Vie privée ★★☆☆

Rien ne va plus dans la vie de Lilian Steiner (Jodie Foster), une Américaine installée de longue date à Paris où elle exerce la profession de psychiatre, s’est mariée avec un ophtalmologue hospitalier. Ses voisins du dessus causent un vacarme qui l’empêche de travailler ; un vieux client qu’une hypnotiseuse (Sophie Guillemin) a guéri en une seule séance de son addiction au tabac  décide de cesser sa cure et en exige le remboursement ; son fils (Vincent Lacoste), jeune père de famille, lui fait à bon droit le reproche de ne pas s’attacher à son petit-fils ; une de ses patientes (Virginie Efira) vient de se donner la mort et le mari de celle-ci (Mathieu Amlaric) et sa fille (Luana Bajrami) reprochent à Lilian Steiner de l’avoir provoquée avec les médicaments qu’elle lui a prescrits.

Rebecca Zlotowski est une figure désormais installée du cinéma français contemporain. Depuis La Belle Epine qui révéla Léa Seydoux, cette normalienne, agrégée de lettres modernes, passée par la Fémis a fait un sacré chemin. Son dernier film, Les Enfants des autres, où elle évoquait l’attachement d’une femme pour l’enfant de son conjoint et son déchirement après leur rupture, pouvait laisser penser qu’elle se tournait vers un cinéma de société, dans l’air du temps. Vie privée déjoue les pronostics qui est autrement moins sérieux, autrement plus ludique.

On se croirait chez Woody Allen. Peut-être à cause de Jodie Foster dont on passe tout le film à admirer la maîtrise du français qu’elle parle à la perfection. Peut-être à cause de cette pléthore d’acteurs renommés dans toute une série de seconds rôles (mention spéciale à Daniel Auteuil que je n’aime pas mais qui est, force m’est de le reconnaître, parfait). Peut-être surtout par ce sens du rythme, par cette alacrité qui fait qu’on ne s’y ennuie jamais une seconde. Comme l’écrit mieux que je ne saurais le faire Louis Guichard dans Télérama : « il faut imaginer une comédie qui emprunterait à Meurtres mystérieux à Manhattan (pour les spéculations débridées autour d’un possible meurtre), Une autre femme (pour le portrait en profondeur d’une sexagénaire intellectuelle et stricte, en pleine crise) et Alice (pour la traversée des miroirs d’une bourgeoise en vadrouille). »

Vie privée se présente comme une enquête menée par Lilian Steiner autour de la mort de sa patiente. Mais on est moins chez Hitchcock que chez Miss Marple. On comprend dans le premier tiers que l’enjeu du film est moins dans l’élucidation des causes de la mort de Paula Cohen-Solal que dans le couple que forment Lilian Steiner et son ex-mari. Et on se demande comment, dans l’industrie formatée du cinéma, un pareil script a pu franchir tous les obstacles qui se dressent sur le chemin de la réalisation d’un film. Moins enquête policière que comédie du remariage, Vie privée est, même si j’y suis resté étranger, un film inattendu et grisant.

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Jean Valjean ★☆☆☆

Jean Valjean est un personnage de roman. Mais le héros des Misérables fort de son incroyable célébrité est devenu plus que cela : quasiment une figure historique dont chaque épisode de la vie mouvementée fait partie de l’imaginaire populaire.

Le cinéma s’en est emparé. Les Misérables ont déjà fait l’objet d’une trentaine d’adaptations cinématographiques. Elles se nourrissent du mythe autant qu’elles le nourrissent : Jean Valjean a pour moi à tout jamais les traits de Lino Ventura depuis que j’ai vu le film en 1982 avec ma classe de cinquième en sortie scolaire dans un cinéma du centre-ville de Toulon aujourd’hui fermé où le hasard m’avait placé à côté de Nathalie Maria, la plus jolie fille de la classe.

Cette adaptation-ci nous vient sur les écrans une année avant celle à grand spectacle de Fred Cavayé avec Vincent Lindon en tête d’affiche. Son budget est cinq fois plus modeste, ses acteurs moins bankables, son ambition bien moindre. Il ne s’agit pas de raconter le roman-fleuve dans son ensemble mais de se focaliser sur un épisode de quelques dizaines de pages à peine : la rencontre du forçat, récemment libéré du bagne de Toulon après dix-neuf ans de captivité, et d’un « juste » – puisque tel est le titre du livre premier de la première partie qui est consacré à Mgr Myriel – qui le mènera sur le chemin de la rédemption en l’innocentant du vol de son argenterie que Valjean commet durant la nuit où l’évêque de Digne l’héberge et en lui offrant au surplus deux splendides chandeliers d’argent dont il ne se séparera jamais.

L’intention est louable. Le film est d’une grande fidélité au roman. Il donne donc autant de place sinon plus au saint homme qu’à l’ancien forçat (on oublie – et j’avais oublié – que c’est sur lui, et non sur Jean Valjean lequel n’apparaît qu’au livre deuxième soixante pages plus tard, que s’ouvre Les Misérables). Il s’autorise quelques flashbacks, semblables d’ailleurs à ceux du livre, sur ce pain volé dans une boulangerie qui causa la déportation de Valjean, sur le bagne de Toulon (où on reconnaît parmi ses compagnons de chaine Albert Dupontel et Dominique Pinon).

Le problème de Jean Valjean est son pesant académisme. Tout y est surligné, par la musique, par des mouvements de caméra qui filment dans le Vaucluse, depuis les hauteurs du Lubéron, une action censée se dérouler une encablure plus loin dans les Préalpes de Digne. Grégory Gadebois fait, comme toujours, le job. Son physique le sert. Il fait un Jean Valjean parfait, massif, bourru, avare de mots. Bernard Campan en revanche détonne. Il a l’air trop jeune pour interpréter le vieil évêque âgé de soixante-quinze ans nous dit Hugo à la deuxième phrase des Misérables. Pour moi, Myriel aura à jamais les traits bénévolents de Louis Seigner, cet immense acteur né en 1903 qui interprétait là avec Lino Ventura et sous la direction de Robert Hossein son tout dernier rôle.

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La Voix de Hind Rajab ★★☆☆

Les faits sont tristement connus. Le 29 janvier 2024 dans le nord de Gaza, une voiture est prise sous le feu de l’armée israélienne. Six de ses occupants sont tués. Reste une seule survivante, une enfant de six ans qui appelle au secours le Croissant-Rouge palestinien. Une ambulance est à quelques minutes des lieux à peine ; mais elle ne peut secourir l’enfant qu’à condition d’avoir le feu vert des autorités palestiniennes et israéliennes pour être assurée d’un accès sûr.

La Voix de Hind Rajab m’a fait penser à deux films récents dont il reprend le même dispositif claustrophobe et acoustique : un film danois, The Guilty, et un film turc, Confidente. En temps quasi réel, le drame se déroule à distance et est filmé du point de vue du personnage, impuissant, qui reçoit un appel à l’aide téléphonique, d’une femme kidnappée dans The Guilty, d’un adolescent enseveli sous les décombres d’un tremblement de terre dans Confidente.

Il est l’œuvre de Kaouther Ben Hania, une réalisatrice tunisienne dont j’avais adoré deux des précédents films au point de les faire figurer dans mon Top 10 : Le Challat de Tunis, un mockumentary sur un mystérieux motocycliste qui balafrait de sa lame (« challat ») les fesses des femmes qu’il jugeait impudiques, et Les Filles d’Olfa sur le témoignage d’une mère dont deux des filles s’étaient enrôlées pour le Djihad.

Comme dans ses précédents films, Kaouther Ben Hania joue sur les frontières. Elle a utilisé les bandes sonores enregistrées par le Croissant-Rouge, la vraie voix de Hind Rajab, mais a fait jouer le rôle des secouristes palestiniens à des acteurs. Le procédé est revendiqué : ainsi, à un moment du film, on voit dans le même plan les acteurs qui jouent et les images enregistrées sur un téléphone portable le jour même du drame des secouristes qui parlaient à l’enfant et tentaient d’apaiser ses peurs.

Ce qui fonctionnait terriblement bien dans Les Filles d’Olfa ne prend plus que difficilement ici. Kaouther ben Hania a voulu capitaliser sur l’émotion et la colère que suscite le drame : émotion devant l’innocence de cette enfant courageuse, prise au piège du feu ennemi, condamnée à attendre les secours dans une voiture entourée des cadavres des membres de sa famille (son oncle, sa tante, quatre de ses cousins) et colère devant l’inertie des secours qui partout ailleurs dans le monde auraient porté assistance à la gamine en quelques minutes à peine.

Mais cette émotion et cette colère qui nous serrent le coeur pendant tout le film et longtemps après les dernières images que les spectateurs, visiblement émus, accueillent dans un silence de plomb, font long feu. Parce que le film est trop binaire, que ses protagonistes endossent des rôles trop simplistes, parce que l’enjeu, aussi dramatique soit-il, se réduit à une alternative simple (Hind Rajab sera-t-elle ou non secourue ?) dont on connaît par avance l’issue si on a suivi l’actualité.

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Franz K. ★★☆☆

J’ai chroniqué hier, avec plus d’un an de retard, Kafka, le dernier été. Je parlerai aujourd’hui d’un autre biopic consacré à l’auteur pragois de La Métamorphose et qui, lui, est en salles, depuis une semaine à peine.

La comparaison entre les deux films est éclairante. Autant le premier est plat et académique, autant le second est original et stimulant. Celui-ci est l’œuvre d’Agnieszka Holland, une réalisatrice polonaise septuagénaire à l’imposante filmographie, dont rien ne laissait penser qu’elle fut encore capable de signer un geste aussi audacieux.

Car Franz K. n’est pas un biopic ordinaire qui se borne à énumérer les passages attendus de la vie de Kafka : un père tyrannique, l’encombrante judéité, le travail abrutissant de rond-de-cuir dans une société d’assurances, la libération par l’écriture, les amours contrariées avec Felice, qu’il n’aime pas et refuse d’épouser, puis avec Milena avec laquelle il entretiendra une relation torride, l’amitié de Max Brod, la santé fragile, etc.

Franz K. présente deux caractères originaux. D’une part, ses acteurs, brisant le quatrième mur, se tournent parfois face caméra pour livrer aux spectateurs leurs opinions du héros. D’autre part, le film s’autorise quelques images contemporaines, filmées dans les rues de Prague où le tourisme et le capitalisme se sont emparés de la figure de Kafka pour en faire un produit de consommation. Ainsi par exemple de l’étonnante statue pivotante de 24 tonnes érigée par David Černý à Prague en 2014 qui a inspiré l’affiche du film.

Ces deux procédés sont originaux et stimulants. Mais on regrette presque qu’ils n’aient pas été utilisés plus systématiquement. Ils interviennent comme des ornements qui s’ajoutent à la narration très classique de la vie de Kafka alors qu’ils auraient pu, le second tout particulièrement, constituer l’un des axes du film : pourquoi Kafka, un siècle après sa mort (en 1923), fascine-t-il toujours autant ? comment sa mémoire est-elle devenue l’objet d’une telle marchandisation ?

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Une vie ordinaire ★★☆☆

Alexander Kuznetsov a rencontré en 2009 dans un asile au fond de la Sibérie deux jeunes orphelines qui y étaient enfermées alors qu’elles ne souffraient d’aucune maladie psychiatrique. Il leur a consacré un premier film en 2010 sur leur incarcération puis un second en 2016 sur leur libération. Il leur en consacre un troisième aujourd’hui sur leur retour à une vie « ordinaire » : comment profiteront-elles désormais de leur liberté si durement acquise ?

Le résultat est terriblement ennuyeux. La vie ordinaire de ces femmes ordinaires est banalement ordinaire : elles se marient et ont beaucoup d’enfants. D’ailleurs telle était sans surprise leur aspiration : un travail, un toit, un époux, des bambins…

L’une comme l’autre cochent scrupuleusement toutes les cases de ce programme fixé d’avance. Ioulia travaille dans une cantine. Elle rencontre un alcoolique repenti unijambiste, qui partage avec elle la même passion pour l’haltérophilie. Elle l’épouse et a vite deux garçons blondinets. Katia, plus frivole, est « nail artist ». Elle met plus de temps à se caser et à trouver un studio. Mais elle finit elle aussi par se marier et par donner naissance à un fils.

Sous nos yeux consternés, les deux jeunes filles se transforment en matrones poutinistes. Elles défilent le 9 mai pour commémorer la victoire soviétique de 1945, honorer la mémoire des disparus et exhorter leurs fils à suivre leur chemin et devenir à leur tour des soldats de la Glorieuse Russie. Sans la moindre hésitation, elles soutiennent le parti de Vladimir Poutine Russie unie qui garantit à leurs yeux l’ordre et la stabilité.

On imagine la consternation du réalisateur qui les suit depuis si longtemps et qui rêvait sans doute pour elles d’un destin plus flamboyant. Le résultat de leur évolution est d’une insondable tristesse – aussi grande que celle que distillent les immeubles sans âme de Krasnoïarsk et les bords de l’Ienisseï. Grâce à ce documentaire, on touche du doigt comment un pouvoir liberticide s’ancre lentement dans une société et en devient l’horizon indépassable.

Une vie ordinaire est un documentaire à la fois très ennuyeux par ce qu’il montre et terriblement éclairant par ce qu’il révèle.

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Des preuves d’amour ★★★☆

Céline (Ella Rumpf César 2024 de la meilleure révélation féminine pour Le Théorème de Marguerite), 32 ans, ingénieure son, et Mona (Monia Chokri, réalisatrice de Simple comme Sylvain, César 2024 du meilleur film étranger), 37 ans, dentiste hospitalière, viennent de se marier grâce à la loi Taubira. Elles ont décidé d’avoir un enfant que Mona porte. L’accouchement approche. Mais pour devenir la mère légale de l’enfant, Céline doit l’adopter et suivre une longue procédure administrative qui suppose notamment le recueil des témoignages de ses proches.

Alice Douard développe l’histoire qu’elle racontait déjà dans L’Attente, César 2024 du meilleur court métrage de fiction. Elle est en partie autobiographique. Elle se déroule durant les ultimes semaines de la grossesse d’une femme d’un couple lesbien. Elle est racontée du point de vue de sa compagne qui n’a aucun droit sur leur enfant tant que la procédure d’adoption ne sera pas menée à terme et qui vit très mal cette incertitude.

Des preuves d’amour est un film qui prend à bras le corps un enjeu de société : l’homoparentalité. Il aurait pu le faire sur le mode documentaire. D’ailleurs ce film en présente plusieurs caractéristiques. Il choisit la fiction et a le bon goût de s’adjoindre pour ce faire deux actrices épatantes – même s’il manque à mon avis à leur couple un je-ne-sais-quoi qui le rendrait plus crédible. Je me souviens que le dernier film d’Alexis Michalik, assassiné par la critique, présentait une situation comparable (un couple lesbien qui avait eu ensemble un enfant se sépare laissant sans droits la femme qui ne l’avait pas porté). Je me souviens aussi l’an dernier d’un film argentin très réussi, León, dont l’héroïne perdait tout droit sur l’enfant de sa compagne à la mort de celle-ci.

Des preuves d’amour vaut par son interprétation. Aux deux actrices principales il faut ajouter Noémie Lvovsky, qui interprète le rôle de la mère de Céline, une grande pianiste qui a refusé de sacrifier sa carrière à l’éducation de sa fille et a laissé dans la vie affective de celle-ci une béance. Des preuves d’amour vaut aussi par sa grande qualité d’écriture qui pallie la platitude d’un scénario cousu de fil blanc. On a droit à toutes les étapes attendues : avec le meilleur pote, avec les anciens amis métamorphosés en parents control freak, avec les beaux-parents qui peinent à cacher leur homophobie…. mais chacune de ces scènes est filmée avec beaucoup de subtilité.

J’étais en larmes devant la toute dernière. Des souvenirs ont afflué. Homme ou femme, vous comprendrez….

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Les Rêveurs ★☆☆☆

Actrice de théâtre accomplie, Elizabeth (Isabelle Carré dans son propre rôle), la cinquantaine, revient à l’hôpital Necker à Paris où dans son adolescence, elle fut internée après une tentative de suicide. Elle se souvient.

Isabelle Carré porte à l’écran son premier roman, publié en 2018. Il est largement autobiographique. Elle y racontait l’enfance d’une fillette dans un bel appartement parisien du septième arrondissement entre un père (Pablo Pauly l’acteur principal de Trois nuits par semaine), créateur chez Cardin, qui fit tardivement son coming out, une mère (Judith Chemla toujours aussi border line) anorexique et un frère aîné (Alex Lutz) passionné de musique. Hypersensible, la jeune adolescente ne résiste pas à son premier chagrin d’amour, avale l’armoire à pharmacie et est internée à Necker à la demande de ses parents qui se déportent sur l’hôpital de la responsabilité de leur fille et de son équilibre. Elizabeth s’y retrouve au milieu d’une bande d’adolescents tout aussi originaux et attachants qu’elle. Elle se lie tout particulièrement avec Isker (Melissa Boros découverte dans Alpha).

Les Rêveurs est un film qui inspire une sympathie spontanée. Sa sincérité ne peut que nous toucher. L’histoire qu’il raconte ne peut que nous émouvoir. Les enfants et leurs traumatismes ne peuvent que nous attendrir.

Une exhortation sous-tend le film : exhortation à s’apitoyer sur le sort de cette enfant, à prendre fait et cause pour elle. Au-delà du cas individuel d’Élizabeth/Isabelle, c’est sur la situation des jeunes adolescentes en France que le film entend nous alerter avec son ultime carton, mentionnant l’augmentation alarmante des TDS et des séjours en hôpital psychiatrique alors que l’offre de soins peine à suivre cette inflation préoccupante.

Cette insistance à nous émouvoir à tout prix, à nous prendre en otage d’une sympathie forcée m’a mis mal à l’aise et m’a laissé à la fin du film divisé.

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Le Cinquième Plan de La Jetée ★★☆☆

Dominique Cabrera est une réalisatrice française dont j’avais beaucoup aimé Le Lait de la tendresse humaine en 2001 avec Marilyne Canto. En 2016, elle avait signé l’adaptation du roman éponyme de Maylis de Kérangal, Corniche Kennedy, qui ne m’avait pas entièrement convaincu.
Son cousin, Paul-Henri, a vécu une expérience déroutante : en regardant le célèbre court-métrage de Chris Marker La Jetée, il a cru se reconnaître sous les traits du petit garçon, photographié de dos, au-dessus des avions d’Orly, au cinquième plan du film. Il s’agit de la photo que la réalisatrice, en manteau fuchsia sur l’affiche, essaie de reconstituer.

Sur la base de ce témoignage, Dominique Cabrera se lance dans une double enquête. Une enquête autour de sa famille pied-noir, fraîchement rapatriée en 1962 qui venait tous les dimanches à Orly accueillir parmi les passagers en provenance d’Algérie d’éventuelles connaissances. Et une enquête sur le tournage de La Jetée ce film mythique par Christian Bouche-Villeneuve alias Chris Marker qui a pris un malin plaisir à entourer sa vie et son œuvre d’un épais mystère.

Cette double enquête ressortit à un genre qui connaît un récent engouement. Comment le nommer ? L’enquête impossible ? L’aiguille et la botte de foin ? À la recherche de l’image perdue ? À ce genre-là appartient le récent film de Zabou Breitman et Florent Vassault, Le Garçon. Y appartenait aussi le roman à succès d’Anne Berest La Carte postale. Autres œuvres de cinéma analogues qui me viennent à l’esprit : Carré 35 d’Eric Caravaca, poignante enquête généalogique sur la sœur du réalisateur et le lourd secret que sa mort prématurée et son enterrement au Maroc cachaient. Ou encore L’Homme aux 1000 visages, désopilante chasse à l’homme intercontinentale d’un Dom Juan pathologique.

La limite du Cinquième Plan… est qu’il contient moins de rebondissements que ces autres œuvres qui nous tenaient en haleine du début à la fin. La question qu’il pose est binaire (oui ou non, Paul-Henri est-il le gamin de la photo ?) et sa réponse nous est (trop) rapidement donnée.

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Imago ★★☆☆

Déni Oumar Pitsaev est né en 1986 en Tchétchénie. Il a grandi à Grozny puis à Saint-Petersbourg avant de venir en France poursuivre ses études. Sa mère et son père sont séparés. Elle vit à Bruxelles, lui en Russie.
Sa mère lui a fait cadeau d’un lopin de terre en Pankussi, sur le versant géorgien du Caucase. Déni Oumar Pitsaev s’y rend avec l’intention peut-être d’y construire une maison et d’y prendre femme, ainsi que toute sa famille l’y exhorte. Une équipe de cinéma l’y accompagne.

Imago est un documentaire autobiographique qui filme un retour au pays natal. On pense à Césaire bien sûr. La référence est écrasante. On pense aussi à Didier Eribon et à son Retour à Reims. Le thème n’est pas nouveau, dans la littérature comme au cinéma. Il connaît d’ailleurs ces temps ci en France une popularité étonnante avec Partir un jour ou Connemara que j’avais beaucoup aimés l’un et l’autre.

Ce retour au pays natal est pour le réalisateur l’occasion de revoir sa mère et son père, séparément car elle refuse tout contact avec lui. Ces deux rencontres scandent le film et le divise par son milieu. La seconde aurait gagné à être plus brève. Car même si elle est l’occasion de solder un passé qui ne passe pas, notamment chez le fils le sentiment persistant d’avoir été abandonné par son père en pleine guerre à Grozny, elle tourne au règlement de comptes familial auquel le spectateur ne se sent pas légitime à participer.

À tort ou à raison, j’ai imaginé dans Imago un secret dont la révélation serait sans cesse repoussée : celui de l’homosexualité de son héros qui, si elle venait à se savoir, horrifierait cette société très patriarcale et ruinerait définitivement les projets de mariage qu’elle avait commencé à fourbir pour son fils prodigue. Je ne sais pas si cette lecture est pertinente ou pas. Toujours est-il que le film n’en dit rien et se termine sans lever cette hypothèque : est-ce le signe que je me suis complètement trompé ? ou bien au contraire que cette interprétation était juste mais que le réalisateur a fort finement estimé bon de laisser la question en suspens ?

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The Chronology of Water ★☆☆☆

Lidia Yuknavitch et sa sœur aînée ont été élevées par un père abusif. Leur mère, alcoolique, ne les a pas protégées. Lidia s’est sauvée par le sport d’abord, pratiquant la natation en compétition, puis par l’écriture qui l’a libérée de ses addictions à l’alcool et à la drogue. Son autobiographie, publiée en 2013, a connu un vif succès.

Kirsten Stewart, devenue célèbre grâce à la saga Twilight, convertie au cinéma d’auteur avec Olivier Assayas (Sils Maria, Personal Shopper), Pablo Larrain (Spencer) ou David Cronenberg (Les Crimes du futur) a décidé de l’adapter. C’est son premier passage derrière la caméra. On comprend pourquoi cette féministe engagée s’est passionnée pour ce témoignage intime et ce qu’elle y a trouvé : la description, volontairement crue, d’un corps féminin qui grandit et qui souffre, de ses humeurs, de ses blessures, de ses grossesses….

Après beaucoup de tâtonnements (elle dit avoir rédigé pas moins de 500 versions du scénario !), Kirsten Stewart a opté pour une narration éclatée, kaléidoscopique où la vie de Lidia nous est racontée par morceaux. Le procédé est moins radical qu’il n’en a l’air ; car la chronologie de la vie de Lidia est globalement respectée. Mais il donne au film un air « arty » de clips vidéo qui devient vite lassant et répétitif. D’autant que le film – sorti en France sous son titre américain alors que le livre avait été traduit « La Mécanique des fluides » – dure inutilement plus de deux heures.

Sans doute la star a-t-elle envisagé d’interpréter elle-même le rôle titre. Elle a eu la lucidité d’y renoncer et d’en confier le soin à Imogen Poots, impeccable.

The Chronology of Water est un livre et un film éprouvants. Il y a quelques mois, sur un sujet très proche, j’avais été enthousiasmé par Sorry, Baby. Je reproche à The Chronology of Water sa radicalité, comme si personne n’avait osé dire à la réalisatrice et co-productrice toute-puissante que ses partis pris desservaient l’œuvre. D’ailleurs, le film, sorti le mois dernier, n’a pas trouvé son public.

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