Wonder Wheel ★☆☆☆

À Coney Island, la plage de New York, en juillet 1950 [je ne suis pas peu fier d’avoir retrouvé la date exacte], Ginny (Kate Winslet) vit dans l’amertume de la gloire qu’elle n’a pas conquise sur les planches. Hier actrice prometteuse, aujourd’hui serveuse exténuée, elle est mariée sans amour à Humpty (James Belushi) et s’est prise de passion pour Mickey (Justin Timberlake), un maître nageur plus jeune qu’elle avec qui elle a une liaison.
C’est alors que déboule Carolina (Juno Temple) la fille de Humpty, recherchée par la mafia, qui va s’amouracher de Mickey au grand dam de Ginny.

Deux critiques pourraient être à tort adressées à Woody Allen.
La première concerne sa vie privée qui fait à nouveau scandale, vingt ans après sa séparation fracassante avec Mia Farrow et son mariage avec la fille adoptive de celle-ci. Les faits au cœur de la polémique actuelle ne sont pas nouveaux. Ils remontent à cette époque. Ils concernent Dylan, la fille adoptive de Woody Allen et de Mia Farrow dont celle-ci reproche à celui-là d’avoir abusé alors qu’elle était mineure. Ces accusations prennent un jour nouveau avec l’affaire Weinstein, révélée au grand public par le propre fils de Mia Farrow, le journaliste Ronan Farrow.

La seconde serait de reprocher au réalisateur octogénaire de tourner en rond, en filmant encore et toujours le même film. Ce serait inférer du générique en police Winston, avec ses acteurs classés par ordre alphabétique et sa petite musique jazzy, une identité qui n’existe pas. Au contraire de Hong San-Soo, de Pedro Almodovar ou de Xavier Dolan, autant de réalisateurs qui font preuve d’une décoiffante productivité, Woody Allen ne se réfugie pas dans la facilité. Loin de s’attacher la fidélité d’un petit cercle d’acteurs abonnés à chacune de ses œuvres, il renouvelle de fond en comble son casting n’hésitant pas à solliciter de futures stars en devenir. Il ne révèle pas des talents inconnus mais il a le don pour choisir dans la jeune génération les plus séduisants. Il a ainsi dirigé Leonardo DiCaprio (Celebrity), Julia Roberts (Tout le monde dit I Love You), Will Ferrell et Chiwetel Ejiofor (Melinda et Melinda), Scarlett Johansson (Match Point, Scoop et Vicky Cristina Barcelona), Ewan McGregor et Colin Farrell (Le Rêve de Cassandre), Penelope Cruz et Javier Bardem (Vicky Cristina Barcelona), Naomi Watts et Antonio Banderas (Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu), Owen Wilson et Marion Cotillard (Midnight in Paris), Cate Blanchett (Blue Jasmine), Emma Stone (Magic in the Moonlight et L’Homme irrationnel), Jesse Eisenberg, Kristen Stewart et Blake Lively (Café Society)… Quel réalisateur peut se targuer d’un tel tableau de chasse ?!

Il faut considérer Wonder Wheel indépendamment de ces considérations et prendre le film comme il est.
Et la vérité oblige à dire qu’il n’est pas bon.

Woody Allen abandonne le terrain de la comédie pour celui de la tragédie. Il ne fait plus rire.
Il rompt avec le rythme prestissimo de ces films ramassés et débordants de vitalité pour d’interminables scènes de théâtre filmé, passées de mode depuis le prix Nobel d’Eugen O’Neil. Il fait bâiller d’ennui.
Il laisse son chef opérateur Vittorio Sotaro – qui a travaillé avec Bertolucci et Coppola – éclairer d’une lumière stromboscopique les interminables monologues de Kate Winslet. Il fait mal aux yeux.

Allez donc voir Wonder Wheel en essayant d’oublier son auteur… ou plutôt n’y allez pas et attendez son prochain en espérant qu’il soit meilleur !

La bande-annonce

Le 15h17 pour Paris ☆☆☆☆

Le 21 août 2015, un terroriste surarmé a voulu assassiner les passagers du Thalys 9364 entre Bruxelles et Paris. Un carnage a été évité grâce à l’intervention héroïque de trois Américains en vacances en Europe.
Le 15h17 pour Paris retrace leurs vies.

Il y a deux façons de considérer ce film. La première est d’oublier qu’il a été réalisé par Clint Eastwood et de l’exécuter en deux phrases en se bornant à constater qu’il s’agit d’un navet sans intérêt. La seconde est de ce se demander pourquoi l’un des réalisateurs les plus (sur)côtés d’Hollywood s’est engagé dans cette galère.

Quand on a appris que les trois héros du Thalys 9364 tourneraient leurs propres rôles dans le dernier film de Clint Eastwood, on a froncé un sourcil interrogateur : le réalisateur de Impitoyable et de Million Dollar Baby se lancerait-il dans le documentaire ? Il n’en est rien. Le 15h17 pour Paris, quoiqu’inspiré de faits réels, est un film. Un film comme on en a déjà vu des palanquées. Un film qui, comme aujourd’hui il est de bon ton à Hollywood, est censé être d’autant plus émouvant qu’il est « inspiré de faits réels ». Mais un film qui déroule une histoire connu d’avance au suspense éventé avec des acteurs qui, reconnaissons-leur ce mérite, abattent honnêtement leur tâche, aussi novices soient-ils.

On aurait pu concevoir que Le 15h17 pour Paris raconte en temps réel les événements qui se sont déroulés vers 18 heures entre Bruxelles et Paris à bord de ce désormais célèbre Thalys. Il n’en est rien. Comme dans Sully, le précédent film de Eastwood, qui racontait l’acte héroïque du capitaine « Sully » qui fit atterrir son avion sur l’Hudson, Eastwood ne résiste pas à la tentation du flashback psychologisant, soit que l’événement lui-même ne suffise pas à faire la matière d’un film, soit que Eastwood veuille à tout pris comprendre et expliquer comment des citoyens ordinaires en viennent à accomplir des actes qui ne le sont pas.

Du coup nous voilà propulsés dix ans plus tôt dans un collège de Sacramento où nos trois Ricains sont copains comme cochons. Vous êtes venus voir un film sur un attentat terroriste commis dans un train ? On vous sert un film américain sur Riri, Fifi et Loulou convoqués chez le proviseur pour être arrivés en retard au bahut !

Ces gentilles gamineries prennent un bon tiers du film. Mais la suite n’est guère mieux. Riri, Fifi et Loulou ont grandi. Spencer essaie non sans mal d’intégrer l’armée. Alek, lui, part se battre en Afghanistan. Quant à Anthony… on en sait pas trop ; son rôle a dû être coupé au montage. Les trois amis, qu’on imagine volontiers inséparables, décident d’aller passer du bon temps en Europe. Ils atterrissent à Rome, visitent Venise, font un crochet par Berlin et Amsterdam, et après en avoir longuement délibéré (« les Parisiens sont malpolis … oui, bon, j’aimerais quand même faire un selfie devant la Tour Eiffel »), s’en vont visiter la France. Rien de leur odyssée touristique ne nous est épargné. On imagine volontiers que Clint avait envie de visiter Rome et a demandé à la production de lui organiser un tour : Colisée, Fontaine de Trévi, Piazza di Spagna, Vatican… on se croirait à une séance de Voyages et Connaissance du monde (avec un conférencier en detox qui dans un micro grésillant décrit ses diapositives de vacances).

Enfin arrive la scène du train. Un terroriste monte dans un train. Il s’enferme dans les toilettes pour charger ses armes. Il en sort et tire sur le premier venu. Spencer lui saute dessus, l’immobilise… et c’est fini.

Je viens de vous faire économiser dix euros.

La bande-annonce

Star Wars – Les Derniers Jedi ★☆☆☆

Les forces du Mal commandées par l’infâme Snoke, secondé par Kylo Ren (Adam Driver), le propre fils de Han Solo, passé du côté obscur de la Force, sont sur le point d’anéantir l’armée de la Résistance de la princesse Leia (Carrie Fisher).
Pour la sauver du désastre, Rey (Daisy Ridley) est parti chercher Luke Skywalker (Mark Hamill), qui se cache sur une île sauvage battue par les vents et a renoncé à la Force après avoir échoué dans la formation de Kylo Ren.
Pendant ce temps Finn (John Boyega) se lance dans une course contre la montre pour aller dénicher sur la planète Canto Bight un craqueur de code  capable de pénétrer les défenses ennemies.

Vous n’avez rien compris ? Pas grave ! Comme à chaque épisode de Star Wars, le générique iconique – lettres jaunes en plan oblique qui va se perdre dans l’infini de la galaxie sur la musique hymnique de John Williams – vous remettra dans le bain dès les premières secondes. Et si vous n’y comprenez toujours rien, ressortez le DVD de Star Wars V : l’histoire est la même.

Et c’est bien là que le bât blesse.
Plus de trente ans après L’Empire contre-attaque, quelques milliards d’effets spéciaux et de spectateurs plus tard, Walt Disney Inc., qui a pris les manettes de la franchise, s’est paresseusement installé dans une routine. Deux semaines avant les fêtes sortira chaque année un nouveau Star Wars – soit qu’il s’inscrive dans la lignée historique à l’instar de ce huitième opus, soit qu’il en soit dérivé comme Rogue One l’an dernier ou Solo l’an prochain.

Que peut-on reprocher à SW8  ? D’être la suite de SW7 et la (longue) bande-annonce de SW9. Comme un vulgaire épisode de Game of Thrones. Il s’agit de progresser lentement sur un fil narratif plus étendu. Ce fil est organisé autour des deux personnalités de Rey et de Kylo Ren, dont on escompte que, comme dans SW3 Anakin et Obi Wan ou dans Sw6 Luke et Dark Vador, ils s’affronteront à la fin de SW9 dans un combat épique. Comme leurs illustres prédécesseurs, nos deux héros incarnent deux aspects symétriques de la Force et cachent (on le sait déjà pour Kylo Ren, on l’ignore encore pour Daisy) le lourd secret d’une filiation prestigieuse.
Un mot en passant sur cette généalogie princière. Il est étonnant que les héros des temps contemporains soient aussi aristocratiques. De Game of Thrones à Star Wars, nul n’est héros s’il n’est bien né. Comme si la naissance demeurait, en notre ère pourtant profondément méritocratique et égalitaire, un facteur déterminant de distinction.

En attendant le combat qui conclura SW9, il faut donc passer le temps et dépenser les 200 millions de dollars du budget. L’armée de scénaristes ne s’est pas foulée et a repris les recettes qui font désormais le succès des meilleurs séries : prendre trois fils narratifs et les entrelacer. Avec une régularité métronomique, on passera donc de l’un à l’autre. On verra tour à tour Leia perdre ses vaisseaux, Luke former Rey et Finn faire du tourisme sur une planète casino.

Ne soyons pas bégueule et reconnaissons quelques jolis passages. Passages qui valent plus par leur esthétisme pourpre que par leur richesse narrative : la salle du trône de Snoke et les combats chorégraphiés qu’y livre Rey, le désert de sel rouge où se déroule l’assaut final.
Mais mis à part ces deux séquences, j’avoue le rouge (décidément) au front que je me suis pesamment ennuyé. J’ai eu l’ennui honteux. Car Star Wars 8 – qui fera un carton au box office – séduit les enfants. À chaque âge ses plaisirs…

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Le Crime de l’Orient-Express ★☆☆☆

Hercule Poirot, le célèbre détective belge, a pris place à bord de l’Orient-express à Istanbul. Un crime est commis à bord tandis que le train est bloqué par la neige. Poirot enquête.

On connaît tous Le crime…, soit qu’on ait lu le livre soit qu’on ait vu la fameuse adaptation qu’en a faite en 1974 Sydney Lumet avec Albert Finney, Lauren Bacall, Sean Connery, Ingrid Bergman, etc.

De deux choses l’une. Soit on se souvient du dénouement. Soit on l’aura oublié – auquel cas on se le remémorera très vite, le film égrenant des indices qui auront tôt fait de nous rafraichir la mémoire.

Dans tous les cas, on ne pourra qu’être déçus

Pas par le luxe des décors et des costumes. Kenneth Branagh n’a pas mégoté sur les moyens pour reconstituer le Moyen-Orient des années 30 et l’élégance cossue de l’Orient-express. Il invente à Jérusalem un prologue inédit et distrayant.

Pas par le brio du casting. Comme Sydney Lumet avant lui, Kenneth Branagh a rassemblé un bel échantillon de stars. Des gloires confirmées : Judith Dench en vieille douairière, Penelope Cruz en passagère confite en dévotion, Michelle Pfeiffer en chasseuse de maris, Johnny Depp en mafieux sardonique… Des stars en herbe : Daisy Ridley, l’héroïne de la dernière trilogie des Star Wars ou l’humoriste Josh Gad. Même si le projet peut sembler suspect, le réalisateur s’est attribué le premier rôle qu’il interprète avec un accent français hilarant et une immodestie pachydermique. Il cabotine à souhait. Mais le rôle s’y prête.

Le problème, disons-le tout net, c’est Agatha Christie elle-même. Elle a mal vieilli (oui, je sais, elle est même morte). Oublions un instant l’enthousiasme avec lequel nous avons lu, tout enfant, ses romans. Et considérons les intrigues policières, renversantes de complexité, qu’on nous sert depuis une trentaine d’années. La comparaison hélas ne tourne pas à l’avantage de la « Reine du crime ». Aujourd’hui, ses intrigues semblent à la fois trop linéaires et trop artificielles. Le Crime… en concentre tous les défauts. La résolution de l’intrigue par le brillant Hercule, loin d’impressionner, fait rire tant elle est tirée par les moustaches.

Kenneth Branagh n’avait pas besoin d’aller gâcher son talent dans la reconstitution, aussi soigneuse soit-elle, d’un roman qui appartient définitivement au siècle passé.

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Éditeur ☆☆☆☆

Paul Otchakovsky-Laurens a fondé en 1983 la maison d’éditions qui porte son nom. Il revient sur son parcours et sur son métier.

La façon dont je viens d’introduire Éditeur a causé le malentendu sur la foi duquel je suis allé voir ce documentaire. J’imaginais qu’il serait fortement autobiographique, qu’il raconterait comment Otchakovsky-Laurens avait créé sa maison d’édition et y avait attiré quelques uns des plus stimulants auteurs français contemporains (Marie Darrieussecq, Mathieu Lindon, Emmanuel Carrère, Nicolas Fargues…). J’imaginais alternativement, comme son titre l’annonçait, qu’il raconterait le rôle particulier de l’éditeur entre l’écrivain et son public, les difficultés du métier, son économie difficile dans un monde où le livre est concurrencé sinon menacé.

Rien de tout cela. Éditeur n’est pas un documentaire autobiographique : on n’y apprend pas grand chose sur la vie de Paul Otchakovsky-Laurens sinon qu’il travailla chez Flammarion puis chez Hachette avant de voler de ses propres ailes. Éditeur n’est pas non plus un documentaire sociologique ou économique qui explorerait les défis de la profession. À peine a-t-on droit à une mention trop courte du procès qui l’opposa à Jean-Marie Le Pen à l’occasion de la sortie du livre de Mathieu Lindon en 1998.

Éditeur est un documentaire poétique qui m’a laissé sur le bord du chemin. Deux acteurs y jouent … quoi au fait ?… difficile à dire. Le premier déambule dans Paris avec son manuscrit sous le bras et se heurte à des portes closes. Il finit par le déposer aux éditions POL et en ressort en récitant des extraits de notes de lecture plutôt critiques. La seconde fait le même chemin en récitant des extraits des lettres de motivation qui accompagnent ces manuscrits que POL reçoit par centaines chaque mois. Pendant ce temps, en voix off, le réalisateur-éditeur murmure quelques commentaires sentencieux et nombrilistes. Et le mannequin d’un adolescent aux cheveux roux est censé jouer la part irréfragable d’enfance que l’éditeur septuagénaire a toujours su garder.

Au passage, Otchakovsky-Laurens nous confesse avoir été un piètre écrivain avant d’embrasser la carrière d’éditeur. Force est de constater que c’est aussi un piètre cinéaste.

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D’après une histoire vraie ☆☆☆☆

Delphine vient d’écrire un roman autobiographique dont le succès l’écrase. En panne d’inspiration, elle est tétanisée devant la page blanche alors que ses fans s’impatientent. C’est alors qu’elle rencontre Élisabeth qui s’immisce peu à peu dans sa vie au point d’en prendre la direction.

J’avais adoré le livre de Delphine de Vigan. J’attendais beaucoup du film de Roman Polanski. J’ai été cruellement déçu. Déception d’autant plus forte que mes attentes étaient fortes.

Pourtant l’auteur de Rosemarys’ baby et de Possession ne semblait a priori pas le moins bien placé pour adapter cette histoire. Hélas il se plante dans les grandes largeurs.

D’abord dans le choix de ses actrices. Qu’il s’entête à faire jouer Emmanuelle Seigner, sa compagne, sa muse, est une chose. Mais qu’il lui confie le rôle principal de Delphine est un contre-sens majeur. Elle aurait dû jouer Élisabeth et Eva Green Delphine. Et non l’inverse. Emmanuelle Seigner, qui distille un charme vénéneux, aurait été parfaite dans le rôle de la perverse Élisabeth. Elle fait en revanche une calamiteuse Delphine, censée être une innocente victime. Symétriquement, Eva Green prend le parti d’un jeu outré à la diction ampoulée pour jouer cette mystérieuse manipulatrice. Une catastrophe.

Ensuite dans l’adaptation du livre de Delphine de Vigan. Il reposait, jusqu’à son magistral point final, sur une ambiguïté : Élisabeth était-elle bien réelle ou le produit du cerveau malade de Delphine ? La pellicule cinématographique ne peut nourrir une telle ambiguïté – même si Sixième sens a montré qu’on peut construire un film sur une illusion. De la première à la dernière scène, Élisabeth est bien visible et Polanski n’essaie même pas de nous laisser douter qu’elle n’existe que dans le cerveau de Delphine.

Enfin et surtout le roman de Delphine de Vigan était une réflexion d’une étonnante maîtrise sur le métier d’écrivain doublée d’une confession d’une troublante sincérité. L’auteure avait en effet connu un immense succès pour son précédent roman Rien ne s’oppose à la nuit en 2011. Dans son « roman » suivant, publié quatre ans plus tard, elle confesse, à la première personne, ses difficultés à s’en relever. D’abord, le choc frontal du succès. Ensuite l’angoisse de la page blanche. Toute cette dimension autobiographique est perdue dans le film qui se focalise sur le couple Delphine-Élisabeth et réduit leur face-à-face aux clichés du film d’horreur dans une maison isolée à la campagne.

Bref de deux choses l’une. Si vous avez lu le livre de Delphine de Vigan ne faites pas la même erreur que moi et n’allez pas voir son adaptation qui vous décevra fatalement. Si vous ne l’avez pas lu, courrez l’acheter.

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La Planète des singes – Suprématie ★☆☆☆

Caesar, le chef des singes, décide de lancer une vendetta personnelle contre le colonel McCullough qui a tué sa femme et sa fille.

Mon résumé est bien court ? C’est que le scénario de ce troisième volet du reboot de l’indépassable chef d’œuvre de 1968 avec Charlton Heston est indigent.

Mais revenons un instant en arrière.
En 1963 le Français Pierre Boulle écrit un bref roman de 270 pages qui devient immédiatement un best-seller. Les droits sont achetés par Hollywood qui le porte à l’écran en 1968. Le film est un succès mondial. Sa scène finale – qui ne figurait pas dans le livre – est restée dans toutes les mémoires. Des suites, de plus en plus médiocres, sont tournées en 1970, 1971, 1972 et 1973. En 2001, Tim Burton en refait l’adaptation. Il est de bon ton d’en dire du mal. La Planète des singes serait un accident de parcours dans la filmographie éblouissante du grand réalisateur. Pourtant, il n’est pas si mauvais. Sa scène finale, sans égaler celle de 1968, n’est pas sotte.
En 2011, Hollywood décide de redémarrer (« rebooter ») la franchise. Trois films sont prévus qui raconteront comment les Singes sont devenus les maîtres de la Terre. Leur titre a manifestement plongé dans la confusion la plus absolue leurs traducteurs français. Rise of the Planet of the Apes a été traduit La Planète des Singes : Les Origines. Dawn of the Planet of the Apes devient L’Affrontement. Et le troisième opus, War of the Planet of the Apes est traduit Suprématie. J’avoue un certain désarroi. Voire un léger agacement.

Mais le plus grave n’est pas là. La Planète des singes repose sur un mécanisme simple et formidablement efficace : le renversement des hiérarchies biologiques ou raciales. L’homme détrôné de sa place centrale est remplacé par un animal de cirque. Or ce ressort a été totalement abandonné dans le dernier épisode. Caesar est devenu humain, trop humain. C’est un personnage en quête de vengeance. Une vengeance qu’il veut exercer contre un humain qui, lui, est réduit au rang d’une brute animale ivre de violence.

La Planète des Singes : Suprématie a coûté 150 millions de dollars. Pour ce prix là, on en a sans doute pour son argent en guise d’effets spéciaux de chimpanzés filmés en motion capture, de combats et de batailles. Mais ce déploiement extravagant de moyens n’a aucun sens s’il est au service d’un scénario étique qui a perdu de vue les fondamentaux de la série.

La bande-annonce

La Quête d’Alain Ducasse ☆☆☆☆

Alain Ducasse est à la tête d’un empire. Il dirige vingt-trois restaurants dans le monde : à Paris, à Monte-Carlo, à Tokyo, à Londres, à Hong Kong… Il accumule dix-huit étoiles Michelin au total. Un record. Gilles de Maistre l’a suivi pendant deux ans autour du monde : des États-Unis au Japon, de la Mongolie aux Philippines. Le fil rouge de son documentaire : l’ouverture au cœur même du château de Versailles du dernier restaurant d’Alain Ducasse

La Quête d’Alain Ducasse est un titre subtilement polysémique. Il s’agit d’une part de partir à la recherche d’Alain Ducasse. Il s’agit d’autre part de comprendre ce que lui recherche. La réponse à la seconde question est simple : il recherche l’excellence. Excellence des produits qu’on le voit soigneusement sélectionner. Excellence des hommes – les femmes sont peu nombreuses dans son entourage – dont il dit qu’il les encourage à s’autonomiser alors qu’on le voit surtout veiller au grain à chaque détail et distiller autour de lui une crainte révérencieuse. Excellence des procédés : le glocal, alpha et oméga du management gastronomique.

Le problème est que l’homme Alain Ducasse nous reste opaque. On ne nous dit rien de son parcours sinon qu’il a conquis ses premières étoiles au Louis XV de Monte-Carlo et qu’il a échappé de justesse à la mort dans un accident d’avion dont il fut le seul rescapé en 1984. On ne nous dit rien de sa famille – il a épousé en 2007 une architecte de dix-sept ans plus jeune que lui  et il en a eu quatre enfants – de ses amis, de ses relations ou de la nationalité monégasque qu’il a acquise pour des motifs qu’on soupçonne volontiers. On n’apprendra guère plus sur l’organisation administrative et financière des établissements Ducasse : comment réussit-il à maintenir le même niveau d’excellence dans autant d’établissements ? Comment peut-il être partout sans courir le risque de n’être nul part ?

Le problème de ce documentaire est qu’il est tout entier à la gloire d’Alain Ducasse. Eût-il été financé par son service de communication qu’il n’aurait pas été moins louangeur. Les premières minutes, aux fausses allures de clip, rythmées par une musique entraînante, commentées par une voix off racoleuse, donnent le ton. Un ton qui hélas, reste toujours le même, confit en admiration, durant tout ce publireportage.

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Un beau soleil intérieur ☆☆☆☆

Isabelle (Juliette Binoche), la cinquantaine, peint et se cherche. Elle a un amant régulier (Xavier Beauvois) qui ne la satisfait pas, des vues sur un bel acteur de théâtre (Nicolas Duvauchelle) qui tarde à se déclarer, un ex-mari (Laurent Grévill) qui revient de temps en temps dans son lit et dont elle suspecte qu’il ait eu une liaison avec la galeriste qui l’expose (Josiane Balasko), une liaison avec un bel inconnu rencontré sur une piste de danse (Paul Blain). Comme le lui dira un radiesthésiste (Gérard Depardieu), fin psychologue, mais médiocre médium, Isabelle cache « un beau soleil intérieur ».

Les cinquantenaires ont la côte. Le cinéma français aime décrire leurs tourments. Après Isabelle Huppert (L’Avenir), Agnès Jaoui (Aurore), Ariane Ascaride (Le Fil d’Ariane) et Valérie Lemercier (Marie-Francine), c’est au tour de Juliette Binoche, née en 1964, d’endosser le perfecto et de chausser les cuissardes de la célibattante trop jeune pour baisser le pavillon, mais trop vieille pour virevolter d’un amant à l’autre.

Cinéaste chevronnée, la réalisatrice de Beau travail, Vendredi Soir et White Material rate son passage à la comédie.

La faute à un scénario sans queue ni tête, vaguement inspiré des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Juliette Binoche passe, à son corps/cœur défendant, d’un amant à l’autre sans solution de continuité. Le film est une succession de rencontres. Il aurait pu y en avoir trois de plus. Ou deux de moins. Très vite l’ennui s’installe.

La faute à un chef opérateur qui alterne, avec une rare maladresse les plans américains et les (très) gros plans lorsque la réalisatrice veut souligner l’intimité des âmes, au risque de zoomer sur les comédons des acteurs.

La faute enfin et surtout à des personnages inconsistants, indécis et veules. On me dira qu’ainsi est la vie. Je répondrai que le cinéma pourrait nourrir de plus hautes ambitions que de filmer platement la vie. On retrouve la marque de Christine Angot – qui a co-écrit le scénario avec Claire Denis – dont je n’ai jamais aimé les romans violents et égocentriques à l’exception notable du tout dernier. Les contradictions de Juliette, loin de la rendre touchante, sont vite horripilantes. Un exemple : à l’occasion d’un festival artistique dans le Limousin, elle se révolte soudainement contre les lieux communs que ses amis artistes échangent, finit la nuit avec un local rencontré en boîte… mais rompt avec lui après que l’un de ses amis lui reproche de ne pas être du même milieu qu’elle.

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Blade Runner 2049 ★☆☆☆

Comme Deckhart (Harrisson Ford) trente ans plus tôt, K (Ryan Gosling) est un « blade runner ». Sa tâche : retrouver les « replicants », des robots humanoïdes , et éliminer ceux qui sont entrés en rébellion contre les humains. À l’occasion d’une de ses missions, K fait une découverte bouleversante qui remet en cause la ligne de démarcation entre l’humain et la machine.

Depuis que la rumeur avait grossi qu’une suite à Blade Runner était en préparation, j’attendais avec impatience cette échéance. Je me suis rué dans les salles le jour même de sa sortie – en compagnie de quelques milliers d’aficionados aussi masculins, solitaires et quadragénaires que moi, me réjouissant par avance de ce que j’escomptais être le second meilleur film de l’année 2017 après La La Land bien entendu.

Je suis tombé de haut. De l’armoire. Que dis-je ? du gratte-ciel !

Certes, il y avait de quoi être intimidé par l’un des plus films les plus iconique de l’histoire du cinéma. Au point de se demander quel sens il y avait à lui donner une suite. Je ne sache pas qu’on ait jamais tourné 2002 Odyssée de l’espace ou Rencontres du quatrième type. Alors à quoi bon réaliser Blade Runner 2 – sinon pour décevoir les irréductibles fans de mon espèce ? Car de deux choses l’une : soit la suite est infidèle à l’original et nous crierons à la trahison, soit elle la recopie et on l’accusera de bégayer.

C’est dans ce second travers que tombe Blade Runner 2049. À force de se frotter à son modèle indépassable, Blade Runner 2049 s’écroule sur lui-même. Comme un trou noir qui implose.
Prenons par exemple les décors. On se souvient tous de la Los Angeles polluée, pluvieuse, polyglotte qui servait de cadre au film de 1982. Denis Villeneuve le recopie à l’identique. Pire : il l’enlaidit – là où on aurait pu escompter que les progrès des techniques en trente ans auraient permis  des effets autrement saisissants.

Les personnages ? Ryan Gosling fait du Harrison Ford Canada Dry. Je ne dirai jamais de mal du héros de La La Land. Mais s’il continue à afficher un masque mutique totalement dénué d’expression (parce qu’il joue le rôle d’un robot ?), je risque de réviser mon jugement. Et ce n’est pas l’apparition du grand Harrison – qui, dans un Marcel informe affiche désormais un bidon de septuagénaire – qui donnera à Blade Runner 2049 un peu de piment. Heureusement qu’il y a les femmes : Robin Wright (qui ressemble énormément à Claire Underwood), Ana de Armas, belle comme un cœur, et Sylvia Hoeks qui suscitera les mêmes fantasmes fétichistes que ceux qu’avaient déjà provoqués les héroïnes androïdes et latexées de Terminator 3 ou Catwoman.

Quant à l’intrigue, qu’en dire sinon qu’elle se traîne interminablement durant près de trois heures (oui TROIS heures !!!!!). Heureusement, le générique dure dix bonnes minutes, réduisant d’autant cet exténuant pensum. L’absence de rythme est effarante, à une époque où la production cinématographique et télévisuelle a atteint une telle sophistication, une telle énergie. Comme si Denis Villeneuve s’était fait un devoir de ralentir le tempo pour plonger les spectateurs dans une apathie maussade dont ils sont périodiquement réveillés par une musique aussi assourdissante qu’irritante. Et la philosophie qui l’inspire – « les robots, eux aussi, ont un cœur » – nous surprend autant qu’une laitue défraichie en solde chez Carrefour Market.

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