Salve Maria ★☆☆☆

Maria, une jeune écrivaine, vient d’accoucher. Son compagnon a beau se montrer aidant, Maria est dépassée par les pleurs de son bébé, par ses vomissements dont elle se demande, en dépit du diagnostic rassurant des médecins, s’ils ne sont pas l’indice d’une maladie cachée. Alors que Maria s’enfonce dans la dépression, un fait divers retient son attention : une Française, installée en Catalogne, aurait noyé ses deux jumeaux.

Adapté d’un récit de l’autrice basque Katixa Agirre, Salve Maria dresse un impressionnant portrait de femme. La révélation Laura Weissmahr, le cheveu blond et filasse, les yeux cernés par la fatigue, le bustier maculé des sécrétions de son bébé, porte le film sur ses épaules de bout en bout jusqu’à son épilogue aussi ambigu que juste.

Le problème de Salve Maria est d’être le film d’un seul sujet : la dépression port partum. Le sujet est grave. Mais, à lui seul, il ne suffit pas à nourrir un film tout entier. La vaine tentative de faire sortir Maria de son appartement pour l’entraîner dans une haute vallée pyrénéenne à la recherche de cette meurtrière qui la fascine ne suffit pas à donner au film l’oxygène qui lui manque.

La bande-annonce

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles ★★☆☆

Dans les années 1930, le frère Marie-Victorin, éminent professeur de botanique, fondateur du Jardin botanique de Montréal, a entretenu avec son étudiante Marcelle Gavreau une relation passionnée qui est pourtant restée platonique.

Ce film nous vient du Québec. Il en a l’accent si charmant. Il aurait pu se borner à raconter une histoire. Celle d’une relation hors normes entre un frère lassallien et son élève, révélée dans les années quatre-vingt-dix par la publication de leur riche correspondance. Mais il y rajoute une intéressante mise en abyme malheureusement mal exploitée.

L’affaire aurait pu être tristement banale, comme on en entend si souvent hélas depuis quelques années et les travaux nécessaires de la Ciase en France ou d’autres commissions en Irlande, au Chili, ou ailleurs : l’histoire de l’emprise sexuelle d’un homme de foi sur une croyante trop crédule. De telles situations ont d’ailleurs nourri bien des films : The Magdalene Sisters, El Club, Philomena, Grâce à Dieu, Tu ne mentiras point

Mais si emprise il y a entre l’homme d’Eglise et son élève de vingt-deux ans sa cadette, elle n’est pas sexuelle. Leur relation serait semble-t-il restée platonique. Le paradoxe de ce film est de raconter cette relation si chaste avec un érotisme débordant. Car à défaut de faire l’amour, les deux épistolaires s’en sont parlé, en des termes très directs, comme si la description frontale de la sexualité constituât un moyen pour eux de la refouler.

Le film aurait pu se contenter de raconter une histoire. Mais il rajoute une couche de complexité. Il filme ses acteurs en train de tourner dans le film qui raconte cette histoire. Il prête au couple vedette une relation adultère qui fait écho à la chasteté de leurs deux personnages.
Cette mise en abyme était une sacrée bonne idée. Dommage qu’elle n’ait pas été mieux exploitée.

La bande-annonce

Fantôme utile ★☆☆☆

Pour nettoyer la poussière qui s’accumule dans son appartement un homme achète un aspirateur qui lui joue bientôt des tours. Le SAV lui envoie un réparateur qui lui raconte une incroyable histoire, celle de Nat l’épouse d’un veuf inconsolable, qui s’est réincarnée… en aspirateur.

Le pitch de ce film thaï et sa bande-annonce déjantée pourraient laisser augurer une loufoquerie bizarre façon Rubber de Dupieux, où un pneu semait la terreur. C’est d’ailleurs ce créneau-là qu’explore Fantôme utile pendant sa première moitié. Elle contient quelques scènes franchement drôles où le mari de Nat enlace sensuellement son aspirateur de femme sous les yeux de sa famille consternée.

Mais le film, après un long ventre mou dans lequel il manque de s’enliser, prend dans sa seconde partie un autre tour, nettement moins cocasse. Il devient politique, convoquant les âmes errantes des manifestants torturés en 2010 par la dictature thaïe dont la mémoire continue à hanter à la fois leurs tortionnaires et leurs proches éplorés.

On reconnaît chez Ratchapoom Boonbunchakoke les mêmes influences que son aîné Apichatpong Weerasethakul (sic !). Les fantômes de Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, Palme d’or 2010, sont les cousins de ceux de Fantôme utile. Je ne connais pas assez la culture thaïe pour savoir si elle est particulièrement perméable aux esprits et à l’au-delà. Tout au plus puis-je déduire de ces films que cette thématique est très présente dans son cinéma.

Autre similarité entre ces deux réalisateurs dont j’ignore si elle peut être généralisée : leur lenteur. Une lenteur pour moi rédhibitoire qui a failli me conduire à déserter la salle tant je sombrais dans un ennui cataleptique. J’ai un souvenir physiquement douloureux des films de Weerasethakul qui, en dépit de toutes les qualités qu’on veut bien y trouver, m’ennuient à périr.

Une amie toulonnaise a adoré Fantôme utile et me l’a chaleureusement recommandé. J’aimerais vous le conseiller avec le même enthousiasme qu’elle. Car c’est un film profondément original, comme on n’en a jamais vu, qui, au-delà de sa superficialité affichée, de sa bouffonnerie revendiquée, développe un message profondément politique. Mais j’y ai trouvé le temps tellement long que j’ai scrupule à vous imposer ce pensum.

La bande-annonce

En boucle ★★☆☆

À Kibune, au cœur des Alpes japonaises, à quelques kilomètres au nord de Kyoto, se trouve un ryokan, une auberge traditionnelle, où s’affaire un personnel nombreux et dévoué au bien-être des clients. Mais soudain, à 13h56 précisément, le temps bégaie comme un disque rayé condamnant tous les locataires de ce ryokan à revivre perpétuellement les mêmes deux minutes.

Depuis le cultissime Un jour sans fin, un genre est né : le film en boucle temporelle. Il est d’ailleurs étonnant que n’ait pas été forgé à ma connaissance, en français ou en anglais, un néologisme pour le désigner. Il a diffusé dans tous les genres : la comédie romantique (Il était temps), la science-fiction (Edge of Tomorrow, Looper…), le thriller (Source Code), le slasher (Triangle), etc.

La boucle temporelle constitue une mine pour les scénaristes. Le temps ne s’y déroule plus linéairement comme nous en avons l’habitude, mais bégaie, nous ramenant en arrière. Le même moment nous est donné à vivre plusieurs fois, fort de l’expérience acquise lors de ses précédentes occurrences. Opportunité inespérée d’arrêter le temps qui file trop vite ? de réparer les erreurs passées ? ou condamnation nietzschéenne à l’éternel retour ?

Les boucles temporelles sont plus ou moins longues. Chez Sam Raimi, elle durait, on s’en souvient, une seule journée. Dans un récent film japonais, Comme un lundi, elle durait une semaine. L’idée ingénieuse de Junta Yamaguchi, qui lui avait déjà consacré un autre film intitulé Beyond the Infinite Two Minutes (2020), inédit en France, est de ne la faire que deux minutes.

L’idée est brillante d’un point de vue cinématographique car elle conduit à un résultat quasiment en temps réel d’une trentaine de boucles successives (je m’amuserais volontiers à les chronométrer pour vérifier qu’elles ont bien la même longueur, suspectant le réalisateur d’avoir pris quelque liberté avec leurs durées). Chaque boucle commence donc deux minutes après la fin de la précédente ; mais les protagonistes – et les spectateurs avec eux – se souviennent de ce qui vient de se passer dans la précédente et l’histoire peut ainsi avancer.

Le risque est celui de la répétition et de la monotonie. D’ailleurs En boucle (River dans son titre international) n’y échappe pas totalement. Heureusement le scénario alterne les scènes de folle cavalcade avec des dialogues plus intimistes, par exemple entre l’héroïne Mikoto et le cuisinier pour lequel elle se languit qui rêve d’aller se former en France.

Le film pourrait s’étirer indéfiniment et explorer la psychologie de chaque personnage. Pour éviter ce travers, il se donne un but : échapper de cette boucle temporelle dans laquelle les protagonistes semblent être coincés. La résolution de cette énigme réservera son lot de déception et de surprise, quitte à frôler le grand-n’importe-quoi.

La bande-annonce

Le Roi soleil ★★☆☆

« Le Roi soleil », c’est le nom d’un rade banal à Versailles à une encablure du château, tenu comme beaucoup de cafés franciliens par un gérant chinois assisté d’une serveuse (Lucie Zhang), où se retrouvent à l’ouverture quelques clients de passage : deux flics fatigués après une nuit de service difficile (Pio Marmaï et Sofiane Zermani), un urgentiste (Panayotis Pascot), un trader sous substances, une gouape fébrile et un vieux monsieur qui, comme chaque semaine vient vérifier les numéros gagnants du Loto. Quand il découvre, stupéfait, qu’il a gagné le gros lot, tout dérape….

Trois semaines seulement après Last Stop: Yuma County, sort un film français qui lui ressemble. Soit une demi-douzaine de personnages coincés dans un lieu clos qui essaient, quasiment en temps réel, de s’en sortir, si possible en sauvant leur peau et si possible encore en dérobant quelques millions de dollars/d’euros.

Sept personnages se retrouvent par la force des choses réunis dans un bar avec un cadavre sur les bras et cherchent ensemble l’histoire qu’ils raconteront à la police pour pouvoir se partager un magot de plusieurs centaines de millions d’euros. Le pitch est alléchant. Il est sacrément ambitieux. Il ressemble à un puzzle, à une équation à sept (et bientôt huit avec l’arrivée inopinée de la patronne) inconnus. J’ai dit dans ma critique de Last Stop le plaisir communicatif offert aux spectateurs à participer, en même temps que les acteurs, à l’écriture du scénario.

Il faut des scénaristes sacrément malins pour relever une telle gageure. Ceux de ce Roi soleil le sont plus souvent qu’à leur tour. D’autant qu’ils jouent avec les temporalités pour explorer les diverses alternatives possibles. Ils auraient dû le faire à mon avis encore plus, pour nous donner notamment notre revanche contre tous ces films qu’on a envie d’interrompre pour dire au réalisateur : « Stop ! si la femme de la victime reçoit cet appel téléphonique, c’est la première chose qu’elle ira raconter à la police ! ».

Puisqu’il faut bien choisir et avancer, le scénario fait donc des choix. C’est là peut-être que le bât blesse. Car le scénario [spoiler] prend une direction malvenue : celle du défouraillage tarantinesque façon Reservoir Dogs, celle aussi de Last Stop, qui voit l’élimination métronomique d’un personnage après l’autre, laissant comme seul suspense au spectateur l’identité du dernier survivant.

La bande-annonce

La Femme qui en savait trop ★★☆☆

Zara, professeure de danse d’une quarantaine d’années, a épousé en secondes noces Solat, un homme riche et puissant. Zara a eu une fille, Ghazal, d’un premier lit, qui marche sur ses pas et aspire elle aussi à plus de liberté.  Mais les deux femmes sont tenues en laisse courte par Solat, qui réprouve la profession de sa femme et son exposition sur les réseaux sociaux. Tarlan (Maryam Boubani), une enseignante retraitée qui adopta Zara après la mort de sa mère biologique, est le témoin  impuissant des violences subies par sa fille adoptive. Ses tentatives pour les dénoncer se heurtent au mur de silence dressé par une société patriarcale adossée à un régime policier.

Nader Saeivar est un compagnon de route de Jafar Panahi. Il a coproduit et coécrit avec lui le scénario de plusieurs de ses films, notamment Aucun ours et Trois visages. Le célèbre réalisateur iranien primé à Venise, à Berlin et en mai dernier à Cannes lui a renvoyé l’ascenseur en participant à l’écriture et au montage de cette Femme qui en savait trop, un titre peut-être un peu trop hitchcockien pour un film sans suspense. Le titre original, plus laconique, The Witness, aurait mieux convenu.

La Femme qui en savait trop a l’avantage et l’inconvénient de ressembler aux films iraniens qu’on a déjà vus et beaucoup aimés. Comme eux, il dénonce un régime criminel, qui bafoue les libertés individuelles et opprime les femmes. Il le fait avec un vrai talent cinématographique, à la fois dans sa mise en scène et sa direction d’acteurs. Mais rien ne le distingue de ce qui a déjà été filmé, et remarquablement filmé, par d’autres réalisateurs iraniens, tels que Jafar Pahani précisément, Mohammad Rasoulof ou Asghar Farhadi.

La bande-annonce

Miroirs n° 3 ★☆☆☆

Étudiante en musique à Berlin, Laura (Paula Beer) échappe de peu à la mort lors de l’accident de voiture qui tue le petit ami dont elle était en train de se séparer. Betty (Barbara Auer) la prend sous sa coupe et l’héberge chez elle le temps de sa convalescence. Le mari de Betty et son fils Max, qui travaillent ensemble dans un garage clandestin, accueillent l’inconnue avec réticence.

Christian Petzold est devenu depuis quelques années le porte drapeau du cinéma allemand à l’étranger. Il y occupe la place laissée vacante par Wim Wenders depuis que le réalisateur de Paris, Texas s’est perdu dans des chemins de traverse.
Christian Petzold a eu longtemps pour égérie Nina Hoss qu’il fit tourner dans six de ses films de 2001 à 2014. Il lui a substitué Paula Beer, à l’affiche de Transit, d’Ondine, du Ciel rouge et de ce Miroirs n° 3 qui doit son titre à une pièce de Ravel qu’elle interprète sans doublure au piano. Le réalisateur aime à s’entourer d’acteurs fidèles puisqu’on retrouve à l’affiche Barbara Auer, Matthias Brandt et Enno Trebs qu’il avait déjà fait tourner.

Miroirs n° 3 a enthousiasmé Cannes où il était projeté à la Quinzaine des cinéastes, et la critique qui l’a élu sans hésitation film de la semaine sinon du mois ex aequo avec Valeur sentimentale. Si je cite le film scandinave couvert d’éloges, c’est parce que j’ai éprouvé la même déception devant ces deux films, accrue du sentiment d’être passé à côté de deux grandes oeuvres unanimement acclamées.

En effet, je reconnais volontiers à ce film-ci comme à Valeur sentimentale, ses qualités, sa direction d’acteurs, la sensibilité des thèmes évoqués, qui traversent d’ailleurs toute l’oeuvre de Petzold : la présence obsédante de la mort (qui hante la première scène où Laura déambule au bord du parapet d’un pont avant de croiser au bord de l’onde la route d’un macabre nautonier), les familles brisées, le travail de deuil, la possibilité d’une seconde chance….

Mais j’ai trouvé sa langueur vite désagréable, voire un brin poseuse. Le scénario de ce film aurait pu tenir en dix pages et en trente minutes. J’ai eu l’impression que le réalisateur/scénariste diluait la sauce pour tenir une heure trente.

Deux points du scénario m’ont posé problème. Le premier est le caractère hautement improbable de la rencontre entre Laura et Betty. Comment peut-on raisonnablement imaginer que la première, après avoir échappé de peu à la mort, s’installe chez la seconde sans qu’un ami (notamment ce couple qu’elle a laissé quelques minutes plus tôt à un embarcadère) ou un parent ne s’inquiète de son sort ?
Le second est le secret de famille que taisent Betty, son mari et son fils. Un oeil à la bande-annonce ou quelques minutes dans le film suffisent à le deviner. On n’imagine pas que les producteurs n’en aient pas eu conscience et aient accepté que le film soit tout entier construit autour de ce faux secret. Pourquoi donc le taire ? Parce que Paula serait la seule qui n’en ait pas conscience ?

La bande-annonce

Pris au piège ★★☆☆

Ancien jeune espoir du baseball dont la carrière fut stoppée net par un accident de voiture, Hank Thompson (Austin Butler) vit désormais à New York. Il y mène une vie tranquille entre le bar qui l’emploie dans le Lower East Side son job de barman et sa petite amie (Zoe Kravitz) jusqu’au jour où son voisin de palier, un punk à chat, part pour Londres et que la mafia russe, deux tueurs loubavitchs et une flic louche se mettent à lui tourner autour à la recherche d’une clé qu’il n’a pas.

Darren Aronofsky est sans doute l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération. Je me souviens l’avoir découvert avec π à la fin des années 90 et surtout de la claque reçue devant Requiem for a Dream – dont j’ai écouté la bande originale en boucle pendant des années. je me souviens de The Fountain, de The Wrestler avec Mickey Rourke et de Black Swan avec Natalie Portman. Si Mother! était carrément raté, The Whale avec l’interprétation bluffante de Brendan Fraser était inoubliable.

Dans une telle filmographie qui est tout sauf tiède, Pris au piège a des airs de film mineur, de pas de côté. Une autre façon, moins amène, de le dire est qu’il ne faut pas se fier à la réputation de son réalisateur. Pris au piège en effet ressemble à des films qu’on a déjà vus, sympathiques, rythmés, pétaradants, délicieusement amoraux, tournés par Guy Ritchie (pour les scènes d’action), par Tarantino (pour ses tueurs sympathiques) ou par Danny Boyle (pour les séquences trash sous substance).

On passe un agréable moment, sans regarder sa montre. On serait vraiment bégueule de nier le plaisir qu’on y prend à débrancher ses neurones et à reluquer Austin Butler (Elvis, The Bikeriders) et Zoe Kravitz aussi agréables à regarder torses nus l’un que l’autre. Mais, il est à craindre que sitôt vu ce film soit sitôt oublié. L’utilité d’y adjoindre deux suites comme annoncé par ses producteurs ne saute pas aux yeux.

La bande-annonce

En première ligne ★★★☆

Floria (Leonie Benesch découverte l’an passé dans La Salle des profs et revue dans 5 septembre) est infirmière à l’hôpital cantonal de Bâle. Dans un service en sous-effectif, elle va devoir faire face sans un instant de répit à tous les imprévus d’une journée de travail en tentant de s’occuper au mieux des patients dont elle a la charge.

En voyant la bande-annonce de ce film suisse (sa réalisatrice avait signé en 2017 un film délicieux sur la tardive reconnaissance du droit de vote des Suissesses), je redoutais par avance un double écueil. Le premier : un film bien-pensant sur la grandeur et la servitude du métier d’infirmière. Le second : un scénario dont on connaît par avance le début (le commencement de la journée de travail d’une infirmière), le milieu (les mille et uns petits faits banals qui émaillent la journée d’un service) et la fin (l’héroïne épuisée mais fière du travail accompli quitte enfin l’hôpital).

« En première ligne », une expression popularisée par la pandémie du Covid-19, traduction plutôt réussie du titre original « Heldin » (« Héroïne » dont la polysémie a peut-être fait hésiter les distributeurs français) n’évite pas ces deux écueils.

C’est d’une part un film à la gloire de la profession médicale. On en a vu tellement qu’on pourrait finir par s’en lasser, qu’il s’agisse de fictions (Voir le jour avec Sandrine Bonnaire qui se déroulait dans un service de maternité, Patients de Grand Corps Malade, Pupille, un film quatre étoiles, L’Ordre des médecins avec Jérémie Renier, Sage-Femmes …) de documentaires (De chaque instant de Nicolas Philibert sur la formation de jeunes infirmières, Premières urgences dans un service d’urgences d’un hôpital public du 9.3, Notre corps de Claire Simon, H6 à Shanghai, Toubib, Madame Hoffmann, État limite… ou tout récemment encore Sauve qui peut) ou encore de séries (Urgences, Grey’s Anatomy, Dr House, Scrubs, Nip/Tuck, The Knick, Hippocrate…).

C’est d’autre part un scénario qui ne recèle aucune surprise. Comme l’annonçait la bande-annonce (!), En première ligne raconte les mille et uns petits faits banals d’une journée banale de la vie d’une banale infirmière dans un service en tension : le patient acariâtre qui réclame sa tisane, celle qui fume en douce, celui qui fait une réaction anaphylactique à un médicament contre-indiqué, celui qui refuse la sonde gastrique avant un scanner, celle que la fille à l’autre bout du monde cherche en vain à joindre au téléphone, etc.

Pour autant, En première ligne n’en est pas moins un film remarquablement réussi. La recette en est simple : un tempo qui ne se relâche jamais – et qui rappelle celui, diablement efficace de Laure Calamy dans À plein temps. Il nous tient en haleine de la première à la dernière minute. En première ligne est terriblement immersif, quasiment irrespirable. On s’identifie totalement à son héroïne, partage son stress et a envie de lui taper sur l’épaule pour lui dire : « prends cinq minutes et va faire pipi ».

La bande-annonce

Brief History of a Family ★☆☆☆

Wei est un lycéen médiocre, fils unique d’un couple de riches Chinois. Son père est ingénieur ; sa mère, ancienne hôtesse de l’air, est femme au foyer. Wei se lie d’amitié avec Shuo, un camarade taiseux, et l’invite chez lui. Touchés par sa modestie, les parents de Wei le prennent sous sa coupe.

Brief History of a Family est un film étonnant. Il nous vient de Chine et évoque la politique de l’enfant unique qui y fut de mise de 1979 jusqu’il y a peu ; mais il pourrait se dérouler n’importe où dans le monde. C’est le signe sinon d’une occidentalisation de la Chine du moins d’une universalisation de son cinéma dont les standards sont de moins en moins exotiques et se rapprochent de ceux qui ont cours ailleurs.

Brief History of a Family vaut surtout par son travail sur les cadres et le son. Filmé en plan fixe, au cordeau, Brief History est un film anguleux, géométrique où chaque plan assigne les personnages à un endroit bien précis de l’espace. Aucune musique, aucun bruit de fond, mais un silence sourd, comme celui qu’on entendrait dans un caisson insonorisé. Il m’a rappelé la froideur glacée des films de Jessica Hausner (Club Zero, Little Joe…).

Le défaut de ce film est de mobiliser un dispositif si impressionnant au profit d’un scénario bien faiblard. Comme dans l’hyper-référentiel Théorème, le sujet de Brief History est la lente décomposition d’une cellule familiale au contact d’un corps étranger. Brief History utilise d’ailleurs la profession du père et quelques plans filmés au microscope pour filer cette métaphore anatomique. On y voit lentement les déceptions accumulées que cause à ses parents l’éducation de Wei nourrir l’attachement grandissant qu’ils éprouvent pour Shuo.

Tout le film nous tient en haleine. Son rythme très lent nous laisse le temps de nous perdre en conjectures : Shuo a-t-il menti sur sa famille ? nourrit-il quelque pulsion criminelle ? une révélation viendra-t-elle éclairer les liens qui l’unissent à Wei et à ses parents ?

[Spoiler] Hélas rien ne se passe. L’ennui grandit. Pire : rien ne vient et le film se termine sans que les questions qu’on s’était posées trouvent de réponses.

La bande-annonce