Ready Player One ★☆☆☆

En 2045, l’humanité se morfond dans des villes surpeuplées et polluées. Pour échapper au quotidien, les habitants se réfugient dans des mondes parallèles. L’Oasis est le plus populaire. L’inventeur de cette réalité virtuelle vient de mourir à la tête d’une immense fortune. Il propose de la céder à qui trouvera « l’œuf de Pâques » qu’il a caché dans un recoin du jeu.
Wade Watts est un jeune orphelin qui, sous les traits de Parzival, joue régulièrement. Avec quelques amis virtuels, Aech, le colosse bricoleur, Art3mis, la jolie motarde, Daito, le samouraï et Sho, le guerrier ninja, il se lance dans la quête de l’œuf de Pâques. Mais Sorrento, le puissant directeur de la multinationale IOS , entend bien mettre la main sur le magot le premier.

Ready Player One a été accueilli par des louanges dithyrambiques. Du Monde à Libération, en passant par Télérama et Les Inrocks, la critique fait preuve d’un unanimisme suspect. Et les spectateurs ont réservé un accueil triomphal à Ready Player One qui a fait près d’un million d’entrées en France durant sa première semaine d’exploitation.

Les critiques ont salué en particulier, dans des articles qui résonnaient parfois comme autant d’éloges funèbres, le génie de Steven Spielberg. Nul doute qu’il mérite ses éloges au regard de son impressionnante filmographie qui accumule les chefs d’œuvre et les succès. Cette filmographie compte deux veines principales. La première, à laquelle Spielberg semblait s’être abonné ces dernières années, sont les grands films sérieux tournés avec un classicisme efficace : Pentagon Papers, Le Pont des Espions, Lincoln, Cheval de guerre, Munich, Il faut sauver le soldat Ryan, La Liste Schindler… La seconde, qu’il semblait au contraire avoir abandonnée, est destinée à un public plus jeune : E.T., Indiana Jones et ses suites, Jurassic ParkReady Player One marquerait le retour de Spielberg à cette veine.

Et c’est bien là, à mon sens que le bât blesse. Car Ready Player One veut jouer sur les deux tableaux. D’un côté les références nostalgiques aux 80ies, aux jeunes années de Steven Spielberg (né en 1948… et qui n’était donc plus si jeune que cela) qu’on imagine volontiers fasciné par les premiers jeux Atari, par les films de Kubrick et les tubes de Van Halen, les Bee Gees, A-ha, Depeche Mode. De l’autre le film de science fiction, gonflé jusqu’à la gorge d’effets spéciaux et de combats épiques.

Ni l’un ni l’autre ne m’ont séduit. Je hais les années quatre-vingt – quand bien même elles coïncidèrent avec le vert paradis de mes amours enfantines – ses coloris marronnasses, ses musiques pop trop sucrées. Je hais les jeux vidéo d’hier et d’aujourd’hui auquel je n’ai jamais rien compris et auxquels je n’ai pas vraiment joué. J’ai trouvé par exemple la course automobile dont je lis qu’elle est « à couper le souffle » ennuyeuse à mourir, puis les allers-retours incessants entre le monde réel et l’univers virtuel d’Oasis incompréhensibles.

Que dire de l’histoire manichéenne au possible (un méchant très méchant dont on sait par avance que les sinistres machinations seront déjouées par des gentils très gentils) sinon qu’elle est d’une platitude achevée ? Cette chasse au trésor, découpée en trois étapes (trois clés doivent être découvertes pour accéder à l’œuf), fait irrésistiblement penser aux scénarios des jeux vidéo où il faut relever un défi pour accéder au niveau supérieur. Quant à la composition ethniquement équilibrée du « clan » de Wade/Perzival et à la romance téléphonée qui se noue entre le héros et la jolie motarde – dont les traits rappellent ceux des Minimoys de Luc Besson – soupirs…

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La Fille aux deux visages ☆☆☆☆

Clarisse suit Marc, un chirurgien, à son domicile pour une nuit d’amour. Mais Marc l’endort, la ligote et s’apprête à pratiquer sur elle une greffe de visage. On comprend que Marc entend donner à la blonde Clarisse les traits de sa femme défunte, la brune Hélène.

Tout est raté dans La Fille aux deux visages. Son noir et blanc esthétisant qui louche trop ostensiblement vers Les yeux sans visage, l’indépassable chef d’œuvre de Franju auquel le jeune Romain Serir a bien du culot de se frotter dans son premier film. Son scénario difficilement crédible. Sa durée bâtarde (soixante-quinze minutes) trop longue pour un court, trop courte pour un long. Son montage qu’une musique envahissante peine à cacher les maladresses. Son éclairage désastreux. Le jeu de ses acteurs affolant de nullité. Le dénouement inutilement compliqué.

On peine à comprendre qu’un tel film puisse se tourner – il est vrai avec un budget des plus modestes – et, pire, se diffuser – il est vrai dans une seule salle parisienne dont il y a fort à parier qu’il en quitte rapidement l’affiche.

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Les Garçons sauvages ☆☆☆☆

Cinq garçons de bonne famille commettent une crime sauvage sur leur ancienne professeure. Ils passent en jugement. Ils sont remis à un capitaine louche qui promet de les redresser. Commence pour eux une longue odyssée vers une île mystérieuse.

Les Garçons sauvages arrivent sur les écrans nimbé d’un parfum de scandale. Bertrand Mandico s’est fait un nom dans les courts et moyens métrages. Le nom d’un réalisateur au style unique, qui n’hésite pas à bousculer les genres, à transgresser les frontières. Son premier long est lesté de références aussi écrasantes qu’hétéroclites : Robert Louis Stevenson pour le récit d’aventures et le capitaine cruel,  William Golding pour cette histoire de jeunes garçons échoués sur une île déserte, William Burroughs pour l’onirisme halluciné, David Lynch pour le bizarre et le fantastique, Alain Robbe-Grillet pour l’esthétique érotique, Guy Maddin pour le noir et blanc satiné, etc.

J’ai tout détesté dans Les Garçons sauvages. Son esthétique prétentieuse qui se voudrait gothique et queer à la fois. Son maniérisme. Son noir et blanc chichiteux – entrelardé de quelques plans en couleurs d’une rare laideur. Son attachement fétichiste à une forme d’autant plus sophistiquée qu’elle peine à cacher un contenu totalement creux. Les giclées de sperme et les jets d’urine qui ponctuent son film et qui voudraient choquer le bourgeois – qui en a vu d’autres. Ses dialogues ridicules (« l’espérance est un bonheur presque égal au bonheur »). La fausse bonne idée qui consiste à faire endosser le rôle des ces cinq jeunes hommes par cinq actrices. Sa longueur interminable (près de deux heures) là où un format plus court aurait amplement suffi.

Mais mon opinion est personnelle et mon « coup de gueule » subjectif. Tout en détestant ce film et en m’y étant copieusement rasé, j’en reconnais de bonne grâce l’originalité sinon la qualité. Mon goût pour des formes de cinéma plus conventionnelles, moins audacieuses, ne doit pas me conduire à vouer aux gémonies celles qui s’en écartent pour explorer d’autres voies moins balisées et à reprocher aux critiques unanimes leur enthousiasme excessif pour un film surfait.

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La Forme de l’eau ★☆☆☆

C’est l’histoire d’un homme-poisson que des méchants ont emprisonné et que des gentils veulent libérer.

Je pourrais – comme je  m’évertue à le faire chaque matin – faire un effort et vous présenter un résumé autrement plus élaboré de La Forme de l’eau. Je pourrais vous dire que son action se déroule au début des années soixante, en pleine Guerre froide, à Baltimore, que son héroïne est une jeune femme muette employée comme femme de ménage dans une base secrète de l’armée américaine, qu’une créature aquatique, mi-poisson, mi-homme, y a été capturée et y est soumise aux pires sévices par un gardien sadique, que notre héroïne se prend de compassion pour la mystérieuse créature et décide de la libérer avec l’aide d’une collègue noire, d’un voisin homosexuel et d’un espion russe. Mais ce serait bien long pour un scénario qui, tout bien considéré, se résume aisément en une phrase plus courte.

Je plaide coupable par avance car La Forme de l’eau est le grand favori des Oscars – et que je n’aurais rien à redire à sa victoire annoncée sur les autres films nommés, tels Get OutPhantom Thread ou 3 Billboards qui ne m’ont guère plus convaincu. Mais ce plébiscite critique et public ne m’empêchera pas de faire entendre une voix dissonante. La créature filmée « dans une diaprure bleu-vert » (dixit Le Monde) ? Le copier-coller de la créature du lagon noir sorti en 1954 – qui fut le premier film visionnable en trois dimensions grâce à des lunettes bicolores. L’héroïne muette ? Un personnage dont on ne comprend pas le traumatisme originel et l’étonnante attirance pour l’eau – dans laquelle elle se livre chaque matin à des libations étonnamment lestes pour un film tout public. Les autres personnages ? une galerie politiquement correct de ce que tout ce que l’Amérique compte de minorités opprimées.

Vous avez aimé La petite sirène de Walt Disney ? Vous aimerez peut-être Le grand triton de Guillermo del Toro [je viens de passer deux heures à chercher l’équivalent masculin de la sirène et ne me cherchez pas des poux dans la tête si le triton ne correspond pas tout à fait]. La somptuosité gothique des décors ? la merveilleuse histoire d’amour ? l’hymne à la tolérance ? Je n’ai vu dans le conte de fées de Guillermo del Toro à la naïveté assumée qu’une historiette simpliste aux personnages manichéens et à l’intrigue cousue de fil blanc.

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Phantom Thread ★☆☆☆

Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis) est un immense couturier londonien qui ne vit que par son art. Sa sœur Cyril (Lesley Manville) veille jalousement à son bien-être et s’assure que rien ne le distraie de sa routine.
Reynolds Woodcock fait la conquête d’Alma (Vicky Krieps), rencontrée dans une modeste auberge sur la côte anglaise. Il la séduit et la ramène avec lui à Londres.

Les louanges pleuvent sur le dernier film de Paul Thomas Anderson. Au point qu’elles me complexent de juger trop sévèrement un film que je n’ai ni compris ni aimé. J’avais eu la même réaction début 2016 devant Carol, un film qui n’est pas sans présenter de nombreuses analogies avec Phantom Thread.

Pour commencer, les critiques considèrent le jeune réalisateur américain comme l’un des plus talentueux de sa génération. J’avoue ne pas partager cette admiration. Ni Inherent Vice, ni The Master ni même There WIll Be Blood ne m’avaient en leurs temps convaincu. Ce Phantom Thread inutilement maniéré me confirme dans le sentiment qu’Anderson loin d’être un génie est tout au mieux un habile faiseur.

Mais venons en à son dernier film. Commençons par la musique de Jonny Greenwood pour laquelle, là encore, on crie au génie. Tout en en saluant l’élégance de sa partition, je l’ai trouvée inutilement envahissante. Elle ne s’interrompt jamais. Quelle en est la fonction ? Qu’est-ce qui en justifie l’omniprésence pour des personnages qui jamais n’en écoutent ou n’en discutent ? On a parfois l’impression que le réalisateur, avec cette musique si racée, a voulu en rajouter une couche, comme un chef prétentieux qui étalerait du caviar sur un canapé de foie gras.

Évoquons les acteurs. Dans le rôle de l’oie blanche Vicky Krieps. Pour montrer qu’elle sort du ruisseau, on l’a découvre servant le petit déjeuner dans un troquet de province. Pour souligner combien Woodcock l’impressionne, on lui fait piquer un fard à chacun des mots qu’il lui adresse. Quant au personnage principal, il est interprété par Daniel Day-Lewis, un des plus grands artistes contemporains, le seul à avoir jamais emporté trois fois l’Oscar du meilleur acteur (en 1990 pour My Left Foot, en 2008 pour There Will Be Blood et en 2013 pour Lincoln) en attendant un quatrième peut-être pour ce Phantom Thread où il est nominé. Il est bien sûr terriblement séduisant dans le rôle du sombre Woodcock. Mais sa voix volontairement fluette et son jeu étonnamment monolithique – surtout si on le juge à l’aune de l’immense talent de cet acteur – finissent vite par lasser.

Venons-en à l’essentiel : le propos du film. On lit qu’il s’agit d’une vengeance féminine. Phantom Thread serait l’histoire du renversement d’un lien de domination. Il est difficile de discuter du comportement d’Alma sans révéler top hardiment le contenu du film. Mais je puis dire que la décision qu’elle prend, et qu’elle prend à deux reprises, pour renverser ce lien de domination, est radicale et surprenante, pour ne pas dire dénuée de toute crédibilité. Quant à la réaction de Woodcock, surtout à la seconde occurrence, il faudra que des spectateurs plus perspicaces que moi – et plus versés dans les relations de domination au sein du couple – me l’expliquent.

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Wonder Wheel ★☆☆☆

À Coney Island, la plage de New York, en juillet 1950 [je ne suis pas peu fier d’avoir retrouvé la date exacte], Ginny (Kate Winslet) vit dans l’amertume de la gloire qu’elle n’a pas conquise sur les planches. Hier actrice prometteuse, aujourd’hui serveuse exténuée, elle est mariée sans amour à Humpty (James Belushi) et s’est prise de passion pour Mickey (Justin Timberlake), un maître nageur plus jeune qu’elle avec qui elle a une liaison.
C’est alors que déboule Carolina (Juno Temple) la fille de Humpty, recherchée par la mafia, qui va s’amouracher de Mickey au grand dam de Ginny.

Deux critiques pourraient être à tort adressées à Woody Allen.
La première concerne sa vie privée qui fait à nouveau scandale, vingt ans après sa séparation fracassante avec Mia Farrow et son mariage avec la fille adoptive de celle-ci. Les faits au cœur de la polémique actuelle ne sont pas nouveaux. Ils remontent à cette époque. Ils concernent Dylan, la fille adoptive de Woody Allen et de Mia Farrow dont celle-ci reproche à celui-là d’avoir abusé alors qu’elle était mineure. Ces accusations prennent un jour nouveau avec l’affaire Weinstein, révélée au grand public par le propre fils de Mia Farrow, le journaliste Ronan Farrow.

La seconde serait de reprocher au réalisateur octogénaire de tourner en rond, en filmant encore et toujours le même film. Ce serait inférer du générique en police Winston, avec ses acteurs classés par ordre alphabétique et sa petite musique jazzy, une identité qui n’existe pas. Au contraire de Hong San-Soo, de Pedro Almodovar ou de Xavier Dolan, autant de réalisateurs qui font preuve d’une décoiffante productivité, Woody Allen ne se réfugie pas dans la facilité. Loin de s’attacher la fidélité d’un petit cercle d’acteurs abonnés à chacune de ses œuvres, il renouvelle de fond en comble son casting n’hésitant pas à solliciter de futures stars en devenir. Il ne révèle pas des talents inconnus mais il a le don pour choisir dans la jeune génération les plus séduisants. Il a ainsi dirigé Leonardo DiCaprio (Celebrity), Julia Roberts (Tout le monde dit I Love You), Will Ferrell et Chiwetel Ejiofor (Melinda et Melinda), Scarlett Johansson (Match Point, Scoop et Vicky Cristina Barcelona), Ewan McGregor et Colin Farrell (Le Rêve de Cassandre), Penelope Cruz et Javier Bardem (Vicky Cristina Barcelona), Naomi Watts et Antonio Banderas (Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu), Owen Wilson et Marion Cotillard (Midnight in Paris), Cate Blanchett (Blue Jasmine), Emma Stone (Magic in the Moonlight et L’Homme irrationnel), Jesse Eisenberg, Kristen Stewart et Blake Lively (Café Society)… Quel réalisateur peut se targuer d’un tel tableau de chasse ?!

Il faut considérer Wonder Wheel indépendamment de ces considérations et prendre le film comme il est.
Et la vérité oblige à dire qu’il n’est pas bon.

Woody Allen abandonne le terrain de la comédie pour celui de la tragédie. Il ne fait plus rire.
Il rompt avec le rythme prestissimo de ces films ramassés et débordants de vitalité pour d’interminables scènes de théâtre filmé, passées de mode depuis le prix Nobel d’Eugen O’Neil. Il fait bâiller d’ennui.
Il laisse son chef opérateur Vittorio Sotaro – qui a travaillé avec Bertolucci et Coppola – éclairer d’une lumière stromboscopique les interminables monologues de Kate Winslet. Il fait mal aux yeux.

Allez donc voir Wonder Wheel en essayant d’oublier son auteur… ou plutôt n’y allez pas et attendez son prochain en espérant qu’il soit meilleur !

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Le 15h17 pour Paris ☆☆☆☆

Le 21 août 2015, un terroriste surarmé a voulu assassiner les passagers du Thalys 9364 entre Bruxelles et Paris. Un carnage a été évité grâce à l’intervention héroïque de trois Américains en vacances en Europe.
Le 15h17 pour Paris retrace leurs vies.

Il y a deux façons de considérer ce film. La première est d’oublier qu’il a été réalisé par Clint Eastwood et de l’exécuter en deux phrases en se bornant à constater qu’il s’agit d’un navet sans intérêt. La seconde est de ce se demander pourquoi l’un des réalisateurs les plus (sur)côtés d’Hollywood s’est engagé dans cette galère.

Quand on a appris que les trois héros du Thalys 9364 tourneraient leurs propres rôles dans le dernier film de Clint Eastwood, on a froncé un sourcil interrogateur : le réalisateur de Impitoyable et de Million Dollar Baby se lancerait-il dans le documentaire ? Il n’en est rien. Le 15h17 pour Paris, quoiqu’inspiré de faits réels, est un film. Un film comme on en a déjà vu des palanquées. Un film qui, comme aujourd’hui il est de bon ton à Hollywood, est censé être d’autant plus émouvant qu’il est « inspiré de faits réels ». Mais un film qui déroule une histoire connu d’avance au suspense éventé avec des acteurs qui, reconnaissons-leur ce mérite, abattent honnêtement leur tâche, aussi novices soient-ils.

On aurait pu concevoir que Le 15h17 pour Paris raconte en temps réel les événements qui se sont déroulés vers 18 heures entre Bruxelles et Paris à bord de ce désormais célèbre Thalys. Il n’en est rien. Comme dans Sully, le précédent film de Eastwood, qui racontait l’acte héroïque du capitaine « Sully » qui fit atterrir son avion sur l’Hudson, Eastwood ne résiste pas à la tentation du flashback psychologisant, soit que l’événement lui-même ne suffise pas à faire la matière d’un film, soit que Eastwood veuille à tout pris comprendre et expliquer comment des citoyens ordinaires en viennent à accomplir des actes qui ne le sont pas.

Du coup nous voilà propulsés dix ans plus tôt dans un collège de Sacramento où nos trois Ricains sont copains comme cochons. Vous êtes venus voir un film sur un attentat terroriste commis dans un train ? On vous sert un film américain sur Riri, Fifi et Loulou convoqués chez le proviseur pour être arrivés en retard au bahut !

Ces gentilles gamineries prennent un bon tiers du film. Mais la suite n’est guère mieux. Riri, Fifi et Loulou ont grandi. Spencer essaie non sans mal d’intégrer l’armée. Alek, lui, part se battre en Afghanistan. Quant à Anthony… on en sait pas trop ; son rôle a dû être coupé au montage. Les trois amis, qu’on imagine volontiers inséparables, décident d’aller passer du bon temps en Europe. Ils atterrissent à Rome, visitent Venise, font un crochet par Berlin et Amsterdam, et après en avoir longuement délibéré (« les Parisiens sont malpolis … oui, bon, j’aimerais quand même faire un selfie devant la Tour Eiffel »), s’en vont visiter la France. Rien de leur odyssée touristique ne nous est épargné. On imagine volontiers que Clint avait envie de visiter Rome et a demandé à la production de lui organiser un tour : Colisée, Fontaine de Trévi, Piazza di Spagna, Vatican… on se croirait à une séance de Voyages et Connaissance du monde (avec un conférencier en detox qui dans un micro grésillant décrit ses diapositives de vacances).

Enfin arrive la scène du train. Un terroriste monte dans un train. Il s’enferme dans les toilettes pour charger ses armes. Il en sort et tire sur le premier venu. Spencer lui saute dessus, l’immobilise… et c’est fini.

Je viens de vous faire économiser dix euros.

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Star Wars – Les Derniers Jedi ★☆☆☆

Les forces du Mal commandées par l’infâme Snoke, secondé par Kylo Ren (Adam Driver), le propre fils de Han Solo, passé du côté obscur de la Force, sont sur le point d’anéantir l’armée de la Résistance de la princesse Leia (Carrie Fisher).
Pour la sauver du désastre, Rey (Daisy Ridley) est parti chercher Luke Skywalker (Mark Hamill), qui se cache sur une île sauvage battue par les vents et a renoncé à la Force après avoir échoué dans la formation de Kylo Ren.
Pendant ce temps Finn (John Boyega) se lance dans une course contre la montre pour aller dénicher sur la planète Canto Bight un craqueur de code  capable de pénétrer les défenses ennemies.

Vous n’avez rien compris ? Pas grave ! Comme à chaque épisode de Star Wars, le générique iconique – lettres jaunes en plan oblique qui va se perdre dans l’infini de la galaxie sur la musique hymnique de John Williams – vous remettra dans le bain dès les premières secondes. Et si vous n’y comprenez toujours rien, ressortez le DVD de Star Wars V : l’histoire est la même.

Et c’est bien là que le bât blesse.
Plus de trente ans après L’Empire contre-attaque, quelques milliards d’effets spéciaux et de spectateurs plus tard, Walt Disney Inc., qui a pris les manettes de la franchise, s’est paresseusement installé dans une routine. Deux semaines avant les fêtes sortira chaque année un nouveau Star Wars – soit qu’il s’inscrive dans la lignée historique à l’instar de ce huitième opus, soit qu’il en soit dérivé comme Rogue One l’an dernier ou Solo l’an prochain.

Que peut-on reprocher à SW8  ? D’être la suite de SW7 et la (longue) bande-annonce de SW9. Comme un vulgaire épisode de Game of Thrones. Il s’agit de progresser lentement sur un fil narratif plus étendu. Ce fil est organisé autour des deux personnalités de Rey et de Kylo Ren, dont on escompte que, comme dans SW3 Anakin et Obi Wan ou dans Sw6 Luke et Dark Vador, ils s’affronteront à la fin de SW9 dans un combat épique. Comme leurs illustres prédécesseurs, nos deux héros incarnent deux aspects symétriques de la Force et cachent (on le sait déjà pour Kylo Ren, on l’ignore encore pour Daisy) le lourd secret d’une filiation prestigieuse.
Un mot en passant sur cette généalogie princière. Il est étonnant que les héros des temps contemporains soient aussi aristocratiques. De Game of Thrones à Star Wars, nul n’est héros s’il n’est bien né. Comme si la naissance demeurait, en notre ère pourtant profondément méritocratique et égalitaire, un facteur déterminant de distinction.

En attendant le combat qui conclura SW9, il faut donc passer le temps et dépenser les 200 millions de dollars du budget. L’armée de scénaristes ne s’est pas foulée et a repris les recettes qui font désormais le succès des meilleurs séries : prendre trois fils narratifs et les entrelacer. Avec une régularité métronomique, on passera donc de l’un à l’autre. On verra tour à tour Leia perdre ses vaisseaux, Luke former Rey et Finn faire du tourisme sur une planète casino.

Ne soyons pas bégueule et reconnaissons quelques jolis passages. Passages qui valent plus par leur esthétisme pourpre que par leur richesse narrative : la salle du trône de Snoke et les combats chorégraphiés qu’y livre Rey, le désert de sel rouge où se déroule l’assaut final.
Mais mis à part ces deux séquences, j’avoue le rouge (décidément) au front que je me suis pesamment ennuyé. J’ai eu l’ennui honteux. Car Star Wars 8 – qui fera un carton au box office – séduit les enfants. À chaque âge ses plaisirs…

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Le Crime de l’Orient-Express ★☆☆☆

Hercule Poirot, le célèbre détective belge, a pris place à bord de l’Orient-express à Istanbul. Un crime est commis à bord tandis que le train est bloqué par la neige. Poirot enquête.

On connaît tous Le crime…, soit qu’on ait lu le livre soit qu’on ait vu la fameuse adaptation qu’en a faite en 1974 Sydney Lumet avec Albert Finney, Lauren Bacall, Sean Connery, Ingrid Bergman, etc.

De deux choses l’une. Soit on se souvient du dénouement. Soit on l’aura oublié – auquel cas on se le remémorera très vite, le film égrenant des indices qui auront tôt fait de nous rafraichir la mémoire.

Dans tous les cas, on ne pourra qu’être déçus

Pas par le luxe des décors et des costumes. Kenneth Branagh n’a pas mégoté sur les moyens pour reconstituer le Moyen-Orient des années 30 et l’élégance cossue de l’Orient-express. Il invente à Jérusalem un prologue inédit et distrayant.

Pas par le brio du casting. Comme Sydney Lumet avant lui, Kenneth Branagh a rassemblé un bel échantillon de stars. Des gloires confirmées : Judith Dench en vieille douairière, Penelope Cruz en passagère confite en dévotion, Michelle Pfeiffer en chasseuse de maris, Johnny Depp en mafieux sardonique… Des stars en herbe : Daisy Ridley, l’héroïne de la dernière trilogie des Star Wars ou l’humoriste Josh Gad. Même si le projet peut sembler suspect, le réalisateur s’est attribué le premier rôle qu’il interprète avec un accent français hilarant et une immodestie pachydermique. Il cabotine à souhait. Mais le rôle s’y prête.

Le problème, disons-le tout net, c’est Agatha Christie elle-même. Elle a mal vieilli (oui, je sais, elle est même morte). Oublions un instant l’enthousiasme avec lequel nous avons lu, tout enfant, ses romans. Et considérons les intrigues policières, renversantes de complexité, qu’on nous sert depuis une trentaine d’années. La comparaison hélas ne tourne pas à l’avantage de la « Reine du crime ». Aujourd’hui, ses intrigues semblent à la fois trop linéaires et trop artificielles. Le Crime… en concentre tous les défauts. La résolution de l’intrigue par le brillant Hercule, loin d’impressionner, fait rire tant elle est tirée par les moustaches.

Kenneth Branagh n’avait pas besoin d’aller gâcher son talent dans la reconstitution, aussi soigneuse soit-elle, d’un roman qui appartient définitivement au siècle passé.

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Éditeur ☆☆☆☆

Paul Otchakovsky-Laurens a fondé en 1983 la maison d’éditions qui porte son nom. Il revient sur son parcours et sur son métier.

La façon dont je viens d’introduire Éditeur a causé le malentendu sur la foi duquel je suis allé voir ce documentaire. J’imaginais qu’il serait fortement autobiographique, qu’il raconterait comment Otchakovsky-Laurens avait créé sa maison d’édition et y avait attiré quelques uns des plus stimulants auteurs français contemporains (Marie Darrieussecq, Mathieu Lindon, Emmanuel Carrère, Nicolas Fargues…). J’imaginais alternativement, comme son titre l’annonçait, qu’il raconterait le rôle particulier de l’éditeur entre l’écrivain et son public, les difficultés du métier, son économie difficile dans un monde où le livre est concurrencé sinon menacé.

Rien de tout cela. Éditeur n’est pas un documentaire autobiographique : on n’y apprend pas grand chose sur la vie de Paul Otchakovsky-Laurens sinon qu’il travailla chez Flammarion puis chez Hachette avant de voler de ses propres ailes. Éditeur n’est pas non plus un documentaire sociologique ou économique qui explorerait les défis de la profession. À peine a-t-on droit à une mention trop courte du procès qui l’opposa à Jean-Marie Le Pen à l’occasion de la sortie du livre de Mathieu Lindon en 1998.

Éditeur est un documentaire poétique qui m’a laissé sur le bord du chemin. Deux acteurs y jouent … quoi au fait ?… difficile à dire. Le premier déambule dans Paris avec son manuscrit sous le bras et se heurte à des portes closes. Il finit par le déposer aux éditions POL et en ressort en récitant des extraits de notes de lecture plutôt critiques. La seconde fait le même chemin en récitant des extraits des lettres de motivation qui accompagnent ces manuscrits que POL reçoit par centaines chaque mois. Pendant ce temps, en voix off, le réalisateur-éditeur murmure quelques commentaires sentencieux et nombrilistes. Et le mannequin d’un adolescent aux cheveux roux est censé jouer la part irréfragable d’enfance que l’éditeur septuagénaire a toujours su garder.

Au passage, Otchakovsky-Laurens nous confesse avoir été un piètre écrivain avant d’embrasser la carrière d’éditeur. Force est de constater que c’est aussi un piètre cinéaste.

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