Walter ☆☆☆☆

Quatre kaïras et leur éducateur (sic) braquent un supermarché.
Mais ils se heurtent à Walter, un vigile pas commode.

Bienvenue à l’ère Youtube. Quelques ados qui se filment dans leur chambre accèdent parfois sur Youtube à une étonnante célébrité qui se chiffre en milliers, voire en centaine de milliers de likes. Il était hélas logique que le cinéma cherche à en tirer profit en leur proposant de passer devant la caméra. C’est ainsi que se monte Walter qui réunit les « Déguns » Karim Jebli et Nordine Salhi et Alexandre Antonio alias TonioLife.

Le résultat est affligeant. Walter est une comédie qui se voudrait drôle construite autour d’un scénario sans relief. S’il se bornait à ne pas nous faire rire, on en serait simplement navré. Mais, plus grave, ce film charrie un racisme ordinaire et une homophobie beauf qu’on n’imaginait plus de mise. Les jeunes « bras cassés » qui en sont les héros ont beau avoir leur stupidité comme excuse et leur célébrité sur Youtube pour caution, elles ne suffisent pas à les exonérer.

La bande-annonce

Grass ★☆☆☆

Une femme est assise dans un café et écrit sur son ordinateur. Autour d’elle des couples discutent de sujets graves : la mort, le suicide, la précarité…

Hong Sangsoo est un cinéaste prolifique. Il a tourné pas moins de quatre films en 2017 qui  sont sortis en ordre dispersé sur nos écrans : Le Jour d’après, La Caméra de Claire, Seule sur la plage la nuit et enfin Grass.

Avec une telle productivité, pas étonnant que son cinéma bégaie. Paraphrasant Verlaine, Hong Sangsoo tourne et retourne ni tout à fait le même ni tout à fait un autre film.

Chacun de ses films met en scène d’interminables discussions de café filmées en plans larges – avec un usage du zoom qui donnent parfois la nausée. Chacun donne le premier rôle à la belle Kim Min-hee, la muse du réalisateur à l’écran et sa compagne à la ville. Chacun se déroule dans le milieu de l’art ou du cinéma. Chacun s’organise autour d’histoires d’amour malheureuses ou de vies brisées.

Grass n’échappe pas à cette répétition. Seule innovation : l’usage de la musique classique (Schubert, Wagner, Offenbach, Pachelbel…) qui résonne dans le café où les personnages prennent place au point d’en couvrir le bruit des conversations.

Les fans de Hong Sangsoo adoreront. Ils s’interrogeront sur l’héroïne : retranscrit-elle les scènes dont elle est le témoin silencieux ? ou les invente-t-elle ? Ils salueront son évolution : elle sort peu à peu de son isolement pour accepter de partager la table de ses voisins.
Quant aux autres, ils trouveront bien longues les soixante-six minutes du film et, prenant des résolutions de nouvelle année qu’ils ne tiendront pas, éviteront de s’infliger la même purge en 2019.

La bande-annonce

High Life ☆☆☆☆

L’action de High Life se déroule dans une navette spatiale projetée aux marges de notre univers. On comprend que son équipage a été constitué de repris de justice dont la condamnation à mort a été commuée pour participer à cette mission probablement sans retour. Ils sont accompagnés d’une doctoresse (Juliette Binoche) qui travaille sur la reproduction humaine.
Monte (Robert Pattinson) est l’un des membres d’équipage dont on découvrira le crime qu’il a commis sur terre et qui l’a conduit dans cette odyssée. Ses co-équipiers ont disparu l’un après l’autre. Il se retrouve seul à bord avec son bébé.

High Life est un faux film de science fiction, sans extra-terrestres ni combats intergalactiques. Comme Solaris (dont le remake par Steven Soderbergh est bien plus comestible que l’original de Tarkovski porté au pinacle par des cinéphiles qui ne l’ont pas toujours vu) comme Sunshine de Danny Boyle, il s’agit d’un voyage intérieur et d’une quête métaphysique.

Le problème est que ce voyage et cette quête tournent à vide. Dans un grand méli-mélo passablement prétentieux, il y est question d’amour, de filiation, d’inceste et de paternité. Si Robert Pattinson, le regard éteint, fixe l’infini des astres, le regard du spectateur s’éteint vite face à cet infini désastre.

La bande-annonce

Ma mère est folle ☆☆☆☆

La cinquantaine bien frappée, Nina a vécu toute sa vie comme un oiseau sous la branche. Mais le fisc la rattrape qui lui réclame de payer sous un mois cinquante mille euros. Sur les conseils d’Emir, un réfugié bosniaque rencontré dans le métro dont elle coproduit le disque de rap (sic), Nina décide de ramener un go fast de Rotterdam (re-sic). L’accompagne dans son road trip à bord du SUV prêtée par une riche douairière (Arielle Dombasle) un garçonnet mutique (Jules Rotenberg) dont Emir lui a confié la garde.
Ce périple sera l’occasion pour Nina de renouer avec son fils Baptiste (Vianney) qu’elle n’a plus vu depuis deux ans et avec Alvaro (Patrick Chesnais) un amant de jeunesse.

Née en 1948, Diane Kurys a commencé sa carrière cinématographique il y a plus de quarante ans avec des films d’une étonnante fraîcheur : Diabolo Menthe (Prix Louis-Delluc en 1977), Cocktail Molotov (qui révèle François Cluzet en 1980), Coup de foudre (qui représente la France aux Oscars en 1984), Un homme amoureux (sélectionné à Cannes en 1987). Puis, la jeune réalisatrice et son mari Alexandre Arcady se sont lentement mués en notables du cinéma, enchaînant les réalisations sans âme (À la folie avec Anne Parillaud et Béatrice Dalle), les films en costumes qui sentent la naphtaline (Les Enfants du siècle avec Juliette Binoche et Vincent Magimel), les comédies pas drôles (Je reste ! avec Sophie Marceau et Vincent Perez), .

Ma mère est folle, hélas, ne redorera pas son blason. Il aurait pu indifféremment être adapté au théâtre ou au cinéma, il y a vingt ans ou aujourd’hui. Le film repose sur un seul ressort : la folie douce de Fanny Ardant qui cabotine dans le rôle d’une mère gentiment foldingue. Les personnages sont caricaturaux, de ce fils que sa mère insupporte (mais qui lui reste néanmoins indéfectiblement attaché) à cet ex-amant désormais homosexuel installé dans une villa digne de La Cage aux folles en passant par Nono, ce malheureux gamin mutique réduit au rôle de faire-valoir. Les dialogues pèsent des tonnes (« J’ai vécu comme un oiseau sur la branche … jusqu’au jour où la branche s’est cassée »). Les situations n’ont pas une once de crédibilité.

C’est du café théâtre filmé à l’économie entre Rotterdam et Bruxelles histoire de donner du mouvement à un film qui en est cruellement dépourvu. À fuir…

La bande-annonce

Touch Me Not ★☆☆☆

La réalisatrice Adina Pintilie a décidé de consacrer un film à la sexualité, au désir et à la peur d’être touché.e.

Elle a longuement interrogé trois personnages. Laura, la cinquantaine, dont on comprend qu’elle vit un drame familial, refuse tout contact physique et a recours à des prostitués qu’elle regarde se caresser. Elle cherche à se réconcilier avec son corps en discutant avec Girt, un travesti, et en suivant les protocoles de Seani Love, escort et sexologue.
Christian est lourdement handicapé. Frappé d’amyotrophie spinale, il n’a l’usage ni de ses jambes ni de ses bras. Mais son sexe fonctionne normalement et il peut prendre du plaisir et en donner.
Tomas est parfaitement valide ; mais une maladie rare l’a rendu complètement chauve à l’adolescence, changeant son apparence et sa relation aux autres.

Touch Me Not est un film audacieux qui filme crûment des corps disgracieux, à mille lieux des canons de la beauté traditionnelle. Sa réalisatrice accepte de se mettre elle aussi en danger, comme elle met en danger ses acteurs, en apparaissant à l’écran et en se renvoyant les questions qu’elle leur pose.

Dès sa toute première scène, Touch Me Not nous bluffe. La caméra en très gros plan y caresse le corps d’un homme d’âge indéterminé, couvert de poils, au centre duquel se niche un sexe flasque. La vision de ce sexe détumescent en gros plan nous déconcerte, habitué qu’on est à ce que de telles images soient occultées dans des films grand public – ou au contraire à voir des sexes masculins glorieusement dressés dans des films X.

On se dit qu’on va s’embarquer pour une expérience fascinante sans totem ni tabou. Mais bien vite, le malaise gagne. Il ne gagne pas tant devant la crudité des propos ou des situations. Car il en faudrait plus qu’une boîte à partouze et que les quelques scènes BDSM qui y sont filmées pour choquer le bourgeois qui en a vu d’autres. Mais il gagne par la faute de la vacuité du propos. Car une fois qu’on a dit qu’il faut se réconcilier avec son corps et jouir sans entrave, on a tout dit, on n’a rien dit.

Si bien qu’au bout des deux heures interminables que dure mollement Touch Me Not, c’est l’ennui viscéral qui l’emporte et, avec lui, le désintérêt pour un film dont on peine à comprendre qu’il ait emporté l’adhésion du jury du Festival de Berlin qui lui a décerné son Ours d’Or l’hiver dernier.

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Help ☆☆☆☆

Dans les montagnes de l’arrière-pays niçois, les crimes se multiplient. L’inspecteur Kaplan (Frédéric Cerulli) a perdu sa femme et ses deux enfants. Il est bien décidé à retrouver le tueur en série. Il croit l’avoir identifié après la mort d’une randonneuse qu’il suspecte son frère d’avoir tué. Mais l’assassin n’est pas celui qu’il croit.

La lecture du pitch ci-dessus ne laisse rien deviner de la calamiteuse nullité ni de l’hilarante maladresse de la nouvelle réalisation des Films à fleur de peau, la société de production de Franck Llopis. Pourtant, qui a vu Pas comme lui, sorti l’hiver dernier, aurait dû se méfier.

Help pourrait faire figure de cas d’école de tout ce qu’il ne faut pas faire derrière une caméra. Le jeu d’acteurs est affligeant, plombé par un son post-synchronisé qui leur fait perdre définitivement toute crédibilité et souligne l’artificialité des dialogues. Le réalisateur, qui s’offre le rôle principal, coproduit le film et dirige la photographie, semble avoir découvert avec un enthousiasme puéril la technologie du drone et les possibilités qu’elle offre. Du coup, à chaque plan, il fait décoller sa caméra en de longs plans vertigineux qui donnent le tournis. Et le scénario de s’étirer interminablement dans un film qui flirte avec les deux heures.

Bref tout est à jeter dans ce film navrant, candidat sérieux aux prochains Gérards du cinéma, sinon les éclats de rire que ses maladresses provoquent involontairement dans une salle hilare.

La bande-annonce

Climax ★☆☆☆

Une troupe de jeunes danseurs fête la fin des répétitions avant de partir en tournée. La soirée commence dans la liesse. Mais bientôt, le trip devient very bad. La sangria a semble-t-il été préparée au LSD plongeant les participants à la fête dans un état de transe anxiogène.

Gaspar Noé est l’un des réalisateurs français les plus marquants de sa génération. Il traîne derrière lui la réputation d’un cinéaste sulfureux et provocateur. Après Carne et Seul contre tous, Gaspar Noé a accédé à la célébrité en 2002 avec Irréversible, présenté à Cannes en compétition officielle. En treize séquences antichronologiques (en commençant par la fin), y était raconté un viol. Avec Monica Bellucci, Vincent Cassel (qui, à l’époque formaient un couple hypissime) et Albert Dupontel, le film, interdit aux moins de seize ans, fit scandale. Huit ans plus tard, Gaspar Noé revenait avec Enter the Void, l’histoire filmée en caméra subjective d’un dealer entre la vie et la mort abattu par la police. Son dernier film, Love, sorti en 2015, se frottait à la pornographie, filmant des scènes de sexe non simulé – qui lui valurent une interdiction aux mineurs de dix-huit ans par la justice administrative saisie par l’association Promouvoir. J’en avais fait à l’époque une critique débordante d’enthousiasme que je relis quatre ans plus tard, gêné par autant d’euphorie.

On comprendra donc mon impatience à voir Climax… et ma déception.

Gaspar Noé reste un cinéaste virtuose qui signe des plans séquence vertigineux. C’est, depuis l’origine, sa marque de fabrique. Et Climax nous en donne notre lot qui suit les danseurs dans leurs folles chorégraphies puis dans leurs déambulations erratiques dans cette maison sans fenêtre où ils passent la soirée. Les images sont d’autant plus puissantes que la musique est forte, produisant peu à peu un effet de transe pulsative, une sidération hypnotique.

Le problème est que cette forme somptueuse n’est au service de rien. On cherche en vain dans Climax des personnages ou une histoire. Parmi la troupe de danseurs, on ne s’attache à personne – sinon peut-être à Selva interprétée par Sofia Boutella qui creuse sa voie entre Paris et Hollywood. Quant à l’histoire, il n’y en a pas. Aucun des fils égrenés en début de film (ce drapeau tricolore de l’affiche, cette danseuse qui confesse sa phobie du noir…) n’est tiré.

Noé avait caressé le projet de faire un documentaire sur la danse. Il a finalement décidé de réaliser une fiction mais a oublié en chemin d’écrire un scénario. Si bien que Climax se réduit à un long clip. Certes bluffant. Certes trippant. Mais un clip rien de plus.

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Papillon ★☆☆☆

Henri Charrière dit Papillon a été condamné pour un meurtre qu’il a toujours nié aux travaux forcés à perpétuité en 1931. Déporté en 1933 en Guyane, il réussit à s’évader en 1944.
Ses mémoires, publiées en 1969, sont un best-seller. Elles sont portées à l’écran en 1973 avec Steve MacQueen dans le rôle de Papillon et Dustin Hoffman dans celui Louis Delga, son camarade d’infortune.

Pourquoi diable avoir fait le remake du film culte de  Franklin J. Schaffner ? Qui ne l’a pas déjà vu à l’occasion de l’une de ses innombrables rediffusions télévisuelles ? Qui ne se souvient pas des yeux bleus de Steve McQueen qui incarnait si bien la révolte contre l’erreur judiciaire – au même endroit où quarante ans plus tôt le capitaine Dreyfus avait été lui aussi injustement déporté – et la soif inextinguible de liberté ?

Papillon 2018 est une pâle copie du Papillon 1973. Plutôt que de s’en écarter, Michael Noer, un réalisateur danois auteur de deux films coups de poing R et Northwest, dont il y a fort à craindre qu’il soit allé perdre son âme à Hollywood, se contente de le décalquer. Les deux acteurs, Charlie Hunman (le héros de Sons of Anarchy) et Rami Malek, semblent moins avoir été choisis pour leur talent que pour leur ressemblance avec Steve McQueen et Dustin Hoffman.

Particulièrement horripilant pour l’auditoire français est l’américanisation des héros et des décors. Le film commence par une calamiteuse reconstitution en carton-pâte du Paris de l’entre-deux-guerres qui tire plus vers Moulin rouge que vers Quai des brumes. Tous les héros, supposément français, y parlent un anglais parfait. Ensuite, c’est la déportation en Guyane, filmée dans les décors naturels de la Croatie et du Monténégro… Ceci étant dit, le film de 1973 avait été filmé à Hawaï et à la Jamaïque.

Le seul intérêt de ce film : nous donner envie de (re)revoir le chef d’œuvre de Franklin J. Schaffner.

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Le Poirier sauvage ☆☆☆☆

Sinan vient d’obtenir son diplôme universitaire. Pour autant son avenir reste sombre. Écrivain amateur, il aimerait publier son premier ouvrage intitulé Le Poirier sauvage. Il tente sans conviction le concours d’instituteur en craignant, s’il le réussit, d’être muté dans l’est du pays. Si rien ne se passe, il devra bientôt partir faire son service militaire.
Le jeune Sinan n’a qu’une hantise : reproduire le destin de son père dont l’intelligence et le sens artistique ont été gâchés par le goût du jeu et qui s’est résigné à une vie médiocre.

Nuri Bilge Ceylan raconte l’histoire d’un fils ni vraiment prodige ni vraiment prodigue qui s’en revient chez lui, ses études achevées, et qui hésite sur le sens à donner à sa vie. Pendant tout le film la caméra le suit qui déambule dans son village au fil des rencontres plus ou moins fortuites qu’il y fait.

Une critique internationale pâmée a décrété que Ceylan était le plus grand réalisateur turc contemporain. Depuis Uzak et jusqu’à Winter Sleep consacré en 2014 par la Palme d’Or, elle a invoqué à chacun de ses films les mânes de Tchekov pour la finesse de la description des caractères, de Dostoievski pour leur ambition métaphysique, d’Antonioni pour la peinture des relations de couple et d’Angelopoulos pour la beauté hypnotisante de ses plans et leur longueur déroutante.

C’est beaucoup. C’est trop. Le dernier film en date de Ceylan, certes sélectionné à Cannes mais dont il est revenu bredouille à la différence des cinq précédents, dévoile les limites de l’exercice sinon la mystification dont il est coupable.

Pendant près de trois heures, une durée que rien ne justifie sinon l’orgueil démesuré du réalisateur-scénariste-monteur et son mépris de ses spectateurs, le même procédé est inlassablement répété : le héros solitaire, filmé en plongée pour mieux l’écraser, arpente la campagne turque en attendant de faire une rencontre qui plonge l’auditoire dans un tunnel logorrhéique d’une vingtaine de minutes.

Chaque face à face, quasiment filmé à l’identique a sa thématique lourdement soulignée. Avec le père ou le grand père qui le sollicite pour les aider dans les travaux agricoles, l’atavisme familial. Avec le maire ou l’entrepreneur de BTP auprès desquels Sinan mendie une subvention pour publier son livre, la corruption et la bêtise des classes dirigeantes. Avec l’ancienne amie de lycée qu’il embrasse sous un poirier sauvage, la nostalgie des vertes amours enfantines et des occasions à tout jamais perdues. Avec le jeune imam faussement moderniste, le dévoiement de l’Islam. Etc.

Les acteurs, à commencer par l’acteur principal qui a la tête d’un écrivain comme j’ai celle d’un champion de patinage artistique, sont si obnubilés par la diction de leur texte interminable filmé en longs plans-séquences qu’ils en perdent toute spontanéité.

La seule chose à sauver de ce Poirier sauvage serait la musique de Bach qui pare sa bande-annonce d’une élégance grave. Mais répétée dix fois, le thème tourne au jingle et finit par produire l’effet inverse de celui escompté : l’agacement plutôt que la fascination.

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Trois contes de Borges ☆☆☆☆

Un vieil homme aveugle raconte à une jeune femme trois histoires : la rencontre au bord d’un fleuve du jeune Borges avec son double vieillissant, celle d’un mendiant prétendant détenir dans le creux de sa main un disque qui n’a qu’une seule face, celle d’un vendeur de bibles qui possède un livre infini.

J’ai découvert Borges très jeune quand un ami m’a mis Fictions dans les mains et, comme tant d’autres, j’ai été immédiatement emporté par ses courtes histoires qui posent, l’air de rien, d’insolubles questions métaphysiques. Son intelligence aiguë, son érudition, sa façon de jouer avec le lecteur m’ont dérouté, séduit, fasciné.

Aussi, trente ans plus tard, je n’ai pas voulu rater l’adaptation au cinéma qui était faite de trois nouvelles tirées du Livre de sable. Bernardo Bertolucci en 1970 et Carlos Saura en 1992 ont réalisé deux films que je n’ai pas vus inspirés de deux de ses nouvelles. Quelle ne fut ma déception !

Trois contes de Borges est un film prétentieux, bavard, mal joué dont les personnages s’apostrophent indifféremment en français, en espagnol, en portugais, en anglais ou en allemand – histoire d’illustrer le plurilinguisme de l’écrivain qui partagea sa vie entre l’Europe et l’Amérique latine. Chacun des trois contes, très courts (El otro, El disco, El libro de arena) est tour à tour mis en images et déclamé par le personnage principal, au cas où on ne l’ait pas compris du premier coup. Le tout voudrait « mettre en péril nos rapports au temps, à l’image, au langage » (sic). La seule chose mise en péril est notre résistance à l’ennui qui nous gagne, aussi bref soit ce film de soixante-dix-sept minutes à peine.

Le film de Maxime Martinot tourné en 2014 a mis plus de quatre ans à trouver le chemin des écrans. Encore n’est-il sorti à Paris que dans deux salles confidentielles. En deuxième semaine, une seule le programmait encore. On comprend pourquoi…

La bande-annonce