Libertate ★★☆☆

Décembre 1989, Sibiu en Transylvanie. Le régime autoritaire de Ceaucescu vient de tomber. La foule en colère manifeste et exige l’arrestation des anciens communistes. Les forces de l’ordre ne savent comment réagir ni à quel saint se vouer. Les militaires sont les premiers à retourner leur veste et à arrêter les policiers accusés d’être les exécutants des basses oeuvres de l’ancien régime. Ils sont entassés pêle-mêle dans une piscine vidée de son eau.

Trois semaines seulement après Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé sort sur les écrans français un nouveau film roumain. Il a le même thème, la révolution roumaine de 1989, preuve s’il en fallait qu’elle a marqué les esprits. Libertate commence exactement au moment où Ce Nouvel An… se terminait : l’un racontait les hésitations de Roumains ordinaires avant la chute du régime, l’autre décrit le chaos qui s’en est suivi. Il faudrait, si ce n’est pas déjà fait, écrire un article ou un livre sur la révolution roumaine vue à travers son cinéma.

Libertate a une grande vertu historique. Il décrit ce moment précis où le pouvoir vacille, s’écroule et change de main, laissant les acteurs dans le brouillard. Les livres d’histoire en rendent rarement compte, qui rationalisent et éclairent a posteriori une succession d’événements rapides et confus. Ici, les catégories morales traditionnelles volent en éclat. les policiers de la Securitate deviennent les victimes d’un ordre inique qui au nom de la purge anticommuniste les accusent de « terrorisme ». Faute de certitudes, on se raccroche aux rumeurs les plus fantaisistes qui circulent : la police a tiré sur la foule, l’eau est empoisonnée…

Le problème est que cette ambiance là n’est guère cinématographique. Tout est flou dans Libertate, surtout dans sa première moitié où on peine à comprendre qui est qui, à distinguer les bons des méchants, à reconnaître les personnages principaux aux pas desquels on va s’attacher tel ce policier, père de famille, qui veut à tout prix être relâché pour le baptême de son fils le 7 janvier. Un oeil plus familier de la Roumanie identifierait peut-être les protagonistes ; mais le spectateur français que je suis s’est perdu dans ce jeu de dupes illisible (je n’ai pas compris qui était la femme à toque qui sillonne la ville avec sa fille : l’épouse d’un prisonnier ? une policière elle-même ?).

La bande-annonce

Transmitzvah ☆☆☆☆

Ruben est un petit garçon argentin qui, la veille de sa bar-mitzvah, a exigé de ses parents médusés, propriétaires d’une boutique portègne bon chic bon genre de prêt-à-porter, l’organisation d’une bat-mitzvah au motif qu’il était une fille prénommée Mumy. Devenue quelques années plus tard une diva trans pop yiddish mondialement connue, Mumy revient en Argentine au chevet de son père mourant.

Daniel Burman avait réalisé il y a une vingtaine d’années Le Fils d’Elias qui interrogeait l’histoire de la communauté juive argentine. Il n’avait plus guère donné signe de vie depuis lors mais revient avec un film qui interroge le même sujet : la judéité confrontée ici non pas à son passé mais à une question bien actuelle, la transidentité.

Le sujet était intrigant et alléchant. Daniel Burman aurait pu le traiter sous l’angle de la comédie décalée, comme il le fait d’ailleurs en insérant des numéros musicaux trop sucrés. Il aurait pu aussi raconter un drame familial, la confrontation d’un enfant transgenre à ses parents transphobes, ou bien encore la réconciliation apaisée d’un enfant avec son père. Il prend un autre parti, assez déroutant, qui flirte avec le réalisme magique, lestant les scènes de longs dialogues fumeux, déménageant ses personnages, on ne sait trop pourquoi, à Tolède dans la dernière partie du film.

Je suis sorti de la salle dérouté et déçu.

La bande-annonce

Accident domestique ★☆☆☆

Maria, nullipare vieillissante, et Jesus ont enfin réalisé le rêve de leur vie : avoir un enfant. Ils déménagent et équipent leur nouvel appartement. Pour ce faire, ils achètent une table basse après d’âpres discussions avec un vendeur bonimenteur. Mais, revenus chez eux, au moment de l’assembler survient un accident dramatique.

Accident domestique (La Mesita del comodor dans son titre original, qu’on peut traduire par « la petite table à manger » ou « la table basse ») joue sur deux registres : le drame et la comédie. Le drame qui en constitue le moyeu est le plus horrible qui soit, dont le lecteur avisé aura déjà eu le pressentiment à la lecture de ces lignes et dont la cruelle réalité est d’ailleurs dévoilée dans de nombreuses critiques. Pourtant, ce drame est traité sur un mode comique, pas celui de la grosse blague qui tache, mais plutôt du rire nerveux qui constitue le seul exutoire au malaise.

Cette atmosphère très particulière imprègne déjà la toute première scène filmée en très gros plan. Elle se déroule dans un centre commercial sordide et bizarrement désert. Elle met en scène Maria, Jesus et un vendeur bedonnant qui s’évertue à leur vendre une table basse hideuse qu’on croirait tout droit sortie du showroom – aujourd’hui désaffecté rue Faidherbe – de Claude Dalle.

Accident domestique est organisé comme une pièce de théâtre. Après son premier acte, les trois ou quatre suivants se déroulent en huis clos dans le nouvel appartement de Maria et Jesus. Des personnages secondaires y passent : une voisine, son chien et sa fille adolescente qui fantasme une idylle impossible avec Jesus, puis le propre frère de Jesus et sa nouvelle compagne invités à déjeuner.

Le problème du scénario est qu’il est construit sur une attente : l’attente du moment où Maria découvrira l’accident intervenu pendant sa brève absence. Ce moment est sans cesse repoussé – sans quoi le film se réduirait à un court métrage. Quand il survient enfin, le chaos qu’il suscite a beau prendre des dimensions dantesques, il n’en reste pas moins très prévisible.

La bande-annonce

Ingeborg Bachmann ★☆☆☆

Quasiment inconnue en France, la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann (1926-1973) est une célébrité outre-Rhin. Margarethe von Trotta s’attache à deux épisodes de sa vie : sa liaison avec l’écrivain suisse Max Frisch, le voyage qu’elle accomplit ensuite dans le désert égyptien pour se remettre de sa séparation.

Ce biopic a un atout immense : la présence de Vicky Krieps qui donne à son héroïne une incandescence inouïe. L’actrice germano-luxembourgeoise, qui a trop tourné au risque de galvauder son talent, s’est faite un peu plus rare ces dernières années. Ses apparitions en sont d’autant plus remarquables. Dans de sublimes toilettes, qu’on croirait détournées d’un défilé de mode ou de Phantom Thread, le film qui l’a révélée (et que j’avais à tort, boudé à sa sortie), elle donne à son personnage une intensité folle.

Le principal défaut de ce film est la sagesse de sa mise en scène, qui surprend d’autant plus qu’elle est signée par l’une des plus grandes réalisatrices allemandes Margarethe von Trotta, qui a déjà consacré plusieurs biopics à d’autres grandes figures de l’histoire contemporaine (Rosa Luxemburg en 1986, Hannah Arendt en 2012). Son montage, qui alterne les flashbacks et les flash-forward a le mérite d’intriguer (où par exemple se situe la toute première séquence du film ?) ; mais bien vite son mécanisme distille l’ennui.

Autre défaut qui pénalise ce film trop classique condamné à l’invisibilité par une programmation trop dense : comme souvent dans les biopics consacrés à des créateurs, on ne les voit pas créer, ou plutôt, on ne mesure pas le chemin qui conduit du pénible accouchement d’une oeuvre (ici réduit aux difficultés de concentration d’Ingeborg dérangée par le cliquetis de la machine à écrire de son compagnon) à sa présentation au public (elle aussi réduite à une lecture faite par la poétesse de son premier texte en prose Das dreißigste Jahr).

La bande-annonce

Marco, l’énigme d’une vie ★★★☆

Ce film espagnol raconte une histoire vraie : l’imposture d’Enric Marco (1921-2022), un garagiste catalan, qui prétendit avoir été déporté à Flossenburg, un camp de concentration allemand pendant la Seconde guerre mondiale, et qui présida même l’association des déportés espagnols mais qui fut démasqué par les travaux d’un historien opiniâtre, Benito Bermejo. Marco avait émigré volontairement en Allemagne en 1941 pour y travailler dans l’industrie d’armement et, s’il fut emprisonné à Kiel pour un crime de droit commun, ne connut jamais la déportation. La révélation de sa supercherie en 2005 fit scandale et inspira à l’écrivain catalan Javier Cercas un best-seller, L’Imposteur.

Les deux réalisateurs ont hésité sur la forme de leur film. Ils avaient même commencé un documentaire en interviewant Enric Marco et ont finalement opté pour la fiction confiant au grand acteur espagnol Eduard Fernandez (Truman, L’Homme aux mille visages, Lettre à Franco) le rôle de Marco.

Ils auraient pu laisser planer le doute : Marco a-t-il oui ou non été déporté à Flossenburg ? Mais, dès le début du film, ce suspens là est levé : on sait dès la première image que Marco ment et essaie à tout prix de dissimuler la vérité. Le film choisit un autre suspens : l’inévitable révélation de la supercherie de Marco qui risque de percuter la commémoration du soixantième anniversaire du camp de Mauthausen en mai 2005 à l’occasion duquel Marco doit prononcer un discours et auquel le premier ministre espagnol doit participer. Deux autres fils sont tendus grâce à une série de flashbacks : comment Marco s’est-il lentement enfoncé dans son mensonge ? et comment réagit-il à la dénonciation de son imposture ?

La figure de l’imposteur est une figure éminemment romanesque. On pense à Jean-Claude Romand, faux médecin à l’OMS, qui inspira à Emmanuel Carrère son chef d’oeuvre, L’Adversaire, et pas moins de deux adaptations cinématographiques, L’Emploi du temps de Laurent Cantet et L’Adversaire de Nicole Garcia (avec Daniel Auteuil). On pense aussi à cette mythomane qui prétendit avoir été victime de l’attentat du Bataclan qui inspira deux livres, l’un de Constance Rivière, l’autre d’Alexandre Kauffmann dont fut tirée la série avec Laure Calamy, Une amie dévouée. On pense enfin à l’incroyable Dom Juan polygame brésilien traqué jusqu’en Pologne par Sonia Kronlund, L’Homme aux 1000 visages (à ne pas confondre avec le film espagnol homonyme de 2017 précité avec Eduard Fernandez). Les deux dimensions symétriques de ces histoires vraies nous fascinent et nous glacent : comment l’imposteur a-t-il réussi à mentir tout ce temps ? comment ses proches se sont-ils aveuglés aussi longtemps ?

À l’heure de la post-vérité et des fake news, la figure de l’imposteur nous fascine d’autant plus qu’elle nous séduit. Car, Enric Marco comme Milli Vanilli (ce boys band du début des années 90 devenu célèbre pour des chansons qu’il n’interprétait pas) est séduisant. Ses témoignages sur son expérience des camps de la mort ont ému des milliers de collégiens. Et le miroir qu’il nous tend sur notre crédibilité nous fragilise : qu’importe au fond, nous dit-il, que j’aie vraiment été incarcéré dans un camp dès lors que le récit que j’en fais est convaincant ?

La bande-annonce

Partir un jour ★★★☆

Couronnée par Top Chef, Cécile (Juliette Armanet) apprend, à quelques jours de l’ouverture du restaurant gastronomique qu’elle s’apprête à lancer à Paris avec son compagnon, qu’elle est enceinte et que son père a été victime d’un infarctus. Cécile décide de lui rendre visite et le retrouve en province aux commandes de son relais routier, dont il se refuse de décrocher, au grand dam de sa mère (Dominique Blanc). À l’occasion de ce court séjour, elle retombe sur Raphaël (Bastien Bouillon), un ami d’enfance avec qui une idylle aurait pu se nouer si la vie n’en avait pas décidé autrement.

Partir un jour a beaucoup fait parler de lui en faisant l’ouverture mardi soir du festival de Cannes. Cette brutale publicité, pour un si petit film français qui ne paie pas de mine, a provoqué une polémique. Alors ? pépite ou navet ?

Partir un jour est une pépite. C’est un petit bijou de sensibilité qui a d’ailleurs enthousiasmé plusieurs de mes amis. Il s’agit de l’homothétie, plus ou moins exacte, du court métrage réalisé par Amélie Bonnin couronné par un César en 2023 (et visible en libre accès sur Arte TV). À un détail, majeur, près : le héros du court métrage est devenu une héroïne dans le long, les deux acteurs principaux intervertissant leur rôle.

Partir un jour est porté par Bastien Bouillon et par Julie Armanet. On connaissait déjà le premier révélé par La Nuit du 12 qui confirme, en blond peroxydé, tout le bien qu’on pensait de lui. On n’avait jamais vu la seconde, qu’on connaissait déjà néanmoins par ses chansons et son opinion très tranchée sur celles de Sardou. Son choix est d’autant plus bienvenu que Partir un jour est une comédie chantée, façon On connaît la chanson où les acteurs poussent la chansonnette à tour de rôle, la voix plus ou moins juste. On y retrouve avec un plaisir régressif les 2B3, Dalida, Nougaro ou Stromae.

J’aurais toutefois une double réserve sur cette comédie nostalgique qui explore avec justesse – comme le dernier roman de Colm Tóibín que je lisais hier – les bifurcations ratées de nos vies amoureuses passées. La première est que la distance qui s’est creusée entre Cécile et ses origines est mal traitée à mon sens. Le Julien du court métrage, un romancier façon Edouard Louis qui vient de signer un best-seller où il raille son milieu, constituait je crois un transfuge de classe plus convaincant. La deuxième est que, à rebours de la promesse de son titre, Partir un jour ne traite qu’à moitié le sujet de l’arrachement, de la montée à Paris, de ses causes et de ses conséquences, se concentrant finalement et pauvrement sur la seule histoire d’amour entre Cécile et Raphaël.

Reste la question de l’ouverture de Cannes. Partir un jour méritait-il une telle exposition ? Je pense que non. Lors des précédentes éditions, Thierry Frémeaux avait choisi des films français de réalisateurs installés : Le Deuxième Acte de Dupieux en 2024, Jeanne du Barry de Maïwenn en 2023, Coupez ! de Michel Hazanavicius en 2022, Annette de Léos Carax en 2021… Pour autant ces choix n’avaient rien de tranquille : Le Deuxième Acte, Coupez ! (que j’avais l’un et l’autre adorés), Annette (que j’avais au contraire détesté) étaient sacrément transgressifs. Avec Partir un jour, Cannes a voulu rééditer le coup de Vingt Dieux l’an passé, sélectionné à Un certain regard et succès surprise de l’année 2024 aux César et au box office. Mais je ne suis pas sûr pour autant que ce film très franchouillard, par son thème, par ses chansons, ait fait vibrer une corde chez les spectateurs cosmopolites et encravatés de la Croisette faute de formuler une proposition de cinéma à la hauteur de cette occasion-là.

La bande-annonce

The Shameless ★☆☆☆

Renuka (Anasuya Sengupta, prix d’interprétation féminine dans la section Un certain regard à Cannes l’an dernier) est prostituée. Elle quitte Delhi après y avoir assassiné l’un de ses clients. Elle se réfugie dans une ville du Madhya Pradesh. Son chemin y croise celui d’une jeune adolescente, Devika, élevée par sa mère et sa grand-mère dans une communauté devadasi et vouée à céder au meilleur prix sa virginité.

The Shameless est né du désir de son réalisateur, Konstantin Bojanov, de tourner un documentaire en Inde, inspiré d’un essai de William Darlymple, Neuf vies, à la recherche du sacré dans l’Inde. Y étaient dressés les portraits de neuf hommes et femmes de foi dans l’Inde contemporaine. Finalement, Bojanov a resserré la focale sur deux seulement, une prostituée meurtrière, lointaine cousine d’Aileen Wuornos qui avait inspiré Monster avec Charlize Theron, et une jeune vierge.

Le film n’est pas un documentaire mais un néo film noir, plein de bruit et de fureur, qui louche du côté des yakusas japonais, des mafieux new yorkais de Martin Scorsese ou de James Gray ou du diptyque indien Les Gangs de Wasseypur. Il y a deux semaines à peine sortait Little Jaffna qui se déroulait à Paris et explorait la même veine avec autant sinon plus de talent.

Ce genre-là met l’eau à la bouche. Mais hélas, The Shameless à force de trop charger la barque finit par la faire sombrer. On y évoque en vrac la prostitution, la corruption de la police et des hommes politiques, le poids du patriarcat, l’homosexualité féminine, la drogue, la pédophilie…. Et tous ces thèmes servent de toile de fond à un scénario hélas tristement prévisible dont on sait par avance qu’il se terminera mal.

La bande-annonce

Milli Vanilli, de la gloire au cauchemar ★★☆☆

Robert Pilatus, un jeune métis noir germano-américain, adopté par une famille conservatrice bavaroise, grandit à Munich. Il y fait la connaissance de Fabrice Morvan, un Français d’origine guadeloupéenne. Les deux garçons décident de former un groupe. L’assistante de Frank Farian, l’ancien producteur des Boney M, les repère. Le groupe trouve son nom et les deux garçons le look qui leur vaudra bientôt une célébrité mondiale. Mais Farian leur refuse d’interpréter leurs chansons. Après Londres, ils s’installent à Los Angeles, cornaqués par leur manager américain. Mais leur subterfuge menace d’éclater, révélant l’un des plus grands scandales de l’histoire de la musique.

Simon Verhoeven n’a aucun lien avec son célèbre homonyme, réalisateur de Robocop et de Total Recall. C’est un réalisateur allemand qui a grandi à Munich dans les années 80 et ses pas y ont peut-être croisé ceux de Rob Pilatus et de Fab Morvan. Il aurait pu consacrer au célèbre duo un documentaire ; mais il a préféré la fiction et confier à deux interprètes, bodybuildés pour l’occasion, allemand d’origine gambienne pour Rob, français d’origine comorienne pour Fab, le rôle des deux artistes.

Si l’on fait, comme moi, partie de la Génération X, on se souvient de Milli Vanilli, de leur succès mondial et éphémère en 1988 et 1989 et de leurs titres qui trustèrent les premières places des hit parades et dont la seule évocation suffira peut-être à vous hanter pour le reste de la journée : Girl You Know It’s True (ouh … ouh …. ouh….), Baby Don’t Forget My Number, Girl I’m Gonna Miss You… On retrouvera donc avec un plaisir régressif et vaguement honteux les musiques et la mode de l’été de nos vingt ans.

Si Simon Verhoeven a pris soin d’obtenir l’accord de toutes les parties prenantes – Carmen Pilatus qui entretient la mémoire de son frère, l’assistante de Frank Farian, l’ancien manager du groupe, etc. – son film n’est pas pour autant une plate hagiographie. Il montre l’absence de scrupules des managers successifs du groupe, à commencer par le génial Frank Farian. Il montre aussi combien Rob et Fab se sont laissé griser par leur succès. Il montre surtout l’ambiguïté du public et de ses désirs : sans doute Rob et Fab n’ont-ils pas chanté un seul couplet de leurs disques mais ils étaient de sacrément bons danseurs…. et de fort jolies personnes. Le public n’en a-t-il pas eu pour son argent ? Peut-il leur reprocher de l’avoir dupé ?

Le film, avec son titre et son sous-titre qui pèsent des tonnes, est un biopic. Il est de bon ton de tirer à boulets rouges sur ce genre décrié. Je n’ai pas été le dernier à le faire s’agissant pour n’en citer que quelques-uns, des tout derniers consacrés à Frantz Fanon, à Maria Callas ou à Bob Dylan. J’ai eu la main particulièrement lourde avec celui sur Robbie Williams, dont j’ai trouvé le parti prix – faire jouer le chanteur par un chimpanzé reconstitué en images de synthèse – totalement raté.
Ici au contraire, j’ai trouvé ce biopic, alors qu’il est d’une facture très classique, particulièrement réussi. La raison en est que j’ignorais tout de l’origine, de la vie, de la soudaine gloire et de la brutale chute de ce groupe. La raison en est aussi que je me suis attaché à ces deux artistes, à leur destin surprenant et à leurs interprètes engagés.

La bande-annonce

Promesse ★☆☆☆

Laurène Hug de Larauze est morte en 2016 suite au rejet d’une greffe pulmonaire. Elle avait vingt-trois ans. Sept ans plus tôt, une leucémie lui avait été diagnostiquée à laquelle elle avait survécu grâce à une greffe de moelle osseuse. Son frère jumeau avait fait à sa sœur une promesse : monter les images qu’elle avait filmées sur la petite caméra vidéo qui ne la quittait pas. Il y a ajouté les témoignages des membres de sa famille qui ont accompagné Laurène dans sa longue maladie et qui portent aujourd’hui son deuil.

Promesse est un cénotaphe dressé à la mémoire de la défunte. Il ne peut qu’immanquablement émouvoir. Double émotion que suscitent d’une part la cruauté de cette maladie mortelle et d’autre part la candeur et la joie de  vivre de cette jeune fille trop tôt disparue.

Mais Promesse raconte autre chose : la réaction d’une famille ô combien unie face à la maladie de l’un des siens puis face au deuil. Laurène était la benjamine d’une fratrie de cinq frères et sœurs. Outre Thomas, son jumeau, elle pouvait compter sur sa sœur aînée – qui fut sa donneuse – et sur ses deux frères aînés. Et bien sûr sur l’amour indéfectible de ses deux parents.

Promesse essaie l’impossible : garder l’équilibre entre l’exhibitionnisme et la fausse pudeur. Les questions que Thomas pose à ses parents ou à ses frères et sœur face caméra sont aussi directes que leurs réponses : chacun évoque à sa façon son amour pour Laurène et sa façon de gérer son deuil.

Cette tragédie a frappé une famille incroyablement soudée et très privilégiée. Les Hug de Larauze sont une grande famille d’entrepreneurs nantais, engagés dans la vie de la cité, catholiques pratiquants. Le documentaire montre leur maison cossue, leur résidence secondaire les pieds dans l’eau. On devine que l’argent n’est pas un problème. Bref, on est chez les riches. Il serait bien mesquin de leur en faire le reproche. La leucémie frappe hélas tous les milieux.

Mais en revanche, une famille pauvre n’aurait sans doute pas eu l’idée de tourner un film sur leur fille défunte. Elle n’aurait certainement pas eu les moyens de le produire. Là encore, est-ce un argument à invoquer au débit de Promesse ? Certainement pas.

Ce qui est le plus dérangeant – et c’est la flèche du Parthe d’une critique maladroite – est la publicité de cette oeuvre. Thomas, ses frères et sœurs, ses parents font un travail de deuil admirable. C’est tout à leur honneur. Mais y avons-nous notre place ? Ne sommes nous pas kidnappés dans un deuil qui ne nous regarde pas ? On répondra que rien ne nous obligeait à aller voir ce film. On rétorquera que rien n’obligeait ses auteurs à le diffuser.

La bande-annonce

Soudan, souviens-toi ★☆☆☆

Les sursauts politiques qui agitent le Soudan sont largement passés inaperçus. Il faut reconnaître que la situation y est passablement compliquée. Pendant près de trente ans, de 1989 à 2019, le pouvoir y a été exercé d’une main de fer par un militaire, le colonel Omar el-Bechir – poursuivi devant la Cour pénale internationale pour les exactions qu’il a ordonnées au Darfour. En avril 2019, il est renversé par une insurrection populaire. Mais les militaires reprennent vite le contrôle de la situation. Ils laissent la place congrue aux civils dans le gouvernement qu’ils forment et, dix-huit mois plus tard, en octobre 2021, le renversent, emprisonnent ses dirigeants, déclarent l’état d’urgence et bâillonnent toute expression publique de discorde.

La documentariste française Hind Meddeb forte des liens d’amitiés qu’elle a noués à Paris avec des membres de la diaspora s’est rendue plusieurs fois au Soudan.  Les images qu’elle en a ramenées témoignent pour l’Histoire. Elles sont aussi tristement banales. On y voit ce qu’on a déjà vu hélas ci souvent : des citoyens dressés face à des soldats en armes qui répriment durement leur révolte. La part belle est donnée par la réalisatrice aux chants et aux poèmes déclamés par les jeunes Soudanais, au point de donner l’illusion que cette révolution était autant sinon plus poétique que politique.

Elle s’attache à six d’entre eux, dont on apprendra grâce à un dernier carton ce qu’ils sont devenus depuis la fin du tournage. Leur destin individuel est bien triste et semble montrer qu’hors de l’exil il n’y ait pas d’avenir pour la jeunesse soudanaise dans son propre pays.

Certes ce qui se passe au Soudan est terrible. Certes, l’ignorance de ces événements se nourrit à la fois de la censure du régime et de l’indifférence du monde. Certes encore un documentaire comme celui-ci fait oeuvre utile en éveillant nos consciences. Mais hélas un bon sujet et de bons sentiments ne suffisent pas à faire un bon film. Il manque à ce documentaire un point de vue pour lui donner de l’épaisseur.

La bande-annonce