Connemara ★★★☆

Hélène (Mélanie Thierry) est au mitan de sa vie. Son couple bat de l’aile ; son travail dans une société de conseil parisienne la lessive. Avant de s’effondrer, elle décide de retourner vivre à Épinal, où elle a grandi. Elle y retrouve Christophe Marchal (Bastien Bouillon), un ancien ami de lycée, ex-star de l’équipe de hockey locale.

Après Leurs enfants après eux, prix Goncourt 2018, Nicolas Mathieu, soudainement promu au rang d’écrivain à succès, écrit quatre ans plus tard Connemara. Les réactions sont tièdes voire hostiles.
Leurs enfants après eux a été adapté à l’écran l’an passé. L’accueil n’a pas été très bon. Je lui ai reproché son écriture trop lâche qui voulait à tout prix faire rentrer un livre touffu dans un film, fût-il de deux heures vingt.

J’ai préféré, comme beaucoup, le Goncourt au roman suivant de Nicolas Mathieu. Mais s’agissant de leurs adaptations cinématographiques, mon classement est inverse. J’ai préféré Connemara à Leurs enfants après eux. À cela deux raisons.

La première tient à la qualité de la mise en scène. Homme orchestre, Alex Lutz est aussi bon devant la caméra (son interprétation sauve du naufrage le très mauvais Fils de) que derrière. Pour mélanger les temporalités d’Hélène, son présent quadragénaire et son passé adolescent vingt ans plus tôt, pour rendre compte aussi du chaos qu’est devenue sa vie, Connemara adopte un montage très rapide, multiplie les flash-back, désaccorde le son et l’image, l’image d’un plan mordant sur le son du plan suivant. Ainsi formulé, le procédé peut sembler bien indigeste ; mais le résultat très fluide, quoiqu’à la longue un peu répétitif, est efficace.

La seconde est l’interprétation. J’ai déjà avoué, subjectivement, l’horripilation que suscite en moi le jeune Paul Kircher, tête d’affiche de Leurs enfants après eux. Je crois avoir aussi dit mon engouement à la fois pour Mélanie Thierry et pour Bastien Boillon. Ils sont tous les deux parfaits dans le rôle. L’ironie de la programmation est que Bastien Boillon vient de jouer quasiment le même rôle dans  Partir un jour qui a fait l’ouverture du festival de Cannes. Ce qui est plus ironique encore est qu’il y partageait l’affiche avec Juliette Armanet qui déclencha une petite polémique en août 2024 en critiquant en des termes peu amènes la chanson de Michel Sardou Les Lacs du Connemara.

Cette chanson joue un rôle bien particulier dans le livre au point d’en avoir inspiré le titre. On l’entend à la fois dans les fins de soirée à HEC et dans les mariages de la « France périphérique » comme celui (attention spoiler) qui clôt le film. Elle constitue donc à la fois un patrimoine commun et un marqueur social.

Connemara était un livre de quatre cents pages qui creusait la question sociale : la fracture entre la France d’en haut, celle des sociétés de conseil parisiennes, et celle d’en bas, celle des hockeyeurs vosgiens amateurs et des banquets de mariage trop arrosés. Le film qu’Alex Lutz en a tiré est moins politique. Il se focalise sur Hélène et sur sa midlife crisis, son ras-le-bol d’une vie parisienne dont elle ne supporte plus le rythme frénétique, son aspiration à une vie plus simple, son retour nostalgique dans la ville de son enfance, son attirance pour celui qui, vingt ans plus tôt, faisait battre le cœur de toutes les lycéennes et qu’elle, la forte en thème recluse dans ses bouquins, n’avait pas eu le courage d’aborder… Il prend le parti du romantisme, filmant dans des clairs-obscurs david-hamiltoniens les corps dénudés des amants qui s’accorchent l’un à l’autre pour s’empêcher de tomber.

La bande-annonce

Sirāt ★★★☆

Une rave se déroule au milieu du désert marocain. Un homme (Sergi Lopez) se faufile au milieu des participants, à la recherche de sa fille, disparue quelques semaines plus tôt. Son fils l’accompagne. Lorsque la rave est interrompue par la police, Luis et son fils suivent une bande de ravers et leurs deux camping-cars qui traversent le désert pour rejoindre le lieu de leur prochaine teuf.

Sirāt nous vient de Cannes avec une réputation écrasante. Il y a remporté le Prix du jury et y a raté d’un cheveu, dit-on, la Palme d’or décernée au film iranien de Jafar Panahi, actualité politique oblige.

Son sujet est diablement original. Sirāt commence comme un documentaire musical sur une rave party filmée au milieu du désert. Un petit film français passé inaperçu s’y était essayé l’an dernier, After d’Anthony Lapia. Gaspar Noé l’avait fait également dans Climax. Oliver Laxe, qui connaît bien son sujet, y réussit très bien filmant les corps en transe des raveurs (le raveur rêve-t-il ?!) qui s’abandonnent au rythme pulsatile de la musique techno.

Mais le documentaire musical façon Woodstock prend au bout d’une demi-heure une autre direction en se focalisant sur Esteban, son fils et la bande de teufeurs qui traversent le désert en caravane vers le sud. Les paysages sont majestueux et rappellent ceux de Cent mille dollars au soleil. Les allusions cinématographiques sont d’ailleurs (trop ?) nombreuses, la troupe bohème à laquelle Esteban s’est agrégé évoquant, elle, les monstres de Freaks.

Le film menace de s’enliser dans les sables du désert et dans la pesante métaphore métaphysique que son titre ésotérique appelle (le Sirāt est dans l’Islam un pont sur l’enfer qui mène au paradis). Mais il est sauvé par deux scènes scotchantes. La première est aussi inattendue que brutale. Rien dans le scénario ne la laissait escompter. Elle leste le film d’une gravité qu’il ne parvenait pas à atteindre jusque là. La seconde est au contraire beaucoup plus longue. Elle place les personnages, et les spectateurs avec eux, au cœur d’un suspens irrespirable. Elle a vocation à devenir anthologique. À elle seule elle donne au film une valeur qu’il n’aurait pas eue sinon.

La bande-annonce

La Voie du serpent ★☆☆☆

Albert (Damien Bonnard) a été totalement dévasté par le kidnapping et la mort atroce de sa fille, huit ans. Il a décidé de se venger lui-même de ses meurtriers. Une psychiatre japonaise installée en France lui sert de complice. Ensemble, ils kidnappent l’ancien comptable d’une fondation mêlée à un trafic d’organes.

Voici le troisième film de Kiyoshi Kurosawa sorti cette année, après Chime fin mai et Cloud début juin. Ils n’ont aucun lien les uns avec les autres même si on reconnaît quelques traits communs : des histoires aux confins de la science-fiction, du thriller et du slasher, des scénarios à l’équerre, filmés à l’os, sans fioritures, des ambiances glauques…

On peut aimer… ou pas. J’appartiens plutôt à la seconde catégorie. Je reconnais volontiers au cinéma de Kiyoshi Kurosawa ses qualités, sa bizarrerie ; mais je le trouve plus dérangeant qu’autre chose. En soi, être dérangeant n’est pas un défaut pour un film. C’est même souvent une qualité. Le cinéma n’a pas pour fonction de nous conforter dans nos certitudes mais de nous dé-ranger, de nous ranger ailleurs, hors de notre cercle de confort.

La Voie du serpent est un film sur la vengeance. Il met en scène deux « victimes » qui, au nom de la justice, vont administrer aux auteurs présumés des sévices infligés à leurs enfants des souffrances plus cruelles encore. Cette loi du talion, qui n’a plus cours depuis l’Ancien Testament sinon dans quelques théocraties rétrogrades, est barbare. La voir à l’écran met mal à l’aise. Le film est d’ailleurs, à bon droit, interdit aux moins de douze ans. Une interdiction aux moins de seize ans, eu égard à la cruauté de certaines situations et de l’atteinte à la dignité humaine, n’aurait pas été selon moi disproportionnée.

Le problème de ce film-là – et au-delà des autres réalisations de Kiyoshi Kurosawa – est que cette immoralité n’est mise au service de rien, sinon d’un sombre nihilisme. Elle se conclut inévitablement dans un hangar désaffecté par une ultime course poursuite. C’est le défaut de sortir trois films par an : s’ils ne se renouvellent pas un tant soit peu, ils donnent vite l’impression de se répéter.

La bande-annonce

Fils de ★☆☆☆

Anne Chalamond (Karin Viard), l’influente conseillère stratégique du Président de la République (Karin Viard) a décidé de propulser à Matignon le sénateur Lionel Perrin (Lionel Cluzel), suite à la disqualification de la favorite pour le poste. Mais plusieurs éléments contrecarrent ce plan : l’hostilité de Patrick Schuffenecker (Alex Lutz), le futur ministre de l’intérieur, et les réticences de Lionel Perrin lui-même. Aussi Chalamond missionne-t-elle le fils de Perrin, Nino (Jean Chevalier), attaché parlementaire, en couple avec une jeune et ambitieuse journaliste de France Inter pour convaincre son père d’accepter cette nomination.

Premier long-métrage d’un jeune réalisateur biberonné à la politique, Fils de se revendique d’un genre, le film politique et d’un sous-genre, la comédie politique. On entend souvent dire que ce genre est typiquement américain et qu’il ne s’est guère exporté en France. L’affirmation est largement erronée : depuis toujours, on a vu de ce côté de l’Atlantique des films qui décrivent les coulisses du pouvoir que ce soit Le Président avec Jean Gabin ou Le Bon Plaisir qui, en pleine ère mitterrandienne, imaginait l’existence d’une fille adultérine à l’Elysée. Plus récemment, on peut citer L’Exercice de l’Etat – qu’il est de bon ton de vanter mais que j’ai toujours trouvé surcoté – La Conquête sur l’élection de Sarkozy, Bernadette, Quai d’Orsay, Président ou Second Tour que j’ai franchement détesté… sans oublier de prestigieuses séries (Baron Noir, L’État de GraceLes Hommes de l’ombre…).

Fils de m’a fait penser à un film injustement oublié qui se revendiquait aussi de ce genre : Le Poulain avec Finnegan Oldfield et Alexandra Lamy. Mais hélas, il n’en a ni l’acuité ni la saveur.

Fils de voudrait être drôle, mais ne l’ai guère sinon dans les deux répliques que la bande annonce diffusée ad nauseam tout le mois dernier, a déjà éventées. Il prétend nous dévoiler les dessous de la politique mais se réduit à une mascarade dans laquelle tous les politiciens ont un compte en Suisse ou à Singapour et une seule obsession : salir leurs adversaires pour obtenir une nomination.

Il nous entraîne l’espace d’une journée dans une folle course poursuite entre Paris et Bruxelles dépourvue de toute crédibilité. Si le parti retenu avait été celui de la satire, alors on aurait pu accepter ces débordements. Mais, en revendiquant celui du film politique, il se trompe de cible voire crée le malaise.

La bande-annonce

Chroniques d’Haïfa – Histoires palestiniennes ★★☆☆

Une famille arabe aisée d’Haïfa a bien des soucis. La société d’assurances que dirige le père est au bord de la faillite. La mère est plongée dans les préparatifs du mariage de sa fille aînée et aimerait que ses deux autres enfants prennent exemple sur elle. Mais ni l’un ni l’autre n’en prennent le chemin. Son fils, Rami, entretient une liaison avec une hôtesse de l’air juive qui lui annonce qu’elle est enceinte. La benjamine, Fifi, étudie à Jérusalem mais donne du fil à retordre à sa mère.

Scandar Copti avait co-réalisé en 2009 un portrait en creux de la ville de Jaffa, au sud de Tel-Aviv. Seize ans après ce film unique, il récidive cette fois ci dans le nord du pays, à Haïfa, la troisième ville d’Israël, réputée pour son multi-confessionnalisme : la ville abrite une importante population arabe et est la capitale spirituelle du baha’isme.

Scandar Copti n’épargne rien ni personne. Il a la dent dure avec les fondamentalistes juifs qui se battent contre les unions mixtes. Il l’a tout autant avec le patriarcat qui prévaut au sein des familles palestiniennes et qui dicte aux jeunes filles le choix de leur époux ou, pire, leur interdit toute relation sexuelle avant le mariage. Le portrait qu’il dresse de la famille de Fifi n’est pas tendre sinon pour la benjamine, campée par une jeune actrice solaire, Manar Shehab.

Prix Orizzonti du meilleur scénario à la Mostra 2024, Chroniques d’Haïfa vaut surtout par sa construction. Il est organisé en quatre chapitres, chacun offrant des mêmes faits une version légèrement décalée dans le temps et différente, façon Rashomon. Cet entrelacs particulièrement subtil stimule l’intelligence du spectateur et lui interdit de relâcher son attention. Chaque détail compte qui, mystérieux ici, s’éclairera plus tard à travers la narration d’un autre protagoniste. Ainsi de l’accident de voiture dont est victime Fifi dans la première scène du film.

On aurait aimé dire que Chroniques d’Haïfa esquisse la possibilité d’un vivre-ensemble en Israël comme le font les films d’Amos Gitaï, un natif de cette ville. Hélas, Scandar Copti ne cède pas à l’irénisme.

La bande-annonce