Cherry ★☆☆☆

Un jeune homme anonyme (Tom Holland) tombe amoureux sur les bancs du lycée d’Emily (Ciara Bravo). Dévasté de chagrin après sa rupture, il décide de s’engager dans l’armée. Mais le couple se reforme et les deux amoureux se marient juste avant ses classes et son départ pour l’Iraq. Il y servira comme infirmier et y verra mourir sous ses yeux plusieurs de ses frères d’armes.
Revenu deux ans plus tard, durablement traumatisé, il se soigne à l’oxycodone et développe une sévère dépendance. Il entraîne Emily dans ses addictions. Pour financer sa drogue, il n’a d’autre alternative que de devenir braqueur de banques.

Cherry est l’adaptation fidèle de l’autobiographie de Nico Walker qui a vécu le même parcours que son héros – à l’exception peut-être de son dénouement – et en a tiré un livre qui est vite devenu un best-seller. Ses droits furent immédiatement acquis par les frères Russo, les réalisateurs de quatre films de l’univers cinématographique Marvel : deux Captain America et deux Avengers (que je dois avouer, le rouge au front, n’avoir pas vus). Pour interpréter le héros de Cherry, ils ont recruté le jeune Tom Holland qui démontre ici qu’il est capable d’endosser d’autres rôles que celui de Spiderman.

Cherry est un film long, trop long (deux heures et vingt-deux minutes), auquel on ne saurait reprocher son manque de réalisme, mais qui brasse trop de sujets pour convaincre tout à fait. Dans sa première partie, il raconte la plongée dans l’enfer de la guerre d’un jeune conscrit. Le choix du titre – « Cherry » désigne le puceau, le bleu, le bleu-bite – et le sous-titre qui l’accompagne dans sa version québécoise (« l’innocence perdue ») semble indiquer que c’est là le sujet principal du film. Il a déjà été souvent traité : par Stanley Kubrick dans Full Metal Jacket, par Oliver Stone dans Platoon, par Sam Mendes dans Jarhead ou, plus récemment, dans 1917.

Dans sa seconde partie, Cherry traite d’un sujet différent, même s’il n’est pas sans lien avec le premier : la plongée dans l’enfer de la drogue provoquée par le PTSD (post traumatic stress disorder) que le héro ramène d’Iraq.
Là encore, le thème n’est pas nouveau. Beaucoup de films, parmi les plus grands, ont évoqué le traumatisme des soldats de retour du front : Taxi Driver, Voyage au bout de l’enfer, Rambo, Né un 4 juillet, Démineurs, American Sniper ou, plus récemment Un jour dans la vie de Billy Lynn
Beaucoup d’autres ont traité de la spirale de l’addiction : Leaving Las Vegas (un de mes films préférés), Requiem for a Dream (idem), Las Vegas Parano, Trainspotting, Drugstore Cowboys, Breaking Bad (le couple que forment les deux héros de Cherry n’est pas sans rappeler Jesse Pinkman et sa compagne héroïnomane) ou plus récemment le très sensible My Beautiful Boy.

La circonstance qu’un sujet ait été traité au cinéma est-il une condition suffisante pour disqualifier le film suivant qui le traitera ? Certes pas. L’affirmer serait condamner le cinéma à une épuisante fuite en avant (même si certains des films les plus réussis des vingt dernières années sont précisément ceux qui s’aventurent sur des terrains jamais défrichés : Eternal Sunshine of a Spotless Mind, The Artist, La Forme de l’eau, La La Land, Parasite ….). L’affirmer charrie en outre une part de snobisme que je reconnais et que j’assume : « Ah ah ah ! bande d’analphabètes ! vous n’avez pas honte de ne pas avoir vu tel et tel film austro-hongrois en noir et blanc qui déjà, en 1912, traitait du même sujet ! »

Il n’en demeure pas moins que le cinéphile, parfois un peu élitiste, qui regarde Cherry a envie de dire à ceux qui seraient tentés de le regarder aussi : « Laissez tomber Cherry et regardez plutôt Full Metal Jacket et/ou American Sniper et/ou Leaving Las Vegas« .

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Unbelievable ★★★☆

La jeune Marie Adler n’a pas eu une enfance facile. Maltraitée par ses parents, déplacée d’une famille d’accueil à une autre, elle est à dix-huit ans violée, chez elle, par un inconnu menaçant. Sa réaction déconcertante et les incohérences de son témoignage conduisent la police à mettre en doute sa parole. Sous la pression, Marie retire sa plainte. Elle est bientôt poursuivie pour faux témoignage et son nom est jeté en pâture à la presse.
Trois ans plus tard, dans un autre État américain, plusieurs viols sont commis selon le même modus operandi. Deux inspectrices tenaces n’ont de cesse d’en découvrir l’auteur. L’enquête permettra ainsi de rendre justice à la jeune Marie dont la parole n’avait pas été écoutée.

Les agressions sexuelles, les femmes qui en sont victimes, leurs difficultés à faire entendre leur témoignage : le sujet est d’une brûlante actualité. Unbelievable s’en empare à bras-le-corps, à commencer par son titre, d’une intelligente polysémie : impossible à croire, le témoignage de cette victime ? impossible à croire les épreuves qu’elle a dû traverser jusqu’à ce que la vérité éclate ?

Unbelievable a une immense qualité : le scénario, inspiré d’une histoire vraie qui s’est déroulée entre 2008 et 2011 et qui a fait l’objet d’une longue enquête journalistique couronnée par le Prix Pulitzer, ne sombre jamais dans le manichéisme. Si la violence systémique subie par Marie est clairement dénoncée, elle s’exprime à travers des personnages qui, tous, de sa mère adoptive qui comprend d’autant moins la réaction de la jeune fille qu’elle a elle-même été violée vingt ans plus tôt, aux deux inspecteurs qui remettent en cause son témoignage, se comportent avec elle avec une douceur melliflue.

Unbelievable a une autre qualité : sa durée. La mini-série de huit épisodes dure au total près de sept heures, ce qui laisse à la narration le temps de prendre son temps, le temps par exemple de nous entraîner sur une fausse piste là où un film de deux heures ne saurait se le permettre.

Mais Unbelievable a pour autant un défaut. Son titre, son pitch nous laissent augurer une histoire qui aurait pu se suffire à elle-même : celle d’une femme violée dont le témoignage n’est pas cru. Mieux, elle aurait pu laisser planer un suspense : Marie a-t-elle été vraiment victime du viol qu’elle déclare avoir subi ? Mais la série ne prend pas cette direction-là. Dès les premières images, aucun doute n’est permis : le viol a bien eu lieu.
La série prend une autre direction. Elle nous entraîne au Colorado, dans une enquête policière sur les traces du violeur en série dont on comprend bien vite qu’il a attaqué Marie trois ans plus tôt à près de deux milles kilomètres de là.

Certes, la traque par Toni Collette et Merritt Wever de ce violeur suffit à nous tenir en haleine pendant les sept derniers épisodes. Mais on y perd malheureusement de vue ce qui aurait dû rester au centre de la série. Si j’avais eu mon stylo rouge, j’aurais écrit : « très bien, mais attention au Hors sujet ».

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Framing Britney Spears ★★☆☆

Enfant star, révélée dès ses onze ans par le Mickey Mouse Club , Britney Spears accède à la célébrité à seize ans avec … Baby One More Time en 1998. Chanteuse de pop à la voix puissante et grave, elle s’inspire de Madonna et de ses chorégraphies millimétrées. Elle s’adresse à un public adolescent ; mais ses tenues très dénudées ont tôt fait de choquer l’Amérique puritaine. Sa liaison avec Justin Timberlake et sa rupture lui valent l’attention étouffante des paparazzi.
Mariée en 2004, elle a deux fils en 2005 et 2006. Mais son divorce lui fait perdre pied. Elle  provoque un scandale en se rasant la tête et en agressant un photographe. Internée contre son gré, elle est placée sous la tutelle de son père en 2008 qui gère, dans des conditions opaques, sa personne et ses finances. Treize ans plus tard, la chanteuse, qui continue pourtant à se produire, mais refuse désormais tout contact avec la presse, est toujours sous tutelle. Cette situation anormale suscite un mouvement de solidarité #FreeBritney.

Ce documentaire est le résultat d’une enquête menée par le New York Times. Il a été diffusé le 5 février 2021 sur la chaîne FX et est accessible depuis cette date aux Etats-Unis sur Hulu. Amazon Prime Video en assure depuis hier, 5 avril, la diffusion en France, en Allemagne et en Autriche. Sa sortie a immédiatement attiré l’attention du public tant la célébrité de la chanteuse reste grande et sa situation juridique controversée.

C’est en effet autour de sa tutelle et des interrogations qu’elle soulève que ce court documentaire, de soixante-quatorze minutes à peine, s’organise. Sur la jeunesse de la chanteuse, dans une petite ville de Louisiane où elle s’illustre vite dans la chorale de l’église baptiste, sur sa soudaine célébrité, sur l’enchaînement toxique des enregistrements et des tournées, le documentaire passe très vite. Trop vite peut-être pour ses fans enamourés – qui n’auraient en tout état de cause pas appris grand chose qu’ils ne sussent déjà.

Mais pour les autres – dont je suis – le principal intérêt de ce court documentaire se trouve dans la bataille juridique qui se joue autour de la star, de sa santé et, semble-t-il plus encore, de son argent. Constatant la dégradation de sa santé psychique et son internement d’office, un juge de Los Angeles l’a placée sous la co-tutelle de son père, Jamie Spears et d’un avocat ami de la famille, Andrew Wallet. La tutelle est-elle exercée au mieux des intérêts moraux et financiers de la chanteuse ? ou Britney est-elle en vérité bâillonnée contre son gré ? Les deux thèses s’affrontent. La seconde a quelques relents complotistes. Mais ce n’est pas la moins séduisante. Et c’est celle qu’accréditent les fans de la chanteuse ainsi que ce documentaire qui n’a pas obtenu des membres de la famille les réponses aux questions qu’il lui avait adressées.

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Madame Claude ☆☆☆☆

Paris. Fin des années soixante, début des années soixante-dix. Fernande Grudet alias madame Claude (Karole Rocher) dirige d’une main de fer un réseau de prostituées qui ont pour clients l’élite administrative et financière de la France pompidolienne. Elle bénéficie de l’appui de la pègre et de la police qu’elle renseigne régulièrement sur ses habitués. Pour autant, elle vit dans l’angoisse permanente d’être rackettée voire éliminée.
Ses filles viennent souvent d’un milieu modeste. Ce n’est pas le cas de Sidonie (Garance Marillier), sa dernière recrue, issue de la haute bourgeoisie, qui lui devient indispensable. Entre la « maquerelle de la République » et la jeune femme se noue une relation ambigüe qui durera jusqu’à la chute de madame Claude.

Le film de Sylvie Verheyde a débarqué avant-hier, 2 avril, sur Netflix avec tambour et trompette. Le sujet est sulfureux. Mais la réalisatrice, dans les interviews qu’elle a données à la presse, se défend d’en faire un usage racoleur. Au contraire, affirme-t-elle, Madame Claude serait un film post #MeToo qui dénonce les violences faites aux femmes.

Il est bien difficile de lui donner tort ou raison tant les obstacles se dressent en chemin avant qu’on puisse remettre en cause la posture qu’elle revendique.

Le premier est à mettre au crédit de ce Madame Claude. C’est la beauté du corps des filles et le luxe de la reconstitution historique, des décors, des costumes, des moindres extérieurs. Madame Claude a coûté cher. On pense au Casino de Scorsese. Et le résultat se voit à l’écran qui atteint un résultat contraire à celui que la réalisatrice s’était fixée : rendre glamour une réalité qui ne l’était pas.

Le deuxième est les personnages. Tout tourne autour de madame Claude qui est interprétée non sans talent par Karole Rocher qui, sans être une inconnue, n’est pas le genre de stars bankables sur les épaules de laquelle la réussite du film aurait pu reposer. L’idée, réussie, est d’en faire un gangster au féminin. Face à elle, en miroir, les scénaristes ont inventé le personnage de Sidonie, joué par la jeune Garance Marillier, révélée par Grave, dont on se demandera durant tout le film ce qu’elle est censée incarner : une disciple ? une rivale ? une victime ? Autour des deux femmes gravite une galaxie d’hommes recrutés parmi les meilleurs acteurs actuels du cinéma français : Roschdy Zem, dans le rôle de Jo Attia, un baron de la pègre qui a pris Fernande/Claude sous son aile depuis qu’elle est montée faire le trottoir à Paris après Guerre, Benjamin Biolay et Pierre Deladonchamps en inspecteurs des RG cauteleux, Paul Hamy en amant infidèle, etc. La liste est longue (j’ai oublié de citer Hafsia Herzi, Mylène Jampanoi et Philippe Rebot). Mais elle se heurte à un écueil : une absence totale d’empathie pour ces personnages, à commencer par les deux principaux.

La faute en est – et c’est le troisième obstacle – au scénario du film. Comme dans tous les biopics qui traitent d’une figure publique dont on connaît le destin, on sait déjà comment l’histoire de madame Claude se terminera. Du coup, le suspense en est éventé. Le fil qui tient le film se distend ; pire, il disparaît. Les épisodes se succèdent, sans transition, sans continuité. L’action est censée se dérouler en l’espace de six années – avec un épilogue vingt ans plus tard où Karole Rocher apparaît outrancièrement vieillie tandis que Garance Marillier n’a pas pris une ride – alors qu’elle pourrait aussi bien n’en occuper qu’une seule.

Madame Claude est-il un film post #MeToo qui dénonce les violences faites aux femmes ? Si j’étais un féministe militant, j’en douterais. Et j’en douterais d’autant plus que ce Madame Claude fonctionne sur un ressort éculé et malsain : promettre au spectateur libidineux – et je serais malhonnête de m’exclure du lot – la perspective de reluquer de jolies pépées dénudées.

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Unicorn Store ★★★☆

Kit (Brie Larson) est une artiste née qui vit la tête dans les nuages, au milieu des arcs-en-ciel, des paillettes et des licornes. Après avoir été renvoyée de son école d’art, parce que ses réalisations ne se conformaient pas aux canons lugubres de son professeur, elle accepte, sous la pression de ses parents, de rentrer dans le rang et de travailler dans une agence d’intérim.
Mais Kit reçoit une publicité d’une mystérieuse enseigne. Un vendeur excentrique (Samuel Jackson) l’y accueille dans un décor déconcertant et lui fait miroiter la réalisation de son rêve : accueillir une licorne dans son jardin. Contre toute raison et avec l’aide d’un charpentier débrouillard, Kit va se consacrer à ce nouveau but.

Brie Larson est devenue brusquement l’une des actrices les plus en vue de Hollywood. Elle le doit à deux films : States of Grace en 2013 et Room en 2015 qui lui ont valu une palanquée de récompenses, y inclus, pour le second, l’Oscar de la meilleure actrice. Une aussi soudaine renommée aurait pu lui monter à la tête à vingt-cinq ans à peine. Mais la jeune femme semble l’avoir solidement accrochée sur les épaules. Tout en interprétant Captain Marvel dans la franchise Marvel, elle est passée en 2017 derrière la caméra pour filmer son premier long métrage dont on mesure aisément la part d’autobiographie qu’il recèle.

Unicorn Store est une délicieuse comédie romantique du coming-of-age, ce genre très américain qui met en scène des adolescents confrontés aux premiers émois et aux premiers défis de la vie adulte. Pour être plus exact, Unicorn Store relève d’un sous-genre du coming-of-age movie : le coming-of-age adulescent qui met en scène des jeunes adultes qui se refusent à grandir.

Brie Larson y est de tous les plans. Loin d’être envahissante ou égocentrique, cette omniprésence constitue le principal atout du film. C’est que l’actrice est tellement jolie, tellement charmante, tellement tendre, tellement drôle qu’on ne s’en lasse pas. L’énumération trop longue de la phrase qui précède aura suscité quelques doutes légitimes sur la subjectivité de son auteur. Oui, confesse-t-il (voilà que je parle de moi à la troisième personne !), il est tombé sous le charme de l’héroïne. Comment en aurait-il pu aller autrement ?

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Cibles mouvantes ★☆☆☆

Einar et Nadja forment un jeune couple suédois aimant. Lui a passé son diplôme d’ingénieur ; elle, d’origine somalienne, étudie la médecine. Alors que Nadja vient d’apprendre qu’elle est enceinte mais ne l’a pas encore dit à son mari, Einar lui offre un week-end d’oxygénation, loin de Stockholm, dans les plaines enneigées et désertiques du nord de la Suède. Mais le couple croise en chemin une bande de jeunes chasseurs racistes…

Poursuivant sa politique volontariste de production tous azimuts, qui puise dans les cinématographies du monde entier, Netflix a mis en ligne le mois dernier ce petit polar suédois dont le pitch, à la Délivrance (le film mythique de John Boorman qui mettait en scène quatre Américains dans les Appalaches), a titillé ma curiosité. J’ai toujours aimé les survival movies et leurs histoires minimalistes qui défient la virtuosité des scénaristes : une poignée de survivants d’un naufrage coincés dans un radeau (Lifeboat de Hitchcock), un Américain qui se réveille en Irak enterré six pieds sous terre (Buried), un conducteur coréen prisonnier de son véhicule dans l’éboulement d’un tunnel (Tunnel), un skipper sur son bateau en train de couler (All is Lost), etc.

Cibles mouvantes (Red Dot dans son titre original) hélas est loin de se hisser au niveau des films remarquables que je viens d’énumérer. L’exposition, trop longue, occupe un tiers du film et le premier coup de feu dans la neige claque seulement après une bonne demie heure. La course poursuite dans la toundra ne dure ensuite que quelques minutes, le temps pour le héros d’essuyer quelques tirs qui en auraient fauché de moins robustes. [Attention spoiler] Le dernier tiers du film est lesté d’un twist – que certains indices laissaient présager – dont le rôle est de clouer le spectateur sur son fauteuil/canapé mais qui est trop abracadabrantesque pour être convaincant.

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Identités trans, au delà de l’image ★☆☆☆

Quelle image le cinéma et la télévision renvoient-ils des personnes transgenres ? Depuis la naissance du cinéma, elles ont été filmées de toutes sortes de façons. La manière de les montrer joue un rôle déterminant dans la construction de l’identité des personnes transgenres qui sont souvent privées de modèles dans leur environnement immédiat.

Ce documentaire Netflix permet d’identifier trois façons bien distinctes de filmer les trans, qui se sont succédées à travers le temps.
Longtemps, le trans fut une personne ridicule dont l’apparition grotesque sinon carnavalesque n’avait d’autre but que de susciter le rire. La référence qui vient immédiatement à l’esprit, et qui étonnamment ne figure pas dans ce documentaire, est bien sûr Les hommes préfèrent les blondes.
Parallèlement à cette veine-là et sans qu’elle disparaisse complètement, une autre, pas moins transphobe, allait lui succéder : le trans, homme ou femme, est décrit comme un malade (c’est l’assassin psychopathe de Pulsions de De Palma interprété par Michael Caine) ou comme une personne qui inspire le dégoût (le héros de The Crying Game dont la révélation du sexe fait vomir son amant).
La troisième époque est plus récente. Le regard porté sur les trans, homme ou femme, est plus aimant, plus tolérant. Il est souvent le fait de séries dont le format permet de mettre en scène des personnages complexes et fouillés : Orange Is the New Black, Pose, Transparent, Sense8

Le sujet traité par ce documentaire, diffusé par Netflix depuis le printemps dernier après sa projection en avant-première au festival de Sundance début 2020, est dans l’air du temps. Sa bien-pensance rend sa critique périlleuse. Pour autant, on peut s’autoriser à en relever les limites.

La première est son classicisme : le montage, très dynamique, alterne des extraits de films avec des interviews face caméra de quelques unes des principales personnalités transgenres de Hollywood. On reconnaît notamment Laverne Cox, qui fut la première personnalité transgenre nommée aux Emmy Awards pour son rôle dans Orange Is the New Black, Candis Cayne, l’héroïne de Dirty, Sexy Money et Lily Wachowsky, la co-réalisatrice des Matrix et de Sense8.

La deuxième est son américano-centrisme. L’ensemble des films cités sont américains ou britanniques à la seule exception du belge – et excellent – Ma vie en rose (1997). Pas un mot du cinéma de Pedro Almodovar dont la quasi-totalité des films offrent pourtant un rôle à une personnalité trans. Aucune mention de Laurence Anyways du canadien Xavier Dolan ou de Tomboy de Céline Sciamma. Et si l’on voit sur l’affiche Daniela Vega, l’héroïne du bouleversant film chilien Une femme fantastique, je n’ai pas le souvenir de l’avoir vue durant les cent minutes du documentaire.

La dernière est son conformisme. Ce documentaire baigne dans une bien-pensance pachydermique. La dénonciation, légitime, de la transphobie vire parfois dans la revendication, qui l’est moins, surtout lorsqu’elle vise l’interprétation toute en nuance de Eddie Redmayne dans Danish Girl, de réserver les rôles de trans aux seul.e.s trans. Il y a vingt-cinq ans, alors que les esprits étaient loin d’y être aussi bien préparés, The Celluloid Closet réussissait avec beaucoup plus de finesse et pas moins d’encyclopédisme à montrer comment Hollywood avait filmé l’homosexualité en faisant évoluer les mentalités tout en étant influencé par leur évolution.

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Mucho, mucho amor. La Légende de Walter Mercado ★★☆☆

Walter Mercado est une star de la télévision dans toute l’Amérique latine. Ce jeune premier, originaire de Porto Rico, a commencé sa carrière au théâtre et à la télévision avant d’y présenter l’horoscope. Il y est devenu immédiatement célèbre grâce à ses accoutrements kitsch, ses décors grandioses et ses prévisions toujours bienveillantes. En 2006, Walter Mercado a brusquement quitté l’écran. Un documentaire produit par Netflix est parti à la recherche de la star.

Autant le dire sans détour : le suspense sur lequel est soi-disant bâti ce documentaire est levé dès ses toutes premières minutes. On y retrouve en 2018 Walter Mercado, vieilli, mais portant toujours beau, impeccablement maquillé, peigné et costumé, dans sa somptueuse demeure portoricaine, entouré des souvenirs kitschissimes d’une vie bien remplie. La star a quatre-vingts ans bien sonnés mais n’a rien perdu de sa radieuse énergie ni de son exubérante folie.

On apprend bien vite que son éclipse est due aux différends qui l’ont opposé à son agent, qui lui avait fait signer un contrat léonin se réservant le droit sans limitation de durée à son nom et à son image. Ce contentieux a fermé l’accès aux chaînes de télévision à Walter Mercado pendant six longues années. À quoi se sont ajoutés quelques soucis de santé. Si bien que c’est in extremis, début 2019, que la star peut inaugurer, quelques mois avant sa mort, l’exposition que lui consacre le musée d’histoire de Miami pour le cinquantième anniversaire de ses premières émissions d’astrologie.

Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans la découverte de cette personnalité hors du commun, si célèbre dans le monde hispanophone mais quasi-inconnue au-delà. Dans un environnement macho et homophobe, Walter Mercado a brisé les codes. Aussi maniéré que Liberace, aussi diva que Dalida, aussi botoxé que les frères Bogdanoff, Walter Mercado joue de son androgynie. Il refuse de répondre aux questions sur sa sexualité – même si le spectateur, à qui on ne la fait pas, n’en pensera pas moins. Les documentaristes le titillent sur l’astrologie et sur la scientificité de ses prédictions. Mercado, qu’on aurait pu suspecter de camoufler derrière ses capes et ses bijoux une bien triste arnaque, répond avec une honnêteté convaincante : il n’a jamais prétendu donner les résultats du loto mais vendre à quelques malheureux un peu de paix et beaucoup d’amour.

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La Plateforme ★★☆☆

La prison dans laquelle Goreng (Ivan Massagué) a été incarcéré est composée de plusieurs centaines de cellules, accueillant chacune deux prisonniers, disposée verticalement, les unes sur les autres. Chacune est percée, au sol comme au plafond, d’un trou, « la fosse » (El Hoyo, le titre espagnol original) par lequel descend une plateforme chargée de victuailles. Les étages supérieurs se servent les premiers, ne laissant aux étages inférieurs que leurs restes.

Hasard des calendriers, la sortie sur Netflix de ce thriller claustrophobe a coïncidé avec le premier confinement en mars 2020. C’est ce qui explique son succès. C’est ce qui explique qu’un an plus tard, j’y sois allé jeter un œil pour rattraper mon retard.

La Plateforme nous vient d’Espagne. Son dispositif – un homme se réveille dans une prison de cauchemar dont il essaie de s’échapper – rappelle d’autres films similaires bien connus : Saw ou Cube. Mais son sous-texte politique rappelle surtout Snowpiercer et High-Rise : deux métaphores plus ou moins réussies de nos sociétés capitalistes et inégalitaires.

À première vue, la métaphore est simple sinon simpliste et sonne comme une critique dévastatrice de la théorie du ruissellement, l’idée selon laquelle les richesses créées par les plus nantis profiteraient aussi aux plus pauvres. « Détrompez-vous, pauvres gens, nous disent les prisonniers des étages supérieurs qui se baffrent au lieu de laisser leurs parts aux prisonniers des étages inférieurs ; il ne vous restera que des miettes ».

Mais La Plateforme est un peu plus subtil que cette dénonciation manichéenne. Film d’un pessimisme radical, il renvoie dos à dos l’égoïsme du capitalisme, la naïveté de l’humanisme (incarnée par le personnage de Imoguiri qui prône la solidarité par l’exemple) et même la brutalité du communisme. La seule philosophie qui vaille est celle du Don Quichotte, le livre avec lequel Goreng, dont la ressemblance avec le héros de Cervantes est frappante, migre de cellule en cellule : le monde est un théâtre peuplé d’hallucinations dans lequel chacun peut combattre l’injustice.

Sa fin est assez emberlificotée. On trouve sur Internet tout un tas d’interprétations possibles. La plus évidente n’est hélas pas la plus intelligente.

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High Flying Bird ★☆☆☆

Ray Burke (André Holland, le héros de la série The Eddy) a réussi à faire de sa passion pour le basket son gagne-pain : il est agent de joueurs. Il a notamment sous contrat Erick Scott, un rookie prometteur. Mais le lock-out, la grève qui interdit aux joueurs l’accès aux terrains, met en péril son avenir professionnel.

Steven Soderbergh est sans doute l’un des plus grands réalisateurs américains contemporains. En 1989, à vingt-six ans à peine, il décroche la Palme d’or à Cannes avec son premier film, Sexe, Mensonge et Vidéos. Je me souviens de mon enthousiasme à sa sortie devant cet Ovni cinématographique qui soufflait un vent nouveau. Soderbergh a ensuite tissé une carrière originale, zigzaguant entre blockbusters (la trilogies des Oceans, Erin Brockovich…) et films d’auteur (Traffic qui lui vaut l’Oscar du meilleur réalisateur, Solaris…). Il a toujours su s’entourer des acteurs les plus bankables du moment : George Clooney, Matt Damon, Julia Roberts, Benicio del Toro… Annonçant régulièrement sa retraite, mais revenant toujours sur ses annonces, il s’essaie à de nouvelles formes de cinéma : les courts métrages, les séries, les films TV. En 2018, il tourne en dix jours avec un IPhone8 Paranoïa, un petit bijou schizophrène et claustrophobe. C’est avec le même procédé qu’il tourne High Flying Bird dont il assure non seulement la réalisation mais aussi la photographie et le montage.

Pour comprendre et apprécier son film, sorti directement sur Netflix en février 2019, il faut connaître le basket américain, savoir ce qu’est un rookie (un joueur fraîchement émoulu qui effectue sa première année en Ligue), avoir suivi les lock-out, ces parties de bras de fer opposant le syndicat des joueurs, la ligue et les propriétaires des clubs qui ont émaillé l’histoire de la NBA ces trente dernières années.

Ces références me faisaient défaut. Du coup, le plaisir que j’ai pris à High Flying Bird en fut diminué d’autant. J’avoue n’avoir pas accroché à cette histoire dont je ne comprenais pas les enjeux. Son principal ressort ne s’est éclairé pour moi qu’à la toute fin du film. Trop tard !

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