succession de rencontres improbables (avec un vétérinaire, une naturopathe, des policiers étonnamment gauchistes, etc.), les situations sont drôles et les gags fonctionnent. J’ai souvent souri, j’ai parfois ri et, cul-serré comme je suis, c’est suffisamment rare pour ne pas être salué !

Car En même temps fait mouche en se moquant gentiment du macronisme (Jonathan Cohen caricature avec férocité ces petits maires clientélistes qui naviguent à vue entre l’extrême droite et l’extrême centre), de l’écologisme (Vincent Macaigne a la lourde responsabilité d’incarner une écologie obligée de se frotter au réel – sa voiture électrique tombe en panne, sa secrétaire de mairie aimerait payer son plein d’essence avec sa « prime vélo »…) et du féminisme (India Hair joue avec sa folle énergie une féministe radicale qui a bien du mal avec l’écriture inclusive).

Aux côtés de ce trio d’acteurs ont été invités pour des caméos plus ou moins brefs, une brochette de seconds rôles attachants : Yolande Moreau, Laetitia Dosch, François Damiens, Anna Mouglalis (dont la voix grave suffit à m’envoûter aussi courte que soit sa scène).

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Retour à Reims (fragments) ★★☆☆

Le documentariste Jean-Gabriel Périot (Une jeunesse allemande, Nos défaites) adapte l’essai autobiographique de Didier Eribon, publié en 2009, encensé par la critique et par la presse.

Retour à Reims comportait trois livres en un.
Le premier avait l’auteur pour héros et racontait, à l’occasion, de son retour dans sa ville natale, son parcours de transfuge de classe, comme Annie Ernaux l’avait fait avant lui et selon un modèle que Edouard Louis reproduirait quelques années plus tard jusqu’à l’épuiser.
Le deuxième était une chronique familiale, un essai de microhistoire écrit à partir de la biographie de ses parents, une femme de ménage sevrée de l’éducation qu’elle n’a pas reçue et un ouvrier communiste.
Le troisième, plus ample, était la tentative, à travers le parcours de vie des parents de Didier Eribon et de leurs choix politiques, du Parti communiste au Front national, de raconter l’histoire de la classe ouvrière française de la seconde moitié du vingtième siècle.

C’est cette troisième dimension et elle seule que retient Jean-Gabriel Périot, qui a la prudence d’avoir ajouté au titre le mot « fragments » pour s’autoriser cette infidélité à l’original.
Du parcours de Didier Eribon, transfuge de classe, provincial monté à Paris, faisant son coming out, journaliste à Libération puis au Nouvel Observateur, biographe de Michel Foucault, on ne verra rien. Et c’est bien dommage.
Du parcours de vie de ses parents, on ne verra rien non plus faute de documents visuels pour l’illustrer.
En revanche, grâce à un remarquable travail d’archives, la voix d’Adèle Haenel nous raconte ce que les vies misérables de ce manoeuvre et de cette femme de ménage ont à nous dire de l’histoire ouvrière et sociale du vingtième siècle.

On est loin des Trente Glorieuses, de la croissance débridée, de Mai 68 et de la construction européenne. Vu de Reims, la vie était bien grise, comme ces images qui semblent définitivement figées dans un noir et blanc intemporel. On touche du doigt en les regardant la détresse sociale du lumpenprolétariat de ces temps-là. Si on était plus positif -ce que Retour à Reims n’est guère – on se féliciterait des progrès enregistrés depuis cinquante ans, dans l’accès à l’éducation par exemple qui à l’époque était l’apanage de la bourgeoisie et des classes supérieures, les fils et filles d’ouvriers et d’agriculteurs étant jetés sur le marché du travail dès leurs quatorze ans.

Retour à Reims ne verse pas dans une nostalgie mielleuse. Didier Eribon n’est pas tendre avec ses parents et notamment avec son père dont il pointe le sexisme. C’est d’ailleurs la misogynie beauf de cette époque qui est la plus criante dans les bouts d’archives que l’on voit. Là encore, on peut légitimement s’en émouvoir et s’en scandaliser ; on peut aussi se féliciter que de tels propos, de telles attitudes ne soient plus imaginables de nos jours.

Didier Eribon dénonce le racisme de ses parents lorsqu’arrivent les premiers immigrés et leur ralliement honteux (et tu), dans les 80ies après la déception du mitterrandisme, au vote d’extrême-droite. il en fait une analyse très juste : leur haine des immigrés, leur racisme était dit-il une façon pour eux, en rabaissant plus petit et plus pauvre que soi, de se hisser dans l’échelle sociale et d’y trouver une position de domination qui ne leur avait jamais été reconnue jusque là.

Tourné en 2019, le documentaire s’autorise dans son épilogue une mention hasardeuse aux luttes contemporaines : les Marches pour le climat, les Gilets jaunes… Il lance à la gauche anticapitaliste un appel à l’union. Un appel d’une particulière actualité à la date de sa sortie (30 mars 2022) et encore aujourd’hui à la veille des législatives qui verront – ou pas – cette gauche unie – ou pas – tenir la dragée haute à l’extrême droite et à LREM.

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My Favorite War ★★★☆

My Favorite war est un film d’animation autobiographique qui raconte l’enfance et l’adolescence de sa réalisatrice, Ilze Burkovska-Jacobsen, qui est née et a grandi en Lettonie derrière le rideau de fer.

Comme tous les enfants du même âge, elle a été endoctrinée par le régime soviétique et obligée de communier dans la mémoire de la Seconde guerre mondiale, sa « guerre favorite », durant laquelle l’Armée rouge, apprend-elle, s’est vaillamment sacrifiée face à l’envahisseur nazi. La jeune Ilze découvre peu à peu une vérité moins manichéenne, notamment dans le « réduit de Courlande » où les forces allemandes et soviétiques ont manifesté une barbarie aussi sauvages l’une que l’autre, au détriment des civils lettons, jusqu’à l’armistice de 1945.

Ilze doit supporter le joug soviétique. Il lui faut déjouer la vigilance des militaires pour aller avec ses parents jusqu’à la mer, pourtant située à quelques kilomètres à peine, qui était interdite d’accès aux Lettons de peur qu’ils prennent le large. Elle doit supporter la pénurie et les longues files d’attente devant les magasins d’alimentation. Son grand-père, un peintre enthousiaste, disparaît mystérieusement : Ilze apprend qu’il a été déporté en Sibérie. On lui apprend à se taire, à cacher ses opinions, à mentir (on pense au formidable travail d’histoire orale de Orlando Figes sur les Russes sous Staline intitulé de façon éclairante Les Chuchoteurs).
Manque peut-être dans ce film stupidement anglophone une dimension pourtant centrale dans la vie des Lettons durant l’occupation : la pratique clandestine de la langue lettone, en violation des consignes soviétiques, et son utilisation comme un marqueur politique.

La réalisatrice raconte comment, alors qu’elle achevait son adolescence, la Lettonie s’est libérée du joug de l’occupant. Des images d’archives montrent l’espoir de libéralisation qu’a fait naître Gorbatchev et l’incroyable chaîne humaine qui s’est constituée en août 1989 à travers les trois Etats baltes, prémisses de l’indépendance proclamée un an plus tard après le putsch conservateur qui avait failli le renverser.

Bien sûr, My favorite War intéressera au premier chef les spectateurs intéressés par la Lettonie, par les Pays baltes et par toutes les ex-Républiques soviétiques dont les habitants ont grandi sous occupation étrangère avant de recouvrer leur indépendance. Mais ce film d’animation dont l’alternance de prises réelles et de dessins rappelle la construction si novatrice de Valse avec Bachir touche à l’universel en montrant l’éveil de la conscience politique d’une jeune femme et son émancipation.

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L’Horizon ★☆☆☆

Adja va sur ses dix-huit ans. Elle suit, sans passion des études de puéricultrice et effectue un stage dans un EHPAD. Son frère aîné est une vedette de football dont une blessure va bientôt hypothéquer l’avenir. Sa meilleure amie ne vit que par les réseaux sociaux où elle a une petite notoriété.
Adja a le béguin pour Arthur, un ami de classe qui, avec une bande de militants, occupe une ZAD constituée sur les terres de son père, un agriculteur bio menacé d’expropriation.
Adja considère d’abord avec méfiance l’engagement d’Arthur ; mais elle va bientôt le rejoindre dans son combat.

L’Horizon est un film qui entrelace deux thématiques. D’une part, celle bien connue du « film de banlieue » avec pour héros, ses immigrés de deuxième génération qui cherchent leur place  dans une France pas toujours hospitalière (Les Misérables, Shéhérazade, Divines, Tout ce qui brille….) ; d’autre part, celle plus originale, même si elle est vouée à un bel avenir (on pense à l’hilarant Problemos, à l’ambigu Autonomes ou à l’inquiétant Le Grand Jeu), du film social sur la défense de l’environnement.

La mayonnaise pourrait prendre : ouvrir les banlieues bétonnées aux campagnes verdoyantes qui les entourent, les filmer selon des lignes d’horizon différentes de celles qu’on a l’habitude de voir est un pari stimulant. Hélas ici elle ne prend pas. La faute à des acteurs sans doute charmants, mais mal dirigés dont les scènes ont parfois le ridicule empesé des pires télénovelas mexicaines. La faute aussi à un scénario faiblard qui certes ne nous fait pas mourir d’ennui mais qui, pour autant, peine à susciter l’intérêt d’un film qui dure pourtant à peine quatre-vingt quatre minutes.

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