100 000 000 000 000 – cent mille milliards ☆☆☆☆

Afine est escort à Monaco. Il partage une villa sur les hauts de Nice avec trois amies, escorts comme lui, qui partent à Dubaï passer les fêtes de Noël. Resté seul, Afine traîne son ennui dans les rues silencieuses de la principauté, éclairées par les illuminations de Noël. Une de ses clientes, une plantureuse sexagénaire, l’emmène faire des courses, manger une glace, se baigner dans sa piscine. Afine croise une amie serbe qui s’est vu confier par des parents milliardaires la garde de Julia, une enfant de douze ans à peine.

Virgil Vernier (Les Mercuriales, Sophia Antipolis) est un réalisateur français proche de Bertrand Mandico ou de Yann Gonzalez qui entend réinsuffler un peu de magie dans notre quotidien désenchanté. Il revendique une esthétique kitsch et queer.

Son troisième film – dont rien ne vient expliquer le titre – est un croisement improbable entre le documentaire et le conte. Documentaire : il se déroule dans la principauté monégasque dont le luxe ostentatoire et triste déborde dans les ruelles pendant les fêtes de fin d’année. Conte : les parents de Julia se font construire une île pour s’y réfugier après une catastrophe écologique mondiale imminente.

Au risque de me montrer bien dur, je ne trouve rien à sauver dans ce cinéma-là. Ni la pauvreté du jeu des acteurs, ni l’indigence du scénario, ni la laideur des images mal éclairées.

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Au cœur des volcans : Requiem pour Katia et Maurice Krafft ★★☆☆

Maurice et Katia Krafft étaient deux volcanologues français qui, défiant la mort et finalement y succombant en juin 1991 sur les pentes du mont Unzen au Japon, ont filmé et photographié au péril de leur vie les plus spectaculaires éruptions volcaniques sur la planète pendant vingt ans.

Deux documentaires leur ont été consacrés, bouclés quasiment au même moment en 2022. Le premier de Werner Herzog avait été diffusé sur Arte avant, bizarrement, de trouver le chemin des salles plus de deux années plus tard. Le second, Fire of Love de Sara Dosa, était lui sorti dans quelques salles parisiennes en octobre 2022. Je l’y avais vu et lui avais consacré une critique.

Celle que je m’apprête à faire du documentaire de Werner Herzog pourrait être copiée quasiment mot à mot de celle que je fis il y a deux ans du documentaire de Sara Dosa tant les deux films se ressemblent. La raison en est qu’ils utilisent le même fonds iconographique : les films en Super-8 tournés par Maurice Krafft – sa femme, Katia, étant en charge de la photo.

Les deux documentaires montrent les mêmes images hallucinantes de volcans déchaînés dégorgeant des coulées de lave bouillante ou des torrents de boue, en Islande, en Indonésie ou en Colombie. Elles montrent aussi la silhouette fragile de nos deux Rouletabille, pas particulièrement charpentés ni outillés pour de telles aventures. On a parfois un peu l’impression de voir le film des vacances tournés par de sympathiques cousins…

Le documentaire de Werner Herzog ne nous dit pas grand-chose de l’histoire de ce couple hors normes. Celui de Sara Dosa était plus pédagogique qui racontait leur formation à l’université de Strasbourg, elle en chimie, lui, de quatre ans son cadet, en géologie. Il expliquait également le financement de leurs expéditions, grâce à quelques rares sponsors et grâce surtout à la commercialisation de leurs livres et de leurs films.

Werner Herzog, que la majestueuse beauté de la terre en éruption a toujours fasciné (en 1976, il a filmé l’éruption du volcan de la Soufrière à la Guadeloupe), est plus sensible aux images tournées par Maurice Krafft qu’à l’histoire du couple. Il nous montre les plus impressionnantes. Et même si je les avais déjà vues dans le documentaire de Sara Dosa, je n’ai pas boudé mon plaisir de les voir une seconde fois. Il montre aussi comment, avec le temps et l’expérience, le regard de Maurice Krafft s’affine et se professionnalise.

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Joli Joli ★☆☆☆

Elias, un écrivain en manque d’inspiration (William Lebghil) ,rencontre la nuit du Nouvel An 1977 Léonore, une star de cinéma (Clara Luciani), et passe avec elle une folle nuit d’amour. Mais les deux amants se séparent sans s’échanger leurs adresses et la femme de ménage d’Elias (Laura Felpin), qui en est secrètement eprise, ne lui transmet pas le mot que Leonore avait écrit à son attention. Elias est recruté le lendemain par un producteur de cinéma (José Garcia) pour écrire le scénario du prochain film de Léonore. Un réalisateur célèbre (Grégoire Ludig) est derrière la caméra. Il est amoureux du principal acteur masculin (Vincent Dedienne), lui aussi homosexuel mais condamné par les gazettes à accréditer la rumeur d’une idylle avec Léonore.

Diastème (Le Monde d’hier, Un français…) fait le pari risqué de la comédie musicale. Son pote, Alex Beaupain, signe les paroles et la musique de la douzaine de chansons de cette « opérette » revendiquée. Clara Luciani y fait ses débuts à l’écran.

Joli joli est une comédie musicale à l’ancienne, qui cultive ce côté rétro. Elle se situe dans le passé, en 1977, à une époque où se mélangent les tendances rock, punk et disco. Elle porte un regard rétrospectif sur la place des femmes dans la société et l’homosexualité. Elle est entièrement tournée en intérieur, dans des décors à l’artificialité revendiquée (neige artificielle, fausse piscine…). Les couleurs vives des costumes ne sont pas sans rappeler Les Demoiselles de Rochefort.

Mais hélas le résultat ne convainc pas. Le scénario gentillet se traîne mollement vers un happy end convenu où chacun rencontrera sa chacune (ou son chacun). Chaque scène est suivie de sa chanson qui, au lieu de faire avancer l’histoire, lui offre une illustration chantée, inutile bégaiement d’un scénario déjà bien mou. Si Clara Luciani chante fort bien (c’est bien le moindre), elle joue fort mal, le visage mangé par une frange à la Mireille Mathieu. Quant aux autres acteurs qui jouent fort bien, ils chantent vraiment trop mal. Quant aux chansons d’Alex Beaupain, elles s’écoutent volontiers, mais aucune ne laisse une marque inoubliable. N’est pas Michel Legrand qui veut…

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Conte nuptial ★★☆☆

Sami et Micka sont voisins, collègues de travail et les meilleurs amis du monde. Pour épicer leur quotidien monotone, ils décident, au nom de l’amitié qui les lie d’échanger leurs épouses. Pour que l’usurpation réussisse, ils doivent accentuer leurs ressemblances et copier les pratiques sexuelles de l’autre époux. Mais, Agathe et Mélissa ont vent du mauvais tour que leurs époux veulent leur jouer. Elles décident de leur en jouer un autre.

Conte nuptial est né, raconte sa réalisatrice, du choc que lui a causé que la lecture d’une nouvelle de Roald Dahl, un auteur bien connu pour ses livres pour enfants (Charlie et la Chocolaterie, Fantastique Maître renard), publiée en 1974 dans la revue Playboy. Sous couvert d’humour et de libertinage, La Grande Entourloupe racontait en fait la perpétration du double viol de deux femmes non consentantes par le meilleur ami de leur mari respectif.

On aurait pu craindre qu’un tel point de départ ne conduise à un film #MeToo à la morale sentencieuse. Heureusement, Claire Bonnefoy évite ce travers et livre plutôt un délicieux marivaudage filmé dans le cadre presque surréaliste d’une ville de province [je n’aurai pas réussi à l’identifier] et de deux villas hyper-modernes de sa banlieue cossue – si rien n’est dit du travail des quatre protagonistes, on peut déduire de leur cadre de vie qu’ils ont une belle situation.

Conte nuptial est charmant. Pourtant ses quatre interprètes forment un assemblage disparate. Par son abattage hors du commun, par sa célébrité grandissante, Raphaël Quenard écrase ce quatuor. Et Inas Chanti, découverte chez Antoine Desrosières (À genoux les gars) est trop jeune pour le rôle. Le charme de Conte nuptial vient plutôt de ses dialogues, de sa mise en scène, de ses décors décalés, de ses partis pris théâtraux – on imagine fort bien ce film-là au théâtre.

Cinquante ans ont passé depuis la publication de la nouvelle de Roald Dahl. Ce qui constituait à l’époque une blague potache apparaît aujourd’hui comme une perfidie intolérable. Dont acte. Pour autant, si on y regarde de plus près, la conclusion de la nouvelle et la conclusion du film sont étonnamment proches. [Attention spoiler] Dans la nouvelle, l’épouse de Vic, après que Terry s’est glissé dans son lit à son insu, confesse au réveil à son mari, marri, qu’il ne lui a jamais fait aussi bien l’amour que la veille. Dans le film, c’est exactement à la même conclusion qu’Agathe aboutit, qui a découvert dans les bras de Sami un plaisir que son mari ne lui avait jamais donné.

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Everybody Loves Touda ★☆☆☆

Touda (Nisrin Erradi) élève seule un enfant sourd-muet. Elle est chanteuse de profession et se produit dans des cabarets ou pour des concerts privés. Elle a un rêve : se consacrer à l’aïta, ce chant qui plonge ses racines dans l’histoire profonde du Maroc et qui promeut les valeurs de liberté et d’émancipation, et devenir une cheikha. Mais les hommes qui l’emploient et qui l’écoutent, loin de la reconnaître pour ses qualités artistiques, la ramènent constamment à son sexe.

La première scène du film est glaçante. On y voit Touda se produire pour un cénacle d’hommes, la soirée devenir de plus en plus bruyante et arrosée, et finalement, après une course-poursuite dans les champs, la chanteuse être victime d’un viol collectif. Le problème de cette scène coup de poing est qu’elle épuise le sujet du film, qu’il ne reste ensuite pas grand chose à ajouter.

Everybody Loves Touda tient tout entier dans le résumé que j’en ai fait : une chanteuse qui, dans un monde d’hommes libidineux, souffre de ne pas être respectée pour son art. Pour se reconstruire après le viol qu’elle a subi, pour donner à son fils, malmené par ses camarades de classe et menacé d’exclusion par la directrice de l’école, une éducation adaptée, Touda envisage de quitter sa province pour Casablanca. On se demande comment le film va s’organiser : racontera-t-il ce départ continuellement repoussé pour se terminer sur un plan qui la montrera enfin monter avec son fils à bord du car qui l’emmènera vers une autre vie ? ou au contraire sur celui, alors que son départ imminent est empêché par un événement de dernière minute, qui la laissera défaite avec ses illusions perdues ? ou  bien comptera-t-il deux parties, la première dans son village d’origine, et la seconde à Casablanca ? Là encore avec deux options : un déménagement réussi ou raté ?

En écrivant ce qui précède, je suis en train de me contredire. Je suis en train de suggérer que Everybody Loves Touda pourrait ne pas tenir dans son pitch mais, au contraire, ouvrirait à bien des possibilités.
Le paradoxe pourtant est que, malgré ses bifurcations, le film n’avance pas. Où qu’elle soit, Touda est encore et toujours confrontée au même plafond de verre, au même sexisme.

J’avais trouvé les précédents films de Nabil Ayouch (Razzia, Much Loved) autrement plus convaincants.

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The Wall ★☆☆☆

Jessica Comley (Vicky Krieps) est garde-frontière en Arizona. Cette jeune femme solitaire et silencieuse, fille de parents divorcés, très proche de sa belle-soeur qui se meurt d’un cancer, est tout entière investie dans sa tâche : pour elle, rien ne compte si ce n’est traquer les immigrants latino-américains qui essaient de franchir le mur qui sépare le Mexique des Etats-Unis.

The Wall est un film dérangeant. C’est l’oeuvre d’un cinéaste belge engagé, Philippe Van Leeuw qui, dans ses deux précédents films, s’était intéressé aux victimes de la guerre en Syrie (Une famille syrienne) et du génocide au Rwanda (Le Jour où Dieu est parti en voyage). On comprend que son but est de dénoncer la politique migratoire des Etats-Unis, au moment même où la réélection de Donald Trump laisse augurer son probable durcissement.

Mais sa façon de le faire désarçonne. Il choisit de se mettre du côté du bourreau et non des victimes. Et il confie le rôle du bourreau à l’une des actrices les plus délicates, les plus douces qui soient, la gracile Vicky Krieps. L’acrice est si gracile, si fragile qu’elle inspire une empathie immédiate. Pourtant elle joue le rôle d’un monstre, animée d’une rage sourde contre les migrants qu’elle traque. Elle en a sans doute hérité d’un père dont on comprend à demi-mot qu’il sert de guide à des Américains venus pratiquer une sordide chasse à l’homme à la frontière.

Le superviseur de Jessica lui assigne un co-équipier pour tempérer son zèle. La patrouille croise le chemin d’un Indien, de son petit-fils et de deux migrants mal en point auxquels ils voulaient porter secours. La situation dégénère. On n’en dira pas plus sinon que l’histoire est ténue et que sa pauvreté peine à faire tenir le film debout.

Mais tel n’est pas à mes yeux le principal défaut de The Wall – un titre au demeurant tellement connoté qu’on aurait pu attendre des producteurs qu’ils en proposent un autre. J’ai été plus dérangé par le personnage de Jessica à laquelle le scénario semble chercher des circonstances atténuantes pour expliquer son racisme viscéral. On la voit témoigner envers sa belle-soeur agonisante et de ses deux jeunes enfants d’une douceur désarmante qui contraste avec l’inhumanité dont elle fait preuve dans son travail. Pourquoi ? Pour nous montrer que les bourreaux sont aussi des êtres humains ? pour excuser leur comportement inadmissible ?

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Les Femmes au balcon ★★☆☆

La canicule réunit trois femmes dans un appartement marseillais : Elise (Noémie Merlant), une actrice qui tente de mettre un terme à la relation toxique qu’elle entretient avec un avocat, Nicole (Sanda Codreanu), une écrivaine en herbe qui peine à écrire son premier roman et Ruby (Souheila Yacoub), une cam girl délurée.

Noémie Merlant a le vent en poupe. Depuis son second rôle dans Portrait de la jeune fille en feu (2019), la trentenaire, à l’aise dans tous les registres (elle est hilarante dans L’Innocent), est devenue une star. Elle utilise sa notoriété pour défendre la cause des femmes à l’ère post #MeToo – ou peut-être sa notoriété procède-t-elle en partie de son engagement féministe. C’est le cas dans cette « comédie horrifique », aux frontières de la comédie et de l’horreur, qui constitue une charge en règle contre le patriarcat et un passage en revue (trop ?) systématique de tous les sujets féministes dans l’air du temps : la masculinité toxique, la sororité libératrice, la nudité décomplexée, les violences domestiques, conjugales et gynécologiques, l’avortement, l’aérophagie (sic)…

Les Femmes au balcon commence par un meurtre : celui, par la voisine du dessus, de son mari violent et abusif. On pense alors, au vu de l’affiche notamment, que le film tournera autour de ce meurtre, de  la dissimulation du cadavre, de l’enquête policière qui essaiera d’élucider cette disparition. Mais c’est une fausse piste. Les trois femmes à leur balcon regardent droit devant elles, de l’autre côté de la rue, un superbe Adonis qui se pavane torse nu sur le sien. Les numéros de portable sitôt échangés, elles se retrouvent quelques textos plus tard chez le séduisant Dom Juan, photographe de son métier qui propose à Ruby de prendre la pose. On n’en dira pas plus…

Depuis sa sortie la semaine dernière, je lis sur ce film des critiques assassines. Il ne les mérite pas. Si je les partageais, je craindrais qu’on en rende responsable mes préjugés de vieux mâle anti-woke cisgenre, pas assez déconstruit. Fort heureusement, sans avoir à justifier d’où je parle, j’ai trouvé plusieurs qualités à ce film. Une intrigue au parfum hitchcockien (le long travelling qui ouvre le film nous fait penser à Fenêtre sur cour), des décors almodovariens (même si on préfèrera toujours l’orginal – La Chambre d’à côté qui sort le 8 janvier et que j’ai eu la chance de voir en avant-première en présence du réalisateur – à la copie) et trois actrices réjouissantes (mention spéciale à Souheila Yacoub dont je ne comprends pas pourquoi elle ne perce pas).

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Oh, Canada ★☆☆☆

Alors qu’il se meurt d’un cancer en phase terminale, Leonard Fife (Richard Gere) accepte de raconter sa vie, face caméra, à deux de ses anciens étudiants. Avant de devenir un documentariste célèbre, Fife a grandi aux Etats-Unis. Il s’y est marié deux fois, y a eu plusieurs enfants, mais a abandonné les siens pour fuir au Canada, soi-disant pour échapper à la conscription en 1968 mais en fait pour fuir lâchement un quotidien qu’il ne supportait plus. Amy (Uma Thurman), qui fut son étudiante trente ans plus tôt, avant de devenir sa femme et sa productrice, assiste à l’enregistrement et découvre des pans de la vie de Leonard qu’elle ne connaissait pas.

Oh, Canada est l’adaptation fidèle de l’avant-dernier roman de Russell Banks, l’immense écrivain américain qui allait mourir quelques mois après la publication de sa traduction française. C’est un roman et désormais un film triplement hanté par la mort : celle de Russell Banks qui, atteint d’un cancer, savait sa fin prochaine en l’écrivant, celles, à venir, de Paul Schrader (78 ans) et de Richard Gere (75 ans), dont la fin des impressionnantes carrières (le premier fut l’un des plus grands scénaristes du Nouvel Hollywood, le second une star des années 80) est plus proche que le début.

Comme le roman, le film se plaît à entretenir la confusion sur les souvenirs de Leonard. Sous l’effet des médicaments et de la maladie, le vieillard, exténué, en perd le fil, s’interrompt, se contredit, revient dans le temps ou saute des époques. Au risque d’y perdre le lecteur comme le spectateur, film et roman restituent très subtilement ce récit désordonné, passant du noir et blanc à la couleur, où les amantes de Leonard prennent parfois les mêmes visages (ainsi d’Uma Thurman qui joue à la fois sa dernière épouse et la femme de l’ami peintre à laquelle il rend visite en chemin vers la frontière canadienne).

Le film a suscité chez moi exactement la même réaction embarrassée que le roman. Je n’y ai rien compris. Ou, plus précisément, pour essayer de mettre des mots sur ce ressenti bien laconique, je n’ai pas compris le point de vue de l’auteur et de son héros : s’agit-il du repentir d’un homme qui ne veut pas quitter la vie sans avoir avoué ses fautes ? s’agit-il plutôt d’un ultime tourment sadique qu’il inflige à sa femme ? d’un jeu machiavélique auquel il se livre avec ses anciens élèves pour leur montrer, aussi décati soit-il, qu’il les surpasse toujours ? Leonard Fife est-il un honnête homme ? un lâche ? un salaud ?
On me répondra peut-être que je n’y ai rien compris. Et l’hypothèse de mon manque de clairvoyance me remplit de honte. On me répondra peut-être aussi que c’est tout à la fois. Que la richesse du livre comme du film est précisément de laisser toutes ces options ouvertes. À quoi je répondrai à mon tour qu’hélas ce brouillard trop obscur m’a décontenancé.

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Sarah Bernhardt, La Divine ★☆☆☆

Sarah Bernhardt (1844-1923) est considérée comme l’une des plus grandes tragédiennes de son temps. Elle fut, avant l’invention du cinéma, la première star mondiale.

À l’heure où le moindre artiste un tant soit peu célèbre, écrivain, peintre (Manet), chanteur de variété (Aznavour, Gainsbourg, Piaf), star de rock, couturière (Coco Chanel) se voit consacrer son biopic, il était inévitable que le cinéma français s’empare de la figure haute en couleur de Sarah Bernhardt. Femme libre, immense actrice de théâtre, elle incarne à elle seule une période, celle de la Belle Epoque, tellement cinégénique.

Guillaume Nicloux, plus à l’aise dans le polar poisseux que dans le film d’époque, s’acquitte dignement de la tâche. Les décors et les costumes sont resplendissants ; le casting rassemble tout ce que la Comédie-Française a de meilleur : Laurent Lafitte, Laurent Stocker, Sébastien Pouderoux. Et Sandrine Kiberlain, plus exubérante que jamais, lâche les chevaux en tête d’affiche.

Le problème de ce film est son point de vue. Sarah Bernhardt nous est certes présentée comme une femme libérée, une féministe avant l’heure, bisexuelle et ne se cachant pas de l’être, dreyfusarde quand l’antisémitisme suintait par tous les pores de la IIIème République. Mais elle est somme toute ramenée à un schème très sexiste : une femme qui n’a aimé qu’un seul homme, Lucien Guitry (Laurent Lafitte), et s’est consumée d’amour pour lui.

Plus grave encore : on nous vend le biopic d’une actrice qu’on ne voit jamais jouer. Pas une scène où on la voie sur scène ! C’est un comble ! Et surtout pas une scène où on l’entende parler de son art, sinon quelques allusives allusions à Lorenzaccio, à Cyrano – qu’elle reproche à Rostand d’avoir écrit pour Coquelin – ou à Shakespeare.

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Fotogenico ★☆☆☆

En provenance de Roanne, Raoul débarque à Marseille un an après la mort de sa fille, Agnès, avec laquelle il avait rompu tout contact. Il découvre qu’elle faisait partie d’un groupe de musique nommé Fotogenico, qui avait sorti un disque, mais dont les membres se sont depuis éloignés. Pour entretenir la mémoire de sa fille, Raoul se met en tête de reconstituer le groupe dissous.

Fotogenico est un ovni cinématographique filmé par un couple fou de musique : Marcia Romano est scénariste (Keeper, La Tête haute, L’Evénement, L’Etabli…), Benoît Sabatier est journaliste, rédacteur en chef de TechnikArt.

Leur film fauché se déroule à Marseille, mais se situe aux antipodes des pagnolades que Guédiguian nous concocte à intervalles réguliers. Il est filmé dans un milieu underground, post-punk, électro et lesbien. La musique du groupe Froid Dub – que je cite avec autorité mais dont, évidemment, je n’avais jamais entendu parler avant d’écrire ces lignes – serait son personnage principal si la vedette ne lui était pas volée par Christophe Paou. Cet abonné aux seconds rôles, qui promène sa moustache dans le cinéma français depuis une vingtaine d’années (L’Inconnu du lac, Gare du Nord, Une part d’ombre…) a le droit au haut de l’affiche. Son personnage est étonnant : à la fois comique – surtout quand il se promène dans son plus simple appareil dans les rues de Marseille après que ses habits lui ont été dérobés sur une anse de la Corniche – et tragique – quand il essaie de retrouver l’exacte position du cadavre de sa fille.

Sans doute ce cinéma de bric et de broc, tourné entre copains, fait-il souffler un vent d’air frais. Mais cette came-là, trop brouillonne, trop bruyante, trop punk, n’est décidément pas la mienne.

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