Les Habitants ★☆☆☆

Raymond Depardon est le photographe qu’on connaît quand on n’en connaît pas d’autres. Le fondateur de la mythique agence Gamma en 1966. Le documentariste qui a filmé VGE en campagne (1974, une partie de campagne, 1974), le Tibesti (La Captive du désert, 1990), les comparutions immédiates à la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris (10e Chambre, instants d’audience, 2004) L’auteur de la photographie officielle du président de la République.

Chacune de ses expositions, chacune de ses publications, chacun de ses documentaires sont désormais un événement pour ses admirateurs éclairés et élitistes. « Les Habitants » ne déroge pas à la règle. Il y continue son tour de France en caravane entamé en 2012. Cette fois-ci, il y a installé un studio et a invité des passants à y continuer, deux par deux, le dialogue entamé dans la rue.

Le procédé n’est pas naturel. Même si le réalisateur n’a retenu qu’un dixième des rushes qu’il a tournés,  on peine à croire que les passants ne prennent pas un tant soit peu la pose – parce qu’on la prendrait sans doute soi-même dans la même situation.

Plus grave : le choix opéré par Depardon au montage. Le cinéaste-photographe nous montre des gens ordinaires. Soit. Mais ce qui frappe c’est leur médiocrité, leur étroitesse d’esprit voire leur veulerie. Les femmes sont des victimes résignées, les hommes des égoïstes immatures. Leur unique sujet de discussion, comme s’il n’y en avait pas mille autres en 2015 (les attentats terroristes, la politique, leur travail…) : leur couple. Des couples misérables, cabossés par l’alcool, la violence, les grossesses non désirées, sans amour, sans respect. Que de telles situations existent, on veut bien le croire. Mais qu’elles soient représentatives de la France dépasse la mesure.

Vous me rétorquerez que Depardon ne fait pas oeuvre de sociologue, que ces « habitants » ne sont pas représentatifs. Soit. Mais se pose dès lors la question de la raison d’être de ce documentaire. En enchaînant paresseusement des face à face déprimants de vulgarité, quel objectif Depardon poursuit-il ? Nous dessiller les yeux, nous autres spectateurs CSP++, sur une réalité qui nous est étrangère ? Ou donner à voir une France rance au risque de donner raison aux Zemmour et consorts ?

La bande-annonce

Kaili Blues ☆☆☆☆

Kaili Blues a provoqué une polémique dans le petit monde du cinéma. Affligé par le faible nombre de salles qui l’ont programmé, son distributeur a lancé un cri d’alarme. Que le nombre impressionnant de sorties (vingt-et-une cette semaine) condamne à l’invisibilité la plupart des « petits films » relève de l’évidence. Pour autant, Kaili Blues n’est peut-être pas le meilleur ambassadeur d’un cinéma d’art et essai injustement bâillonné.

D’après le synopsis qu’on en lit, le premier film de Bi Gan raconte le périple d’un médecin à la recherche de son neveu. Voilà, dis-je, le résumé qu’on en lit. Car ce qu’on voit est tout autre. Le scénario, totalement incompréhensible, procède par ellipses et flash-back. On y suit un fil, on le délaisse, on y revient. Avec, au milieu du film, un plan séquence de quarante minutes, qui suit le héros à mobylette, tourné par un chef opérateur parkinsonien.

Je suis sorti de la séance doublement en colère. Contre les nombreuses récompenses, injustifiées à mes yeux, que Kaili Blues a récoltées dans les festivals. Et contre ces scénarios chinois, deux semaines après The Assassin, auxquels mon esprit occidental étriqué ne comprend rien.

La bande-annonce

 

The Assassin ☆☆☆☆

Des critiques élogieuses ont accueilli le dernier film de Hou Hsiao-hsien. C’est avec beaucoup d’humilité et en reconnaissant par avance mes torts que j’oserai faire entendre une voix discordante.

Hou Hsiao-hsien est un des plus grands cinéastes chinois/taïwanais vivants et The Assassin l’aboutissement douloureux d’une réalisation de plus de cinq années, sa première incursion dans le wu xia pan –le film de sabre. Comme l’affiche (ci-dessus) l’annonce et l’illustre, The Assassin est d’une beauté à couper le souffle. Chaque plan est une composition savante où tout est calculé – le cadre, les couleurs, la profondeur de champ – pour subjuguer le spectateur.

Tout cela est vrai. Mais pour faire un film il faut un scénario. Et The Assassin en est dépourvu. Ou pour le dire plus précisément, il en a un tellement compliqué, tellement hermétique à la compréhension que, sauf à accepter de n’y rien comprendre et à se satisfaire d’un plaisir purement esthétique, The Assassin nous restera définitivement étranger.

Je me souviens d’avoir eu exactement la même réaction devant Les Cendres du temps de Wong Kar-wai (1994) et Hero de Zhang Yimou. Deux films de sabre. Deux grands réalisateurs chinois. Deux films d’une beauté fascinante. Mais pour moi deux films terriblement décevants faute d’être organisés autour d’une histoire compréhensible et captivante.

Suis-je trop franchouillard ? pas assez chinois ? Un dinosaure d’un siècle révolu prisonnier d’un cadre mental démodé ? J’ai besoin d’un scénario pour aimer un film/un livre. Un scénario avec un début, un milieu et une fin. Un scénario qui raconte une histoire, triste ou gaie, épique ou banale, d’hier ou d’aujourd’hui. Peu importe.

Une série de belles images montées sans logique, aussi léchées soient-elles, ne suffit pas à faire un film. Du moins pas un film que j’aime.

La bande-annonce

Cosmos ☆☆☆☆


Quand je ne comprends pas un film, je suis tiraillé entre deux sentiments contradictoires. Le premier est la détestation : je déteste ce film qui m’est hermétique. Le second, un peu moins prétentieux, est la honte et le regret : je suis trop bête pour le comprendre et regrette de ne pas l’être un peu moins pour y comprendre quelque chose.

Rarement ces deux (trois ?) sentiments contradictoires se sont-ils autant opposés qu’à la vision du dernier film de Andrzej Zulawski, adapté de Witold Gombrowicz.

Ces références écrasantes m’interdisaient de tenir Cosmos pour une hystérie foutraque, pour un brouillon potache. Pourtant, la direction d’acteurs en roue libre, le scénario inconsistant, la mise en scène aux abonnés absents, évoquent plus un étudiant prétentieux de la Fémis en fin de scolarité que deux des plus grands artistes polonais contemporains.

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Le Dernier Jour d’Yitzakh Rabin ★☆☆☆


Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin avait, sur le papier, tout pour me plaire. Un film polémique sur la politique contemporaine qui revisite l’une des pages les plus dramatiques de l’histoire d’Israël. Et un film de Amos Gitaï grâce auquel j’ai découvert dans les années 90 le cinéma israélien avec des films comme Kadosh (1999) qui m’avait enthousiasmé.

Sauf que la filmographie d’Amos Gitaï alterne le pire et le meilleur, s’égarant sur des chemins de traverse pas toujours bien maîtrisés. Et que sa lecture de l’assassinat du Premier ministre israélien, tombé sous les balles d’un extrémiste sioniste qui lui reprochait la signature des accords d’Oslo, ne m’a pas convaincu.

Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin alterne les images d’archive et les reconstitutions fictionnelles. Pourquoi ce mélange ? Quel parti sert-il sinon celui de créer un flou entre le réel et la fiction ? Il fallait choisir son camp : le documentaire pur ou la reconstitution intégrale. Amos Gitaï ne choisit pas entre les deux, comme si l’indécision l’avait emporté.

Du coup, son film est trop long, qui s’étire durant deux heures trente interminables. Une durée d’autant plus pénible que le montage manque terriblement de nerfs, faisant se succéder de longs face-à-face dialogués qui ont plus leur place au théâtre qu’au cinéma.

Grosse déception…

La bande-annonce sur Allociné

Ave, César ! ☆☆☆☆


Impossible d’ignorer le torrent de critiques enthousiastes qui a accompagné la sortie du dernier film des frères Coen ! « Hommage roboratif à l’âge d’or de Hollywood » ! « Malicieuse satire » ! « Distribution éclatante » ! « Fiévreuse déclaration d’amour au cinéma » ! N’en jetez plus, la coupe est pleine !

C’est du coup avec beaucoup d’humilité que je m’autorise un coup de gueule contre un film qui m’a fait ronfler d’ennui.
Pourquoi tant de somnolence ? Bon d’accord, parce que je suis vieux (et chauve), que la séance était tardive et ma voisine confortable. Mais pas seulement.

Ave, César ! est une aimable succession de vignettes que relie sans conviction un scénario sans intérêt : la star hollywoodienne Baird Whitlock (George Clooney plus grimaçant que jamais) a été kidnappé par une bande de pieds nickelés crypto-communistes et Eddie Mannix (Josh Brolin, la moustache au carré), l’homme à tout faire des studios Capitol Pictures, se charge de le libérer.

Sans doute, les frères Coen rassemblent-ils une cohorte de stars. Mais à quoi bon les montrer si peu ? On entraperçoit Scarlett Johansson, qui nage comme un poisson et parle comme une morue. Frances McDormand n’a droit qu’à une seule scène (je n’exclus pas qu’elle en ait eu plusieurs… mais je dormais). Seule exception notable : le méconnu Alden Ehrenreich qui crève l’écran dans un rôle drôlissime de cowboy forcé de jouer un bellâtre dans un drame cukorien.

Quant à la déclaration d’amour au cinéma des années 50, elle ressemble plutôt à l’accumulation kitsch de reconstitutions artificielles : western, péplum, comédie musicale (avec un numéro de claquettes de Channing Tatum délicieusement gay-friendly)… tout y passe. Rien à dire : c’est filmé au millimètre, brillant et drôle. Mais où est l’émotion ?

Mes réticences à l’égard de « Ave, César ! » s’expliquent largement par mon manque d’intérêt pour le cinéma des frères Coen. Je n’ai jamais compris la vénération dont ils font l’objet. Leurs films noirs me plaisent : Sang pour sang (1984), Miller’s Crossing (1990), No Country for Old Men (2007). Mais leurs bouffonneries parodiques peinent à m’arracher un sourire : je tiens O’Brother (2000), avec le grimaçant George Clooney, comme un des pires films jamais tournés.

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La Terre et l’Ombre ★☆☆☆

Certains films provoquent chez moi une hypnose soporifique : L’Avventura, L’Année dernière à Marienbad, Les Ailes du désir, Solaris, Winter Sleep. Unanimement reconnus par une critique enthousiaste, couronnés de mille prix, ils ne me parlent pas. Leur beauté hiératique me reste irréductiblement étrangère. Leur faux rythme m’arrache des bâillements d’ennui. Pour autant, intimidé par tant d’éloges, je reconnais leur valeur et déplore ne pas y être sensible.

Le premier fils du Colombien César Acevedo a fait forte impression à Cannes où il s’est vu décerner la Caméra d’or. Sa mise en scène minimaliste impressionne par sa rigueur. Un homme rentre chez lui après dix-sept ans d’absence. Sa femme et sa belle-fille travaillent la canne à sucre tandis que son fils se meurt. Seul personnage positif : un petit-fils auquel il se lie profondément.

En une heure trente, rien ne se passe ou presque. Les femmes vont travailler. Le grand-père joue avec son petit-fils. Le fils asthmatique se meurt. C’est très beau. Très lent. Très chiant.

La bande-annonce

Steve Jobs ☆☆☆☆

Autant le dire sans détour : j’ai détesté Steve Jobs. J’ai même réussi à m’y endormir. Pourtant, sur le papier, le dernier film de Danny Boyle (dont le méconnu Millions compte parmi mes films préférés pas très loin devant Slumdog Millionaire ou 28 jours plus tard) écrit par Aaron Sorkin (The Social Network, les sept saisons de West Wing) avait tout pour me séduire.

Steve Jobs n’est pas une cradle to grave story, un biopic platement chronologique « du berceau à la tombe ». Sorkin a explosé la biographie de Walter Isaacson pour lui donner plus d’unité. Il a résumé la vie de Steve Jobs à trois épisodes : le lancement du Macintosh en 1984, du NeXT en 1988 et de l’iMac en 1998.

Du coup, la biographie devient pièce de théâtre. La vie de Jobs se résume à ces quelques minutes d’hystérie qui précédent le lancement d’un nouveau produit dont le succès ou l’échec décideront de sa gloire, de son come-back ou de sa consécration. Sorkin s’en donne à cœur joie en rédigeant des dialogues follement intelligents. On y retrouve la froideur géniale de The Social Network qu’il avait scénarisé et la maestria de Birdman – qui s’était tourné sans lui.

Le problème est que cette maestria tourne à vide. Noyée sous une musique envahissante, elle n’est pas immédiatement intelligible à ceux qui, comme moi, confondent Steve Jobs et Bill Gates, Apple et Microsoft. On ne nous dit pas en quoi Jobs était génial ni pourquoi ses inventions ont révolutionné le monde. On ne montre qu’une chose : un salaud tyrannique.

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Bang Gang : Une histoire d’amour moderne ★☆☆☆

Je le confesse : c’est alléché par une bande-annonce racoleuse que je suis allé voir, le jour de sa sortie, le film de Eva Husson.
Qu’en attendais-je ? Soyons franc : du cul.
Et je n’ai pas été déçu. « Bang Gang » filme des partouzes décomplexées d’ados pas bégueules qui, après quelques bières et quelques pétards, s’envoient gaiement en l’air en se taggant sur Internet.
Mais, j’aurais tort de me faire plus « petit cochon » que je le suis (beaucoup trop) déjà.

J’attends d’un film autre chose.
Et c’est cet autre chose qui manque cruellement à « Bang Gang ».
Quel est le message du film ? Il tient dans son sous-titre d’une subtilité pachydermique : les jeunes ont beau avoir des comportements sexuels de stars du X, ils n’en sont pas moins romantiques et recherchent au fond l’amour. George (pourquoi diable avoir donné à l’héroïne un prénom épicène ?) a beau devenir la participante la plus entreprenante aux bang gangs organisés par Alex, cette quête effrénée de sexe n’est au fond qu’une façon pour elle de conquérir son amour.
Outre que ce ressort est d’une navrante simplicité, il me semble gravement manquer de crédibilité. J’ai de mon adolescence le souvenir – et de celle de mes ados l’expérience – d’une période exaltante et compliquée. Nous étions – ils sont – traversés de sentiments et de désirs contradictoires. Celui de perdre sa virginité au milieu de camarades de classe hilares en train d’immortaliser la scène sur leur téléphone portable ne faisait pas partie de mes fantasmes, même les plus débridés.

Que le sujet du film ait été inspiré d’une histoire vraie – en 1999 aux États-Unis une bande d’ados issus de la classe moyenne avaient pris l’habitude de se retrouver pour organiser des gang bangs – ne le rend pas pour autant plus crédible. Là où Abdellatif Kechiche (« La vie d’Adèle ») ou Larry Clark (« Kids ») nous rendaient palpables et émouvantes les premières amours adolescentes, Eva Husson se contente d’aligner de belles images de jeunes garçons et de jeunes filles aux corps sans défaut. Passée l’euphorie de l’orgie, la descente est brutale et exagérément moralisatrice.

A noter toutefois une scène. Une seule presque hors sujet mais bouleversante d’humanité : un adolescent qui, surpassant son dégoût,  assiste son père tétraplégique à prendre sa douche et le regard du père humilié et reconnaissant.

PS : seconde confession : j’ignorais ce qu’était un prénom épicène avant d’écrire ce billet !

Tangerine ★☆☆☆

J’ai déjà dit ici combien la miniaturisation était en train de révolutionner le cinéma.
« Tangerine » le montre, qui a été entièrement tourné avec trois iPhone 5S (pub !) équipés de lentilles anamorphiques.
On me dit que l’iPhone permet au cadreur d’être plus discret, plus proche des acteurs, de moins les intimider. Je veux bien le croire, mais je m’en fous un peu.
Je remarque simplement que l’image n’est pas mauvaise sauf qu’elle est saturée dans les oranges (tangerine = mandarine) et que c’est la signature graphique du film. Je veux bien le croire… mais c’est quand même très moche.

L’histoire ? Un(e) trans dénommée Sin-Dee Rella ( = Cinderella = Cendrillon !!) sort de prison. Il/elle n’a plus un radis et dépense ses dernières économies en mangeant un donut avec son/sa meilleur(e) copain/pine, Alexandra, qui lui apprend que son mec/mac le/la trompe. Circonstance aggravante, son mec/mac l’a trompé(e) avec une fille cisgenre [cette phrase n’a d’autre utilité que de glisser un mot compliqué dans un post par ailleurs dangereusement vulgaire] [cette phrase a une seconde utilité : vous obliger à googler « cisgenre » parce que j’en ai marre de la passivité avec laquelle vous me lisez !!].

Furieu(x)se, la donzelle monte sur ses grands chevaux et part à sa recherche. Comme vous l’imaginez, cher lecteur, chère lectrice, cher lecteur/lectrice transexuel(le), elles/ils feront en chemin bien des rencontres. Notamment un chauffeur de taxi arménien qui, pour lutter contre l’ennui d’une morne conjugalité, taille des pipes dans des car washes à de jeunes filles/hommes tarifé(e)s [quel bonheur de pouvoir écrire des trucs bien sales sans craindre la censure de Facebook !].

Dit comme cela, ça a l’air marrant. Mais en fait, ça ne l’est guère.
Les saynètes s’enchaînent. J’allais écrire « sans queue ni tête »; mais c’eût été un peu facile.
A la fin, tout le monde se retrouve pour une grande explication. On dirait « Femmes au bord de la crise de nerfs » filmé par Spike Lee – alternativement j’aurais pu écrire « Jungle Fever » filmé par Almodovar. Sauf que ça fait hélas aussi penser à « Ma femme s’appelle Maurice ».

La bande-annonce