Sissi & Moi ★☆☆☆

Éternelle vieille fille faisant le désespoir de sa mère, la comtesse Irma Sztáray (Sandra Hüller) devient la dame de compagnie de l’impératrice Elisabeth d’Autriche (Susanne Wolff). Sissi, vieillissante, obsédée par son tour de taille, supporte de plus en plus mal les contraintes du protocole et l’autorité de son mari, l’empereur François-Joseph. Toutes les occasions lui sont bonnes pour s’échapper de Vienne. Fidèle d’entre les fidèles, aimantée par sa maîtresse, sa dame de compagnie l’accompagne en Grèce, en Algérie, en Angleterre jusqu’à sa mort à Genève en 1898.

Soixante dix ans après que Romy Schneider en a fait une icône juvénile, romantique et froufroutante, c’est sous de tout autres atours que revient Sissi. Elle n’est plus l’incarnation idéale d’une féminité virginale qui n’existe qu’à travers le regard enamouré de son prince charmant, mais une femme qui ose tenir tête au patriarcat et revendiquer son indépendance.

Coup sur coup, deux films ont fait le portrait de cette Sissi 2.0. Le premier, sorti en décembre dernier, portait un titre volontairement polysémique, Corsage. Les démêlés judiciaires de l’acteur qui y interprétait l’empereur – Florian Teichmeister a été arrêté après la sortie du film pour possession de matériel pédopornographique et condamné à deux ans de prison avec sursis – ont éclipsé la prestation impeccable de Vicky Krieps dans le rôle de l’impératrice.

Sorti dix mois plus tard, Sissi & Moi traite le même sujet, mais avec une focale différente. Comme le titre l’annonce, le rôle principal n’est pas celui de Sissi mais celui de sa dame de compagnie. Le procédé est bien connu, et souvent efficace. Chantal Thomas l’utilisait dans Les Adieux à la reine, porté à l’écran par Benoît Jacquot, pour raconter Marie-Antoinette, Maylis Besserie dans La Nourrice de Francis Bacon, etc.

Le problème ici est qu’il fonctionne mal. On a tôt fait de comprendre que Irma, étouffée par l’éducation que lui a donnée sa mère, refoule une homosexualité latente et croit pouvoir l’exprimer auprès d’Elisabeth qui se plaît à la rabrouer. Plus intéressant est le personnage de l’impératrice qui a tôt fait d’éclipser celui de sa dame de compagnie. Son statut lui permet de manifester le plus humiliant des égoïsmes auprès de son entourage immédiat qu’elle persécute sans s’en rendre compte, mais l’oblige à subir un protocole qui l’étouffe.

Le handicap de Sissi & Moi est d’arriver après Corsage et de n’avoir pas grand chose à dire d’autre. Mais ce n’est pas le seul. Il pâtit également d’un scénario atone qui, une fois les personnages campés, n’a aucune proposition à faire, sinon de nous faire voyager à travers l’Europe dans des décors luxueux. C’est déjà pas mal ; mais ce n’est pas assez.

La bande-annonce

Killers of the Flower Moon ★★★★

Lorsque l’exploitation pétrolière débuta en Oklahoma au début du XXième siècle, les Indiens Osage, propriétaires des terres arides qui leur avaient été concédées, devinrent du jour au lendemain immensément riches. Cette manne attira immédiatement des Blancs cupides. Cette page méconnue de l’histoire américaine a constitué la matière du livre de David Grann (auteur de The Lost City of Z) que Martin Scorsese porte à l’écran.

L’automne du cinéma est aussi celui des réalisateurs. Après ceux de Roman Polanski (90 ans), de Frederick Wiseman (93 ans), de Nani Moretti (70 ans), de Woody Allen (87 ans), de Wim Wenders (78 ans) et de Ken Loach (87 ans) ces dernières semaines, sortent en salles ce mois-ci des films de fringants octogénaires : Hayao Miyazaki (82 ans), Ridley Scoot (85 ans), Denys Arcand (82 ans), Barbet Schroeder (82 ans)…. Si Clint Eastwood, James Ivory et Costa-Gavras s’en mêlaient, on pourrait créer un EPHAD de luxe baptisé l’Ancienne Vague, rassemblant les gloires toujours sacrément créatives du septième art.

Martin Scorsese (80 ans) en serait probablement le capo dei tutti capi, le parrain des parrains. L’ancien séminariste new-yorkais tourne des films depuis plus de cinquante ans, avec son alter ego, Robert De Niro, qui interprète ici William Hale, un riche éleveur de bétail qui passe pour le meilleur ami des Osages alors qu’il complote secrètement à leur perte. L’autre acteur fétiche de Scorsese depuis une vingtaine d’années, son fils d’adoption, Leonardo DiCaprio joue le deuxième rôle titre. Il interprète le neveu de William Hale, démobilisé après la Première Guerre mondiale, devenu le complice plus ou moins lucide des manoeuvres du patriarche. Comme souvent dans les films hyper-virils de Scorsese, les femmes y sont  réduites à la portion congrue. La prestation de Lily Gladstone, découverte chez Kelly Reichardt, n’en est que plus admirable. Dans le rôle de Mollie, la riche Indienne que William Hale pousse son neveu à épouser et dont celui-ci tombera amoureux, elle en impose par son hiératisme, par ses silences, par son sourire en demi-teinte.

On a beaucoup glosé sur la durée indigeste de Killers of the Flower Moon : 3h26. Force m’est de reconnaître que c’est par sa faute que j’ai mis près de deux semaines à le voir, soit que je n’en trouvais pas le temps dans un agenda un peu chargé, soit que je n’estimais pas disposer du « temps de cerveau disponible » pour m’y plonger dans de bonnes conditions. Pour autant, vu l’ambition du film, une telle durée n’a rien de disproportionnée. Les plus grands films dépassent allègrement les quatre-vingt-dix minutes canoniques : Autant en emporte le vent, Ben-Hur, Lawrence d’Arabie, 2001, Odyssée de l’espace, La Liste Schindler
Sa durée est d’autant moins pesante qu’on ne regarde jamais sa montre, happé par la fluidité d’un scénario qui ne ménage aucun temps mort. On est loin pour autant du rythme frénétique de certains des films de Scorsese, tournés sous acide, épuisants à force d’accélérations. C’est Jacques Morice dans Télérama qui écrit très intelligemment que le cinéma de Scorsese se rapproche du classicisme d’un Eastwood, sans effet de manche, sans tentation du spectaculaire. Par exemple, une course de vieilles automobiles rutilantes dans les rues de Fairfax, dont on imagine en frémissant le prix que sa reconstitution a coûté, est pliée en quelques plans à peine alors que les scènes clés du film sont des face-à-face en champ-contrechamp filmés dans une salle de séjour sans apprêt.

Killers of the Flower Moon s’inscrit à la croisée des genres. Son sujet fait penser aux westerns ; mais il louche aussi vers la saga historique, le film noir, le film de mafia, le polar… Il se noue et se dénoue avec une (trop ?) parfaite maîtrise dans sa dernière demi-heure, alors que la lassitude aurait pu commencer à se faire sentir. Du grand oeuvre, maestro !

La bande-annonce

L’Autre Laurens ★★☆☆

Gabriel Laurens, un détective privé spécialisé dans la filature des couples adultères, vient de perdre sa vieille mère quand sa nièce, Jade vient lui annoncer le décès de son frère jumeau dans de mystérieuses circonstances. Sur l’insistance de Jade, Gabriel accepte de la raccompagner chez elle, dans une luxueuse demeure à la frontière espagnole, et de mener l’enquête.

Claude Schmitz est un jeune réalisateur wallon venu du théâtre. Son premier film, Braquer Poitiers, avait obtenu le prix Jean Vigo en 2019, indice d’un talent en éclosion. Son deuxième, en revanche, Lucie perd son cheval, m’avait laissé au bord du chemin. J’avais peur que son troisième produise le même effet.

Mais j’ai été agréablement surpris par ce mélange foutraque qui joue avec les genres. L’Autre Laurens est un néo-polar à l’intrigue alambiquée façon Le Faucon maltais. Un acteur de second plan, Olivier Rabourdin, qui depuis trente ans court après un premier rôle, y partage le haut de l’affiche avec une Lolita bombissime, Louise Leroy, qui ressemble à Alice Isaaz, le talent en moins. Leur chemin croise celui d’une veuve sans scrupules (Kate Moran), de deux flics décalés, d’un groupe de Hells Angels perpignanais dirigés par Marc Barbé, d’un Marine américain, pilote d’hélicoptère et d’une bande de trafiquants espagnols.

Aussi mal joué soit-il, L’Autre Laurens n’en reste pas moins un film étonnant qui ne ressemble à rien de ce qu’on a coutume de voir sur grand écran, à mi-chemin, si on ose dire, de Preminger pour le scénario et de Marc Dorcel pour les décors. Si son intrigue, qui flirte avec les deux tours d’horloge, aurait gagné à être ramassée, on ne s’y ennuie pas un seul moment.

La bande-annonce

Blix : Adieu aux guerres ★★★☆

Hans Blix est un diplomate suédois qui a consacré sa vie à la défense de la paix. Il est surtout connu comme le chef de la mission onusienne de contrôle du désarmement en Irak qui, en 2003, résistant à l’incroyable pression des faucons néoconservateurs de Washington, a refusé de conclure à l’existence d’armes de destruction massive en Irak.
Nonagénaire plus très ingambe, mais l’esprit toujours alerte, il a accueilli chez lui à Stockholm une jeune documentariste tchéco-suédoise et lui a ouvert ses archives.

Blix not Bombs est un documentaire officiellement sorti en salles le 28 juin dernier mais n’ayant fait hélas l’objet d’aucune diffusion, sinon dans une ou deux salles parisiennes ultra-confidentielles à l’occasion de séances spéciales quasiment désertes faute d’avoir été suffisamment bien annoncées. J’ai réussi à force de persévérance à le voir début septembre au Studio Galande entre une demi-douzaine de spectateurs dont le trait commun était d’avoir un vague lien d’amitié avec la réalisatrice ou son distributeur.

Blix not Bombs sera bientôt diffusé sur Arte qui l’a co-produit. Ne le ratez pas si les relations internationales, la diplomatie ou l’histoire vous intéressent. Vous y revisiterez une des pages les plus connues de l’histoire récente – celle de l’invasion annoncée de l’Irak de Saddam Hussein par la coalition dirigée par les États-Unis. À l’époque un Suédois, qui fut ministre des affaires étrangères de son pays à la fin des 70ies, puis directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique à Vienne, dans les 80ies et les 90ies, dirigeait depuis deux ans, à la demande de son ami Kofi Annan, la mission onusienne chargée de vérifier le désarmement de l’Irak. Cette mission, semblable à tant d’autres, allait être placée au cœur de l’actualité par les attentats du 11-Septembre et la volonté paranoïaque de Washington de s’en venger en écrasant un bouc-émissaire.

Calmement, dans un anglais parfait, avec un sourire inaltérable et une affabilité jamais prise en défaut, Hans Blix explique ce qu’il a fait – chercher en Irak des armes de destruction massive – et ce qu’il n’a pas pu faire – empêcher les Américains de déclarer une guerre qu’ils avaient décidé de lancer quoi qu’il arrive. Sans donner tort aux uns ni aux autres, il explique le ressort de leur comportement : le refus de l’humiliation pour les Irakiens, le désir de vengeance pour Américains. Il souligne une idée simple : la difficulté, sinon l’impossibilité, de présenter une « preuve négative », la preuve que quelque chose – des ADM en Irak ou des punaises de lit dans cette pièce – n’existe pas.

La patience et la subtilité de ce diplomate madré contrastent avec la candeur et la naïveté des questions que la jeune documentariste lui pose. Considérant à tort que sa mission fut un échec, elle veut à tout prix lui arracher des regrets ou des remords. Blix s’y refuse. Il lui répond que sa tâche ne fut pas vaine, que si, en effet, il n’a pas réussi à éviter la guerre, il a évité que l’ONU accrédite l’idée fausse de l’existence d’ADM en Irak et autorise le déclenchement des hostilités.
La présence dans le champ de la réalisatrice – qui ne nous épargne ni les VHS de ses anniversaires d’enfant, ni l’échographie de son premier-né – est le seul défaut de ce portrait remarquable d’un diplomate hors pair.

La bande-annonce

La Comédie humaine (2008) ★☆☆☆

La Comédie humaine raconte trois histoires qui se déroulent de nos jours à Tokyo et dont les héros de chacune sont des personnages secondaires des autres. Dans la première, deux femmes, la trentaine, se rencontrent par un concours de circonstances à un spectacle de danse, sympathisent et échangent des confidences sur leurs vies sentimentales chaotiques. Dans la deuxième, une photographe sans talent prépare son premier vernissage qui tourne au fiasco. Dans la troisième, un jeune marié, fauché par un camion-poubelle, est amputé du bras droit et souffre du syndrome du membre fantôme.

La sortie en juin de Love Life et son succès auprès d’un public cinéphile ont poussé son distributeur, Art House, à programmer en salles le tout premier film de Kôji Fukada, inédit en France. J’ai souvent parlé de ce jeune réalisateur, né en 1980, qui appartient à une génération d’artistes qui fait souffler un vent frais dans le cinéma japonais. J’ai recensé la quasi-totalité de ses films depuis qu’ils sont sortis ou ressortis en France : Hospitalité (2010), Sayonara (2015), Harmonium (2016), L’Infirmière (2019) le diptyque Suis-moi je te fuis, Fuis-moi, je te suis en 2022 et enfin Love Life cet été. Mes critiques étaient tièdes, sinon négatives, alors que Fukada fait au contraire l’objet d’éloges quasi-unanimes.

Ce n’est pas son premier film qui va me réconcilier avec son œuvre. Il s’agit de trois courts métrages qui pourraient se regarder indépendamment même si un lien ténu les relie les uns aux autres. Chacun raconte une histoire volontairement anodine, sinon la troisième plus dramatique. Dans chacune de ces histoires, ancrées dans la vie quotidienne d’habitants sans histoires de la capitale japonaise, se glisse imperceptiblement un soupçon, ou un poison, comme si la réalité banale cachait en fait des mystères. Qu’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit pas, comme dans certaines œuvres ultérieures de Fukuda d’ouvrir ou d’entrouvrir la porte vers une réalité fantastique, mais au contraire de souligner les petits mensonges  plus ou moins insignifiants dont nos vies sont tissées.

Que chacun d’entre nous charrie dans sa besace son lot de non-dits, plus ou moins avouables, n’a rien hélas de bien nouveau. Qu’il se place sous les auspices intimidants de Balzac par son titre ou de Rohmer par son dispositif, le cinéma de Fukada se borne à revisiter des sillons que d’autres ont déjà creusés avec plus de talent.

La bande-annonce

The Old Oak ★★☆☆

Dans une ancienne cité minière du nord-est de l’Angleterre frappée par la crise, deux misères se percutent : celle des habitants de longue date, paupérisés par le chômage, et celle des récents immigrés syriens chassés par la guerre. Le seul lieu de sociabilité du village est un pub décrépi, The Old Oak. Son propriétaire taiseux, TJ Ballantyne (Dave Turner) se lie d’amitié avec Yara (Ebla Mari) une jeune Syrienne passionnée de photographie. Ensemble ils vont tenter de vaincre les préjugés qui séparent les deux communautés.

Le dernier film de Ken Loach sera-t-il le dernier ? À quatre-vingt-sept ans, l’infatigable réalisateur britannique est de retour. Et il continue de creuser la même veine. Sa longévité, sa constance, l’imminence de son inéluctable disparition font penser à Woody Allen. Mais les ressemblances s’arrêtent là. Woody Allen est à droite, Ken Loach (très) à gauche. L’un saute d’un continent à l’autre pour truffer de bons mots les coucheries sans conséquences d’une classe d’hyper-privilégiés alors que l’autre, les pieds à jamais enfoncés dans l’humus pluvieux du nord de l’Angleterre, nous arrache des sanglots en glorifiant la résilience du lumpenprolétariat. Les scandales sexuels dans lesquels le premier s’est englué en ont fait un paria, ostracisé par les studios hollywoodiens et les grands festivals alors que le second, bi-palmé (en 2006 pour Le vent se lève et en 2016 pour Moi, Daniel Blake), est devenu la coqueluche d’un public bien-pensant.

The Old Oak ne contient aucune surprise. C’est sa plus grande qualité et son plus grand défaut. Il réjouira tous ceux – et ils sont nombreux – qui aiment sincèrement le cinéma généreux de Ken Loach et de son scénariste attitré, Pau Laverty, qui, une fois encore, signe un scénario millimétré. Plaira-t-il pour autant aux grincheux qui, comme moi, ont le cœur trop endurci pour fondre sur commande et qui surtout reprochent au vieux cinéaste de nous resservir toujours la même formule ?

Le cinéma de Ken Loach a une immense qualité : il sonne juste. Même si parfois, les dialogues au pub, dans cet Anglais si déformé qu’on peine à le comprendre, sont un peu trop calibrés, chaque personnage se voyant assigner la fonction d’incarner un point de vue – celui du raciste hostile à tout corps étranger, celui du Bon Samaritain prêt à accueillir toute la misère du monde, celui de l’arbitre qui cherche à concilier ces positions inconciliables – l’ensemble n’en dégage pas moins un parfum unique d’authenticité, porté par l’interprétation aux petits oignons des deux interprètes principaux : Dave Turner en bloc de tendresse humaine – qui rappelle Daniel Blake et toute une généalogie de héros loachiens courageux – et la jeune et fraîche Ebla Mari, entre lesquels Ken Loach nous épargne une idylle amoureuse qui aurait été particulièrement artificielle.

The Old Oak pose une question d’une brûlante actualité, dans le nord Angleterre comme dans la France dite « périphérique » : les plus défavorisés, ceux que la vie, le chômage, l’alcool, la solitude ont brisés, au lieu de se révolter contre le système qui les opprime, ne déversent-ils pas leur rancœur contre plus faibles qu’eux ? Le racisme n’est-il pas devenu l’opium du peuple ?
La façon dont le débat est posé au début du film est aussi simple que pertinente : les « Anglais de souche », bas du front (national ?) et sérieusement alcoolisés, qui voient débarquer dans leur rue des réfugiés syriens demandent aux services sociaux : « Pourquoi eux et pas nous ? Pourquoi ces réfugiés syriens bénéficient-ils d’une aide financière et matérielle à laquelle nous, Anglais de souche victimes de la crise, n’avons pas droit ? »

Jamais dans The Old Oak, on n’évoque le Rassemblement national ou ses avatars britanniques, UKIP, le BNP, le BNF…. Mais jamais non plus une réponse convaincante n’est apportée à la question posée. Et c’est là que le bât blesse. Le questionnement politique ô combien pertinent soulevé par Loach se dissout dans une mélasse mielleuse. La gentillesse innée des protagonistes est la solution à tous les maux. Cette morale naïvement rousseauiste est cinématographiquement très efficace ; car elle est l’occasion de scènes profondément touchantes qui attendriront même les plus grincheux comme moi. Pour autant, si on s’astreint à un minimum de distance critique, force est de trouver à ce film un goût de trop-peu, un manque d’exigence, une tendance critiquable à préférer nous faire pleurer que réfléchir.

La bande-annonce

Wahou ! ★☆☆☆

Deux conseillers immobiliers (Bruno Podalydès et Karin Viard), employés par l’agence Wahou ! essaient de vendre à des acheteurs réticents deux biens : une vieille maison pleine de charme de la fin du XIXème, mais nécessitant de lourds travaux et située au-dessus d’une voie ferrée, et des appartements petits, sans charme mais fonctionnels d’un immeuble construit de fraîche date dans le prétendu « triangle d’or de Bougival ».

J’aime beaucoup le cinéma drôle, intelligent, modeste et joyeusement surréaliste de Bruno Podalydès : Dieu seul me voit, Comme un avion, Les Deux Alfred… Je suis d’autant plus déçu par ce Wahou ! – que je rebaptiserais volontiers Bof voire Pouah.

Bruno Podalydès raconte dans le dossier de presse l’avoir tourné entre amis en quatre semaines « pour rigoler ». On le croit volontiers… en revanche on rigole moins. On a un peu l’impression de faire effraction chez une bande de copains à un barbecue auquel on n’aurait pas été invité. J’ai conscience que l’argument peut aisément se retourner. D’autres que moi pourraient dire : d’un film à l’autre, on retrouve chez les Podalydès la même tribu familière qui nous accueille à bras ouverts.

Mais plus que cette vraie/fausse familiarité, ce qui m’a dérangé, c’est la construction du film et son propos, très (trop) appliqué.

Sa construction : Wahou ! ressemble à un film à sketches racontant, en une dizaine de tableaux tous les cas d’école qu’un agent immobilier peut rencontrer. Tout y passe : le visiteur taiseux (Denis Podalydès qui a dû passer une journée sur le plateau pour tourner cette scène sans parole) ou au contraire l’hyper-bavarde (Isabelle Candelier), la bande d’amis qui décide de « refaire la Belle Équipe » avant de s’entre-déchirer, les jeunes couples amoureux pressés de tester la résistance du matelas de la chambre à coucher, les vendeurs qui ne veulent pas vendre, les acheteurs qui ne veulent pas acheter….

Son propos : déménager est, on le sait, une expérience traumatisante. On hésite toujours à quitter son chez-soi ; on hésite encore plus à prendre la décision souvent irréversible d’acheter un nouveau chez-soi. Le processus sert souvent de révélateur des tics et des tocs de chacun voire des failles jusqu’alors invisibles ou soigneusement colmatées qui menacent la solidité d’un couple.

Le propos est entendu et un peu convenu. Wahou ! ressemble à sa sage mise en image. Bruno Podalydès est suffisamment doué pour faire le job correctement. Il peut s’appuyer sur la solide expérience de ses acteurs, à commencer par Sabine Azéma, dans une joyeuse caricature d’elle-même qu’on n’avait plus vue depuis longtemps, et par Eddy Mitchell, qui joue décidément horriblement mal mais auquel il sera beaucoup pardonné. Mais on sent que Podalydès n’a pas forcé son talent pour réaliser ce qui restera hélas un petit film français oubliable.

La bande-annonce

Second Tour ☆☆☆☆

Sans passé politique, sans réputation sinon celle d’un économiste bardé de diplômes, Pierre-Henry Mercier (Albert Dupontel) est le candidat surprise à la prochaine élection présidentielle. Mademoiselle Pove (Cécile de France), placardée par sa chaîne pour son franc-parler, est chargée à la dernière minute de suivre sa campagne. Avec l’aide de son caméraman (Nicolas Marié), elle a tôt fait de découvrir que le candidat cache un secret.

J’adore Albert Dupontel, son tempo rebondissant, ses doux dingues. Son cinéma m’a tapé dans l’œil depuis son premier film, Bernie, en 1996. Adieu les cons est le film  de l’année 2020 que j’ai préféré et rien ne m’a fait tant plaisir que son succès public et la pluie de Césars qui l’a récompensé (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleur scénario original).

Aussi j’attendais avec beaucoup d’impatience son film suivant et étais tout faraud d’avoir déniché des places pour une avant-première. J’y ai retrouvé les mêmes ingrédients que dans ses films précédents : un sujet original, des acteurs euphorisants, Albert Dupontel en tête, quelques répliques qui font mouche et que la bande-annonce a la bonne idée de ne pas spoiler (Pagnol et ses sources m’a bien fait rire !).

La recette du succès des films de Dupontel repose dans un équilibre instable, dans une surenchère bluffante. Il s’en faut de peu pour que le navire prenne l’eau. Adieu les cons aurait pu être une navrante bluette. Second Tour hélas, à force de trop en faire, fait naufrage. La grinçante satire promise du monde politique et de ses compromissions se dévoie en brûlot populiste lesté de quelques idées écolo à la mode sur les néonicotinoïdes et le glyphosate. Son scénario lourdingue est ultra-prévisible. L’irritation gagne et l’emporte bientôt sur le rire.
On est d’autant plus déçu qu’on aimait Dupontel et qu’on attendait tellement de son nouveau film alléchant.

La bande-annonce

Animalia ★☆☆☆

Itto est une jeune Marocaine d’un milieu modeste. Elle a épousé le riche héritier d’une famille très aisée et vit dans le luxueux riad que sa belle-famille s’est fait construire sur les contreforts de l’Atlas. Elle est enceinte de plusieurs mois déjà quand de mystérieux événements plongent la région dans le chaos. L’armée bloque les routes et Itto, coupée des siens, doit quitter le cocon protecteur de sa maison pour les retrouver.

Animalia est le premier film d’une jeune réalisatrice franco-marocaine, Sofia Alaoui. Sa sortie, après celle cet été des Meutes, des Damnés ne pleurent pas et du Bleu du caftan, témoigne de la belle vitalité du cinéma marocain.

Son héroïne campe une transfuge de classe et le film aurait pu fort bien se borner à raconter son histoire et les difficultés, plus ou moins insurmontables, qu’elle doit traverser. Mais Animalia – dont la signification du titre m’est restée opaque – va moissonner du côté du cinéma fantastique en utilisant un argument surnaturel : d’impressionnants phénomènes cosmiques qui annoncent peut-être l’arrivée d’extraterrestres.

Hélas, n’est pas François Truffaut ou M. Night Shyamalan qui veut. À force de loucher du côté de Rencontres du troisième type ou de Signes, Sofia Alaoui s’égare et nous égare dans un film trop ambitieux. Plutôt que de se perdre dans les étoiles, on aurait aimé rester les deux pieds sur terre, à hauteur d’homme et de femme, et suivre l’attachante Itto dans sa maturation.

La bande-annonce

L’air de la mer rend libre ★★☆☆

Sous la pression de ses parents, Saïd accepte de se marier avec Hadjira. Les deux mariés ont l’un et l’autre un lourd passif : lui est homosexuel qui n’a jamais eu le courage de faire son coming out, elle ne s’est jamais remise d’une liaison toxique avec un dealer qui l’a conduite jusqu’à la prison. Compte tenu de ces lourdes hypothèques, quel avenir pour leur couple ?

Je suis allé voir à reculons L’air de la mer rend libre ; car j’avais le pressentiment, très présomptueux, d’en connaître à l’avance le déroulement et le point d’arrivée. Ce pressentiment n’a pas été démenti. Comment un tel scénario peut-il en effet se dénouer ? On n’imagine pas les deux époux au bout de quelques mois faire le constat de leurs différences et se séparer pas plus qu’on ne conçoit qu’ils s’apprivoisent lentement et construisent ensemble un couple solide. La première option tournerait court et la seconde serait chargée d’une homophobie intenable.

Pour autant, aussi peu surprenant soit-il, L’air de la mer rend libre m’a plu. La raison en est dans la maîtrise de sa mise en scène et dans sa direction d’acteurs. Nadir Moknèche n’est pas né de la dernière pluie. Depuis plus de vingt ans, ce réalisateur chevronné joue à saute-moutons sur les deux côtés de la Méditerranée et raconte la difficulté d’être Algérien, qu’on vive en France ou en Algérie (Le Harem de Madame Osmane, Viva Laldjérie, Délice Paloma…).

Il retrouve Lubna Azabal, qui tourna dans ses deux précédents films, et lui adjoint les valeurs sûres que sont Zinedine Soualem et Saadia Bentaïeb pour interpréter les parents des jeunes mariés. Hidjara est interprétée par Kenzia Fortas, César du meilleur espoir féminin 2019 pour Shéhérazade. Pour cicatriser une blessure de cœur elle se jette à corps perdu dans la religion. Sexy en diable, dans le rôle de Saïd, Youssouf Abi-ayad a fait ses armes au théâtre, à Strasbourg, sous la direction de Christophe Honoré ou de Thomas Jolly, avant de créer sa propre troupe. Le casting commet toutefois une erreur de carre avec Zahia Dehar dont la célébrité sulfureuse pour son implication dans l’affaire Ribéry autant que la poitrine généreuse éclipsent encore ses talents d’actrice.

L’air de la mer rend libre suit donc lentement un chemin tracé d’avance. Mais il le fait avec tant de charme et de délicatesse qu’on lui pardonne volontiers son manque de surprise. Autre originalité bienvenue : il nous fait découvrir, loin des clichés touristiques, Rennes, la capitale bretonne qui, à ma connaissance, n’avait guère servi de décor à un film.

La bande-annonce