Sally Bauer ★☆☆☆

Sally Bauer est une nageuse suédoise née au début du vingtième siècle qui établit plusieurs records de natation avant de traverser la Manche en août 1939, quelques jours à peine avant la déclaration de guerre.

Le film de Frida Kempff a le mérite de ranimer le souvenir de cette sportive oubliée qui devint une célébrité pour avoir multiplié les records dans un sport qui, à l’époque, était l’apanage des hommes.

Il montre l’accumulation des obstacles qui se dressent sur son chemin. Mère célibataire, Sally Bauer a été reniée par sa famille et renvoyée au plus extrême des dénuements. Les services de l’aide à l’enfance lui ont enlevé la garde de son enfant. Le père de celui-ci, un journaliste danois marié et père de famille, plus âgé qu’elle d’une bonne dizaine d’années, a refusé d’assumer ses responsabilités.

À force de vouloir à tout prix nous faire admirer cette « femme puissante », Den svenska torpeden, sorti en 2024 en Suède, verse dans l’hagiographie.

La bande-annonce

Together ★★☆☆

Tim est un musicien raté qui n’a jamais percé, Millie une enseignante dont le salaire fait bouillir la marmite. En couple depuis une dizaine d’années, Tim et Millie n’ont toujours pas décidé de franchir le pas du mariage et de la p/maternité. La nouvelle affectation de Millie les conduit à déménager à la campagne, loin de la ville et de leurs amis. Un jour, ils s’égarent dans la forêt, se réfugient dans une grotte et en sortent le lendemain avec de curieux symptômes.

Je ne suis vraiment pas adepte des films d’horreur. J’en ai vu tout mon saoul à la présidence de la commission de classification, les ai trouvés souvent mauvais et répétitifs…. et horriblement angoissants. Mais l’affiche de Together m’a fait de l’oeil (!) Ne la trouvez-vous pas intrigante ? horrifiante ? J’ai jeté un oeil (bis !) au pitch et ai acheté mon billet.

Je connais mal les films d’horreur. Mais je crois que les meilleurs sont ceux qui filent une métaphore, qui, au-delà des images horrifiques qu’ils montrent, racontent en filigrane autre chose qui résonne avec notre moi profond. The Substance par exemple raconte le corps féminin, la hantise de sa décrépitude, le diktat du rajeunissement…

Together est un film sur le couple. Sur la « bonne » distance entre les  deux membres d’un couple. Sur le désir paradoxal – et souvent asynchrone hélas – de se rapprocher de l’autre ou au contraire de s’en distancier. On y entend 2 Become 1With or Without You de U2 aurait été bien adapté aussi… mais peut-être le budget du film avait déjà été englouti dans l’achat des droits du tube des Spice Girls. L’interprètent Dave Franco et Alison Brie, partenaires à la scène et à la ville.

Comme souvent dans les films d’horreur, Together tangente le grand-guignol. Certaines de ses scènes sont à la fois horribles et hilarantes. Mais, il relève le défi de cet exercice d’équilibriste jusqu’à son tout dernier plan qui nourrit les interrogations des spectateurs au sortir de la projection.

La bande-annonce

Family Therapy ★☆☆☆

Aleksander et Olivia habitent une villa ultra-moderne au cœur de la forêt slovène. Leur fille Agata y vit avec eux pour des motifs qui se révèleront progressivement. Aleksander a eu avant son mariage un fils, Julien (Aliocha Schneider), qui a grandi en France et qui revient s’installer temporairement chez son père.

Family Therapy nous vient de Slovénie. Vérification faite, ce n’est pas le premier, mais le second film slovène que j’aie jamais vu. J’avais bien aimé Conséquences en 2019 sur une jeunesse délinquante, en mal d’affection et de repères.

Family Therapy est un film radical qui rappelle, par la sécheresse de son dispositif, les premiers films de Yorgos Lanthimos (Canine, Alps…). Il met en scène une famille vivant quasiment en autarcie, progressivement étouffée par ses névroses : Aleksander rêve de s’envoler dans l’espace, Olivia cache sa frustration sexuelle, Agata aspire à renouer avec l’adolescence insouciante que la maladie lui a volée… Ce fragile équilibre familial est peu à peu perturbé par des facteurs extérieurs : une famille de touristes qui lui demande de l’héberger après un accident automobile, ce fils prodigue, beau comme le héros de Théorème

L’atmosphère bizarre de Family Therapy est dans un premier temps intrigante. Mais Sonja Prosenc n’a pas su tirer profit du dispositif stimulant qu’elle a mis en place. La seconde partie de son film, avec sa réception mondaine qui rappelle les films de Ruben Östlund, ne tient pas les promesses de la première.

La bande-annonce

Bonjour la langue (impromptu) ☆☆☆☆

Charles (Paul Vecchiali), un nonagénaire, voit débarquer à l’improviste chez lui à Draguignan, son fils Jean-Luc (Pascal Cervo) dont il n’avait plus de nouvelles depuis six ans. Les deux hommes dialoguent à bâtons rompus.

Paul Vecchiali est un grand cinéaste français qui a commencé sa carrière au début des années soixante et aura réalisé une trentaine de longs métrages. Il est décédé en janvier 2023, quelques jours à peine après avoir achevé le montage de son dernier film. Aussi le respect dû à sa mémoire devrait-il nous inspirer un peu de mansuétude.

Mais hélas, sorti de ce contexte funéraire, Bonjour la langue ne vaut pas tripette. J’avais déjà eu la dent (très) dure avec son antépénultième film sorti en 2020, Un soupçon d’amour.

Bonjour la langue, dont le titre prend le contre-pied de celui du dernier film de Godard, Adieu au langage, semble être l’ultime désir de cinéma d’un réalisateur que son producteur n’a pas voulu contrarier. Il a été tourné dans le jardin du vieil homme au Plan-de-la-Tour dans le Var. Il n’a pas dû coûter grand-chose : une journée de tournage à peine, deux acteurs (et un troisième qui fait une courte apparition), trois décors, une caméra fixe.

Pascal Cervo donne la réplique au maître. Il fut l’un de ses acteurs fétiches, à l’affiche de plusieurs de ses films. Les deux hommes sont donc liés par une profonde amitié. Mais cela suffit-il à faire un film ? Leur dialogue n’était pas écrit. Il est largement improvisé. Ils se coupent la parole, parlent, parlent, au point de nous donner le tournis. Une révélation ouvre la dernière scène. Le film a la politesse de se terminer au bout d’une heure vingt. C’est sa seule qualité..

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Sous tension ★★☆☆

Costas, la trentaine, vit toujours chez sa vieille mère. Il a trouvé un poste d’agent de sécurité à l’hôpital. Il a une fiancée, plus jeune que lui, qui termine ses études à l’université, et un frère, qui élève seule une petite fille que Costas adore.

Sous tension nous vient de Grèce. Son titre original est Wishbone, qu’on aurait pu traduire « furcula » ou « os de la chance ». C’eût été aussi hasardeux que le titre finalement retenu, qui n’a aucun sens.

Sans sirtaki ni ciel bleu, Sous tension se déroule dans les décors anomiques d’une grande ville (Athènes ?) en hiver. On pense aux cinémas roumain ou iranien, à leurs héros, des « Mr Nobody » écrasés par un destin qui les broie.

Costas est pris dans un engrenage dont il ne trouve pas l’issue. Pour payer les dettes contractées par son frère et éviter que la maison hypothéquée de sa mère soit saisie, il doit accepter un marché sordide : témoigner à charge contre un médecin hospitalier dans le procès intenté par un avocat véreux suite au décès d’un patient.

Sous tension hésite entre drame social, sur fond de crise économique grecque, d’appauvrissement généralisé et de déclassement des classes moyennes, et film noir. Sans doute le propos aurait-il pu être resserré et le film tenir en moins de deux heures. Mais en dépit de ses longueurs, Sous tension n’est pas sans intérêt.

La bande-annonce

Papamobile ☆☆☆☆

Un nouveau pape vient d’être élu. C’est un Français qui entend réformer la Curie. Mais les cardinaux lui annoncent que les caisses sont vides. Pour financer son premier voyage à l’étranger, il faut lever des fonds privés. Une chef de cartel agenaise, productrice de pruneaux, installée au Mexique, se propose pour organiser la venue du pape.

Papamobile est arrivé sur les écrans avec une réputation sulfureuse… ou plutôt il n’y est pas arrivé. Car il n’a bénéficié le 13 août, en plein été, que d’une « sortie technique » dans quelques rares salles de six villes reculées de province : Avignon, Bagnoles-de-l’Orne, Saverne, Douvaine, Évian-les-Bains et Romans-sur-Isère… Une explication s’impose.

Tourné en 2023, le film n’a pas trouvé de distributeur. Son producteur, en conflit ouvert avec le réalisateur, a refusé d’investir les 200.000 euros nécessaires à sa promotion et à sa distribution. Mais pour vendre son film à OCS ou à Amazon Prime, qui en le mettant sur leur catalogue satisfont leurs obligations de production de films français, Papamobile devait au préalable satisfaire les conditions minimales de sortie en salles.

Pour voir Papamobile, je suis allé dans l’unique salle parisienne qui le diffuse, à l’unique séance de la semaine où il est programmé (les Franciliens pourront le voir aussi à Vitry et à Livry-Gargan à des horaires improbables). Je pense que la plupart des spectateurs étaient comme moi animés de la curiosité malsaine de voir le pire nanar de l’année.

Nous avons été servis ! Rien ne va dans cette comédie ratée. Ni le scénario faiblard, ni les gags pas drôles, ni les scènes d’action tournées à la va-vite, ni le jeu calamiteux des acteurs, à commencer par l’héroïne qui doit probablement son recrutement au seul fait qu’elle soit la conjointe du réalisateur. Kad Merad assure le service minimum, laissant parfois transparaître son désarroi à s’être embarqué dans pareille galère.

Si quelques spectateurs s’esclaffent, c’est pour se moquer des passages les plus ratés – et ils sont nombreux. Je prends le pari que Papamobile va devenir culte. On le regardera en disant que c’est le plus mauvais film, la comédie la plus ratée, réalisée depuis l’indépassable Attaque de la moussaka géante.

La bande-annonce

L’Été de Jahia ★★☆☆

Un centre d’accueil belge héberge des immigrés qui attendent fébrilement le résultat de leur demande d’asile. Parmi eux, Jahia, seize ans à peine, doit veiller sur sa mère, qui souffre de stress post-traumatique. Jahia se lie d’amitié avec Mila, une immigrée biélorusse de son âge.

Il se dégage de L’Été de Jahia le même parfum que celui des films des frères Dardenne, notamment les deux derniers, Jeunes Mères et Tori et Lokita. Quasiment dans les mêmes décors, Olivier Meys, qui avait signé en 2019 Les Fleurs amères, filme à ras du sol, sur un mode documentaire, des adolescents à peine sortis de l’enfance, plongés à leur corps défendant, dans les affres du monde des « grands » : une insertion impossible dans un pays qui ne veut pas d’eux, une maternité précoce.

Les actrices Noura Bance et Sofiia Malovatska ont l’ingénuité des acteurs amateurs des frères Dardenne. Leurs sentiments sont purs, l’amitié qui lentement se noue entre elles est sans concession. Comme dans les films des Dardenne, un événement inattendu coupe le film en deux. L’évoquer, c’est déjà trop en dire. Rien ne l’avait laissé pressentir. On redoute la façon, simpliste, dont le scénario aurait pu en tirer les conséquences. Fort heureusement, il évite cette facilité qui aurait affadi sa trajectoire.

Pudique et émouvant, L’Été de Jahia évite à la fois le misérabilisme et la bien-pensance.

La bande-annonce

Salve Maria ★☆☆☆

Maria, une jeune écrivaine, vient d’accoucher. Son compagnon a beau se montrer aidant, Maria est dépassée par les pleurs de son bébé, par ses vomissements dont elle se demande, en dépit du diagnostic rassurant des médecins, s’ils ne sont pas l’indice d’une maladie cachée. Alors que Maria s’enfonce dans la dépression, un fait divers retient son attention : une Française, installée en Catalogne, aurait noyé ses deux jumeaux.

Adapté d’un récit de l’autrice basque Katixa Agirre, Salve Maria dresse un impressionnant portrait de femme. La révélation Laura Weissmahr, le cheveu blond et filasse, les yeux cernés par la fatigue, le bustier maculé des sécrétions de son bébé, porte le film sur ses épaules de bout en bout jusqu’à son épilogue aussi ambigu que juste.

Le problème de Salve Maria est d’être le film d’un seul sujet : la dépression port partum. Le sujet est grave. Mais, à lui seul, il ne suffit pas à nourrir un film tout entier. La vaine tentative de faire sortir Maria de son appartement pour l’entraîner dans une haute vallée pyrénéenne à la recherche de cette meurtrière qui la fascine ne suffit pas à donner au film l’oxygène qui lui manque.

La bande-annonce

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles ★★☆☆

Dans les années 1930, le frère Marie-Victorin, éminent professeur de botanique, fondateur du Jardin botanique de Montréal, a entretenu avec son étudiante Marcelle Gavreau une relation passionnée qui est pourtant restée platonique.

Ce film nous vient du Québec. Il en a l’accent si charmant. Il aurait pu se borner à raconter une histoire. Celle d’une relation hors normes entre un frère lassallien et son élève, révélée dans les années quatre-vingt-dix par la publication de leur riche correspondance. Mais il y rajoute une intéressante mise en abyme malheureusement mal exploitée.

L’affaire aurait pu être tristement banale, comme on en entend si souvent hélas depuis quelques années et les travaux nécessaires de la Ciase en France ou d’autres commissions en Irlande, au Chili, ou ailleurs : l’histoire de l’emprise sexuelle d’un homme de foi sur une croyante trop crédule. De telles situations ont d’ailleurs nourri bien des films : The Magdalene Sisters, El Club, Philomena, Grâce à Dieu, Tu ne mentiras point

Mais si emprise il y a entre l’homme d’Eglise et son élève de vingt-deux ans sa cadette, elle n’est pas sexuelle. Leur relation serait semble-t-il restée platonique. Le paradoxe de ce film est de raconter cette relation si chaste avec un érotisme débordant. Car à défaut de faire l’amour, les deux épistolaires s’en sont parlé, en des termes très directs, comme si la description frontale de la sexualité constituât un moyen pour eux de la refouler.

Le film aurait pu se contenter de raconter une histoire. Mais il rajoute une couche de complexité. Il filme ses acteurs en train de tourner dans le film qui raconte cette histoire. Il prête au couple vedette une relation adultère qui fait écho à la chasteté de leurs deux personnages.
Cette mise en abyme était une sacrée bonne idée. Dommage qu’elle n’ait pas été mieux exploitée.

La bande-annonce

Fantôme utile ★☆☆☆

Pour nettoyer la poussière qui s’accumule dans son appartement un homme achète un aspirateur qui lui joue bientôt des tours. Le SAV lui envoie un réparateur qui lui raconte une incroyable histoire, celle de Nat l’épouse d’un veuf inconsolable, qui s’est réincarnée… en aspirateur.

Le pitch de ce film thaï et sa bande-annonce déjantée pourraient laisser augurer une loufoquerie bizarre façon Rubber de Dupieux, où un pneu semait la terreur. C’est d’ailleurs ce créneau-là qu’explore Fantôme utile pendant sa première moitié. Elle contient quelques scènes franchement drôles où le mari de Nat enlace sensuellement son aspirateur de femme sous les yeux de sa famille consternée.

Mais le film, après un long ventre mou dans lequel il manque de s’enliser, prend dans sa seconde partie un autre tour, nettement moins cocasse. Il devient politique, convoquant les âmes errantes des manifestants torturés en 2010 par la dictature thaïe dont la mémoire continue à hanter à la fois leurs tortionnaires et leurs proches éplorés.

On reconnaît chez Ratchapoom Boonbunchakoke les mêmes influences que son aîné Apichatpong Weerasethakul (sic !). Les fantômes de Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, Palme d’or 2010, sont les cousins de ceux de Fantôme utile. Je ne connais pas assez la culture thaïe pour savoir si elle est particulièrement perméable aux esprits et à l’au-delà. Tout au plus puis-je déduire de ces films que cette thématique est très présente dans son cinéma.

Autre similarité entre ces deux réalisateurs dont j’ignore si elle peut être généralisée : leur lenteur. Une lenteur pour moi rédhibitoire qui a failli me conduire à déserter la salle tant je sombrais dans un ennui cataleptique. J’ai un souvenir physiquement douloureux des films de Weerasethakul qui, en dépit de toutes les qualités qu’on veut bien y trouver, m’ennuient à périr.

Une amie toulonnaise a adoré Fantôme utile et me l’a chaleureusement recommandé. J’aimerais vous le conseiller avec le même enthousiasme qu’elle. Car c’est un film profondément original, comme on n’en a jamais vu, qui, au-delà de sa superficialité affichée, de sa bouffonnerie revendiquée, développe un message profondément politique. Mais j’y ai trouvé le temps tellement long que j’ai scrupule à vous imposer ce pensum.

La bande-annonce