La Vague ★☆☆☆

Julia étudie le chant à la faculté de musique de Santiago. Au printemps 2018, dans le sillage du mouvement #MeToo, une vague de manifestations déferle sur le Chili pour contester le patriarcat et les violences faites aux femmes. Julia, qui vient de traverser un épisode traumatisant, y participe.

J’attendais avec beaucoup d’impatience ce film chilien, d’un réalisateur dont j’avais aimé les précédentes œuvres (GloriaUne femme fantastique). Il a été présenté en avant-première à Cannes et y a reçu un bon accueil. Première l’a élu film du mois. Qui plus est, c’est une comédie musicale, un genre dont mes amis savent dans quel excès d’enthousiasme il me transporte parfois (La La Land, Les Parapluies…).

Aussi suis-je tombé de haut.

Certes, j’ai aimé la puissance des chorégraphies, sans pour autant être emporté par aucune d’entre elles en particulier qui se distinguerait des autres. Mais je ne reste pas convaincu par ce détour par la comédie musicale qui, me dira-t-on, ne va jamais de soi (pourquoi diable vouloir mettre en musique une bluette sentimentale à Cherbourg entre un conscrit sur le point d’être enrôlé en Algérie et la fille d’une vendeuse de parapluies ?!).

Mais j’ai trouvé très banal le fond du sujet qui se résume au dilemme désormais bien balisé au centre de tous les procès #MeToo : qui croire ? ou, plutôt – car la question est moins binaire – comment libérer la parole des victimes et les assurer que leurs témoignages seront entendus sans méconnaître les droits de la défense ? Sans doute d’autres sujets sont-ils évoqués : la place des hommes dans la lutte féministe, le rôle des mères…. mais il s’agit là encore d’adjuvants bien banals.

Le sujet était au cœur des Choses humaines, l’adaptation très réussie de l’excellent roman de Karine Tuil. La façon dont il y était traité m’avait autrement plus convaincu.

La bande-annonce

On vous croit ★★★☆

Alice comparaît à Bruxelles au tribunal de la famille et de la jeunesse. Le père de ses enfants, dont elle est séparée depuis plusieurs années, se plaint qu’Alice ne respecte plus la garde partagée et qu’il n’a plus aucun contact avec ses enfants. Alice le lui a interdit. Elle a de bonnes raisons de l’avoir fait. Son fils, Étienne se replie sur lui-même, refuse d’aller à l’école et présente d’inquiétants symptômes pathologiques. Il souffre d’encoprésie, d’incontinence fécale. Il lui a confié que son père l’avait violé durant un week-end qu’il avait passé chez lui.

On vous croit est un film exceptionnel. Exceptionnel par le sujet qu’il traite : l’inceste. Exceptionnel par la façon dont il le traite : une audition, dans le cabinet d’un juge, filmée quasiment en temps réel. Deux plans l’encadrent. Dans le premier, filmé à la manière des frères Dardenne, on voit Alice, sur le quai d’un tramway se battre avec Étienne pour convaincre son fils récalcitrant de la suivre vers une destination dont on comprendra bientôt qu’il s’agit du tribunal que la mère et les deux enfants ne connaissent que trop bien pour y être déjà allés dans toute une série d’instances, pénales ou civiles, qui les opposent au père. On ne dira rien de la dernière.

Entre les deux donc, une seule scène, dont je comprends qu’elle a été filmée avec trois caméras, dans un bureau étonnamment moderne et blanc – qui contraste avec ceux qu’on a l’habitude de voir dans ce genre de films. Face à la juge comparaissent Alice, le père (dont le prénom ne sera jamais dit me semble-t-il), leurs avocats respectifs et un troisième avocat, désigné par le juge pour représenter les intérêts des enfants. Le but de cette rencontre : statuer sur la requête du père qui réclame le droit de rendre visite à ses enfants et décider, dans leur meilleur intérêt, leur placement auprès de leur mère exclusivement, en garde alternée, ou dans une institution.

Plane au-dessus de cette audience l’ombre portée de la plainte déposée au pénal par Alice contre son ex-mari pour agressions sexuelles sur son fils. Entrent donc en conflit la présomption d’innocence dont peut se prévaloir le père et le principe de précaution, pour lui donner un nom, qui interdit de confier la garde de ses enfants à un père peut-être coupable d’inceste.

C’est cette tension que met en scène le film. Son titre en dit peut-être déjà un peu trop, qui semble trancher le débat. Dire « on vous croit » aux enfants ne signifie pas pour autant que le père soit coupable. Leur dire ‘on vous croit », c’est d’abord ne pas leur dire « vous mentez », c’est d’abord accepter de les entendre et de les comprendre, c’est donner a priori une valeur à leur témoignage.

Dans ce procès, toute notre empathie va vers la mère. C’est elle qu’on croit. C’est son désarroi qu’on partage. Ce sont ses excès qu’on excuse car on imagine volontiers qu’on serait soi-même enclin aux mêmes débordements face à la violence infligée à ses propres enfants, face à leur mal-être bien visible, face à la monstruosité alléguée du père, d’autant plus monstrueux qu’on a pu jadis en être amoureuse et partager son intimité, face à l’inertie de la justice…

L’écueil du film, à la fois éthique et cinématographique, aurait consisté à instruire le procès à charge du père, d’en faire le « méchant » face aux « gentils ». On pourrait me dire que cet écueil n’en est pas un et que le père est incontestablement coupable. Ce serait aller un peu vite en besogne. Le même écueil menace la juge qui s’en sort admirablement bien, menant l’audience avec un calme et une maîtrise dignes d’éloges. J’ai beaucoup aimé que cette scène se termine par un long plan silencieux sur elle, restée seule dans son cabinet, désormais confrontée à la responsabilité de juger cette affaire. Lourde responsabilité qui fera, je l’espère, réfléchir ceux qui sont prompts à critiquer à l’emporte pièce les jugements qu’ils désapprouvent.

La bande-annonce

Les Aigles de la République ★★☆☆

George Fahmy (Fares Fares) est une star adulée du cinéma égyptien. Sa renommée, pense-t-il, le rend intouchable et lui donne bien des passe-droits comme celui de vivre avec Donya, sa jeune maîtresse (Lyna Khoudri). Mais ses certitudes vacillent lorsqu’il est remplacé dans le film qu’il tourne avec une autre actrice, Rula Addad, elle aussi mise à pied, et qu’il reçoit des menaces voilées au sujet de son fils. Il comprend vite qu’il ne peut refuser la proposition empoisonnée qui lui est faite : interpréter le chef de l’Etat dans un film consacré à sa gloire. Son tournage se fait sous la supervision sourcilleuse des services secrets. Il le rapproche du ministre de la défense et de sa séduisante épouse (Zineb Triki).

Sélectionné en compétition officielle en mai dernier à Cannes, d’où il est reparti bredouille, Les Aigles de la République constitue le troisième volet de la « trilogie du Caire », après Le Caire confidentiel (2017) et La Conspiration du Caire (2022). Les trois volets de cette trilogie sont indépendants les uns des autres. Mais on y trouve les mêmes ingrédients : l’acteur Fares Fares, une ambiance lourde de complots ourdis, un scénario compliqué à souhait…

La bande-annonce des Aigles de la République m’avait mis l’eau à la bouche parce qu’elle me faisait miroiter tout ce qui m’attire au cinéma : une histoire captivante sur fond d’imbroglio politique, des personnages hauts en couleurs, une débauche de moyens, une musique puissante et élégante (encore une fois signée Alexandre Desplat).

Force m’est de dire hélas que j’ai été un peu déçu. Le film n’est pas à la hauteur des espérances qu’il avait fait naître en moi. Sans doute Tarik Saleh a-t-il mis les moyens dans cette super-production franco-suédo-dano-finlandais dont le budget approche les dix millions d’euros, tournée avec tambours et trompettes en Turquie. Sans doute ses acteurs, à commencer par l’immense Fares Fares, Lina Khoudry qui n’a pas un rôle facile de jeune première arriviste et la vénéneuse Zineb Triki dont je suis définitivement tombé sous le charme depuis Le Bureau des légendes, sont-ils séduisants. Sans doute aussi le scénario offre-t-il son lot de rebondissements grâce auxquels les deux heures du film passent sans regarder sa montre.

Pour autant, on peut reprocher aux Aigles de la République un scénario trop alambiqué, pas toujours très lisible, qui finit par égarer le spectateur, d’autant qu’il se résume finalement à pas grand chose : notre héros, aussi attachant soit-il, qui rappelle les héros des films noirs américains des années cinquante, est obligé de renoncer aux rares principes auxquels il semblait croire et le pouvoir égyptien – le film est interdit de projection en Égypte – se révèle un théâtre d’ombres maléfiques.

La bande-annonce

Kika ★★★☆

Kika (Manon Clavel) est assistante sociale à Bruxelles, mariée et mère de famille lorsque deux événements inattendus bouleversent sa vie. Le premier : la rencontre avec David (Makita Samba) dont elle tombe éperdument amoureuse. La seconde : la mort aussi brutale qu’inattendue de David, terrassé par un AVC, qui laisse Kika hagarde, à la rue, sans un sou. Refusant tout secours, Kika en dernière extrémité se résout à se prostituer.

Kika – qui pour moi restera à tout jamais un titre associé à un film d’Almodovar en talons aiguilles – est une réalisation étonnante qui mérite l’excellent bouche à oreille qui l’accompagne depuis sa projection à Cannes en mai dernier à la Semaine de la critique.

C’est un film qui joue sur deux tableaux.

D’une part, c’est une comédie cocasse, l’histoire d’une fille comme tout le monde, une Girl next door, qui fait la découverte du monde du BDSM, ses codes, ses pratiques et qui manifeste à cette découverte la même naïveté, le même étonnement que vous ou moi y manifesteriez – quoique je ne vous connaisse pas…. et que vous ne me connaissez peut-être pas ! Spanking, pegging, edging, face-sitting, si ces mots vous sont inconnus, alors ce film élargira votre vocabulaire et, si ces pratiques ne vous révulsent pas, vous fera beaucoup rire. Venue du documentaire, Alexe Poukine nous fait découvrir cet univers avec une curiosité gourmande sans verser dans le prosélytisme ou dans l’anathème. Son cinéma fait penser à celui, féministe et sororal, de Noémie Lvovsky, de Sophie Letourneur ou de Justine Triet première formule.

D’autre part, sur une veine plus grave, Kika est une tragédie, le récit d’un deuil dont l’héroïne ne réussit pas à se consoler. Enceinte de son compagnon décédé, en charge de sa première fille, sans toit, refusant la main tendue par son ex-mari, par sa mère et par son beau-père, Kika traverse une profonde dépression. Le BDSM lui sert d’exutoire. On en découvre alors la face plus sombre, moins cocasse : une façon, pour celui qui domine et pour celui est dominé, d’exorciser ses démons à travers une violence contrôlée.

Manon Clavel (La Vérité, Le Répondeur) est parfaite dans le rôle titre. Elle lui prête à la fois sa gravité et sa candeur.

La bande-annonce

Un poète ★★★☆

Oscar Restrepo est un loser magnifique. Ce quinquagénaire disgracieux, dépressif et suicidaire, a tout raté dans sa vie. Il se dit poète, a certes dans sa jeunesse publié deux recueils, mais n’a plus rien publié depuis. Il a eu une fille d’un premier mariage ; mais, après son divorce, il est retourné vivre chez sa mère vieillissante et n’a plus guère de contact avec sa fille qui est en passe d’entrer à l’Université. Il trouve dans l’alcool une échappatoire à son mal-être. Sans emploi, il consent, sous la pression de sa famille, à donner des cours dans un lycée. Il y rencontre une jeune élève issue d’un milieu très pauvre qui se révèle être une grande poétesse cachée.

Un poète nous vient de Colombie. Son action se déroule à Medellin. Elle pourrait se dérouler n’importe où dans le monde car son sujet est universel. Son héros est truculent. Il s’agit d’un acteur amateur, d’un enseignant casté par hasard par le réalisateur Simon Mesa Soto. Il ressemble à un gnome ridicule.

Un poète aurait pu se contenter de regarder son héros se débattre dans sa vie quotidienne : avec sa fille qui ne veut plus le voir, avec sa famille qu’épuisent ses foucades, avec ses collègues poètes qui peinent à cacher leur mépris, avec ses élèves enfin que son enseignement pour le moins hétérodoxe déconcerte. Mais Un poète fait mieux : dans sa seconde moitié, il raconte une histoire, celle de la relation entre Oscar et Yurlady, cette élève douée sur laquelle il projette ses espoirs de poète raté. Cette histoire qui aurait pu être un épisode parmi d’autres de la vie quotidienne du héros prend un tour et une importance inattendus. Elle est surprenante, drôle et dramatique à la fois. Elle interroge les rapports de classe, les rapports de genre.

Cheminant sur la crête entre drame et comédie, Un poète est un film original comme on en voit rarement, subtil et attachant.

La bande-annonce

On Falling ★★☆☆

Aurora (Joana Santos) est portugaise. Elle travaille en Ecosse dans une immense plateforme de distribution. Sa scannette au poing, elle arpente inlassablement les allées de l’entrepôt pour y trouver les produits qui doivent être expédiés. Sa productivité et la moindre de ses haltes sont contrôlées à distance. Le soir, Aurora regagne la colocation anonyme qu’elle partage avec d’autres travailleurs immigrés comme elle.

On Falling pourrait être un documentaire sur l’aliénation au travail. C’est une oeuvre de fiction. Son statut ambigu m’a rappelé le livre de Joseph Ponthus au succès amplifié par la disparition précoce de son auteur, À la ligne, et un documentaire sorti en salles en 2013 qui instruisait le procès du travail en abattoir, Entrée du personnel.

Mieux encore qu’un documentaire à charge l’aurait montré, On Falling raconte le quotidien des employés des grandes entreprises de logistique : les cadences débilitantes, la surveillance permanente, la solitude…. Il le fait sans sombrer dans la caricature comme parfois les films de Ken Loach auxquels On Falling fait penser : ici il n’y a pas de « méchant » patron ni de « gentil » travailleur. Le management est aimable et compréhensif. Aurora a le droit de quitter la réunion à laquelle elle est pourtant tenue d’assister. Si elle n’obtient pas une autorisation d’absence pour aller passer un entretien d’embauche, car elle en a fait la demande trop tardivement, elle pourra sans préjudice, le matin même, feindre d’être malade. Mais cette tutelle cauteleuse est peut-être plus terrifiante encore que le serait une direction caricaturalement abusive : ainsi de la barre de chocolat paternaliste offerte à Aurora pour ses bons résultats.

Le scénario multiplie les non-dits. On ne saura rien des motifs qui ont poussé Aurora à venir travailler en Ecosse. On ne saura rien non plus de ses attaches au Portugal, de sa famille, de ses amis qu’elle y a laissés. On comprend qu’elle tire le diable par la queue et qu’une dépense imprévue suffit à mettre l’équilibre de son budget en péril. Dans sa colocation, elle essaie timidement de retrouver un peu de la chaleur humaine qui lui fait si douloureusement défaut. Elle y fait la connaissance d’un autre travailleur immigré comme elle, venu de Pologne. La romance qui se noue, avant de se dénouer bien vite dans un plan muet que je n’oublierai pas de sitôt, est déchirante.

Certes, on pourra reprocher à On Falling son minimalisme. Cinq fois, six fois, sept fois, la même scène se répète. Mais cette répétition a un sens : comme dans le livre de Ponthus, elle nous fait ressentir l’abrutissement causé par la répétition sempiternelle des mêmes gestes au travail.

La bande-annonce

Klára déménage ★☆☆☆

La vie de Klára a basculé. Mariée, mère de deux enfants, elle a décidé de déménager et de s’installer dans un petit appartement du centre ville. Sa meilleure amie Ági lui prête main forte pour transporter ses cartons de déménagement dans sa petite Peugeot rouge.

Klára déménage est un film minuscule. Il se déroule à Budapest un 2 janvier. « 2 janvier » est d’ailleurs son titre original que les distributeurs internationaux ont conservé, à l’exception des distributeurs français qui lui ont préféré une forme verbale, assez rare (on pense à Camille redouble).

Son idée n’était pas idiote : raconter à travers la noria des cartons et les allers-retours en voiture le délitement d’un couple. Mais le procédé fait vite long feu, même si le scénario a l’intelligence d’apporter à chaque épisode une légère variante, par exemple en ajoutant un troisième personnage (le frère de Klára ou son nouvel amoureux).

Le premier plan du film, qui commence avec Ági et le dernier, qui finit avec elle qui, après avoir passé la journée à aider son amie, va rejoindre son compagnon, interrogent. La vraie héroïne du film, comme d’ailleurs l’affiche tendrait à le suggérer, n’est-elle pas Ági plutôt que Klára ? Ce changement de focale est intéressant. Mais il est trop tardif et trop évanescent pour donner du sel à un film qui en est par trop dépourvu.

La bande-annonce

La Disparition de Josef Mengele ★★☆☆

Josef Mengele est tristement célèbre pour les crimes qu’il a commis à Auschwitz où ce médecin, obsédé par la gémellité, a pratiqué des expérimentations sur des prisonniers. Après la Seconde Guerre mondiale, il s’est réfugié en Amérique latine et s’y est caché jusqu’à sa mort en 1979. Le romancier strasbourgeois Olivier Guez a consacré un livre soigneusement documenté à sa longue cavale, couronné par le prix Renaudot en 2017.

Réalisateur russe exilé en Allemagne, Kirill Serebrennikov s’est emparé de ce roman pour évoquer à sa façon cette figure monstrueuse du XXe siècle. On y trouve les traits caractéristiques du réalisateur de Leto, de La Fièvre de Petrov, de La Femme de Tchaïkovski et de Limonov : l’usage très stylisé du noir et blanc – que viendra interrompre une seule scène en couleurs sur laquelle nous reviendrons – des plans-séquences d’une maîtrise époustouflante – tel celui d’un mariage organisé parmi la fine fleur de la diaspora nazie de Buenos Aires – une mise en scène enfiévrée….

Présenté à Cannes Première, une sélection parallèle créée en 2021, La Disparition de Josef Mengele a divisé la critique avant de décourager le public qui l’a boudé. Certains ont salué le souffle du réalisateur et le talent de son acteur principal, August Diehl (Une vie cachée), qui relève le défi d’interpréter Mengele à tous les âges de sa vie sans sombrer dans la caricature. J’aurais scrupule à ne pas leur donner raison. Mais d’autres s’interrogent sur le sens de ce biopic répétitif qui montre un homme habité par ses démons, encroûté dans ses certitudes que rien, pas même la visite de son fils et les questions légitimes que celui-ci lui pose, ne vient ébranler.

Le débat se focalise sur cette fameuse séquence en couleurs située au mitan du film. Il s’agit, nous dit-on, d’images tournées à Auschwitz par un officier SS avec sa caméra amateur. On y voit Mengele et ses collaborateurs procéder au tri des prisonniers à l’arrivée des convois de déportation, envoyant les plus fragiles à la chambre à gaz, en prélevant d’autres pour d’horribles expérimentations dont ils ne sortiront pas vivants. On le voit également opérer au bloc. La scène est ponctuée par un concert donné par un orchestre de nabots difformes. Elle crée, à dessein, le malaise. Exhibitionnisme malsain ? ou souci de montrer l’immontrable ?

La bande-annonce

Météors ★★★☆

En Haute-Marne, à Saint-Dizier, une ville écrasée par le chômage et l’ennui, Mika (Paul Kircher), Daniel (Idir Azougli) et Tony (Salif Cissé) forment un trio inséparable. Après une soirée de beuverie qui tourne mal, Mika et Daniel sont rattrapés par la Justice. Ils ont six mois, d’ici l’audience de leur procès, pour s’amender et, s’agissant de Daniel, pour soigner la cirrhose qui le ronge. Grâce à Tony, le duo trouve à s’employer sur un site d’enfouissement de déchets radioactifs.

Il aura fallu attendre plus de huit ans le nouveau film de Hubert Charuel, le réalisateur de Petit Paysan, succès surprise de l’automne 2017 (550.000 entrées, trois Césars). La surprenante réussite de son premier film a-t-elle inhibé le jeune réalisateur ? Son second est sorti le mois dernier sans guère de publicité. Il n’a pas rencontré son public et est quasiment sorti des écrans après quelques semaines à peine. C’est immérité. Car Météors – un titre à la signification cryptique – a bien des qualités.

La première est, comme Petit Paysan avant lui, de décrire un milieu, ici après la paysannerie la France périphérique, une ville moyenne sans grâce, surplombée par la tour Miko (le glacier y a installé son usine en 1954, aujourd’hui désaffectée) et survolée par les Rafale de la Base aérienne 113.

La deuxième est de diriger un trio d’acteurs d’une étonnante qualité. Même si je ne porte pas Paul Kircher dans mon cœur – je trouve à ce « fils de » un jeu très réduit – force m’est de reconnaître qu’il est parfait dans le rôle de Mika. Comme Salif Cissé, découvert chez Guillaume Brac et qu’on voit de plus en plus souvent dans des rôles d’une admirable diversité (Spectateurs !Le Répondeur). Mais c’est le nouveau venu Idir Azougli, la casquette à l’envers, le poil au menton, l’accent marseillais, qui leur vole la vedette.

La troisième est un scénario qui évite un écueil très fréquent : se borner à camper des personnages sans les faire vivre. Météors a un début, un milieu, une fin, trois composantes qui pourraient sembler évidentes mais qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Il contient son lot de rebondissements qui font avancer l’action et les personnages et maintiennent la tension et l’attention pendant tout le film jusqu’à son dénouement inattendu.

La quatrième, la principale, est le sujet qu’il traite, l’amitié masculine, façon Des souris et des hommes, avec ses pudeurs et son intensité. Aucune romance superflue ne l’en dévie. Il le fait avec humour et avec gravité. Météors réussit à être léger et sérieux à la fois.

L’insuccès de ce film précieux est injuste.

La bande-annonce

Springsteen: Deliver Me From Nowhere ★☆☆☆

En 1982, après le succès mondial de The River et la tournée qui l’a accompagné, Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) ressent le besoin de se resourcer. Il loue une maison dans le New Jersey près de sa ville natale. Sur un magnétophone à cassettes, muni seulement de sa guitare acoustique et de son harmonica, il enregistre les chansons qu’il a écrites à partir de ses recherches, notamment sur les meurtres en série commis par Charles Starkweather dans les années 1950 au Nebraska. Il enregistre même une première version de Born in the USA qui ne sera finalement pas retenue dans cet album. Son label Columbia est très inquiet de ses choix artistiques ; mais son manager Jon Landau (Jeremy Strong) lui apporte un soutien sans faille.
Pendant la composition de cet album, Springsteen a une liaison avec la sœur d’un ancien camarade d’école ; mais cette bluette ne l’empêche pas de sombrer dans une profonde dépression.

Encore un nouveau biopic musical ? hélas oui. Après Bob Marley, après Elton John, après Elvis Presley, après Bob Dylan, et avant John Lennon, Mick Jagger et David Bowie auxquels finira bien par être consacrés un biopic, il était inévitable que Bruce Springsteen, le « Boss », ait droit au sien.

Le parti retenu n’est pas de raconter sa vie depuis son enfance – même si des références y seront faites via des flashbacks lourdingues en noir et blanc – mais de se concentrer sur un épisode bien précis de sa vie. C’est le même parti qui avait été retenu dans Un parfait inconnu sur Bob Dylan. Ici, le réalisateur Scott Cooper utilise un livre éponyme de Warren Zanes consacré à la confection d’un album méconnu, coincé entre les deux méga-succès de The River (1980) et Born in the USA (1984).

Le sujet touchera-t-il les fans de Bruce ? Peut-être. Quant aux autres ? pas sûr.
Parce qu’il est de la farine désormais insipide et répétitive dont sont faits tant de biopics vus et revus où l’on voit naître comme par miracle des morceaux d’anthologie – ainsi de l’enregistrement de Born in the USA sous les yeux (et les oreilles) ébahis de tout le studio.

Sans doute Jeremy Allen White, connu des amateurs de séries pour Shameless et pour The Bear, habite-t-il le rôle, interprétant le chanteur, ses jeans serrés, ses cheveux gras, à la perfection. Mais cela ne suffit pas à faire un film. La romance bien terne qu’il noue avec une blonde peroxydée n’apporte rien à l’histoire. Sans surprise, trop classique, Springsteen est un mauvais service rendu au chanteur légendaire qui, à mes yeux, aurait plus mérité le Nobel de littérature que cet ours mal léché de Bob Dylan.

La bande-annonce