Mikado ★☆☆☆

Enfant de la DDASS, traumatisé par les familles d’accueil où il a été maltraité, Mikado (Félix Moati), la trentaine, veut à toute force épargner à ses propres enfants les traumatismes qu’il a vécus. Il mène une vie de bohême avec sa compagne Laetitia (Vimala Pons) et leurs deux enfants, Nuage et Zéphyr. Quand le van qui leur sert de logement tombe en panne, ces quatre voyageurs sont accueillis par Vincent (Ramzy Bedia), un professeur de collège endeuillé qui élève seul sa fille, Théa.

Avec Michel Leclerc – dont l’excellent Le Mélange des genres sort aujourd’hui sur les écrans – Baya Yasmi a co-écrit et souvent co-réalisé des films exceptionnels, petits bijoux de comédie prenant un malin plaisir à se rire des travers de notre temps : Au nom des gens, Je suis à vous tout de suite (avec déjà Vimala Pons et Ramzy), La Lutte des classes, Youssef Salem a du succès….

Dans cette filmographie marquée au sceau de la comédie intelligente, Mikado constitue un pas de côté. Ce n’est pas un film drôle. Ce n’est pas un film triste non plus. C’est un film intimiste, co-écrit avec Olivier Adam dont on reconnaît la petite musique triste, tourné dans la chaleur d’un été provençal (à une période de l’année où on peine à croire que le collège de Vincent ne soit pas fermé pour les vacances). Ses héros rappellent ceux de Captain Fantastic, un des tout meilleurs films de la dernière décennie, ou de Leave No Trace : des marginaux qui entretiennent une défiance radicale à l’égard du corps social et ont décidé de construire leur vie à l’écart du monde.

La marginalité voulue de Mikado rencontre celle, subie, de Vincent. Et lentement leurs solitudes s’écaillent et leurs souffrances s’allègent. Le facteur déclenchant est leurs filles respectives qui deviennent amies. Nuage, élevée comme une sauvageonne, découvre avec une fascination mêlée d’effroi la séduisante attraction d’une éducation normale, dans un collège ordinaire, avec des camarades de classe. Théa, la fille de Vincent, tétanisée par la mort de sa mère, trouve dans l’amitié qui se développe avec Nuage, une façon d’exorciser son deuil.

Ainsi présenté, le film semble intéressant. Ce serait bien injuste de dire qu’il ne l’est pas. Mais, hélas, aussi sympathique et bien joué soit-il, il manque de la densité suffisante pour sortir du lot. Desservi par « un scénario faiblard et prévisible, une mise en scène bien plate, des dialogues pauvres et souvent redondants, des situations convenues et une fin attendue qui cède à la tentation du pathos » (l’auteur de ces lignes se reconnaîtra), Mikado dont j’espérais beaucoup, m’a déçu.

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Le Garçon ★★★☆

Zabou Breitman et Florent Vassault trouvent dans une brocante un lot de vieilles photos. La récurrence du même blondinet filiforme leur attire l’oeil. Ils se mettent en tête de remonter la piste de l’inconnu.Tandis que Florent Vassault enquête en Normandie, en Bourgogne et à Paris, Zabou Breitmann reconstitue à partir des bribes qu’il lui donne une journée dans la vie du « garçon » avec des acteurs de fiction.

Le Garçon est un film étonnant, voire un OVNI filmique si l’expression, à force d’être utilisée, ne finissait pas par devenir galvaudée. Il mêle le documentaire et la fiction. Si vous en voulez une preuve, regardez attentivement l’affiche : vous y verrez une légère différence entre la photo qui s’affiche sur l’appareil (qui figurait dans le lot retrouvé) et les deux acteurs (on reconnaîtra peut-être Isabelle Nanty et François Berléand) qui posent à l’arrière-plan. Ce mélange est d’ailleurs le seul défaut de ce film : l’enquête menée par Florent Vassault se suffisait à elle-même et les séquences de fiction filmées par Zabou Breitmann semblent souvent superfétatoires.

Cette enquête nous tient en haleine tout le long du film. On admire la perspicacité du documentariste qui réussit à tirer parti de détails minuscules, tels que la physionomie d’un immeuble, pour identifier un quartier parisien. Pour ne rien gâcher au plaisir qu’on y prend, on ne dira pas si elle va jusqu’à son terme et si elle réussit à identifier l’inconnu. Tout ce qu’on pourra en dire est qu’elle nous réservera d’étonnantes surprises et de poignantes révélations.

Pour intéressant qu’il soit, le motif de ce film n’est pas nouveau. Déjà en 1996, dans Sur la plage de Belfast, Henri-François Imbert était-il parti en Irlande du Nord sur les traces des personnages découverts dans un vieux film de famille. Eric Caravaca adoptait la même démarche sur les traces de sa sœur aînée tôt disparue dans le très réussi Carré 35La Carte postale, le roman à succès d’Anne Berest, nous faisait revisiter l’Occupation et la déportation en usant d’un procédé similaire. Enfin, Isabelle Monnin, l’auteur des Gens dans l’enveloppe, intente un procès aux réalisateurs et aux producteurs du Garçon pour s’être inspirés de son roman publié en 2015.

Le jeu de piste du Garçon se double d’une réflexion quasi-philosophique sur la mémoire et sur la mort. Que reste-t-il d’une vie ? Quels souvenirs laisserons-nous après notre mort ? Qu’est-ce qui mérite d’en être gardé ou peut légitimement en être oublié ? Une vie qui tombe dans l’oubli est-elle ipso facto une vie ratée et une vie mémorable une vie réussie ?

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Lire Lolita à Téhéran ★☆☆☆

Exilée aux Etats-Unis pendant la dictature du Shah d’Iran, Azar Nafisi, professeure de littérature anglaise à l’université, revient enseigner à Téhéran en 1979 après sa destitution. Mais elle déchante très vite, face à l’intolérance des mollahs, qui censurent les livres impies, obligent les femmes à se voiler, embastillent et torturent les opposants au régime. De guerre lasse, Azar abandonne son enseignement et réunit chez elle quelques fidèles étudiantes pour lire les livres interdits.

On a scrupule à critiquer un film qui dénonce le régime des mollahs, la chape de plomb qu’il a fait tomber sur l’Iran au nom d’une conception dévoyée de la religion et qui salue le courage de celles et ceux qui osent en braver les interdits. Sur le papier, Lire Lolita à Téhéran coche toutes les cases : un titre qui claque, un sujet en or inspiré d’une histoire vraie, celle d’Azar Nafisi elle-même qui, exilée aux Etats-Unis, a écrit l’histoire des vingt ans passés à Téhéran, un casting constitué des actrices iraniennes les plus talentueuses du moment, condamnées par le régime à l’exil (Golshifteh Farahani, à laquelle les gazettes prêtent des liaisons rocambolesques, Zar Amir, réalisatrice de Tatami et tête d’affiche des Nuits de Mashhad, Mina Kavani l’héroïne de Red Rose…).

Pour autant, ce film-brulot ne brûle guère. Sa facture est trop classique, sa mise en scène trop banale, ce qu’il raconte hélas trop convenu. Sans remettre en cause notre admiration pour les femmes iraniennes en lutte contre un régime oppresseur et notre soutien, on peut ne pas être enthousiasmé par Lire Lolita à Téhéran.

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Cassandre ★★★☆

Cassandre se souvient de son adolescence détraquée. En 1998, elle avait quatorze ans. Pensionnaire dans un lycée militaire non mixte, elle était rentrée passer l’été chez ses parents, dans la Sarthe. Son père, un colonel de cavalerie rayé des cadres, y fait régner une discipline de fer. Sa mère, au contraire, totalement farfelue, professe un mode de vie soixante-huitard. Son frère aîné, passablement idiot, revient d’une année aux Etats-Unis et porte à sa cadette un intérêt pesant.
Loin de ce milieu toxique, Cassandre trouve dans le centre de loisirs où elle pratique l’équitation un environnement autrement plus amical.

Cassandre est le premier film, écrit et réalisé par Hélène Merlin. Elle ne cache pas la part d’autobiographie qu’il contient. C’est un film étonnant, à cheval sur plusieurs genres, qui évite le piège du film à thèse.

Tourné dans une chaleureuse lumière estivale, il a la saveur d’une comédie familiale, comme son affiche trompeuse pourrait le laisser penser. Ses personnages sont savoureux. On se demande un instant ce que l’administrateur général de la Comédie-Française est venu y faire, loin des films en costumes auxquels il nous avait habitués, avant de découvrir toute la palette de talents d’Eric Ruf, malaisant à souhait, dans le rôle d’un pater familias tyrannique. Zabou Breitman incarne une forme de folie douce. Le jeune Florian Lesieur interprète à merveille un grand dadais mal dégrossi dont on se demande constamment s’il est gentiment retardé ou dangereusement pervers.

Cassandre est aussi un coming-of-age movie, un film sur la sortie de l’adolescence – même si Cassandre est bien jeune pour sortir de l’adolescence… et Billie Blain, 21 ans, un chouïa trop vieille pour le rôle. La jeune actrice porte le film sur ses épaules. On l’avait déjà aperçue dans L’Astragale, Sparring, La Sainte famille, Le Règne animal. Elle éclate dans ce rôle qu’elle interprète avec une candeur rafraîchissante, parfaitement respectueuse des règles strictes qui rythment la vie de sa famille et éblouie de découvrir au centre équestre un autre style de vie.

Cassandre est enfin un conte noir, qui se déroule dans un grand château perdu au fond des bois, avec deux adultes anonymes dont on ne connaîtra jamais le prénom. Son action se déroule l’espace d’un été mais elle est mise en abyme doublement : par la voix off de la narratrice et par sa silhouette à l’âge adulte, manipulant une marionnette censée la représenter.

L’immense qualité de Cassandre est de ne pas sombrer dans le voyeurisme ni dans le manichéisme. La réaction de Zabou Breitman à la fin du film est à ce titre particulièrement déstabilisante : les arguments qu’elle invoque pour minorer les faits et continuer à se voiler la face pour maintenir les apparences sont dangereusement convaincants.

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Deux sœurs ★★★☆

Pansy (Marianne Jean-Baptiste) est une vieille femme acariâtre, rongée par la dépression, qui fait vivre un enfer à son mari et à son fils. Sa sœur Chantal (Marianne Austin) est son parfait opposé, qui travaille dans son salon de coiffure et entretient avec ses deux filles, Kayla et Aleisha, une relation aimante et complice.

Mike Leigh est un des plus grands réalisateurs britanniques. Palme d’or à Cannes en 1996 avec Secrets et Mensonges, Lion d’or à Venise en 2004 avec Vera Drake, il revient à quatre-vingts ans passés au drame intimiste après un détour par le biopic historique (le très réussi Mr Turner en 2014).

L’héroïne de Deux sœurs n’est pas aimable. Pire : elle est détestable. Au point parfois d’en être drôle façon Tatie Danielle dans ses interactions avec son docteur, sa dentiste, une caissière au supermarché… Pansy est fâchée avec la terre entière. Pourquoi ? On le découvrira progressivement, même si son état ne tient pas à une cause unique : le divorce de ses parents, la mort de sa mère, un mariage sans amour… Elle en fait payer le prix à son mari, qui s’use la santé dans son travail, et à son fils, obèse, qui a trouvé la meilleure parade en se murant dans le silence. Ce personnage secondaire-là, quasi-muet, est très attachant et l’avant-dernière scène sans paroles du film, qui le retrouve à Picadilly Circus, est bouleversante.

En contrepoint du foyer de Pansy, maniaquement entretenu et d’une froideur glaciale, on découvre celui de Chantal, bigarré, mal rangé et bruyant. Ses filles sont des rayons de soleil, même si la vie n’est pas tendre avec elles – l’aînée se fait martyriser par la directrice de l’agence de publicité qui l’emploie. On apprend qu’après le divorce de leurs parents, Pansy a assumé une partie de l’éducation de sa sœur cadette. Chantal, profondément empathique, voudrait aider son aînée, la sortir de sa déprime, la purger de sa fielleuse acrimonie. Le film est l’histoire de ses tentatives avortées. Sa fin pourrait sembler frustrante sinon paresseuse. Elle laisse ouverts tous les possibles et nous laisse imaginer le destin de ces personnages attachants.

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Bernie (2011) ★★☆☆

La petite ville de Carthage, dans l’est du Texas, a connu dans les années 90 un fait divers retentissant : Bernie Tiede (Jack Black), directeur adjoint de l’entreprise de pompes funèbres municipale, un homme charmant adoré de la communauté, a assassiné Marjorie Nugent (Shirley McLaine), une riche veuve acariâtre dont il partageait depuis quelque temps la vie.
Richard Linklater, le réalisateur de Boyhood, l’un de mes films préférés de la dernière décennie, a construit un film original à mi-chemin de la fiction et du documentaire. Il a demandé à des acteurs professionnels d’interpréter les rôles des différents protagonistes. Il a notamment confié à Matthew McConaughey le procureur bas du front chargé d’incriminer Bernie. Mais il a parallèlement recueilli le témoignage des habitants de Carthage, unanimement favorables à Bernie et enclins à le disculper.

Le résultat est désopilant. Il l’est d’abord à cause de la profession de Bernie, qui donne lieu à quelques scènes délicieusement malaisantes, comme la première où on le voit expliquer devant des étudiants en thanatopraxie les secrets de son art. Il l’est ensuite dans la relation qu’il noue avec l’horrible Marjorie, incarnée par Shirley McLaine qui a le défaut de ne pas être suffisamment antipathique pour un tel rôle à la Bette Davis ou à la Tsilla Chelton (Tatie Danielle). Il l’est enfin par sa morale, ou plutôt par son absence de morale : difficile de ne pas prendre fait et cause pour ce brave bougre de Bernie et ne pas espérer qu’il soit innocenté du crime pourtant sordide qu’il a commis.

Le problème de Bernie est qu’il tient tout entier dans le résumé que je viens d’en faire. Richard Linklater aurait pu souligner les ambiguïtés du personnage : Bernie n’a-t-il pas séduit Majorie pour mettre la main sur sa richesse ? n’avait-il pas prémédité son crime ? Séduit par son personnage, convaincu de sa candeur, le film ne creuse pas ces pistes qui, crédibles ou pas, auraient donné plus de profondeur à une histoire finalement trop lisse.

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Le Village aux portes du paradis ★☆☆☆

Dans un petit village côtier du sud de la Somalie, un fossoyeur élève seul son fils et essaie tant bien que mal de rassembler l’argent nécessaire à lui fournir une bonne éducation. Sa sœur, récemment divorcée, revient vivre sous son toit et cherche elle aussi à rassembler le capital lui permettant d’ouvrir une petite boutique de couture.

Sans doute a-t-on déjà vu des films qui se déroulaient en Somalie ou au large de ses côtes : La Chute du Faucon noir (2002), Hijacking (2012), Capitaine Philips (2013) … Mais ce Village aux portes du paradis, tourné par un réalisateur somalien, en Somalie même, est sans doute le premier film authentiquement somalien diffusé en France depuis l’âge d’or du cinéma somalien dans les années 70. Depuis lors, le régime socialiste de Siad Barre a été renversé laissant le pays sombrer dans l’anarchie, sa partie nord, qui fut jadis colonie britannique, retrouvant progressivement un semblant de stabilité, alors que sa partie sud, ancienne colonie italienne, reste divisée entre clans rivaux, influences étrangères et montée de l’islamisme fondamentaliste.

Le Village aux portes du paradis exhale donc un indéniable exotisme, même si ce qu’on voit de la Somalie, des rivages quasi désertiques battus par le vent, des banlieues anomiques jonchées de sacs plastique, ne donne guère envie d’y aller en villégiature.

Cet exotisme suffit-il à donner de l’intérêt à ce film ? J’avais eu la faiblesse de l’accepter, s’agissant d’un récent film djiboutien, un autre pays à la production cinématographique confidentielle, La Femme du fossoyeur sorti en avril 2022. Je n’aurai pas une telle indulgence avec ce film-là. Certes, il est moins naïf et moins gnangnan que le résumé que j’en ai fait pouvait le laisser craindre. Il y a au contraire dans les personnages et dans le montage une austérité rugueuse qui refuse toute complaisance. Mais cette austérité, étirée pendant plus de deux heures, devient vite étouffante sinon exaspérante.

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Les fils qui se touchent ★☆☆☆

Alors qu’il approche de la cinquantaine, Nicolas Burlaud, un vidéaste marseillais, est foudroyé par une crise d’épilepsie. Une batterie d’examens révèle une alteration de son hippocampe, une structure de l’encéphale qui joue un rôle central dans la mémoire. Cette révélation le conduit à s’interroger sur son travail au sein de la chaîne de télévision locale Primitivi.

Tout intrigue dans ce film : son titre, qui peut susciter bien des confusions (les fils qui se shootent ? les fils qui se couchent ? qui se mouchent ? qui se douchent ?), son affiche, son sujet même. Nicolas Burlaud commence par nous administrer une leçon de neurosciences qui, selon qu’on n’y connaisse rien ou qu’on ait quelques notions de médecine, pourra sembler sembler trop obscure ou trop simplificatrice.

Il est plus pertinent quand il évoque son travail depuis un quart de siècle dans une télé anarchiste et libertaire – qui se revendique de l’esprit des radios libres des années 80. Les émissions qu’il y a réalisées ont documenté la vie des Marseillais, notamment  des quartiers Nord voués à la destruction de leur logement ou de la rue d’Aubagne menacés par l’insalubrité. Nicolas Burlaud s’interroge sur la manière dont s’est constituée une mémoire collective, qui n’est ni la somme ni la moyenne des mémoires individuelles.

Alors qu’il éprouve dans sa chair la crainte de perdre sa propre mémoire, Nicolas Burlaud nous alerte sur les risques qui pèsent sur notre mémoire collective. Ses traces s’évaporent, comme celles de plus en plus évanescentes que nous montre l’urbaniste Nicolas Mémain qui témoignent des actions contestataires dont Marseille a été le théâtre. Elles sont recouvertes par les classes dominantes qui essaient d’imposer leur récit lénifiant, nous dit le réalisateur qui ne cache pas ses opinions anarchistes et anticapitalistes.

C’est un passionnant sujet pour les historiens qui s’en sont d’ailleurs emparés depuis longtemps. On ne compte plus les livres ou les colloques sur Mémoire et Histoire, qu’il s’agisse de la traite négrière, de la Shoah, de la Guerre d’Algérie ou de l’immigration. On a l’impression hélas que le réalisateur de ce documentaire autobiographique ignore ce courant de recherches et en découvre candidement l’existence.

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The Flats ★☆☆☆

Joe, la cinquantaine bien déglinguée, habite New Lodge une enclave républicaine au nord-ouest de Belfast. Il a vécu dans sa chair la guerre civile qui a longtemps fait rage en Irlande du Nord, opposant les protestants, fidèles à la couronne britannique, aux catholiques qui revendiquaient l’unité de l’Irlande. Il y a perdu un jeune oncle, âgé de dix-sept ans à peine, dont la mort en 1975 ne cesse de le hanter. Révolté par le trafic de drogue qui sévit au pied de son immeuble, il a entamé une grève de la faim, similaire à celle qu’avait menée Bobby Sands en 1981.
D’autres habitants du quartier sont tout aussi traumatisés par un passé qui ne passe pas : Angie, victime de violences domestiques, Jolene, qui doit s’occuper de sa sœur grabataire.

The Flats a l’ambition louable de gratter la mémoire républicaine des « troubles » en Irlande du Nord en dressant le portrait de quelques habitants emblématiques d’un bloc d’immeubles qui, tel le village d’Astérix, revendique irréductiblement son identité catholique et républicaine au cœur de la Belfast loyaliste.

Il a le défaut de le faire en se focalisant sur trois personnages, Joe, Angie et Jolene, dont le piètre état semble avoir son origine plus dans leurs tristes histoires personnelles que dans celle de l’Irlande du nord. Aussi attachants qu’ils soient tous les trois, le sens du documentaire en est dévié d’autant.

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Les Oubliés de la Belle Étoile ★★☆☆

La Belle Etoile, c’était le nom d’un centre de redressement, à Mercury, au-dessus d’Albertville, dirigé d’une main de fer par un abbé catholique. Placés par la Ddass, André, Michel et Daniel y passèrent une partie de leur enfance et en furent marqués à jamais. La documentariste Clémence Davigo les a retrouvés au crépuscule de leur vie et a recueilli leurs témoignages alors qu’ils tentent d’obtenir de l’Eglise catholique sinon une réparation du moins des excuses.

Quatre mois à peine après La Déposition est sorti début février ce documentaire qui lui ressemble. Il s’agit de recueillir le témoignage de victimes de sévices commis par l’Eglise. Enfant de chœur, Emmanuel Siess, le protagoniste de La Déposition avait été victime d’attouchements par le curé de son village au début des années quatre-vingts-dix. Les faits relatés dans Les Oubliés de la Belle Etoile sont plus anciens. Ils remontent aux années cinquante et soixante. Ils nous renvoient à une époque et à des témoignages qu’on pensait relégués : celle où l’on enfermait les « sauvageons » dans des centres de redressement pour les mater et les remettre dans le droit chemin. Remontent à la mémoire les récits Quatrième République de Gilbert Cesbron, de Violette Le Duc (racontée au cinéma par Emmanuelle Devos), d’Albertine Sarrazin (L’Astragale), d’Auguste Le Breton (Les Hauts murs porté à l’écran au début des années 2000) ou, plus récemment, le livre Des diables et des saints du prix Goncourt Jean-Baptiste Andréa.

Mais, Clémence Davigo ne se focalise pas sur la vie au pensionnat. Son documentaire ne contient quasiment aucune image d’archives, pas plus qu’il ne rassemble de témoignages d’époque. Ce qui l’intéresse, ce sont ces anciens pensionnaires, aujourd’hui septuagénaires et ce qu’ils sont devenus. Elle veut montrer combien leur enfance et les sévices qu’ils ont subis les ont marqués à jamais. Elle les filme réunis, quelques jours en été, autour d’un pâté en croute et d’une tarte à la mirabelle, dans la maison d’André qui raconte en en riant ses longs démêlés avec la justice, ses lourdes condamnations, les années passées en prison. Michel, devenu coureur de fond, finira par avouer les attouchements dont il fut victime.

Clémence Davigo filme également les démarches entreprises par ces anciens pensionnaires et quelques-uns de leurs camarades auprès de l’Eglise catholique. Un couple de médiateurs les écoute longuement, collectivement puis séparément. L’évêque de Chambéry les reçoit ensuite. Ils acceptent la présence d’une caméra – ce que, si j’avais été à leur place, j’aurais hésité à faire. On peut reprocher à l’Eglise catholique sa surdité sinon son hypocrisie. Mais qu’a-t-elle à offrir à ces hommes sinon une oreille compatissante et la reconnaissance d’une faute ? Une indemnisation en espèces sonnantes et trébuchantes ? de quel montant ? calculée selon quels critères ? Des excuses publiques ? Une plaque commémorative ? Ces réparations hélas semblent bien futiles et ne leur redonneront jamais leur vie définitivement abîmée.

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