La Conspiration du Caire ★★☆☆

Adam est le fils d’un pêcheur pauvre. Repéré par l’imam de son village pour son intelligence et sa foi, il reçoit une bourse qui lui permet d’aller étudier à la prestigieuse université Al Azhar, le phare de l’Islam sunnite. La mort de son Grand Imam y provoque une guerre de succession. Les autorités civiles veulent à toute force favoriser leur poulain. La Sûreté de l’Etat va recruter Adam pour parvenir à ses fins.

Le réalisateur Tarik Saleh, né en 1972 à Stockholm d’un père égyptien, qui avait fui le régime de Nasser, et d’une mère suédoise, s’était fait connaître du grand public en signant en 2017 Le Caire Confidentiel, un film noir qui ne m’avait qu’à moitié convaincu. Très critique à l’égard des autorités égyptiennes dont il stigmatisait la corruption, il avait dû tourner son film au Maroc. C’est dans le sublime écrin de la mosquée Süleymaniye à Istanbul qu’il a dû tourner son film suivant qui égratigne lui aussi l’Egypte du Prophète et du Pharaon (pour reprendre le titre du livre de Gilles Kepel), son autoritarisme, ses coups tordus.

La Conspiration du Caire (un titre beaucoup plus alléchant que le titre original anglais Boy from Heaven) est un vrai film d’espionnage. Son principal attrait est son exotisme. Il nous transporte dans un pays et dans un lieu qui ont été rarement filmés, mais où les enjeux de pouvoir sont régis par les mêmes règles que celles qu’on retrouve partout.

La Conspiration du Caire compte son lot de renversements de situation. Mais il souffre toutefois d’un scénario pas toujours crédible, dont on s’étonne qu’il se soit vu décerner le prix du Festival de Cannes 2022 (sans doute pour le consoler de ne pas en avoir reçu de plus prestigieux). En particulier, personne autour de moi n’a compris le face-à-face final, en prison. J’en appelle aux esprits plus aiguisés pour nous éclairer sur sa signification (la réponse suppose-t-elle de connaître les circonstances précises de la mort du Prophète et les propos tenus autour de sa dépouille par Omar et par Abu Bakr ?)

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Les Aventures de Gigi la Loi ☆☆☆☆

« Gigi la legge », c’est le surnom affectueux que le jeune réalisateur Alessandro Comodon a donné à son oncle, un policier municipal d’une petite ville de Vénétie, dans le nord de l’Italie. C’est aussi le nom du film qu’il lui consacre. Sans voix off, sans indication chronologique, sans précision sur la nature des fonctions qu’exerce ce moderne garde-champêtre, ce drôle de film oscille entre le documentaire et la fiction.

La première scène de ces Aventures est statique. Elle met aux prises Gigi avec un voisin invisible qui lui reproche le manque d’entretien de son jardin, transformé en jungle impénétrable. La deuxième est tout aussi longue. Elle est filmée depuis l’intérieur du véhicule de service du policier en maraude : il s’arrête à un passage à niveau où un cycliste lui indique qu’un cadavre gît sur la voie ferrée. De ce cadavre, on ne verra rien. Et on n’en saura pas plus. Mais la recherche des causes de cette mort constituera le fil narratif du film… si tant est que ces Aventures en possèdent un.

On apprend bientôt que l’affaire a été classée sans savoir combien de temps s’est écoulé depuis la découverte des restes humains sur la voie. Mais elle n’en continue pas moins à tournebouler Gigi qui s’est mis en tête que Tomaso, le cycliste et le premier témoin, y avait peut-être une part de responsabilité. On le verra sillonner la ville au volant de son véhicule de police, accompagné d’un co-équipier ou d’une co-équipière. La CB le relie à une jeune opératrice, Paola, avec qui Gigi flirte effrontément. Ses rondes le ramènent obsessionnellement sur la piste de Tomaso.

Les Aventures de Gigi la Loi est-il un polar qui ne dit pas son nom ? C’est la seule question qui retient la spectateur de ne pas sombrer dans la léthargie que fait naître la répétition monotone des mêmes plans séquences, filmés de l’intérieur de la voiture. Mais lorsqu’après une vaine attente, le scénario se désintéresse de son sujet, laissant sans élucidation cette disparition, et va s’égarer dans le jardin touffu de Gigi, on se sent dupé.
« Comique et poétique » affirme l’affiche qui a le culot d’invoquer les mânes de monsieur Hulot. Je dirais plutôt : « pas drôle et monotone ».

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Bowling Saturne ★☆☆☆

À la mort de son père, un homme autoritaire, passionné de chasse au gros gibier, Guillaume (Arieh Worthalter), un inspecteur de police, décide de céder la gérance du bowling dont il a hérité à Armand (Achille Reggiani), son demi-frère qui exerçait jusqu’alors un emploi de vigile dans une boîte de nuit. Guillaume enquête sur une série de crimes commis sur des jeunes femmes dont les corps violentés sont retrouvés dans le cimetière où son père a été enterré.

Sélectionné à Locarno, Bowling Saturne est un film dérangeant interdit aux moins de seize ans qui montre frontalement une violence sombre, animale, d’autant plus inquiétante et menaçante que le film postule qu’elle est tapie au fond de chacun d’entre nous et peut surgir à tout moment. Il est l’oeuvre de Patricia Mazuy, une cinéaste confirmée dont les précédentes réalisations (Saint-Cyr, Sport de filles, Paul Sanchez est revenu !) ne laissaient en rien augurer un tel changement de pied.

Son sujet, qui louche vers la tragédie grecque en mettant en scène deux frères ennemis, ses partis pris esthétiques, avec ses filtres rouges et ses décors hyper-signifiants à l’extrême opposé du naturalisme (l’entrée du bowling filmée comme une bouche de l’enfer, l’appartement du père, véritable grotte cauchemardesque) et surtout sa thèse transgressive étaient tous très inspirants. Bowling Saturne nous livre vers sa vingtième minute sa scène la plus impressionnante, qui révèle l’identité du meurtrier que Guillaume poursuit et qui atteint l’acmé de la violence.

Mais hélas, Bowling Saturne, malgré ce programme hypnotisant, déçoit plus qu’il ne convainc. Ce n’est pas tant sa violence qui révulse que, finalement, son manque d’originalité. Le film pâtit d’un scénario lourdement prévisible et d’un manque désespérant de rythme ; il s’étire sur près de deux heures ; il est desservi par son interprétation calamiteuse : le refus de faire jouer tout visage connu – sinon peut-être celui de Arieh Worthalter – ne se serait justifié qu’à condition de confier ces rôles à des acteurs autrement solides et dirigés. Dommage…

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Reprise en main ★☆☆☆

Cédric (Pierre Deladonchamps) est décolleteur, un métier de haute précision exercé depuis des générations par les paysans de la vallée de l’Arve. La PME qui l’emploie est sur le point de se faire racheter par un fonds de pension britannique. Son rachat se fera au détriment de l’appareil industriel et de l’emploi. Aussi Cédric décide-t-il, avec deux amis, avec la complicité d’Alice (Laetitia Dosch), la directrice financière qui l’informe en sous-main des progrès de la négociation, et avec les conseils de Frédéric, un Golden Boy genevois rencontré sur le Bargy, de créer son propre fonds d’investissement et de racheter sa boîte.

Fils d’ouvrier cégétiste, fidèle à son terroir haut-savoyard où il revient toujours, Gilles Perret est un cinéaste engagé. Son tout premier documentaire, sorti en 2006, avait déjà pour cadre la vallée de l’Arve, pour sujet la résistance à la mondialisation d’une usine de décolletage et pour héros le patron d’une PME atypique. Les suivants s’attachaient, à hauteur d’hommes, à incarner les grandes valeurs de la Gauche combattante : Walter, retour en résistance (2009), De mémoires d’ouvriers (2012), Les Jours heureux (2013), La Sociale (2016). En 2018, L’Insoumis accompagne Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle. En 2019 et 2021, Gilles Perret et le député de La France insoumise François Rufin co-réalisent deux documentaires euphorisants : J’veux du soleil et Debout les femmes !

Reprise en main signe son passage à la fiction. Pour ce faire, il est resté dans le biotope qu’il connaît bien et y a attiré la fine fleur du jeune cinéma français : Pierre Deladonchamps (qui donne l’impression d’avoir été décolleteur toute sa vie), Laëtitia Bosch (qui interprète une transfuge de classe prise de remords), Grégory Montel (attendrissant en amoureux transi et en banquier loser), Finnegan Oldfield, etc.

Pour autant, l’essai n’est pas transformé. La faute à un scénario qui multiplie les invraisemblances. La faute surtout à un manichéisme et à un trop-plein de bons sentiments qui, à la longue, exaspère. Les vaillants ouvriers qui se battent contre la « casse sociale » et la défense des savoir-faire et de l’outil de production  sont vraiment très très gentils. Les banquiers genevois et le directeur cynique et méprisant sont vraiment très très méchants.

Le sujet avait déjà été souvent traité au cinéma. Par Laurent Cantet (Ressources humaines, 2000), par Pierre Jolivet (La Très Très Grande Entreprise, 2008), par Stéphane Brizé (En guerre, 2018). Avec autrement plus de subtilité et de talent. N’est pas Ken Loach qui veut….

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Hallelujah, les mots de Leonard Cohen ★★☆☆

Le sous-titre de ce documentaire Hallelujah: Leonard Cohen, A Journey, A Song aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Il y sera autant question de la chanson iconique de Leonard Cohen que de la vie et de l’oeuvre de ce poète canadien né en 1934 venu à la musique sur le tard et mort en 2016 après une longue carrière.

On pourrait, si l’on était difficile, lui en faire le reproche et l’accuser de ne pas avoir su choisir son parti : l’histoire d’une chanson ou l’histoire d’une carrière ? À force d’avoir vu tant de biopics qui racontent la vie d’un artiste du début à sa fin, on aurait aimé qu’il ait l’originalité de se focaliser sur la seule chanson. Mais hélas, tel n’est pas le cas. Disons, pour être synthétique, que Hallelujah raconte la vie de Leonard Cohen à travers le prisme de cette chanson-là. C’est déjà pas mal.

On y apprend que Leonard Cohen venait d’une famille juive aisée de Montreal, qu’il a d’abord écrit des poèmes avant de les chanter par hasard. On évoque à mots couverts sa vie amoureuse très riche, ses addictions (à l’alcool), sa quête spirituelle qui le conduisit notamment à se retirer pendant trois ans dans un monastère bouddhiste, ses soucis financiers (son impresario lui vola plusieurs millions de dollars et l’accula à la faillite).

La chanson Hallelujah aurait, à elle seule, justifié tout un film. Le documentaire nous raconte que Leonard Cohen a mis des années à l’écrire et a rédigé plusieurs centaines de couplets différents. Elle figure dans l’album Various Positions produit par Columbia qui refuse étonnamment, pour des motifs que le documentaire n’éclaire guère sinon en évoquant l’animosité du PDG de Columbia, qu’il sorte aux Etats-Unis.
Leonard Cohen en a chanté plusieurs versions, en puisant dans le stock immense des innombrables couplets qu’il avait composés. La première est d’inspiration mystique, qui fait référence au roi David. Ses deux premiers vers sont sublimes de beauté : « Now I’ve heard there was a secret chord/That David played, and it pleased the Lord » – alors que le troisième m’a toujours semblé bien pataud : « But you dont really care for music, do you? ». Mais bientôt, sur scène, Cohen change les paroles pour donner à la chanson un tout autre sens, beaucoup plus séculier.
La chanson ne sera guère connue avant d’être reprise, d’abord par Bob Dylan et John Cale, le chanteur gallois du Velvet Underground, puis par Jeff Buckley en 1994, dont la mort tragique en 1997 finit de conférer à ce tube une aura magique. C’est sa version dans le dessin animé Shrek, elle-même inspirée de la version de Rufus Wainwright, qui la fit connaître en 2001 du grand public.

Le problème de ce documentaire est, comme souvent dans ce genre, son académisme. On y retrouve toujours le même cocktail d’archives de l’époque et d’interviews de quelques survivants – dont on ne peut systématiquement s’empêcher de se dire qu’ils ont bien (= beaucoup) vieilli. Son autre problème est aussi de nous servir jusqu’à l’indigestion la chanson Hallelujah. Elle a beau être sublime, elle risque vite de provoquer une overdose !

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EO ★☆☆☆

EO est un âne paisible qui vit, à son corps défendant, bien des aventures. Il est employé dans un cirque sous la protection aimante d’une acrobate ; mais la faillite du cirque lui fait perdre sa protectrice. Il travaille ensuite comme bête de somme dans un haras où il jalouse les soins donnés aux plus beaux étalons. Il s’enfuit dans la forêt et est capturé au petit matin par des pompiers. Il devient la mascotte d’une équipe de foot mais tombe sous les coups des supporters de l’équipe rivale. Transporté de Pologne en Italie par un routier louche, il est recueilli par un prêtre défroqué, le fils d’une riche comtesse (Isabelle Huppert).

Jerzy Skolimowski, 84 ans, est une figure tutélaire du cinéma polonais. Ses réalisations, interrompues pendant dix-sept ans pour lui permettre de se consacrer à la peinture, traversent depuis plus de cinquante ans l’histoire du cinéma de son pays, à cheval, comme Roman Polanski son illustre compatriote, entre l’Est et l’Ouest. Sa filmographie frappe par sa richesse et sa variété : quoi de commun entre Deep End, qui suit un jeune garçon de bains employé dans une piscine du Swinging London, Essential Killing, où l’incandescent Vincent Gallo interprète un taliban en fuite, et 11 minutes un récit polyphonique ultra-moderne où la vie de plusieurs personnes se percute violemment l’espace d’un bref instant ?

EO s’inspire sans s’en cacher de Au hasard Balthazar. Mais la focale en est différente. Si dans le film de 1966 de Robert Bresson l’âne Balthazar tendait un miroir aux humains, l’âne EO de Skolimowski est le véritable héros de son film. Ou pour le dire autrement et employer de grands mots, EO est le premier film (je n’en connais pas d’autres mais me trompe peut-être) authentiquement animaliste et antispéciste [P.S. : je me trompais évidemment : il y eut Okja de Bong-Joon Ho en 2017]

Ce courant de pensée entend détrôner l’Homme de la position surplombante qu’il s’est arrogée depuis Descartes et reconnaître à tous les êtres vivants, quels qu’ils soient, un égal respect. Selon qu’on y soit favorable ou pas, sans doute l’opinion qu’on se fera du film variera. Essayons, même si ce n’est pas aisé et même si peut-être ce n’est pas pertinent, d’en faire abstraction et de juger EO sur ses seules qualités cinématographiques.

EO se veut un film sensoriel. On pense à la caméra caressante de Terrence Malick. On découvre la réalité à travers les yeux de EO – on imagine que si les contours de l’image sont flous c’est parce qu’un âne a une vision périphérique dégradée. On aurait aimé que EO pousse le parti pris jusqu’au bout et soit entièrement filmé en caméra subjective ; mais tel n’est pas le cas. On a aussi droit à quelques photos saisissantes de EO au milieu de la nature.

Mon sentiment mitigé sur le film vient de son scénario. Il est constitué d’une succession de vignettes où l’on suit EO à travers ses multiples aventures. Le problème est leur enchaînement et leur accumulation. Il y aurait pu en avoir trois de plus ou trois de moins sans que l’histoire s’en trouve significativement modifiée. Et la toute dernière, en Italie, où l’on retrouve (hélas) la surprenante Isabelle Huppert dans le rôle d’une richissime (et incestueuse ?) comtesse a achevé de me perdre.

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R.M.N. ★★★☆

Après avoir frappé son contremaître dans la boucherie industrielle qui l’employait en Allemagne, Matthias rentre rapidement chez lui en Roumanie. Il y retrouve sa femme, dont il était sur le point de divorcer, son fils, qui s’est muré dans le silence depuis un événement traumatisant qui lui est arrivé sur le chemin de l’école, son vieux père, dont la santé s’affaiblit, et sa maîtresse. Le village de Matthias en Transylvanie est peuplé de roumanophones, de magyarophones et de germanophones unis par une haine commune à l’égard des Tziganes. Ce racisme va à nouveau s’exprimer quand la boulangerie industrielle située sur le territoire de la commune, après avoir sans succès diffusé une offre d’emplois, recrute trois Sri-Lankais.

Cristian Mungiu est peut-être le plus grand réalisateur roumain contemporain. La Palme d’or décernée en 2007 à 4 mois, 3 semaines, 2 jours a permis à de nombreux réalisateurs roumains talentueux de lui emboîter le pas et de se faire connaître à l’étranger : Cristi Puiu, Radu Jude, Radu Muntean, Corneliu Porumboiu, Marius Olteanu… Chacun des films de Mungiu est un événement. Son avant-dernier, Baccalaureat, aurait amplement mérité la quatrième étoile que, trop chiche, je lui ai refusée en 2016 à sa sortie …. mais il a obtenu pour se consoler le Prix du scénario et un double prix d’interprétation pour ses deux actrices à Cannes cette année-là.

Cristian Mungiu explore la même veine dans son dernier film dont le titre, ambitieux, annonce le programme. RMN est l’acronyme roumain d’IRM, cet examen radiologique prescrit au père de Matthias et auquel Mungiu soumet la Roumanie d’aujourd’hui pour en dénoncer les tares. Tout part d’un questionnement simple et d’un paradoxe intenable : pourquoi les Roumains qui, lorsqu’ils vont travailler en Europe de l’Ouest, sont en butte à un racisme ordinaire, ne se montrent-ils pas plus bienveillants à l’égard des étrangers qui s’installent dans leur pays ? À ce premier questionnement s’en greffe un second : pourquoi en particulier un petit village composé de plusieurs minorités qui ont appris à vivre ensemble ne se montre-t-il pas plus hospitalier que le reste de la Roumanie ethniquement plus homogène ?

Les films de Mungiu prennent le temps d’exposer leur sujet. Au-delà des collines et Baccalaureat dépassaient les deux heures. C’est aussi le cas de R.M.N. ; mais on ne s’y ennuie pas une seconde grâce à un scénario brillamment ficelé qui multiplie les points de vue et les rebondissements. Son point culminant est un long plan fixe de dix sept minutes filmé dans la salle des fêtes du village où tous les habitants sont rassemblés pour décider de l’expulsion des Sri-Lankais. Tour à tour, toutes les opinions s’expriment, la plupart manifestant une xénophobie aussi primaire que détestable (« les étrangers vont empoisonner notre pain, voler nos biens et violer nos femmes… »).

Je lance un appel au secours. R.M.N. se termine par une scène déroutante à laquelle je n’ai rien compris. Je lis dans Télérama que « dans une ultime pirouette, Cristian Mungiu réfute le pessimisme, en montrant ce que la nuit recèle aussi de profondeur énigmatique » ce qui ne m’a guère éclairé.

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Fire of Love ★★☆☆

Katia et Maurice Krafft furent deux volcanologues alsaciens qui sillonnèrent le monde pour y filmer et y photographier des volcans en éruption.

Coup sur coup deux réalisateurs leur consacrent un documentaire. Celui de Werner Herzog, Au cœur des volcans Requiem pour Katia et Maurice Krafft, est diffusé en ce moment sur Arte. Celui de Sara Dosa, pour des raisons mystérieuses, a trouvé le chemin des salles. Il utilise le fonds énorme de films Super-8 que Maurice Krafft a tournés toute sa vie durant, son épouse préférant elle la photo. Son matériel à l’époque était encombrant et rudimentaire. On imagine volontiers la révolution qu’auraient constituée pour eux la miniaturisation et le perfectionnement des caméras.

Les images n’en restent pas moins étonnantes voire hypnotisantes. Comme dans la photo en affiche du documentaire, le jeu des échelles suggère une proximité trompeuse des vulcanologues, souvent déguisés dans des combinaisons futuristes dignes de Tintin, et des volcans en éruption qu’ils observent. On frémit tout à la fois de la grandiose beauté des phénomènes naturels qu’on nous montre et des dangers que ces volcanologues intrépides voire inconscients prennent. Par exemple lorsqu’ils pagaient tranquillement sur un lac d’acide en Indonésie, à bord d’un frêle Zodiac « acheté cent francs aux puces ».

Katia et Maurice Krafft possédaient un solide bagage scientifique : elle était chimiste, il était géologue. Mais ils n’étaient pas professeurs. On ne nous dit rien – mais on imagine aisément – le mépris dans lequel l’Université tenait ces têtes brûlées. Ils vivaient des livres et des films qu’ils réalisaient à partir de leurs voyages. On regrette de ne pas en savoir plus sur ce volet-là de leurs vies, sans doute moins exaltant que l’autre, mais indispensable à son financement.

Un des angles d’attaque du film est l’amour que se portaient ces deux aventuriers, leur complicité, leur complémentarité. Un amour qui n’est pas très démonstratif – on est encore dans la France collet-monté des Trente glorieuses. Mais un amour qui illustre mieux que de longs discours la phrase bien connue de Saint-Exupéry : « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. » Leur passion commune pour les volcans emportait tout, jusqu’à leur désir d’enfant – la voix off affirme sans explication qu’ils y ont renoncé – et à leur instinct de survie – ils meurent ensemble sur les pentes du mont Unzen emportés par une nuée ardente en juin 1991 dans des conditions qu’ils avaient pressenties et acceptées.

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Le Visiteur du futur ★☆☆☆

Le député Gilbert Alibert (Arnaud Ducret) est sur le point de signer avec la société chinoise Axomako un contrat autorisant la construction d’une centrale nucléaire. Sa fille, Alice (Enya Baroux) fait partie des écologistes qui tentent de s’opposer à ce projet. L’avenir lui donnera raison : mal conçue, la centrale explosera bientôt, entraînant une apocalypse nucléaire qui manquera détruire la planète.
Pour éviter cette issue fatale, trois aventuriers du futur essaient de remonter dans le temps pour changer le cours des événements. Mais leur entreprise se heurte à la vigilance de la « brigade temporelle » et de ses sbires augmentés.

J’apprends, sans jamais en avoir entendu parler jusqu’alors et a fortiori sans en avoir vu le moindre épisode, que Le Visiteur du futur était une web-série (chouette ! un nouveau mot !) lancée en 2009 dont les quatre saisons ont généré quarante-cinq millions de vues (ne me demandez pas de vous expliquer ce que je viens d’écrire ! je n’y comprends rien !).

Je ne sais pas s’il faut que je cesse de me faire plus bête que je ne suis et que je revienne à plus de sérieux pour donner mon avis sur le film que les créateurs de la web-série ont mis plus de sept ans à monter. Il s’agissait pour eux en même temps de récompenser les fans – dont je ne suis donc pas et au nom desquels je ne saurais m’exprimer – sans paumer tous ceux qui – comme moi – découvrent cet univers pour la première fois. Le pari est réussi : je n’ai à aucun moment senti qu’il me manquait des clés pour comprendre une histoire qui louche du côté de Terminator, de Retour vers le futur ou de Mad Max III en en distordant les codes.

J’en ai aimé, malgré mon âge sénescent, l’humour potache et régressif ; même si je n’ai pas autant hurlé de rire que mes bruyants et jeunes voisins (j’étais sans doute le plus vieux des spectateurs d’une salle pleine comme un œuf). Jetez un œil à la bande annonce pour en voir un échantillon et savoir immédiatement si ce genre-là est votre came.

Mais la pauvreté du scénario a constitué pour moi un obstacle insurmontable : cette histoire niaiseuse qui charrie quelques idées écologiques bien-pensantes (« Il faut protéger notre planète ») en inventant un conflit de génération entre un daron aux idées étroites – mais pas si étroites que ça quand même – et sa fille mignonne et engagée, devrait être interdite par les Conventions de Genève !

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L’Origine du mal ★★☆☆

Une jeune femme (Laure Calamy), à l’existence précaire, travaille à la chaîne dans une poissonnerie industrielle du sud de la France. Elle perd son logement. Sa mère, qui l’a élevée seule, vient de mourir. Son amoureuse purge en prison une longue peine. Elle se résout à recontacter son père (Jacques Weber), un richissime homme d’affaires qui vit reclus dans son hôtel particulier sur l’île de Porquerolles. Diminué par une attaque, le vieillard antisémite et homophobe, portant toujours beau, est entouré d’un quatuor de femmes qui réserve à la nouvelle arrivante un accueil hostile : sa femme (Dominique Blanc), une diva droguée au télé-achat, sa fille (Dora Tillier) qui a repris les rênes de l’empire familial, sa petite fille (Céleste Brunquell), l’œil vissé derrière son appareil photo, sa domestique (Véronique Ruggia Saura)…

Quelqu’un ment nous dit l’affiche. Mais qui ? L’Origine du mal n’est pas un whodunit construit autour d’un crime et de sa résolution. Sa structure est moins familière et plus complexe. On découvre vite l’identité du dissimulateur comme on comprend ses motifs. L’enjeu du film se déplace pour savoir s’il parviendra à ses fins et comment. Le scénario révèle quelques jolis rebondissements. Il aurait pu s’achever au tribunal ou à l’hôpital ; mais il continue une demi-heure supplémentaire dont l’utilité scénaristique ne saute pas aux yeux.

Sébastien Marnier, qui avait déjà signé deux films épatants (Irréprochable avec Marina Foïs et L’Heure de la sortie avec Laurent Lafitte) prend un plaisir communicatif à créer autour de Jacques Weber un décor hitchcockien de serre exotique étouffante (la bande son du dernier plan est saturée de cris nocturnes d’une faune équatoriale). Dominique Blanc s’en donne à cœur joie dans un personnage qu’on n’imaginait plus voir à l’écran depuis Le Boulevard du crépuscule. En revanche, Céleste Brunquell, un des plus grands espoirs du jeune cinéma français, est sous-exploitée.

Mais c’est surtout Laure Calamy dont le talent explose. On avait pris l’habitude depuis Antoinette dans les Cévennes de la cantonner aux rôles de quadragénaire nature et marrante. Déjà dans À plein temps – sans doute l’un des meilleurs films de l’année – elle montrait son potentiel dramatique. Ici, elle joue un personnage border line, vénéneux, chabrolien à souhait. Une nouvelle corde à son registre décidément très large.

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