Les Barbares ★★☆☆

Paimpont, une bourgade paisible d’Ille-et-Vilaine, à l’orée de la forêt de Brocéliande et à un jet de pierre du camp de Coëtquidan, est en plein émoi. Son conseil municipal a décidé d’accueillir une famille de réfugiés ukrainiens. Mais ce sont finalement six Syriens qui descendent du bus affrété par l’ONG chargée de leur accueil. Leur arrivée dans ce petit village sans histoire provoque des réactions très tranchées.

Julie Delpy est sans doute l’une des personnalités les plus attachantes du cinéma français. Enfant star, très vite poussée sous les feux de la rampe (elle tenait en 1986 le rôle titre de La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier), elle s’est expatriée aux États-Unis et mène de front une carrière d’actrice et de réalisatrice. Ses films sont très disparates. La Comtesse ressuscitait la figure mythologique d’une comtesse hongroise du XVIIème siècle accusée de sacrifier des jeunes vierges pour conserver son éternelle jeunesse. Les Barbares s’inscrit dans une veine bien différente, similaire à celle du Skylab où Julie Delpy revisitait le vert paradis de son enfance.

Julie Delpy nous y livre, sous le mode badin de la comédie, une histologie de la société française raciste et anti-raciste. À une extrémité du spectre, elle se donne le (pas si ?) bon rôle de la prof gauchiste. À l’autre, Laurent Lafitte interprète avec un plaisir communicatif le rôle d’un plombier facho, défenseur de l’identité bretonne – quoique d’origine d’alsacienne. Au milieu, Jean-Charles Clichet, l’écharpe tricolore en bandoulière, incarne un intenable en-même-temps macroniste, perclus de contradictions. À leurs côtés, dans des seconds rôles aux petits oignons, Sandrine Kiberlain et India Hair sont épatantes.

Les Barbares a le défaut de tenir tout entier dans sa bande annonce qui, comme il est d’usage, concentre les meilleures répliques. Il faut avoir un peu d’intérêt pour le sujet, d’indulgence pour son traitement et de temps libre dans une programmation très riche ces temps-ci pour donner sa chance à ce film oubliable. Pour autant, il serait bien ingrat de le regarder de haut. Car Les Barbares est une comédie intelligente et plaisante.

La bande-annonce

La Chanson de Jérôme ☆☆☆☆

Né en 1980, Jérôme Laronze était agriculteur en Saône-et-Loire dans la région de Cluny. À la tête d’une exploitation de 130ha, léguée par ses parents, il élevait des bovins. Il a été tué en mai 2017 de trois balles tirées par un gendarme. Il était en fuite depuis neuf jours après avoir échappé à un contrôle administratif. Membre de la Confédération paysanne, Jérôme Laronze était un agriculteur engagé en faveur de l’agriculture biologique, hostile aux normes de traçabilité auxquelles il reprochait de faire le jeu de l’agro-industrie.

L’affaire Jérôme Laronze avait défrayé la chronique en 2017. Cet agriculteur insoumis avait omis de déclarer la naissance de ses bêtes dans les délais impartis et refusait de suivre les procédures imposées par les services de l’Etat. Un contrôle sur place de la DDPP (Direction départementale de la protection des personnes) – qui s’est substituée en 2010 aux anciennes directions départementales des services vétérinaires – organisé sur haute surveillance policière a dégénéré, provoquant sa fuite. Sa traque s’est terminée par sa mort, dans des circonstances qui n’ont toujours pas, plus de sept ans après les faits, donné lieu à un procès.

L’affaire Jérôme Laronze a reçu un énorme écho qui témoigne de l’émotion suscitée par sa mort tragique et de l’exemplarité de sa situation, emblématique d’une paysannerie poussée à bout par des contrôles administratifs tatillons et des conditions de vie de plus en plus difficiles. La journaliste Florence Aubenas lui a consacré une série d’articles dans Le Monde. L’affaire a inspiré plusieurs livres, plusieurs pièces de théâtre et un documentaire sur Arte diffusé en 2022. Le film d’Olivier Bosson, tourné en 2021 et 2022, s’inscrit dans cette riche postérité.

Cette affaire emblématique aurait mérité mieux que ce film maladroit, tourné avec des acteurs amateurs. On est gêné pour eux de les voir aussi mal jouer et s’enferrer dans des rôles manichéens. Devant  la caméra d’Olivier Bosson, l’histoire de Jérôme Laronze se réduit à un combat de David contre Goliath, du Bien contre le Mal, d’un agriculteur dur à la tâche, tellement attachant, si proche de sa nièce et de ses bêtes, face à une administration claquemurée derrière le respect de procédures inutilement tatillonnes.

La bande-annonce

Hiding Saddam Hussein ★★☆☆

En décembre 2003, Saddam Hussein, traqué par les 150.000 soldats américains de l’armée d’occupation, est débusqué dans un petit village de la vallée du Tigre. Les images de son arrestation font le tour du monde et suscitent un iconique « Ladies and Gentlemen, We Got Him! » de l’administrateur civil américain en Irak, Paul Bremer. Saddam Hussein sera jugé, condamné à mort et pendu en décembre 2006.
Pendant 235 jours, un modeste fermier l’avait caché. Il témoigne.

Le pitch de ce documentaire est bigrement alléchant. Comment diable Saddam Hussein s’est-il caché de la première armée du monde pendant près de huit mois ? Où s’est-il terré ? Sur quelle complicité comptait-il pour échapper à ses poursuivants ? La réponse est simple : il s’est fait passer pour un vieux paysan dans une ferme tranquille des bords du Tigre.

L’histoire est racontée fort simplement. Alaa Namiq est filmé face caméra. En habit traditionnel, dishdasha et kaffiyeh, assis à même le sol, il s’exprime d’une voix claire et nous tient en haleine pendant une heure et demie en racontant chacun des épisodes de cette histoire incroyable : l’arrivée du raïs, entouré de ses gardes du corps, la crainte révérencieuse qu’il inspire, son installation à la ferme, les visites épisodiques que lui rendent ses fils et son secrétaire particulier, la brutale descente des soldats américains qui, dûment renseignés, débusquent vite le fugitif. Pour donner plus de vie à ce récit, les scènes qu’il raconte sont rejouées par des acteurs.

Hiding Saddam Hussein insiste sur les liens pleins d’humanité qui se sont noués entre ce fermier et son invité pas comme les autres. Son affiche en témoigne qui le montre aidant Saddam à traverser à gué une rivière. Dans une autre scène du film, Alla Namiq raconte avoir donné son bain au raïs et se l’être fait donner par celui-ci en retour. Cette petite musique-là est touchante. Mais, à trop s’y laisser bercer, on risque d’oublier le dictateur sanguinaire qui n’hésita pas à exterminer sa propre population et qui l’entraîna dans deux conflits suicidaires.

La bande-annonce

Blitz ★☆☆☆

Londres en 1941 est victime des bombardements aériens de l’aviation allemande. Sa population se terre dans les abris sous-terrains. Ses enfants sont envoyés loin de la capitale. Mais le petit George, neuf ans, refuse d’être séparé de sa mère, Rita (Saoirse Ronan), qui l’élève seule. Il saute du train qui le conduit à la campagne et revient, à ses risques et périls, à Londres. Apprenant sa disparition, sa mère, folle d’inquiétude, part à sa recherche.

Blitz sera diffusé sur Apple TV à partir du 22 novembre. Mais, par dérogation à la chronologie des médias (qui interdit avant un certain délai, la diffusion par d’autres médias, des films sortis en salles) il a bénéficié en France d’un visa cinématographique temporaire de deux jours sur un nombre limité d’écran (2° de l’art. R. 211-45 du code du cinéma et de l’image animée). C’est ainsi que j’ai eu la chance de le voir dans une petite salle du Quartier latin dimanche dernier.

Je m’y suis précipité à cause de la renommée de son réalisateur qui a signé notamment Hunger, Shame ou Twelve Years a Slave, Oscar 2014 du meilleur film. J’y suis allé aussi à cause de Saoirse Ronan, dont je m’enorguillis de savoir prononcer le prénom [Ser-sha] et, plus sérieusement, dont j’aime tous les films. J’y suis allé enfin à cause du sujet du film, diablement cinématographique (Les Heures sombres, Hope and Glory…).

J’ai hélas été très déçu. Certes, on en prend plein les yeux – et on est bien content de pouvoir en profiter devant un grand écran plutôt que sur celui, étriqué, de son ordinateur. Mais ces quelques scènes grandioses, comme la première, d’un incendie dantesque, qui ouvre le film, sont la seule qualité d’une oeuvre très planplan au scénario cousu de fil blanc (1. George se perd 2. George retrouve son chemin) et à la morale convenue (le racisme, c’est mal et les marionettes sont en fait actionnées par des humains)

La bande-annonce

Gladiator II ★★☆☆

Dix-huit ans ont passé depuis la mort du gladiateur Maximus Decimus (Russell Crowe, en froid avec la production, dont on n’aura même pas droit à un cameo). Son fils Lucius (Paul Mescal) a fui en Numidie. Mais, défait par l’armée du général Acacius (Pedro Pascal), il est réduit en esclavage et ramené à Rome. Macrinus (Denzel Washington), qui complote contre l’empereur Caracalla, le repère et en fait son plus vaillant gladiateur.

Près d’un quart de siècle après avoir signé ce film d’anthologie, qui avait réhabilité un genre passé de mode, le péplum, et avait transformé Russell Crowe en star mondiale, Ridley Scott, 86 ans, remet le couvert. Quelques vétérans l’accompagnent : le même chef décorateur, la même costumière, le même directeur de la photographie… et Connie Nielsen dont la classe intemporelle et la parfaite francophonie ont illuminé l’avant-première VIP organisée dimanche soir au Pathé Palace boulevard des Capucines.

Le complexe de sept salles vient de rouvrir après sept ans de travaux. C’est le siège social et le cinéma de référence du groupe dirigé par Jérôme Seydoux. Les places y sont vendues 25 euros. Ce surcoût se justifie par un service de luxe : écran géant, son cristallin, sièges inclinables (et chauffants !) capitonnés en cuir, doubles accoudoirs, confiseries servies à la place dans un palace réaménagé par Renzo Piano dans un style Art déco. Le public sera-t-il au rendez-vous ? Acceptera-t-il de payer ce prix pour voir un film qu’il pourrait voir pour bien moins cher dans une salle de cinéma ordinaire – ou quelques mois plus tard sur une plateforme ? Considèrera-t-il que ce loisir là est bon marché si on compare son prix à celui d’une place au théâtre, au concert ou à l’opéra ?

Mais je m’égare. L’objet de cette critique est Gladiator II (en chiffres romains s’il vous plaît).

Autant le dire tout à trac : le spectateur en a pour son argent – surtout lorsqu’il n’a pas payé sa place, comme ce fut le cas pour mon fils et moi ! Gladiator II a coûté 250 millions de dollars. C’est l’un des films les plus chers de l’histoire du cinéma. Et cet argent se voit, dans les batailles épiques, dans les reconstitutions de Rome, dans les combats organisés au Colisée. Certains diront même qu’il se voit un peu trop. Bon public, incapable de retenir un Waouh! d’admiration devant, par exemple, le rhinocéros caparaçonné que Lucius doit combattre dans l’arène, je ne mégoterai pas.

Je me demande si Gladiator II est fidèle à l’histoire romaine. De ce que j’ai pu lire de la vie de Caracalla et de son successeur Macrin (interprété par Denzel Washington, cabotin à souhait), je comprends que le scénario s’est autorisé quelques libertés. Je serais curieux de savoir si les monuments, tels qu’on les voit dans quelques plans aériens bluffants, sont bien ceux qui existaient à l’époque.

Mais je m’égare encore une fois.
Mon problème est que je n’ai, tout bien réfléchi, pas grand’chose à dire de ce film. Tout le ramène à son écrasant prédécesseur. Et tout, dans la comparaison, tourne à son désavantage. La musique par exemple n’est jamais aussi majestueuse que quand elle reprend celle de Hans Zimmer. Le scénario semble n’avoir pas d’autre fonction que de fournir de molles transitions entre deux combats de gladiateurs. Ceux-ci sont condamnés à la surenchère : après une troupe de babouins enragés – pas très réussis -, le rhinocéros susmentionné, une bataille nautique avec des requins anachroniques, qu’inventer d’autre ?
Mais c’est avec le héros que le bât blesse le plus. Gladiator, c’était Russell Crowe, sa masculinité hypertestostéronée, sa carrure impressionnante. Paul Mescal ne lui arrive pas à la cheville. Au propre comme au figuré. Il a beau avoir fait des heures de salle, il n’a pas la carrure. Et pas le charisme non plus.

La bande-annonce

The Substance ★★★☆

Actrice jadis oscarisée, star sur le déclin, Elizabeth Sparkle (Demi Moore) anime une émission quotidienne d’aérobic sur une chaîne télévisée. Menacée de licenciement par son patron (Denis Quaid) le jour de son cinquantième anniversaire, Elizabeth reçoit une publicité pour une mystérieuse substance. Son injection lui redonnerait une nouvelle jeunesse. Mais une condition doit être respectée : tous les sept jours, l’ancienne et la nouvelle version de soi doivent permuter.

Faust, La Peau de chagrin, Dorian Gray… quels sacrifices sommes-nous prêts à consentir pour obtenir ce que nous désirons par-dessus tout ? Aujourd’hui, il s’agirait de l’éternelle jeunesse, d’une vision « plus jeune, plus belle, plus parfaite » de soi-même comme le promet la publicité de cette mystérieuse substance dont on ne saura pas d’où elle vient, combien elle coûte, qui la propose à Elizabeth ni dans quel but…. au point qu’on se demanderait presque si tout le film n’est pas qu’un cauchemar éveillé.

Coralie Fargeat n’avait tourné qu’un seul long, Revenge, un revenge porn movie sacrément efficace. Après ce premier film qui empruntait aux codes du film d’horreur, on aurait pu croire qu’elle serait revenue au cinéma mainstream avec ce film de studio, ses stars, sa sélection à Cannes. Mais, comme sa cadette en cinéma Julia Decourneau (Grave, Titane), Coralie Fargeot décide de creuser le sillon du body horror. Pour qui ne connaîtrait pas l’expression, une explication wikipédiesque est nécessaire : le body horror est un sous-genre du film d’horreur mettant en scène des mutations perturbantes du corps humain. David Cronenberg (Shivers, La Mouche…) est considéré comme le principal initiateur du genre ; mais on en trouve de nombreux exemples dans les anime japonais (Akira, Tetsuo…).

Des mutations perturbantes du corps humain, The Substance nous en réserve son lot. La première n’est pas la plus désagréable où l’on voit Demi Moore (née en 1962), qui ose le full frontal picture – elle avait déjà défrayé la chronique en couverture de Vanity Fair en 1991 – se muer en Margaret Quiley (née en 1994), peau de pêche, seins en pomme, fesses galbées…. Le cochon qui sommeille en chacun d’entre nous en prend plein les yeux avant de comprendre que le male gaze est le principal accusé de ce body horror féministe à la morale passablement rebattue : le culte narcissique de la beauté, le jeunisme, la lutte contre le vieillissement sont des impasses.

On aurait aimé que le film s’arrête vingt minutes plus tôt. Mais le scénario, qui a, contre toute raison, obtenu un prix à Cannes, en rajoute jusqu’à l’overdose. [attention spoiler] Alors que l’histoire aurait pu très efficacement s’arrêter avant l’ultime transformation d’Elizabeth/Sue, il nous sert une ultime séquence dont on devine par avance l’atrocité. La série B devient série Z suscitant au choix le dégoût ou l’éclat de rire avec une surenchère monstrueuse et sanguinolente (mon fils aîné, qui travaille dans le métier, me dit que plus une goutte de faux sang n’était disponible sur le marché dans les jours qui ont suivi le tournage).

Quel verdict ? j’ai beaucoup hésité. Je me serais spontanément limité à deux étoiles en raison des excès de ce film trop gore à mon goût. Mais cette note trop médiane n’aurait pas rendu justice à ce film hors normes, dont la photographie, la musique et les personnages perdus dans leurs addictions m’ont rappelé l’iconique Requiem for a Dream.

La bande-annonce

Juré n° 2 ★★★☆

Alors que sa femme est sur le point d’accoucher, Justin Kemp (Nicholas Hoult) est convoqué pour participer à un jury d’assises. L’homme qui est jugé a de lourds antécédents. Il est accusé d’avoir assassiné sa compagne un an plus tôt après une violente dispute dans un bar. Le cadavre de la victime a été retrouvé dans un ruisseau, en contrebas d’une route. Or Justin Kemp se souvient être passé ce soir-là dans ce bar, l’avoir quitté sous une pluie diluvienne et avoir heurté en, voiture ce qu’il a cru alors être un cerf sur la route, au-dessus de ce ruisseau. S’il est coupable du crime qui est jugé, peut-il laisser un innocent être condamné ?

À quatre-vingt-quatorze ans, Clint Eastwood signe peut-être son dernier film. On avait dit la même chose du précédent, Cry Macho. Celui-ci, dans lequel il ne joue pas, semble réunir, par un ultime tour de force, toutes les qualités de cet immense réalisateur. Le scénario repose sur un pitch très simple et diablement séduisant. Il n’en réserve pas moins son lot de rebondissements qui maintient l’attention tout du long (les films de Clint Eastwood débordent largement les canoniques quatre-vingt-dix minutes). La narration est simple, claire et ne s’embarrasse pas, comme c’est le cas dans la plupart des films contemporains, de flash backs pour en pimenter la teneur.

Juré n° 2 fait inévitablement penser à Douze hommes en colère, le chef d’oeuvre référentiel de Sidney Lumet : un juré, qui doute de la culpabilité de l’accusé, tente de semer le doute dans l’esprit des onze autres jurés fermement décidés à le condamner sans délai. Le film de Lumet était une oeuvre progressiste, habitée par des convictions humanistes  : le doute raisonnable doit bénéficier à l’accusé, quels que soient les préjugés qu’il suscite. C’était aussi, comme Du silence et des ombres (avec Gregory Peck) ou Mr Smith au Sénat (avec James Stewart), l’héroïsation de l’Américain moyen qui, inspiré par les plus hautes valeurs, animé de son seul courage, peut les faire triompher. C’était enfin avec son happy end un discours foncièrement optimiste d’une part sur l’Homme, dont l’humanisme intrinsèque finit toujours par l’emporter, d’autre part sur les institutions américaines qui, bien utilisées, permettent à ces bons sentiments de s’exprimer et de prévaloir.

Les films de Clint Eastwood sont plus sombres. Ses héros charrient un lourd passé, des tares dont ils ne se sont pas débarrassés. Justin Kemp par exemple se révèle un alcoolique en rémission dont la femme a perdu récemment les jumeaux qu’elle portait. Sans en rien dévoiler, puisqu’elle est au cœur de l’intrigue, la position qu’il adoptera durant le délibéré n’a pas la rigueur morale des héros de Lumet ou de Capra. Avec Eastwood, on est plutôt du côté de Jean Renoir dans La Règle du jeu : « Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons« .

Si l’on décortique Juré n° 2, on peut y découvrir quelques faiblesses : par exemple que la potentielle culpabilité de Justin Kemp n’ait pas été découverte plus tôt, notamment par un autre membre du jury. Mais ces chicaneries a posteriori n’enlèvent rien au plaisir que prendront à ce film d’abord ceux qui aiment les films de procès et plus largement tous les amoureux d’un cinéma classique et de belle facture. Jusqu’à son tout dernier plan ouvert à toutes les conjectures, qui suscitera des discussions enflammées en sortant de la salle.

La bande-annonce

Danser sur un volcan ★★★☆

Quand le 4 août 2020, 2750 tonnes de nitrate d’ammonium explosent sur le port de Beyrouth, tuant 217 personnes, en blessant plus de 7000 et occasionnant des milliards de dollars de dégâts, le tournage du film Costa Brava, Lebanon de Mouna Akl était sur le point de commencer. Sous le choc, la production et la réalisatrice hésitent à tout laisser tomber. Mais la formidable énergie déployée par toute l’équipe du film aura raison de toutes les difficultés financières (la lire libanaise a perdu un tiers de sa valeur), sanitaires (le Covid fait rage), logistiques (des pluies diluviennes paralysent Beyrouth et détruisent les décors), administratives (l’acteur principal, le Palestinien Saleh Bakri, est bloqué à la frontière).

Danser sur un volcan ressemble à un making of. Un making of d’un film maudit, frappé par tous les coups durs qui puissent s’imaginer. La référence à Lost in La Mancha, le making of du Quichotte que Terry Gilliam n’a jamais réussi à boucler, vient aussitôt à l’esprit et est d’ailleurs cité par l’une des protagonistes. Si l’on n’a pas vu à sa sortie en 2023 Costa Brava Lebanon, ou si l’on n’a pas lu cette critique éhontément divulgâcheuse, on appréciera d’autant plus la première partie de ce documentaire qui laisse planer le suspense sur l’achèvement du film. Mais très vite, on comprend que les difficultés seront surmontées et que le tournage ira à son terme.

Danser sur un volcan comporte deux niveaux de lecture.
Le premier, le plus immédiat, le plus euphorisant aussi, est le tournage d’un film, réalisé par une équipe soudée par la même passion et la même bonne humeur. Le rire en cascade de la gironde productrice à chaque coup du sort constitue le meilleur antidote aux facéties du destin. On se demande si le documentariste, un peu trop bienveillant, n’a pas gommé au montage toutes les querelles ou bien si ce collectif a vraiment réussi à maintenir une telle harmonie pendant toute l’entreprise. Danser sur un volcan est un bel hommage au cinéma, un art artisanal, une patiente marqueterie qui nécessite l’assemblage et la synergie de tant de talents.

Le second, autrement plus désespérant, est le portrait en creux qu’il dessine du Liban. Un pays déchiré par la guerre civile, les agressions extérieures, la mauvaise gouvernance et l’absence de sens civique. L’explosion du 4 août 2020, produit de l’incurie et de la corruption, en est le sinistre symbole. L’incapacité de l’Etat libanais à mener l’enquête et à organiser un procès quatre ans plus tard en constitue hélas une illustration supplémentaire.

La bande-annonce

Here – Les plus belles années de notre vie ★★☆☆

Here relève un défi sacrément culotté : tourner tout un film sans jamais bouger la caméra. Un film qui ne raconterait pas une histoire censée se dérouler en deux heures, en une semaine, voire l’espace d’une vie, mais qui remonterait aux dinosaures, à leur extermination sous une pluie d’astéroïdes et à la naissance de l’humanité.

Robert Zemeckis est le petit frère de cinéma de Steven Spielberg. Son cadet de six ans, il a réalisé des films presque aussi populaires que lui : la trilogie Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit, Forrest Gump, Seul au monde…. Comme James Cameron, il a toujours été fasciné par les effets visuels et les nouvelles technologies : les trucages, la performance capture, la 3D numérique, l’utilisation de l’IA….

L’idée de Here lui est venue du roman graphique de Richard McGuire qui raconte l’histoire du monde de 3 500 000 000 av. J.C. jusqu’à l’an 22 175 depuis un point de vue fixe : l’angle d’un salon de Perth Amboy dans le New Jersey où l’auteur a grandi. Sacrée gageure  technologique et scénaristique que Robert Zemeckis relève haut la main grâce à deux procédés. Des inserts dans l’image qui permettent de passer avec beaucoup de fluidité d’une époque à l’autre, sans jamais égarer le spectateur. Des flashbacks et des flash forward qui rompent avec la plate chronologie des histoires qui aurait été vite ennuyeuse.

Si on l’analyse, on distingue six histoires dans Here. La première se déroule au temps des Amérindiens ; la seconde à l’Indépendance avec Benjamin Franklin pour héros ; la troisième au début du vingtième siècle avec un pionnier de l’aviation et son épouse, terrifiée par les risques qu’il prend (on reconnaît Michelle Dockery, personnage récurrent de Downton Abbey) ; la quatrième juste avant la seconde guerre mondiale chez un inventeur hédoniste. La dernière, la sixième, se déroule de nos jours, met en scène une famille afro-américaine (témoignage de l’évolution sociologique de la population américaine) et est marquée par la crise du Covid.

Le cinquième épisode est le plus long. Il constitue le cœur du film. On pourrait même se demander si Here n’aurait pas dû se focaliser sur lui. Il s’agit de l’histoire de Richard (Tom Hanks) de sa naissance , au lendemain de la Seconde guerre mondiale, quasiment jusqu’à sa mort. Son père, ancien combattant qui peine à se réacclimater à la vie civile, et sa mère (la rousse Kelly Reilly qui enflammait L’Auberge espagnole il y a près d’un quart de siècle) s’installent dans cette maison de banlieue où Richard va naître et grandir. Faute de moyens, Richard y passera sa vie avec sa femme (Robin Wright) et sa fille sans pouvoir jamais concrétiser ses rêves d’autonomie. Richard aurait aimé être peintre ; mais il devra se résoudre à vendre des assurances pour faire vivre sa famille.

Here a reçu un accueil critique très tiède. Il est sorti en catimini en France où il n’a fait l’objet d’aucune projection de presse. Ces réactions se comprennent : on peut trouver le film un peu long, une fois dissipée la curiosité suscitée par son parti pris culotté. On peut lui reprocher sa multiplicité d’histoires inégalement développées, seule celle de Richard, de ses parents et de Margaret étant réellement creusée. On peut aussi éprouver un malaise face aux effets spéciaux utilisés pour rajeunir outrancièrement Tom Hanks et Robin Wright. Pour autant, j’avoue avoir pris beaucoup de plaisir à ce film dont le scénario sans temps mort m’a tenu en haleine de bout en bout. Et j’ai trouvé la toute dernière scène particulièrement émouvante.

La bande-annonce

Trois amies ★★★☆

Joan (India Hair), Alice (Camille Cottin) et Rebecca sont lyonnaises. Joan et Alice enseignent en collège l’anglais et l’histoire respectivement. Dans l’attente d’un poste, Rebecca, professeure d’arts plastiques, est employée au musée gallo-romain de Fourvière. Joan vit avec Victor (Vincent Macaigne) mais elle n’est plus amoureuse de son conjoint et hésite à le lui dire. Alice lui oppose le modèle du couple qu’elle forme avec Eric (Grégoire Ludig) : un couple soudé mais sans amour. Rebecca entretient quant à elle une relation secrète avec un homme marié… qui s’avère être Eric lui-même.

On connaît Emmanuel Mouret depuis maintenant plus de vingt ans. Ce plus si jeune quinquagénaire signe ici son douzième long-métrage. Il jouait dans les premiers, des comédies souvent légères tournées sous le soleil provençal de sa ville natale, Marseille. Depuis Caprice (2015), il s’est effacé et son cinéma s’est fait plus grave. Trois amies prend le virage affiché de la tragédie avec la mort brutale de l’un de ses protagonistes – que la bande-annonce nous aura dévoilé – qui en devient le narrateur d’outre-tombe.

Trois amies ressemble aux deux derniers films d’Emmanuel Mouret : Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, Chronique d’une liaison passagère. Il enthousiasmera ceux qui les ont aimés et déplaira à ceux qui ne les ont pas goûtés. Et les autres qui ne les ont pas vus ? je les incite sincèrement à s’y frotter. Il leur faudra peut-être un petit moment acclimatation pour s’habituer aux tics de son cinéma : les dialogues mal écrits rendent aux acteurs la tâche bien ardue.
Grégoire Ludig ne s’en sort pas. Camille Cottin n’y est pas à l’aise : elle qui fut si lumineuse dans ses derniers films brille ici par son absence et sa fadeur. Je ne sais que penser d’India Hair, qu’on croyait condamnée aux seconds rôles et à laquelle Emmanuel Mouret offre la tête d’affiche. En revanche, j’ai été enthousiasmé par Sara Forestier qu’on n’avait plus vue depuis bien longtemps et dont on réalise combien elle nous avait manqué. J’ai adoré son rôle et la profondeur qu’elle lui donne.

Le scénario de Trois amies est d’une étonnante densité pour un film qui ne dépasse pas deux heures. Ce marivaudage étonnant contient bien des rebondissements sans lesquels l’attention du spectateur se serait peut-être lassée. Ce scénario nous fait voyager sur la carte de Tendre et contient jusqu’à son tout dernier plan une surprise qui pimente un happy end qui, sans elle, aurait été trop convenu.

La bande-annonce