Le Gang des bois du temple ★★★☆

Dans une cité HLM située à la périphérie d’une métropole anonyme (Paris ? Marseille ? Bordeaux ?), un homme, enterre sa mère qui fut longtemps l’épicière du coin. D’autres habitants du quartier, qui vivent de petits trafics, préparent un gros coup : le braquage du van d’un riche prince émirati contenant des valises remplies d’argent liquide.

Les films de Rabah Ameur-Zaïmeche sont rares. Il en a tourné sept en vingt ans. Ils sont précieux, âpres, singuliers, souvent minimalistes. L’œuvre de cet enfant des Bosquets à Montfermeil (il est arrivé en France à l’âge de deux ans) ne se limite pas au « film de banlieue » à la mode comique (Le Ciel, les oiseaux et ta mère), tragique (La HaineLes Misérables) ou romantique (Tout ce qui brille). Après Wesh-wesh et Bled number one, ses deux premiers films tournés en 2002 et en 2006 avec quatre bouts de ficelle, qui racontent la difficile réinsertion d’un détenu puis son retour au bled en Algérie, Ameur-Zaïmeche voit plus large. Les Chants de Mandrin et Histoire de Judas sont des films en costumes qui racontent l’un comme l’autre des formes d’utopie sociale, dans la France du XVIIIème siècle ou dans la Galilée de Tibère.

Le Gang des bois du temple n’est pas situé géographiquement – même si l’anecdote rocambolesque qui l’a inspiré s’est déroulée sur une bretelle de l’autoroute A, entre Paris et Roissy. S’il louche du côté du thriller, il n’en reproduit pas tous les codes. Il y a, en particulier, dans la bande débonnaire des braqueurs un je-ne-sais-quoi qui les différencie de ceux qu’on voit d’habitude s’organiser pour braquer un convoi ou une banque. Ils sont trop vieux, trop bonhommes, trop loquaces. Pour le dire autrement, ils n’ont pas la gueule de l’emploi.

Mais, fort subtilement, Rabah Ameur-Zaïmeche fait de ce qui, chez d’autres, aurait sonné comme une piteuse erreur de casting, un atout. Son, film, qui si ces acteurs avaient été plus normés, aurait été plus banal, acquiert grâce à eux une tonalité originale.

Et son scénario, bancal, lui aussi, acquiert, par la grâce de ses défauts, une saveur inattendue. Dans un thriller « normal », la préparation du braquage aurait occupé l’essentiel du film : le recrutement des acolytes, le repérage des lieux, la tension grandissante jusqu’à son exécution. Mais le braquage est expédié ici en un rien de temps dès le début du film, provoquant ensuite une brutale baisse de rythme et lançant l’intrigue dans une direction inattendue. Le même procédé était utilisé récemment dans Dernière nuit à Milan.

Le film change alors de focale. Il s’éloigne de la sympathique bande de braqueurs pour mettre en vedette deux héros solitaires. D’abord, interprété par Slimane Dazi qui promène depuis si longtemps sa gueule  impossible qu’il serait temps qu’on se souvienne de son nom, un privé chargé par le bras droit du prince de retrouver ceux qui l’ont volé. Ensuite, cet homme solitaire, qui, depuis la mort de sa mère, dont les funérailles muettes occupaient le premier quart d’heure du film, passe ses journées à jouer au tiercé. Au détour d’une conversation de bistrot on avait appris qu’il avait été tireur d’élite dans l’armée de terre. L’information a son importance qui lui donne dans le dernier tiers du film un rôle qu’on n’imaginait pas.

Avec Le Gang des bois du temple, Rabah Ameur-Zaïmeche confirme la place originale qu’il occupe dans le cinéma français.

La bande-annonce

Visions ★★☆☆

Estelle Vasseur (Diane Kruiger) est pilote de ligne sur longs-courriers. Elle habite, avec son mari Guillaume (Mathieu Kassovitz), brillant cardiologue, une luxueuse villa sur les hauteurs de Toulon. Il ne manque au couple qu’un enfant pour que leur bonheur soit complet.
Un jour, Estelle retrouve Ana (Marta Nieto), une artiste qui avec qui elle a connu vingt ans plus tôt, une brûlante passion. Elle en retombe vite amoureuse.

En 2021, le précédent film de Yann Gozlan, Boîte noire, avait connu un grand succès critique (cinq nominations aux Césars) et public (plus d’un million d’entrées). Il ne m’avait pourtant qu’à moitié convaincu. Je lui reprochais pêle-mêle une mise en place trop longue, un scénario trop prévisible et des rebondissements trop nombreux – ce qui, je le concède, constitue un ensemble de défauts contradictoires.

Je pense que Visions aura moins de succès. Pire : je crains au vu des premiers chiffres qu’il ne fasse un flop. Sa stratégie marketing reposait sur un argument à double tranchant : l’invocation de Boîte noire – que beaucoup de spectateurs n’ont pas vu et qui, parmi ceux qui l’ont vu, n’a pas nécessairement fait l’unanimité. Or, Visions est moins réussi que Boîte noire dont il utilise un peu trop les recettes : celles d’un thriller paranoïaque dans le monde glacé de l’aéronautique. Comme le veulent les règles du genre, Visions installe un suspense dont l’élucidation s’avère finalement décevante (« C’était donc ça…. »).

Pour autant, Yann Gozlan y démontre une sacrée maîtrise de la caméra, du montage et surtout de l’usage de la musique symphonique de Philippe Rombi. De nos jours, certains films – je parlerai le jour de sa sortie de L’Abbé Pierre avec Benjamin Lavernhe qui souffre de ce défaut – use et abuse d’une musique omniprésente et sursignifiante. Celle de Visions est très (trop ?) présente. Mais elle le fait en reproduisant une grammaire cinématographique ultra-classique : celle des films hitchcockiens des 50ies et des 60ies.

C’est en effet à Hitchcock et à Vertigo qu’on pense devant Visions, la beauté et la blondeur de son héroïne, le délire paranoïaque dans lequel elle se perd. Une telle référence pourrait être écrasante. Elle l’est sans doute. Visions n’arrive pas à la cheville de Vertigo. Il n’en avait pas la prétention. Mais il en a le parfum. Et ce parfum-là, qu’on ne respire plus guère dans le cinéma contemporain, qu’il soit français ou américain, est sacrément envoûtant.

La bande-annonce

Un automne à Great Yarmouth ★☆☆☆

À Great Yarmouth, sur les bords de la mer du Nord, dans l’une des villes les plus pauvres d’Angleterre, Tania, la quarantaine, dirige avec son mari Richard un trafic juteux : elle fait venir des immigrés portugais en Angleterre, les entasse dans des meublés miteux et fournit cette main d’oeuvre docile et bon marché à un abattoir de volailles.

Dans la veine d’un Ken Loach, auquel il emprunte les mêmes décors gris et pluvieux d’une Angleterre paupérisée, Marco Martins dénonce l’exploitation dont sont victimes les migrants portugais du Norfolk. Il donne la vedette à Beatriz Batarda, qui jouait déjà dans ses précédents films, dans le rôle ambigu d’une marchande de sommeil portugaise qui ment aux autres (elle cache à son mari ses gains) et à elle-même (elle croit qu’elle protège ses compatriotes alors qu’elle les exploite éhontément).

Sa routine va être bouleversée par la mort d’un migrant et par l’arrivée de son frère qui le recherche. Le rôle est interprété par Nuno Lopes, un grand acteur portugais (on l’a vu dans Tout le monde aime Jeanne, dans Traces que j’avais tant aimé, dans Les Lignes de Wellington). Il jouait le rôle principal de Saint-Georges, le précédent film de Marco Martins qui présente Un automne à Great Yarmouth comme le second volet d’un diptyque. Il y interprétait un boxeur en fin de droits réduit à s’employer comme homme de main dans une société de recouvrement.

Le portrait de femme est poignant, la plongée dans les arrière-cours du capitalisme asphyxiera jusqu’aux libéraux les plus endurcis. Pour autant, Un automne à Great Yarmouth peine à se distinguer du tout-venant cinématographique. Tania est trop froide, trop dure pour susciter l’empathie. Le montage, pas toujours lisible, rend parfois confus le propos qui a la fâcheuse tendance à se complaire dans le misérabilisme. Et les tics de la caméra, qui se colle à ses acteurs, deviennent vite pénibles.

La bande-annonce

Le Ciel rouge ★★☆☆

Deux amis, Leon, un jeune écrivain qui peine à mettre la dernière main à son second roman, et Felix, étudiant aux Beaux-Arts censé achever un travail photographique, ont décidé de passer quelques jours au bord de la Baltique, dans la maison de campagne des parents de Felix. À leur arrivée dans les lieux, ils ont la surprise d’y découvrir la présence de Nadia et, à la nuit tombée, ses bruyants ébats avec son amant, un sauveteur prénommé Devid.

Depuis que Wim Wenders s’est égaré sur des chemins de traverse, Christian Petzold est devenu le plus grand réalisateur allemand contemporain. On lui doit Barbara, Phoenix, Transit, Ondine. Petzold a le talent de révéler des acteurs exceptionnels et de s’attacher leur fidélité : Nina Hoss, inoubliable dans Barbara, Ronald Zehrfeld, Franz Rogowski, le bec-de-lièvre le plus sexy du cinéma (ex aequo avec Joaquin Phoenix) et Paula Beer qui n’a jamais été aussi lumineuse, sans aucun artifice, qu’ici.

Il dit avoir voulu détourner les codes du « film d’été », un genre balisé. Aux Etats-Unis, le genre tire du côté du thriller ou du film gore, quand les jeunes adultes résidant dans une maison isolée meurent mystérieusement les uns après les autres sous les coups d’un serial killer sadique. En France, dans la lignée de Rohmer, dont Petzold dit avoir découvert l’oeuvre à l’occasion du confinement, le film d’été est l’occasion d’amourettes aussi dérisoires que dramatiques. Petzold revendique ironiquement d’inventer le « film d’été allemand », une romance rohmérienne sur laquelle plane la peur de la mort, symbolisée par les flammes qui embrasent l’horizon et qui menacent la maison des estivants.

Le résultat n’est qu’à moitié convaincant. Le Ciel rouge commence lentement, trop lentement. Sa mise en place est interminable, surtout à ceux qui avaient vu la bande-annonce qui en disait déjà tout en cent-une secondes. C’est seulement dans sa seconde moitié que Leon, cet écrivain autocentré, trouvera sa rédemption, tandis qu’il découvre successivement des facettes qu’il ne connaissait pas des personnalités de son ami Felix, de Nadia et enfin de son éditeur Helmut venu relire son manuscrit.

Le Ciel rouge me laissera le souvenir troublant mais évanescent de la douceur d’un crépuscule après une journée trop chaude.

La bande-annonce

The Wasteland ★★★☆

Le propriétaire d’une briqueterie hors d’âge, perdue au milieu de nulle part, annonce à ses employés qu’il est au bord du dépôt de bilan. Son contremaitre, Lotfollah, qui y travaille depuis toujours, fait l’entre-deux entre le patron et les ouvriers sommés sans délai de quitter les lieux.

Avez-vous vu cet été The Wastetown ? Êtes-vous encore hanté par la beauté de son noir et blanc, par sa musique lancinante, par la lenteur majestueuse de ses longs travellings ? Et surtout avez-vous réussi à oublier le traumatisme de sa dernière scène. Alors vous avez noté avec impatience la sortie de ce deuxième film de ce que le réalisateur iranien Ahmad Bahrani a annoncé comme devant constituer une trilogie. Et dès mercredi peut-être, comme moi, vous avez repéré une des rares salles parisiennes (il y en a deux à peine : le MK2 Beaubourg et le Balzac) qui le programme.

Vous avez raté The Wastetown ? Ne vous privez pas d’aller voir sa suite qui n’en est pas une : les deux histoires n’ont aucun lien entre elles. Le deuxième peut parfaitement se regarder sans avoir vu le premier.

Pour autant, à quelques semaines de distance à peine, la vision de ces deux films est une expérience envoûtante, qui résonne comme un coda d’une musique. Car les deux films sont conçus sur la même trame. Le deuxième est le palimpseste du premier. Dans The Wastetown, l’action se déroulait sur trois journées qui commençaient et se terminaient de la même façon, jusqu’à un dénouement qui nous laissait pantois. C’est exactement le même procédé qui est utilisé dans The Wasteland, avec une subtilité en plus : la linéarité du récit est doublée d’un flashback récurrent du patron annonçant aux employés l’imminence de leur licenciement. Cette scène et le discours laconique du patron sont filmés cinq (?) fois sous un angle différent. Ils précèdent cinq chapitres, tous quasiment identiques durant lesquels le patron reçoit l’un après l’autre ses employés et leur donne leur congé, avec un paternalisme équidistant de toute empathie et de tout ressentiment. Ces scènes-là se concluent toutes de la même façon jusqu’à un épilogue qu’on avait mieux anticipé que celui de The Wastetown mais qui n’en est pas moins tétanisant.

On pourrait protester que le procédé, répétitif, devient lassant. Certains spectateurs l’ont peut-être ressenti ainsi. Ce n’est pas mon cas. J’ai au contraire été happé, j’allais dire broyé – si la référence à la dernière scène de The Wastetown n’était pas trop transparente – par cette mise en scène implacable, dont la structure se révèle très vite et à laquelle on sait par avance qu’on ne réussira pas à échapper.

La bande-annonce

Vera ★★★☆

La cinquantaine déjà bien entamée, Vera Gemma est la fille de Giuliano Gemma, acteur iconique de séries B italiennes, de péplums et de westerns spaghettis dans les 60ies et 70ies. Vera a souffert toute sa vie de l’ombre envahissante de ce père adulé. Elle a tenté en vain de marcher sur ses pas, multipliant les ridectomies et les mammoplasties au risque de se défigurer, courant sans succès les castings où son manque de talent et son visage de drag queen l’ont condamnée à d’humiliantes rebuffades. Menant grand train, elle a peu à peu dilapidé l’héritage paternel, ne gardant de son luxe passé qu’un appartement dans le centre de Rome et un vieux chauffeur, Walter, qui lui est indissolublement fidèle. Elle n’a jamais eu de compagnon stable, sinon des gigolos qui tentaient d’abuser de sa richesse, ni d’enfant.
Lorsque son chemin croise Daniel, démonteur automobile dans une casse, et Manuel son fils de huit ans, l’espoir ressurgit de créer un embryon de famille.

Il a fallu un sacré courage à Vera Gemma pour accepter le défi culotté que lui a lancé un couple de documentaristes austro-italiens : tourner un film de fiction la mettant en scène, sous son vrai nom et dans son propre rôle, sans la magnifier, sans la caricaturer non plus, mais sans rien cacher de ses défauts a priori rédhibitoires : une « fille de » remplie de complexes, au visage monstrueux, qui n’aura jamais réussi à s’affranchir de l’ombre envahissante de sa star de père.

Vera s’inscrit sur la ligne très floue qui sépare le documentaire de la fiction. Ce n’est pas tout à fait un documentaire qui raconterait, par le commencement, la vie de Vera, en convoquant des images d’archives et en enchaînant les témoignages de ses proches. Mais ce n’est pas un authentique film de fiction tant son héroïne ressemble – ou du moins semble ressembler – à son actrice.

Le scénario, tel que je l’ai pitché, pouvait laisser craindre le pire : la rédemption de Vera, comme mère et comme épouse, avec le jeune Manuel et le ténébreux Daniel. Je risque de trop en révéler en disant du scénario qu’il nous réservera une surprise bienvenue, aussi amère soit-elle.

La bande-annonce

Toni en famille ★★☆☆

Antonia, dite Toni, élève seule cinq adolescents aussi bruyants qu’attachants. Alors que les deux aînés passent leur bac et sont sur le point de quitter le nid, Toni s’interroge sur son avenir.

Voilà le genre de pitch qui a priori me fait fuir. Rien ne m’attire dans un tel cinéma : ni l’utilisation racoleuse d’une héroïne emblématique avec laquelle une partie de l’auditoire s’identifiera (la Mère courage et célibataire), ni l’héroïne bankable (Camille Cottin sans laquelle le budget n’aurait pas été bouclé), ni la coproduction Canal-France Télévisions qui laisse augurer des dimanches soirs sous la couette et des rediffusions ad nauseam, ni ces cinq gamins la gueule enfarinée, tellement mimis et qui ne partagent pas la moindre ressemblance alors qu’ils sont censés être frères et sœurs.

Pourquoi aller le voir me direz-vous ? La réponse hélas est toujours la même : par la faute d’un mélange incongru de masochisme et d’encyclopédisme. Par le souci aussi de sortir de ma zone de confort : où serait le plaisir d’aller voir uniquement des films dont on sait par avance qu’ils nous plairont ? Par l’espérance aussi d’être agréablement surpris.

Et, en l’espèce, malgré toutes mes préventions, force m’est de reconnaître que ce Toni en famille se laisse agréablement regarder. Le mérite en revient en grande partie à Camille Cottin qui est décidément, quoi que j’en pense, une solide actrice avec laquelle l’identification (pour les femmes) et l’empathie (pour les hommes) sont immédiates.
Toni en famille cache une autre surprise. Je m’attendais à ce que Toni habite Roubaix, ait le cheveu gras et des fins de mois difficiles. Mais le scénario nous entraîne sous d’autres latitudes, sur les hauteurs ensoleillées de Grasse où Toni, loin d’être une chômeuse en fin de droits, se révèle une ancienne chanteuse auréolée du succès précoce d’un tube chanté à la Star’Ac qui lui rapporte encore, vingt ans plus tard, quelques dividendes. Le film baigne dans une lumière euphorisante qui l’éloigne de l’indigeste grisaille naturaliste dans laquelle je craignais d’être plongé.

Ce rafraîchissant contrepied n’est pas la seule surprise d’un film qui nous en réserve au moins deux autres : une mère étouffante interprétée en un seul plan par Catherine Mouchet et un ex dont je ne dirai rien de plus pour préserver la surprise de son apparition. Pour le reste, hélas Toni en famille déroule ses étapes attendues. On y verra alternativement chacun des cinq ados faire sa petite crise et leur mère, épuisée mais pas capitularde, tenter de rebondir pour donner un sens à sa vie à l’approche de la cinquantaine. Inutile de vous spoiler la fin : vous la connaissez déjà avant de l’avoir vue.
C’est un peu décevant de la part de Nathan Ambrosioni qui, à vingt-quatre ans à peine, signe son deuxième film déjà après Les Drapeaux de papier et dont on aurait pu espérer plus d’originalité.

La bande-annonce

La Beauté du geste ★☆☆☆

Keiko est sourde et quasiment muette. Mais elle a su dépasser son handicap pour vivre sa passion et devenir boxeuse professionnelle. Elle s’entraîne dans un petit club fatigué de la banlieue de Tokyo au bord de la faillite.

La Beauté du geste s’inspire librement de l’autobiographie de Keiko Ogasawara, une boxeuse poids plume malentendante. La publicité du film promet la rencontre entre Million Dollar Baby (le film à succès de Clint Eastwood sur une jeune boxeuse interprétée par Hillary Swank, Oscar 2005 de la meilleure actrice) et Ozu. C’est un joli slogan prompt à attirer les cinéphiles de tous poils… mais hélas un peu mensonger.

Certes La Beauté du geste contient quelques belles idées. La première est de rompre avec la narration codifiée des films de boxe façon Rocky qui raconte ad nauseam le parcours plein d’abnégation d’un boxeur anonyme qui, à force de sacrifices, parviendra dans la dernière scène à triompher de son adversaire et à décrocher le trophée tant convoité. Ce n’est pas cette histoire-là, ascensionnelle, que raconte La Beauté du geste, mais plutôt celle, étonnamment mélancolique, du spleen qui prend Keiko alors qu’elle est devenue professionnelle et que l’envie la taraude de raccrocher les gants.
Autre belle idée : celle d’avoir montré les difficultés quotidiennes d’un sourd muet à communiquer et à comprendre les paroles de ses interlocuteurs, surtout si leur bouche est cachée sous un masque FFP2, COVID oblige. (Je me demande ce que serait un film tourné entièrement du point de vue du héros sourd, c’est-à-dire sans aucun son. Serait-il compréhensible ?? le réalisateur devrait-il recourir à des sous-titres ? ou pourrait-il s’en passer ? En tous cas, ce serait sacrément intéressant… je ferme la parenthèse).

Mais ces belles idées mises à part, La Beauté du geste souffre d’un défaut rédhibitoire : son absence de scénario. Il ne s’y passe rien, ou pas grand chose de surprenant. Des personnages secondaires (le frère guitariste), des histoires parallèles (le travail alimentaire que Keiko assure dans un grand hôtel avec un collègue maladroit) peinent à combler le vide d’une histoire qui n’avance pas.

La bande-annonce

N° 10 ★★☆☆

Günter (Tom Dewispelaere), la quarantaine, vit seul dans un loft moderne sur les quais. Acteur de théâtre, il tient le rôle principal de la prochaine pièce et se rend chaque jour aux répétitions dirigées par Karl, le metteur en scène. Günter est secrètement l’amant d’Isabel, la femme de Karl, qui a fait croire à son mari qu’elle s’occupait de l’appartement de sa fille pour venir dormir chez lui. Mais Karl, alerté par Marius (Pierre Bokma), un autre acteur de la troupe – qui peine à mémoriser son rôle à cause des nuits hachées que lui fait endurer sa femme mourante – découvre la duperie.

Le cinéma néerlandais est un angle mort du cinéma européen. Je serais bien en peine de citer spontanément un seul réalisateur néerlandais, sinon peut-être Paul Verhoeven qui a quitté depuis belle lurette son pays natal et, justement, Alex van Warmerdam, dont j’avais tant aimé les premiers films (Les Habitants en 1992, La Robe, et l’effet qu’elle produit chez les femmes qui la portent et les hommes qui la regardent en 1996, Le P’tit Tony en 1998) avant qu’il ne disparaisse des radars.

N° 10 – dont je me suis demandé pendant toute la projection la signification du titre – est tout bonnement son dixième film. À en croire le résumé pas très clair que j’en ai fait, il s’agit d’une comédie de mœurs au sein d’une troupe de théâtre. Mais son traitement est beaucoup plus clinique et la direction que prend le scénario beaucoup plus intrigante.

Comme Reality la semaine dernière – mais dans un genre radicalement différent – N° 10 fait partie de ces films qui nous emmènent vers une destination inconnue. Par exemple, à rebours de toutes les règles qu’on enseigne dans une école de cinéma, N° 10 commence avec Marius, un personnage secondaire, qu’on découvre pendant son petit déjeuner avec son épouse malade. C’est plus tard seulement qu’entrera en scène Günter qui s’avèrera être le héros du film.

Mais là n’est pas la principale surprise du film dont on a tout à gagner à savoir le moins possible. Elle se révèlera dans sa seconde moitié. Elle pourrait laisser, tant elle est extravagante, beaucoup de spectateurs sur le bord du chemin. Mais, qu’on y adhère ou pas, on n’oubliera pas de sitôt ce grand moment de what-the-fuckism.

La bande-annonce

Sages-femmes ★★★☆

Amies et colocataires, Louise et Sofia viennent d’achever leurs études de sages-femmes et prennent ensemble leur service à la maternité d’un grand hôpital parisien. Immédiatement, elles sont plongées dans l’activité frénétique d’un service en sous-effectif chronique où les médecins, les sages-femmes et les infirmiers ne savent plus où donner de la tête pour accompagner avec le minimum d’attention les accouchements qui se passent bien et éviter à ceux qui se passent mal de tourner au drame.

L’hôpital a la cote. Sans entrer ici dans le débat ultra-sensible de la priorité budgétaire qui lui a ou non été donnée depuis qu’il a résisté vaillamment à la vague de Covid, on peut sans se déchirer reconnaître qu’il a la cote au cinéma où des séries, des documentaires, des fictions y plantent leur caméra : H6 à Shanghai, La Fracture de Catherine Corsini, Voir le jour avec Sandrine Bonnaire qui se déroulait, comme Sages-femmes, dans un service de maternité, la série Hippocrate avec l’impériale Anne Consigny dans le rôle de la cheffe de service, Patients de Grand Corps Malade, Pupille, un film quatre étoiles, De chaque instant, le documentaire de Nicolas Philibert sur la formation de jeunes infirmières, Premières urgences dans un service d’urgences d’un hôpital public du 9.3. Manque à cette longue énumération Sage-Homme avec Karin Viard, sur un jeune étudiant en médecine contraint faute de mieux de choisir cette spécialité là, que la bande-annonce hyperconvenue m’a dissuadé d’aller voir.

On pouvait légitimement craindre, à la lecture du résumé de Sages-femmes, un énième film sans surprise mettant en scène deux gentilles filles, le cœur gros comme ça, réussissant, après des débuts difficiles, à trouver leur place dans un service débordé, auprès de collègues revêches mais accueillantes, le tout habillé dans une dénonciation finement politique du manque de moyens dont souffre l’hôpital public.
Ces a priori ne sont pas entièrement infondés. Mais on aurait pour autant eu tort de s’y arrêter. Le pedigree de sa réalisatrice m’avait incité à lui donner sa chance : Léa Fehner avait signé Qu’un seul tienne et les autres suivront en 2009, un film choral au titre si poétique sur les détenus d’une prison et Les Ogres en 2016 avec Adèle Haenel sur une joyeuse troupe de saltimbanques. J’avais adoré ces deux films-là (Les Ogres avec quatre étoiles figuraient à la septième place de mon Top 10 2016) comme j’ai beaucoup aimé ce film-ci, si juste et si généreux.

Il faut ne pas avoir de cœur, ou bien l’avoir sacrément endurci, pour ne pas être ému aux larmes à la naissance d’un nouveau-né qui pousse son premier cri et qu’on pose tout fripé et couvert de vernix sur le sein de sa mère en larmes. Sages-femmes aurait pu se contenter de filmer des accouchements à la chaîne. On craint d’ailleurs dans sa première moitié qu’il ne suive cette voie paresseuse ; mais son scénario est plus subtil qui met en scène le parcours chaotique de Louise et Sofia – la première trouvant peu à peu ses marques après des débuts difficiles, la seconde au contraire, qui avait immédiatement trouvé sa place, durablement traumatisée par un accouchement qui tourne mal – et qui les entoure d’une galerie de seconds rôles hauts en couleur (on n’oubliera pas de sitôt Valentin, l’externe si maladroit, et Bénédicte, interprétée par Myriem Akheddiou découverte en 2019 chez les frères Dardenne)

Le film se termine hélas comme on l’avait imaginé. Mais cette conclusion prévisible n’ôte rien au plaisir qu’on y a pris et aux larmes émues qu’on y a versées.

La bande-annonce