Vermiglio ou La Mariée des Montagnes ★★★☆

Vermiglio est le nom d’un petit village du Trentin italien, perdu dans un vallon alpin. L’histoire racontée s’y déroule à l’hiver 1944 et pendant les quelques années qui suivent. Elle se focalise sur la famille de Cesare Graziadei, le maître d’école, père de dix enfants. Elle commence avec l’arrivée dans le village de Pietro, un Sicilien qui fuit la conscription. Lucia, l’aînée des Graziadei, a tôt fait d’en tomber amoureuse.

Vermiglio est un film taiseux habité par la grâce. Mauria Delpero, la réalisatrice de Maternal, est allée le tourner dans le village natal de son père, après son décès. Chacun de ses plans constitue un tableau muet qui raconte une histoire. On y voit les saisons qui passent, les enfants qui naissent et qui meurent, les amours qui s’esquissent… La guerre, au loin, gronde, mais ne vient jamais troubler la vie routinière des paysans.

Les enfants de Cesare et d’Adele sont les personnages principaux de ce film. Ils représentent un échantillon représentatif de cette population paysanne à l’avenir bouché et sont les yeux à travers lesquels l’histoire est racontée : Dino, l’aîné paresseux et buté, qui fait le désespoir de son père, Ada, dont le mysticisme la destine à entrer dans les ordres, Flavia, la plus intelligente et la plus espiègle, en qui le père a placé tous ses espoirs, Pietrin dans lequel la réalisatrice a voulu filmer le double autobiographique de son propre père…

Vermiglio était menacé par le double risque de l’immobilisme et de l’esthétisme. La réalisatrice l’évite grâce à un scénario suffisamment rebondissant pour ménager quelques surprises. On pense aux Quatre filles du docteur March ou aux grands films italiens des frères Taviani (Padre Padrone) ou d’Ermanno Olmi (L’Arbre aux sabots, Palme d’or 1978).

La bande-annonce

Le Joueur de go ★☆☆☆

Un samouraï errant vit à Edo dans une modeste pension dont il peine à régler le loyer. Le jeu de go, dans lequel il est passé maître, est son seul loisir. Mais quand son honneur est mis en cause, il livre un dernier combat pour le laver.

Le Joueur de go est un film étonnant. Selon qu’on est indulgent ou pas, on le jugera intemporel ou franchement démodé. Comme The Alto Knights, sorti la semaine dernière, il semble venir de nulle part. D’ailleurs ni son réalisateur (qui n’en est pas pourtant à son premier film), ni ses acteurs n’ont fait parler d’eux.

Pendant la première moitié du Joueur de go, j’ai imaginé que son héros avait forgé un plan machiavélique pour nourrir sa vengeance. Mais le scénario est beaucoup moins retors que je l’avais imaginé, même si je ne suis pas sûr d’en avoir compris toutes les ficelles.

Le Joueur de go m’a fait penser à ces polars de la collection Grands détectives chez 10/18 qui nous faisaient voyager dans le temps et dans l’espace. Mais hélas, il n’est qu’un succédané des films de sabre, aux combats aussi répétitifs qu’ennuyeux.

La bande-annonce

Magma ★★☆☆

Katia Reiter (Marina Foïs) vit depuis plusieurs années en Guadeloupe et y dirige l’Observatoire de volcanologie. Un jeune thésard, Aimé (Théo Christine) l’assiste. Ils voient avec inquiétude les signes avant-coureurs d’une explosion volcanique à la Soufrière. La prudence leur dicte-t-elle de recommander au préfet l’évacuation ? ou le risque est-il trop faible pour prendre une mesure si radicale qui pourrait s’avérer inutile ?

Les films catastrophe sont construits sur un schéma immuable. Un volcan menace d’entrer en éruption (ou un tsunami de ravager le littoral ou un requin vorace d’y dévorer les baigneurs). Un scientifique (ou un garde-côte) alerte en vain du danger imminent les autorités qui, par incompétence ou par malhonnêteté, lui font la sourde oreille. La catastrophe fatalement intervient : le volcan entre en éruption (le tsunami dévaste le littoral ou le requin carnivore passe à table). Le valeureux scientifique sauve la moitié du village d’une mort certaine, tandis que le maire/député corrompu et incompétent meurt en refusant d’emporter son coffre-fort dans sa fuite.

Magma est l’inverse d’un film catastrophe. Il met très concrètement en scène, comme on l’a tous vécu au moment du Covid, les dilemmes qui se posent aux scientifiques et aux dirigeants politiques face à une catastrophe qui vient. Quelle est la réaction pertinente face à un risque ? Si la science n’offre aucune certitude, si elle est incapable de prédire l’avenir sans risque d’erreur, quelle est la bonne attitude à adopter ? Ne risque-t-on pas, au nom du principe de précaution, de sur-réagir en grossissant un risque dont on n’est pas sûr qu’il se concrétise, par exemple en Guadeloupe en ordonnant une évacuation inutile qui bouleverserait la vie de milliers d’habitants ? Ne risque-t-on pas au contraire de sous-réagir en ne prenant pas en temps utile les mesures nécessaires pour prévenir une catastrophe qui risquerait d’être meurtrière si elle venait à se réaliser ?

Le sujet est passionnant. Il se double dans Magma d’une réflexion sur la situation coloniale dans laquelle vit encore aujourd’hui la Guadeloupe, sur les tensions qui opposent les métros aux créoles, sur la confiance érodée dont jouissent les autorités (Mathieu Demy y joue le rôle d’un préfet bien trop dépenaillé pour faire un préfet crédible)

Mais hélas, Magma souffre de son handicap initial. Le film catastrophe hollywoodien est organisé autour d’une catastrophe, qui en constitue l’horizon et le point d’orgue, et remplit la promesse d’images impressionnantes. Construit autour de l’attente d’une catastrophe qui ne vient pas et de l’anxiété que cette attente fait naître, Magma se prive par construction du feu d’artifice pyrotechnique que ladite catastrophe aurait permis.

La bande-annonce

The Alto Knights ★☆☆☆

The Alto Knights raconte le combat fratricide que se sont livré à la fin des années 50 deux chefs de la mafia new yorkaise Frank Costello et Vito Genovese.

Le film, sorti en catimini par Warner, sans projection de presse ni publicité, ressemble à un voyage dans le temps. Trois octogénaires sont aux manettes : Robert De Niro, en tête d’affiche joue lui-même les deux rôles principaux, Barry Levinson (Good Morning VietnamRain Man) est à la réalisation, Nicholas Pileggi (Les Affranchis, Casino) au scénario. Ils auraient pu tourner le même film quarante ans plus tôt. D’ailleurs le film était en développement depuis les années 70.

Comme déjà dans The Irishman de Scorsese, Robert De Niro joue grimé, sous une couche de latex qui le rend presque méconnaissable. Pourquoi lui avoir fait interpréter les deux rôles principaux, qui grandirent ensemble avant que leurs chemins ne se séparent ? pour faire des économies de cachet ? pour insister sur leur gémellité ? On s’interroge.

The Alto Knights a tous les atours des grands films classiques de la mafia. mais tout y est démodé : le jeu des acteurs, l’élégance des toilettes et des grosses cylindrées, l’absence d’humour, le rythme pépère du scénario…

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La Cache ★★☆☆

Dans la famille Boltanski, réunie sous le même toit d’un grand appartement de la rue de Grenelle en mai-68, il y a l’arrière-grand-mère (Liliane Rovère), juive russe, chassée d’Odessa à la fin du dix-neuvième siècle, le grand-père (Michel Blanc), médecin humaniste, la grand-mère (Dominique Reymond), sociologue, les deux oncles, Christian (Aurélien Gabrielli), qui deviendra un célèbre artiste plasticien, et Jean-Elie (William Lebghil), un linguiste. Il y a enfin le petit Christophe, neuf ans, qui racontera près de cinquante ans plus tard cette famille soudée et loufoque, dans un roman autobiographique couronné par le prix Fémina 2015.

Lionel Baier en signe l’adaptation, avec une fidélité revendiquée dès le tout premier plan. Pourtant l’adaptation n’est pas si fidèle, qui se déroule en mai 1968, alors que le roman évoque à peine cette période.

Sa bande-annonce est trompeuse. La Cache est beaucoup plus complexe qu’on pouvait s’y attendre. Il est d’abord beaucoup plus drôle. Il décrit une famille loufoque façon Gaston Lagaffe ou Le Redoutable, la comédie pop, injustement oubliée, de Michel Hazanavicius avec un Louis Garrel détonant dans le rôle de Jean-Luc Godard.

Il est surtout beaucoup plus tragique. Il raconte les blessures toujours pas cicatrisées de l’antisémitisme et de la Seconde Guerre mondiale des membres de cette famille qui ressentent le besoin compulsif de se serrer les coudes, de se lover les uns contre les autres dans la chaleur protectrice de cet appartement-cocon.

La Cache est le dernier film tourné par Michel Blanc brutalement décédé en octobre dernier (Le Routard sortira le mois prochain mais a été tourné avant La Cache). On ne peut s’empêcher de l’y regarder avec une pointe d’émotion. Le dernier plan est un bel hommage qui nous serre le cœur.

La bande-annonce

On ira ★★★☆

Rongée par un cancer récidiviste, Marie (Hélène Vincent) a pris sa décision : elle ira mourir dans la dignité en Suisse avant que la maladie n’ait raison d’elle. Mais elle n’a pas le courage de dire la vérité à son fils (David Ayala) et à sa petite-fille (Juliette Gasquet). Le seul à être dans la confidence, bien malgré lui, est Rudy (Pierre Lottin), l’auxiliaire de vie de Marie.

Après La Chambre d’à côté (que j’ai adoré), après Le Dernier Souffle (que j’ai détesté), le suicide assisté, qui revient en discussion à l’Assemblée nationale, est décidément le sujet tendance dans les salles de ce premier trimestre 2025. Il l’était en 2012 quand Hélène Vincent, déjà elle, se rendait en Suisse, avec son fils, interprété par Vincent Lindon, pour y mourir dans la dignité.

Quelques heures au printemps m’avait durablement marqué. On ira a eu sur moi un effet identique. J’ai « marché » du début à la fin et suis sorti enthousiaste d’un film qui n’est pourtant pas sans défauts et qui vaut sans doute moins que ce que je vais en écrire. Le critique de cinéma est subjectif ; je le suis plus qu’à mon tour ; il y a des films dans lesquels je « marche », d’autres dans lesquels je ne marche pas (comme À bicyclette ! que j’ai fielleusement assassiné). Comment s’explique qu’un film puisse à ce point nous entraîner au point qu’on en oublie ses défauts ? C’est la subjectivité de chacun … et la magie du cinéma…

Premier film d’une enfant de la balle, jeune actrice passée derrière la caméra, On ira est une comédie qui traite d’un sujet grave. Comme Little Miss Sunshine dont il emprunte le dispositif, On ira réunit ses quatre protagonistes dans un vieux camping-car asthmatique en route vers la Suisse. Oscillant entre le rire et les larmes, il réussit à tenir la distance et à garder l’équilibre sans verser dans la caricature que sa bande-annonce laissait craindre.

Il le doit en grande partie à ses acteurs. Hélène Vincent, décidément abonnée aux personnages d’octogénaires en fin de vie, est comme d’habitude parfaite. Sa manière de faire ses valises, de choisir sa dernière robe, de fermer une dernière fois son portail, m’a arraché des torrents de larmes. Après En fanfare, Pierre Lottin confirme son potentiel comique avec un rôle qui aurait pu facilement déraper. J’ai trouvé que le physique de David Ayala, découvert dans Miséricorde, jurait ; mais je me suis laissé emporter par son naturel. Enfin, la jeune première Juliette Gasquet est la preuve incarnée du boulot incroyable des directeurs de casting qui n’ont pas leur pareil pour dénicher des talents inédits.

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Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan ★★☆☆

En 1963, Esther Perez (Leïla Bekhti) met au monde son sixième enfant. Il est affligé d’un pied bot et condamné par les docteurs à être handicapé et lourdement appareillé. Mais sa mère s’y refuse, contre toute raison, et attend un miracle.

Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan est l’adaptation de l’autobiographie éponyme de l’avocat Roland Perez. Il y raconte, à la première personne, son enfance dans un HLM du 13e arrondissement parisien, son handicap, sa scolarité dans un cours de théâtre puis sa brillante carrière au barreau. Il y raconte surtout en filigrane l’amour démesuré de sa mère.

Leïla Bekhti se glisse avec gourmandise dans ce personnage de mamma juive séfarade immigrée du Maroc, plus vraie que nature. Comme la mère de Romain Gary elle prophétise à son fils bien-aimé un avenir prestigieux. Elle réussit à être profondément attendrissante dans l’amour qu’elle porte à son enfant, capable de déplacer des montagnes, et horripilante dans ses excès caricaturaux. Le maquillage qui la vieillit outrancièrement dans la seconde partie du film est bien lourd à porter ; mais Leïla Bekhti est une si bonne actrice qu’elle le supporte sans se ridiculiser.

Le scénario du film boîte, comme son héros. Il est l’adaptation, je l’ai dit, d’une autobiographie. Mais il se focalise, non sans raison, sur le handicap de naissance du jeune Roland et l’entêtement insensé de sa mère à le soigner. Cette histoire-là aurait suffi à nourrir un film. Elle constitue d’ailleurs les deux tiers de Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan. Elle est l’occasion de croquer une famille nombreuse et joyeuse dans le Paris coloré et rock’n roll de la fin des années 60.

Mais le film est lesté d’un troisième tiers qui le déséquilibre. On pourrait penser, à en croire son titre, que ce troisième tiers est consacré à Sylvie Vartan. Ce n’est qu’en partie vrai. Certes, on y voit la chanteuse, aujourd’hui âgée de quatre-vingts ans passés, le visage à ce point corrigé par la chirurgie esthétique qu’on le dirait redessiné par une intelligence artificielle. Mais on y voit surtout Roland Perez adulte, interprété par Jonathan Cohen, se marier, fonder une famille, et tenter de se sevrer de la relation vampirique qui l’unit à sa mère. Cette partie-là du film n’est pas inintéressante… mais c’est un autre film qui dévoie le premier.

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Peaches Goes Bananas ★☆☆☆

Peaches, de son vrai nom Merrill Nisker, est une chanteuse canadienne née en 1966. Icone queer et féministe, elle est connue pour son titre Fuck the Pain Away qu’on entend dans Lost in Translation et dans The Handmaid’s Tale. Ses spectacles volontiers provocateurs, interrogent les genres et revendiquent un féminisme décomplexé.

La documentariste Marie Losier, qui s’est fait une spécialité des portraits d’artistes d’avant-garde, suit Peaches depuis longtemps. Elle a décidé de monter les images d’elle enregistrées sur plus de treize ans. On y voit – sans toujours s’y reconnaître – la chanteuse à différents âges de sa vie. Le temps qui passe est d’ailleurs un sujet qui est cher à Peaches et elle assume, la cinquantaine bien entamée, un corps marqué par les ans.

On y voit aussi la chanteuse dans sa vie privée, donnant d’elle une image bien plus banale que celle, outrée, qu’elle affiche dans ses concerts underground : auprès de sa sœur lourdement diminuée par une sclérose en plaques, avec son père et sa mère, avec son compagnon qui partage désormais sa vie à Berlin.

Le documentaire, fort bref (il dure une heure et treize minutes seulement) est sorti début mars dans quelques rares salles parisiennes. Il intéressera peut-être quelques fans d’électro-clash, quelques punks, quelques butchs. Quant aux autres….

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Anna ★★☆☆

Anna est sarde. Après quelques années sur le continent, elle est revenue exploiter la terre de son père et y élever quelques chèvres. Mais son indépendance durement reconquise est mise à mal par la construction d’un complexe hôtelier à ses portes. S’engage pour elle une longue bataille juridique face à l’hostilité de tous les habitants du village avec le seul soutien d’un avocat bienveillant qui accepte de la défendre.

Après la Corse, la Sardaigne. Trois semaines seulement après Le Mohican arrive sur les écrans, avec une distribution beaucoup plus resserrée, ce film italien, largement tourné en dialecte sarde. J’avais déjà eu un avant-goût de sa sonorité grâce aux livres de Milena Agus (Mal de pierres, Battement d’ailes) ; mais je crois que c’est la première fois que je l’entends au cinéma.

Anna rappelle Joseph, le héros du Mohican. Elle dirige seule une exploitation agricole. Elle refuse de la céder aux promoteurs immobiliers. Elle engage une lutte à la vie à la mort pour y rester. Joseph ne parlait quasiment pas. Son refus se traduisait par des gestes. Anna, elle, utilise ce qu’elle a : sa rage éruptive et désordonnée que son patient avocat essaie de canaliser.

L’enjeu pour Anna est de prouver que la terre qu’elle occupe lui appartient. À défaut de documents cadastraux qui l’attestent, Anna s’emploie à démontrer la propriété par usucapion (le mot du jour !) : cette propriété est la sienne car elle l’a héritée de son père qui l’a continûment occupée et exploitée pendant des dizaines d’années. Seul problème : les villageois susceptibles de témoigner en sa faveur s’y refusent car la construction de ce complexe hôtelier est, pour eux et pour leurs enfants, la promesse d’un afflux de capitaux et d’emplois qui ressuscitera ce bourg anémié par l’exode rural.

Ainsi posé, l’enjeu du film est simple. Son réalisateur, venu du documentaire, a le don de lui donner de la chair. Son scénario maintient la tension tout le long du film. Même si son entêtement est horripilant, même si un peu plus de diplomatie et de conciliation ne lui nuiraient pas, on prend vite fait et cause pour Anna, on s’émeut avec elle de son passé traumatique qui nous est progressivement révélé, on tremble qu’elle soit expulsée de sa terre et [attention spoiler] on se réjouit qu’elle réussisse finalement à s’y maintenir.

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Black Box Diaries ★★☆☆

Shiori Ito accuse Noriuki Yamaguchi, un journaliste proche du Premier ministre, Shinzo Abe, de l’avoir droguée et violée le 3 avril 2015 dans un hôtel tokyoite. Le journaliste s’en défend en affirmant que la jeune femme, qui candidatait à un stage dans son journal, était consentante. Après avoir déposé plainte sans succès, Shiori Ito a décidé de rendre l’affaire publique en 2017. Elle a publié un livre, Black Box, qui eut beaucoup d’écho alors que la vague #MeToo partie des Etats-Unis touchait enfin le Japon.
Pendant toute l’affaire, pour se protéger d’éventuelles représailles, Shiori Ito a filmé, souvent en caméra cachée, ses démarches et a enregistré ses interlocuteurs.

Inconnue en France, Shiori Ito est une star au Japon. Elle y est le visage de #MeToo, celle dont le combat courageux pour faire reconnaître le viol dont elle a été victime en 2015 galvanise celui de toutes les femmes dans un pays conservateur où l’autorité masculine n’est que timidement remise en cause, où les plaintes pour violences sexuelles sont rares et où les juges hésitent à sanctionner leurs auteurs.

Voir Black Box Diairies, c’est évidemment prendre fait et cause pour Shiori Ito. La culpabilité de son agresseur ne fait pas l’ombre d’un doute – et le scrupule légaliste réservant à la police et aux juges le soin de l’élucidation des faits est bien (trop ?) vite balayé. La beauté de la victime, mannequin pour Calvin Klein, y est pour beaucoup. Mais plus encore, le spectateur est sensible au combat qu’elle mène pour que sa plainte soit entendue. Il prend conscience, autant qu’un documentaire peut lui permettre de le faire, de l’énergie, de la détermination et du prix à payer pour mener cette lutte.

Car, bien évidemment, Shiori Ito a suscité la polémique. Sa parole a été mise en doute. On l’a accusée de s’être prostituée, d’avoir menti, d’avoir cherché à s’enrichir dans ses procès. On mesure, à la suivre face à ce flot de haine, le courage et la force qu’il faut avoir pour y résister.

Le documentaire lui-même a suscité une polémique. Les avocats de Shiori Ito lui ont fait le reproche d’avoir utilisé certaines images, telles que celles des caméras de surveillance de l’hôtel auxquelles elle a eu accès à condition qu’elles ne soient utilisée que dans le cadre de l’instance, ou certains témoignages. Ces réserves peuvent sembler pusillanimes : pourquoi refuser la publicité de tout ce qui peut participer à la manifestation de la vérité ? Mais, à y regarder de plus près, elles ne sont pas si sottes : rendre publiques des preuves obtenues sous le sceau de la confidence, n’est-ce pas fragiliser la confiance et risquer à l’avenir que de tels témoins ne se taisent ?

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