Le Mélange des genres ★★★☆

Mariée à Jean-Jacques (Vincent Elbaz), flic comme elle, Simone (Léa Drucker) a infiltré un mouvement féministe dans le cadre d’une enquête qu’elle mène sur l’assassinat par sa femme d’un homme accusé de violences domestiques. Alors que sa couverture est sur le point de tomber, elle accuse un quidam de l’avoir violée. Le quidam, Paul (Benjamin Lavernhe), marié à une actrice connue (Julia Piaton), est un homme doux et déconstruit. L’accusation qui pèse sur lui bouleverse radicalement sa vie.

J’ai fort mal résumé Le mélange des genres. C’est un film à l’intrigue particulièrement rocambolesque qui pourrait sembler fort peu crédible alors qu’elle réussit paradoxalement à l’être. Pris au pied de la lettre, c’est un film policier alors qu’il s’agit en fait d’une comédie pleine d’ironie.

Le couple Michel Leclerc/Baya Yasmi – dont on apprend qu’il vient de se séparer – a écrit un dernier film ensemble dans la veine des précédents. Le plus célèbre fut Le Nom des gens en 2010 qui valut à Sara Forestier le César de la meilleure actrice. Mais les suivants furent tout aussi réussis. J’ai une tendresse particulière pour La Lutte des classes où Edouard Baer et Leila Bekhti jouaient un couple de bobos gauchistes contraints de mettre sous le boisseau leurs convictions politiques au nom de l’éducation de leur enfant.

Dans Le Mélange des genres, Michel Leclerc, comme Caroline Fourest dans un récent essai, interroge le Vertige #MeToo. Le nœud du film est une fausse accusation de viol et ses conséquences en chaîne. Le sujet pourrait sembler fort sérieux voire dramatique. Mais Michel Leclerc choisit de le traiter sous l’angle de la comédie. Et le résultat est particulièrement réussi.

Car on rit beaucoup dans Le Mélange des genres, grâce notamment à Benjamin Lavernhe qui en rajoute au risque de basculer dans l’excès, dans le rôle du mâle déconstruit, et grâce aussi, en miroir, à deux autres personnages : Vincent Elbaz dans celui du mâle alpha pas déconstruit du tout et Judith Chemla dans celui de la féminazie hystérique.

On rit. Et en plus on rit intelligemment. Car Michel Leclerc est tout en finesse. Si bien sûr son cœur penche à gauche, du côté des féministes, du côté de la lutte contre le patriarcat (tout est dit dans une réplique – un peu trop – cinglante de Paul qu’il lance au groupuscule masculiniste qui est prêt à l’aider face aux fausses accusations portées contre lui : « Je préfère perdre avec elles que gagner avec vous »), Le Mélange des genres a l’intelligence de laisser s’exprimer des points de vue différents. Les féministes qu’il filme ne sont pas sans défaut, la virilité douce incarnée par Benjamin Lavernhe prête souvent à rire (ainsi de la façon dont il se fait remplacer dans la série où il était censé tourner).

Dans une programmation très abondante ce mois-ci, mais pas exceptionnelle, le bordel intelligent du Mélange des genres surprend et surnage.

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Mikado ★☆☆☆

Enfant de la DDASS, traumatisé par les familles d’accueil où il a été maltraité, Mikado (Félix Moati), la trentaine, veut à toute force épargner à ses propres enfants les traumatismes qu’il a vécus. Il mène une vie de bohême avec sa compagne Laetitia (Vimala Pons) et leurs deux enfants, Nuage et Zéphyr. Quand le van qui leur sert de logement tombe en panne, ces quatre voyageurs sont accueillis par Vincent (Ramzy Bedia), un professeur de collège endeuillé qui élève seul sa fille, Théa.

Avec Michel Leclerc – dont l’excellent Le Mélange des genres sort aujourd’hui sur les écrans – Baya Yasmi a co-écrit et souvent co-réalisé des films exceptionnels, petits bijoux de comédie prenant un malin plaisir à se rire des travers de notre temps : Au nom des gens, Je suis à vous tout de suite (avec déjà Vimala Pons et Ramzy), La Lutte des classes, Youssef Salem a du succès….

Dans cette filmographie marquée au sceau de la comédie intelligente, Mikado constitue un pas de côté. Ce n’est pas un film drôle. Ce n’est pas un film triste non plus. C’est un film intimiste, co-écrit avec Olivier Adam dont on reconnaît la petite musique triste, tourné dans la chaleur d’un été provençal (à une période de l’année où on peine à croire que le collège de Vincent ne soit pas fermé pour les vacances). Ses héros rappellent ceux de Captain Fantastic, un des tout meilleurs films de la dernière décennie, ou de Leave No Trace : des marginaux qui entretiennent une défiance radicale à l’égard du corps social et ont décidé de construire leur vie à l’écart du monde.

La marginalité voulue de Mikado rencontre celle, subie, de Vincent. Et lentement leurs solitudes s’écaillent et leurs souffrances s’allègent. Le facteur déclenchant est leurs filles respectives qui deviennent amies. Nuage, élevée comme une sauvageonne, découvre avec une fascination mêlée d’effroi la séduisante attraction d’une éducation normale, dans un collège ordinaire, avec des camarades de classe. Théa, la fille de Vincent, tétanisée par la mort de sa mère, trouve dans l’amitié qui se développe avec Nuage, une façon d’exorciser son deuil.

Ainsi présenté, le film semble intéressant. Ce serait bien injuste de dire qu’il ne l’est pas. Mais, hélas, aussi sympathique et bien joué soit-il, il manque de la densité suffisante pour sortir du lot. Desservi par « un scénario faiblard et prévisible, une mise en scène bien plate, des dialogues pauvres et souvent redondants, des situations convenues et une fin attendue qui cède à la tentation du pathos » (l’auteur de ces lignes se reconnaîtra), Mikado dont j’espérais beaucoup, m’a déçu.

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Cassandre ★★★☆

Cassandre se souvient de son adolescence détraquée. En 1998, elle avait quatorze ans. Pensionnaire dans un lycée militaire non mixte, elle était rentrée passer l’été chez ses parents, dans la Sarthe. Son père, un colonel de cavalerie rayé des cadres, y fait régner une discipline de fer. Sa mère, au contraire, totalement farfelue, professe un mode de vie soixante-huitard. Son frère aîné, passablement idiot, revient d’une année aux Etats-Unis et porte à sa cadette un intérêt pesant.
Loin de ce milieu toxique, Cassandre trouve dans le centre de loisirs où elle pratique l’équitation un environnement autrement plus amical.

Cassandre est le premier film, écrit et réalisé par Hélène Merlin. Elle ne cache pas la part d’autobiographie qu’il contient. C’est un film étonnant, à cheval sur plusieurs genres, qui évite le piège du film à thèse.

Tourné dans une chaleureuse lumière estivale, il a la saveur d’une comédie familiale, comme son affiche trompeuse pourrait le laisser penser. Ses personnages sont savoureux. On se demande un instant ce que l’administrateur général de la Comédie-Française est venu y faire, loin des films en costumes auxquels il nous avait habitués, avant de découvrir toute la palette de talents d’Eric Ruf, malaisant à souhait, dans le rôle d’un pater familias tyrannique. Zabou Breitman incarne une forme de folie douce. Le jeune Florian Lesieur interprète à merveille un grand dadais mal dégrossi dont on se demande constamment s’il est gentiment retardé ou dangereusement pervers.

Cassandre est aussi un coming-of-age movie, un film sur la sortie de l’adolescence – même si Cassandre est bien jeune pour sortir de l’adolescence… et Billie Blain, 21 ans, un chouïa trop vieille pour le rôle. La jeune actrice porte le film sur ses épaules. On l’avait déjà aperçue dans L’Astragale, Sparring, La Sainte famille, Le Règne animal. Elle éclate dans ce rôle qu’elle interprète avec une candeur rafraîchissante, parfaitement respectueuse des règles strictes qui rythment la vie de sa famille et éblouie de découvrir au centre équestre un autre style de vie.

Cassandre est enfin un conte noir, qui se déroule dans un grand château perdu au fond des bois, avec deux adultes anonymes dont on ne connaîtra jamais le prénom. Son action se déroule l’espace d’un été mais elle est mise en abyme doublement : par la voix off de la narratrice et par sa silhouette à l’âge adulte, manipulant une marionnette censée la représenter.

L’immense qualité de Cassandre est de ne pas sombrer dans le voyeurisme ni dans le manichéisme. La réaction de Zabou Breitman à la fin du film est à ce titre particulièrement déstabilisante : les arguments qu’elle invoque pour minorer les faits et continuer à se voiler la face pour maintenir les apparences sont dangereusement convaincants.

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Le Village aux portes du paradis ★☆☆☆

Dans un petit village côtier du sud de la Somalie, un fossoyeur élève seul son fils et essaie tant bien que mal de rassembler l’argent nécessaire à lui fournir une bonne éducation. Sa sœur, récemment divorcée, revient vivre sous son toit et cherche elle aussi à rassembler le capital lui permettant d’ouvrir une petite boutique de couture.

Sans doute a-t-on déjà vu des films qui se déroulaient en Somalie ou au large de ses côtes : La Chute du Faucon noir (2002), Hijacking (2012), Capitaine Philips (2013) … Mais ce Village aux portes du paradis, tourné par un réalisateur somalien, en Somalie même, est sans doute le premier film authentiquement somalien diffusé en France depuis l’âge d’or du cinéma somalien dans les années 70. Depuis lors, le régime socialiste de Siad Barre a été renversé laissant le pays sombrer dans l’anarchie, sa partie nord, qui fut jadis colonie britannique, retrouvant progressivement un semblant de stabilité, alors que sa partie sud, ancienne colonie italienne, reste divisée entre clans rivaux, influences étrangères et montée de l’islamisme fondamentaliste.

Le Village aux portes du paradis exhale donc un indéniable exotisme, même si ce qu’on voit de la Somalie, des rivages quasi désertiques battus par le vent, des banlieues anomiques jonchées de sacs plastique, ne donne guère envie d’y aller en villégiature.

Cet exotisme suffit-il à donner de l’intérêt à ce film ? J’avais eu la faiblesse de l’accepter, s’agissant d’un récent film djiboutien, un autre pays à la production cinématographique confidentielle, La Femme du fossoyeur sorti en avril 2022. Je n’aurai pas une telle indulgence avec ce film-là. Certes, il est moins naïf et moins gnangnan que le résumé que j’en ai fait pouvait le laisser craindre. Il y a au contraire dans les personnages et dans le montage une austérité rugueuse qui refuse toute complaisance. Mais cette austérité, étirée pendant plus de deux heures, devient vite étouffante sinon exaspérante.

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