Rouge ★★☆☆

Après une expérience traumatisante aux urgences d’un grand hôpital, Nour Hamadi (Zita Hanrot) trouve un poste d’infirmière chez Arkalu, l’usine chimique où son père (Sami Bouajila) travaille depuis des dizaines d’années. Elle y fait des découvertes alarmantes sur la santé des ouvriers. Lorsqu’elle tire la sonnette d’alarme, elle se fait rabrouer par son père qui, sa vie durant, s’est battu pour protéger l’emploi de ses camarades et par le directeur de l’entreprise (Olivier Gourmet) qui craint que ces révélations ne remettent en cause les autorisations administratives dont elle bénéficie. Auprès de Emma (Céline Sallette), une journaliste militante engagée pour la défense de l’environnement, Nour trouvera peut-être le courage de rendre publiques les informations qu’elles possèdent au risque de trahir la confiance de son père.

« Un thriller écologique haletant » nous annonce l’affiche de Rouge, le deuxième long métrage de Farid Bentoumi, tourné, comme le premier, Good Luck Algeria, en Isère. C’est sans doute un peu excessif. Si Rouge marche sur les brisées de Dark Waters en racontant, comme lui, l’enquête menée sur les pratiques polluantes de l’industrie chimique (les faits sont inspirés de la pollution aux boues rouges de l’usine Alteo de Gardanne dans le parc national des Calanques), il n’en a ni l’âpreté ni la rigueur.

Rouge n’en constitue pas moins un film solide et convaincant qui tresse intelligemment deux trames narratives.
D’un côté le film politique qui fait fonds sur deux sujets à la mode : la défense de l’environnement – avec laquelle je suis évidemment d’accord – et la dénonciation de la corruption des grands groupes industriels – dont la démagogie et le simplisme m’inspirent quelques réserves. Ces deux sujets sont portés par la lanceuse d’alerte interprétée par Zita Hanrot (César du meilleur espoir féminin en 2016 pour son rôle dans Fatima), une figure éminemment dramaturgique dont le cinéma s’est logiquement emparé depuis quelques années : scandale du Mediator (La Fille de Brest) ou affaire Clearstream (L’Enquête).
De l’autre, Rouge est un drame familial dont les deux personnages principaux sont une fille et son père, dont l’amour réciproque sera douloureusement remis en cause par leurs loyautés et leurs éthiques respectives. Avoir placé son héroïne dans cette situation familiale là est une sacrée bonne idée du scénariste qui souligne le dilemme auquel les lanceurs d’alerte sont confrontés : révéler la vérité, oui, mais au risque de s’aliéner non seulement ses collègues de travail mais aussi ses proches.

On peut certes reprocher à Rouge son académisme, les lieux communs qu’il ne manque pas d’aligner. Mais c’est faire un procès bien sévère à ce film juste et efficace, interprété par un quatuor d’acteurs parmi les plus affûtés du cinéma français contemporain.

La bande-annonce

Il Varco ★☆☆☆

En 1941, l’Italie fasciste est alliée à l’Allemagne hitlérienne. L’armée italienne est requise pour participer à l’opération Barbarossa sur le front de l’Est. Un officier italien, de mère russe, est rappelé pour servir d’interprète. Il traverse l’Europe en fourgon militaire pour gagner son poste en Ukraine.

Il Varco est un étrange objet cinématographique d’une durée d’une heure et dix minutes seulement. Il est constitué d’images d’archives filmées on-ne-sait-comment par des soldats italiens enrôlés dans l’offensive hitlérienne sur le front russe. Ces images patiemment restaurées et superbement montées donnent à voir la guerre, ses servitudes, ses épreuves…. En voix off, le héros sans visage et sans nom de ce documentaire raconte son histoire. Il faut attendre le générique de fin pour comprendre qu’il s’agit en fait du recoupement de plusieurs journaux intimes de soldats italiens sur le front russe, entrelacés pour n’en faire qu’un seul.

Le souvenir de cette guerre en appelle deux autres : celle menée quelques années plus tôt par l’Italie en Éthiopie, celle qui se déroulera, quelques décennies plus tard, au même endroit, dans l’est de l’Ukraine.

Le résultat est déconcertant. On peine à en comprendre l’objet. En particulier, le parallèle dressé avec des images contemporaines du conflit en Ukraine, que rien n’éclaire, ne convainc pas. Le seul intérêt, finalement assez pauvre, d’Il Varco est de découvrir des images et un pan de la Seconde guerre mondiale qu’on ne connaissait pas.

La bande-annonce

L’Origine du monde ☆☆☆☆

Jean-Louis (Laurent Lafitte) est avocat dans un grand cabinet parisien. Il mène une vie confortable aux côtés de Valérie (Karin Viard) que vient brutalement interrompre un événement extraordinaire : un beau jour, son cœur s’arrête de battre. Son meilleur ami, vétérinaire (Vincent Macaigne), est catégorique : inutile d’aller aux urgences, tout va bien. La médium que Jean-Louis consulte (Nicole Garcia) est moins optimiste : Jean-Louis va mourir si son cœur ne redémarre pas. Pour y parvenir, elle exige de Jean-Louis qu’il remonte à ses origines et prenne en photo…. le sexe de sa mère.

Le résumé que je viens d’en faire annonce la couleur : L’Origine du monde est une immense farce, teintée de fantastique, qui n’hésite pas à faire dans la surenchère sans souci de crédibilité. Son pitch savoureux, intelligemment présenté dans sa bande-annonce a mis l’eau à la bouche de milliers de spectateurs, appâtés par sa brillante distribution.

L’Origine du monde est le premier film de Laurent Lafitte qui porte à l’écran une pièce de Sébastien Thiéry. On y retrouve toutes les tares du théâtre filmé français dont j’ai déjà eu l’occasion de dire le mal que j’en pensais. Son histoire se résume à l’interaction de trois ou quatre personnages ; son scénario souffre d’un manque chronique de rythme ; son seul moteur est ses dialogues qui essaient désespérément de susciter le rire.

Alors, bien sûr si photographier « la chatte de ma mère » – ou « chier dans des draps de soie » – vous semble drôle, vous rirez plus qu’à votre tour. La salle où j’ai vu L’Origine du monde était d’ailleurs joyeuse – les éclats de rire de mes voisins ayant sur moi l’effet paradoxal d’inhiber les miens. Je dois reconnaître que Laurent Laffite joue bien, que Vincent Macaigne est étonnant sans la barbe qu’il arbore d’habitude, que Karin Viard est toujours d’un naturel désarmant et qu’Hélène Vincent joue une tatie Danielle hilarante. Sans oublier les deux scènes d’anthologie de Nicole Garcia.

Mais cette accumulation de bons acteurs ne suffit pas à faire un bon film. L’énormité de son sujet ajoutée à la vulgarité de ses gags le condamne à ce qu’il est : du théâtre ranci.

La bande-annonce

9 jours à Raqqa ★☆☆☆

De 2014 à 2017, l’État islamique installa sa capitale à Raqqa et y imposa la charia. Libérée par les forces démocratiques syriennes en octobre 2017, la ville fut ravagée par les bombardements aériens et les combats de rue. Sa nouvelle maire, Leila Mustapha, est une jeune Kurde, ingénieur civil, âgée de trente ans à peine.
Le documentariste Xavier de Lauzanne a mis ses pas dans ceux de la journaliste Marine de Tilly qui nourrissait le projet d’écrire un livre sur elle. Dans une ville en ruines, où le départ imminent des troupes américaines décrété par Donald Trump laisse planer la menace d’un retour de Daech, ils disposent de neuf jours à peine pour la rencontrer et l’interviewer.

La figure christique de Leila Mustapha ne peut susciter que l’admiration et l’empathie. Elle incarne à elle seule la résilience d’une population martyrisée par un pouvoir fanatique, par la chappe de plomb qu’il a fait tomber pendant de longues années sur une ville et sa région et par la guerre civile qui a réussi à l’en libérer. Femme, jeune, intelligente, belle, Leila Mustapha est un exemple pour tous les féministes en mal de modèle, une femme forte qui n’a rien renié de ses valeurs pour s’imposer dans un monde d’hommes, à l’instar, toutes choses égales par ailleurs, d’une Ruth Bader Ginsburg ou d’une Aung San Suu Ky.

La caméra de Xavier de Lauzanne a réussi à la filmer dans des conditions périlleuses. Le voyage jusqu’à Raqqa, via Istanbul, Erbil et une longue chevauchée automobile sous escorte, en augurent les difficultés. L’édile municipale n’a pas une minute à elle. Elle utilise toute son énergie à reconstruire sa ville en ruines, dans des conditions sécuritaires dégradées. La menace d’un attentat, d’un enlèvement plane. Ses traits tirés portent le témoignage de sa fatigue sinon de son épuisement. Mais sa détermination demeure indestructible.

Il n’y a pas grand’chose à reprocher à 9 jours à Raqqa. En particulier, il serait malhonnête de lui reprocher d’avoir héroïsé une figure indéniablement héroïque. Pour autant, à force de tresser des louanges à cette « maire-courage », à force de souligner ses muets sacrifices et l’ampleur des défis qu’elle doit relever, le documentaire de Xavier de Lauzanne verse dans l’hagiographie plus ou moins assumée. Faute de contrepoint, 9 jours à Raqqa se réduit à un long clip électoral.

La bande-annonce

Serre moi fort ★★★☆

« Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va. » Un beau matin d’hiver, Clarisse (Vicky Krieps) prend sa voiture et quitte sa maison, son mari (Arieh Worthalter) et ses deux enfants, Louise et Paul, pour dit-elle « rouler vers la mer ». Mais bien vite la narration se brouille et les questions surgissent, entretenues par les paroles de Clarisse, « Ce n’est pas moi qui suis partie, j’invente » : qui quitte qui ? qui rêve qui ? qui pleure qui ?

On l’aura compris : Serre moi fort est un film sur la séparation et sur la perte. On n’en dira pas plus pour ne pas révéler le ressort sur lequel tout le film repose, même si le réalisateur lui-même n’en fait pas mystère et le dévoile dans ses interviews. Une accumulation d’indices minuscules le laisse augurer jusqu’à ce qu’il s’éclaire, au milieu du film environ, sans pour autant être expressément nommé.

Tout l’art de Serre moi fort est dans ce lent dévoilement. Si un film doit recevoir le César du meilleur montage, une récompense souvent décernée sans qu’on en comprenne vraiment les motifs (qu’y avait-il de si original dans le montage des Misérables, de Jusqu’à la garde ou de 120 bpm pour que ces oeuvres là soient récompensées ?), c’est bien celui-là, qui entrelace avec un art achevé flashbacks et flashforwards, souvenirs et projections.

Il est aussi dans le talent des interprètes, au premier chef de sa tête d’affiche, l’étonnante Vicky Krieps qui mène depuis sa révélation dans Phantom Thread une carrière étonnante. On l’a vue récemment dans Bergman Island, dans Old. Elle y était déjà remarquable. On la verra bientôt dans The Survivor, un film hollywoodien du vétéran Barry Levinson. 2021 aura décidément été son année.

Il y a un autre acteur à part entière dans Serre moi fort : la musique omniprésente que joue au piano la petite Louise, à laquelle Clarisse imagine un brillant avenir de soliste. On aurait aimé qu’il s’agisse d’une fugue de Bach pour filer la métaphore. Il s’agit surtout de pièces de Rameau, mais aussi de Beethoven ou de Debussy. Elle n’en pare pas moins ce film d’une élégance à couper le souffle.

Seule réserve très subjective, qui pourrait être de taille et qui explique d’ailleurs les réserves de nombreux spectateurs. Le sujet du film aurait pu, aurait dû m’émouvoir jusqu’au tréfonds. Car il est de ceux qui me font sangloter. Pourtant, j’y suis resté extérieur. Je n’ai pas été touché.

La bande-annonce

Délicieux ★★☆☆

Ancien boulanger, promu grace à son amour de la cuisine et à son talent, Pierre Manceron (Grégory Gadebois) travaille au service du duc  de Chamfort (Benjamin Lavernhe). Mais l’orgueilleux maître queux est limogé pour avoir refusé de se plier au lourd protocole de la maison et avoir osé servir une mise en bouche à la pomme de terre et à la truffe à son maître et à ses invités. Dégoûté de la vie et de la cuisine, il reprend l’auberge de son père récemment décédé au fond du Cantal. L’arrivée de Louise (Isabelle Carré), qui lui demande de la prendre comme apprentie, lui redonnera progressivement goût à la vie et l’incitera à inventer le premier restaurant.

Avec une gourmandise communicative – et quelques libertés avec la réalité des faits – Eric Besnard nous raconte une page très politique de l’histoire de la gastronomie française : l’invention du restaurant. Jusqu’alors, les riches comme les pauvres mangeaient chez eux : les premiers trop grassement d’interminables banquets, les autres trop chichement des soupes maigres. Les relais de poste et les auberges se souciaient plus de la santé des bêtes que de l’appétit des voyageurs. Surtout, le strict cloisonnement social qui caractérisait la France de l’Ancien Régime rendait impossible que des convives de classes sociales différentes prennent leur repas ensemble.

Deux amies cinéphiles ont vu Délicieux et en ont fait deux critiques radicalement divergentes.
La première encense ce feel-good movie, l’interprétation parfaite de Grégory Gadebois et d’Isabelle Carré (qui, la cinquantaine approchant, porte crânement ses rides), l’excitation de nos papilles devant ces plats amoureusement mitonnés, la lumière de plans millimétrés qui rappellent la peinture de genre de Lupin Baugin.
La seconde a la dent bien plus dure. Elle reproche à ce film d’être bien gentillet et trop manichéen. Elle dit même s’y être ennuyée. Elle le compare à d’autres oeuvres qui ont le même sujet ou la même atmosphère et qui étaient, chacune dans leur registre, autrement plus mémorables : Ridicule – que la scène d’ouverture copie sans talent – Tous les matins du monde, Le Festin de Babette….

Ces deux opinions sont radicalement incompatibles. Et pourtant, dans une impossible posture (macronienne ?), je suis d’accord avec toutes les deux. La première aurait mis haut la main trois étoiles à Délicieux, la seconde une à peine, et encore…. Comme de bien entendu, ne voulant me fâcher avec aucune mais risquant de ne satisfaire ni l’une ni l’autre, j’en mettrai salomonesquement deux.

La bande-annonce

Supernova ★☆☆☆

Sam (Colin Firth) et Tusker (Stanley Tucci) vivent en couple depuis vingt ans. Sam est pianiste, Tusker écrivain. Sam est anglais, Tusker américain.
Mais une maladie dégénérative irréversible a été diagnostiquée à Tusker qui sait sa fin prochaine. Profitant d’un concert donné par Sam, les deux amants entreprennent, avec leur vieux camping-car et leur chien, un voyage qu’ils savent être le dernier, dans le nord de l’Angleterre.

Jetez un oeil à la bande-annonce de Supernova. Elle vous arrachera des sanglots. De deux choses l’une. Si vous aimez être plongé dans l’ambiance crépusculaire des films sur la fin de vie qui, bizarrement, ces temps-ci, ont la cote (The Father, Falling, en attendant le 22 septembre Tout s’est bien passé), si vous aimez l’émotion que ces films suscitent et le feel-good paradoxal qu’ils procurent, courez le voir. Si au contraire, ces histoires vous tétanisent, dispensez-vous en.

Dispensez-vous en d’autant plus que, dans ce registre là, Supernova ne brille ni par son originalité (des films sur le dernier voyage de vieux couples, lucides sur leur fin prochaine, on en a déjà vu beaucoup), ni surtout par sa qualité.

Il est certes porté de bout en bout par la qualité de l’interprétation de ses deux têtes d’affiche, Colin Firth et Stanley Tucci, en passe de devenir des monstres sacrés du cinéma, dont on n’attendait pas moins.

Mais ce numéro d’acteurs mis à part, rien ne saille dans Supernova, rien ne dépasse. On y assiste, à pas d’escargot, à cet ultime voyage ponctué par une fête-surprise chez la sœur de Sam et de longs tête-à-tête entre les deux amants. Comme l’écrit excellemment  Mathieu Macheret dans le monde : « à force de faire étalage de sa retenue et de sa dignité, le film en devient dégoulinant de pudeur ostensible ».

La bande-annonce

Boîte noire ★☆☆☆

Le nouvel Atrian800, ralliant Paris de Dubaï, s’écrase dans les Alpes, tuant tous les passagers et l’équipage. Le Bureau Enquêtes Accidents (BEA) est immédiatement dépêché sur les lieux pour éclaircir les circonstances du drame.
Matthieu Vasseur (Pierre Niney), un jeune acousticien fraîchement émoulu de l’ENAC, se voit confier le soin de décrypter la fameuse boîte noire. Ses premières investigations le conduisent à des conclusions qui sont immédiatement rendues publiques : l’avion a été victime d’un attentat perpétré par un passager qui a fait irruption dans le cockpit en profitant de l’inattention d’une hôtesse. Mais, au fur et à mesure de la progression de l’enquête, les soupçons de Matthieu Vasseur s’orientent dans une autre direction : la panne technique qui, si elle se confirmait, mettrait en péril l’avenir commercial de l’Atrian800 et menacerait son constructeur.

La bande-annonce de Boîte noire m’avait mis l’eau à la bouche. Elle promettait un thriller nerveux, une sorte de Chant du loup aéronautique, interprété par les meilleurs acteurs français du moment, jeunes (Pierre Niney, Lou de Laâge, Guillaume Marquet) et moins jeunes (André Dussollier, Olivier Rabourdin, Aurélien Recoing, André Marcon).

Quelle ne fut donc pas ma déception durant la première heure du film qui, après la mise en place que j’imaginais (Boîte noire commence par un plan-séquence virtuose dans la cabine de l’Atrian800 quelques instants avant le crash), semble s’installer paresseusement dans une intrigue cousue de fil blanc : la thèse de l’attentat terroriste a été échafaudée de toutes pièces par des industriels véreux qui veulent dissimuler les insuffisances techniques de leur avion, insuffisances que le jeune Matthieu, à force d’intelligence et d’entêtement, réussira finalement à révéler.

Fort heureusement, Boîte noire ne suit pas jusqu’au bout ce scénario trop bateau. Mais il met une bonne heure à s’en affranchir, au risque de décourager en cours de route pas mal de spectateurs, moi y inclus, à force d’incohérences (comment peut-on par exemple concevoir un seul instant que la Commission de déontologie – chargée de valider les départs des hauts fonctionnaires dans le secteur privé – autorise la jeune ingénieure interprétée par Lou de Laâge à aller pantoufler chez l’avionneur dont elle a la charge de certifier le dernier appareil ?).

La seconde heure de Boîte noire est plus surprenante. Elle l’est d’ailleurs trop peut-être. Elle sème le doute sur Matthieu Vasseur, sur la solidité de son diagnostic, sur sa fâcheuse tendance à imaginer des complots partout (le « complotiste » deviendra-t-il le nouveau méchant des films post-Covid ?). Ses soupçons paranoïaques sont-ils fondés ? ou sont-ils le produit de son cerveau malade ? Cette ambiguïté sauve le film du naufrage vers lequel sa première moitié semblait l’entraîner. Mais, les fausses pistes, les loopings et les coups de théâtre sont trop nombreux dans sa seconde moitié, et pas assez virtuoses, pour que Boîte noire remplisse les espérances que sa bande-annonce avait suscitées.

La bande-annonce

The Swimmer / Le Plongeon (1968) ★★☆☆

Ned Merrill (Burt Lancaster) décide par un beau dimanche d’été, alors qu’il est de sortie chez des amis dans une riche banlieue du Connecticut, de rentrer chez lui de façon originale : non pas en reprenant sa voiture mais, vêtu de son seul maillot de bain, en nageant dans chaque piscine des propriétés que son chemin traverse. Commence pour lui un long chemin qui se révèle progressivement un retour aux sources.

The Swimmer est un film qui appartient à la mythologie de Hollywood. Il a été produit par Sam Spiegel, un nabab autoritaire qui, de mèche avec Burt Lancaster, décida de renvoyer le réalisateur Frank Perry. Son remplaçant, le jeune Sydney Pollack – qui n’est pas crédité au générique – tourna de nouvelles scènes et en retourna d’anciennes, changeant plusieurs acteurs.

Le résultat est passablement déconcertant. Le film tout entier repose sur un motif aussi simple qu’étonnant : l’histoire d’un homme qui rentre chez lui en nageant (l’expression en anglais est encore plus synthétique et marquante : to swim home).

Son héros, Burt Lancaster, de chaque plan, n’y porte qu’un seul costume – sauf dans une scène où il l’enlève : un maillot de bain noir. À cinquante ans passés, la star américaine est au sommet de sa gloire. Il a eu un Oscar pour Elmer Gantry, a triomphé dans Le Guépard et Le Prisonnier d’Alcatraz. L’ancien acrobate de cirque a un corps d’athlète, tout en muscles. Mais son visage buriné et sa bedaine naissante trahissent son âge. Prendrait-on aujourd’hui le risque de montrer le corps ainsi affaibli d’une star vieillissante ?

The Swimmer est adapté d’une nouvelle de John Cheever publiée dans The New Yorker en 1964. Accessible en ligne aujourd’hui, cette courte nouvelle fait douze pages à peine. Son motif se résume à presque rien. Le film dure pourtant quatre-vingt-quinze minutes. Un danger le menace : la succession de saynètes, une pour chacune des piscines traversées par notre star en maillot. Mais, le film, fidèle à la nouvelle, prend lentement une teinte surréaliste, alors que le trouble de Ned grandit autour de la solidité de ses souvenirs. Il se termine par une scène d’anthologie qui laisse un souvenir durable.

La bande-annonce

Nadia, Butterfly ★☆☆☆

Nadia a vingt-trois ans et a décidé de prendre sa retraite. Pourquoi ? Parce qu’elle est nageuse professionnelle de papillon et qu’elle veut partir au sommet de sa gloire après les Jeux olympiques. Elle manque d’un cheveu une médaille dans l’épreuve individuelle ; mais, avec ses trois partenaires, elle décroche le bronze pour le Canada dans le relais. Les deux jours suivants, avant de quitter Tokyo, elle décompresse, entre soulagement et nostalgie.

Pascal Plante est un jeune réalisateur canadien, ancien nageur de compétition, qui faillit même être sélectionné pour les JO de Pékin en 2008. Nul n’était mieux placé que lui pour filmer de l’intérieur la compétition et les états d’âme de ces nageuses qui sont tout à la fois des athlètes d’exception soumises à une discipline de fer et des jeunes femmes ordinaires qui vivent une vie extraordinaire : elles ont certes sillonné le monde, mais pour n’en voir quasiment que les piscines et sans jamais réserver elles-mêmes leurs billets d’avion ou leurs chambres d’hôtel.
Il a confié le rôle de Nadia à Katerine Savard, une gloire nationale de la natation au Canada, qui avait précisément décroché le bronze au relais 4×200 de Rio en 2016 – mais qui, à vingt-sept ans passés, n’a pas abandonné la compétition.

Pascal Plante relève particulièrement bien le premier défi : celui de la caméra immersive au cœur de l’événement sportif. Il filme « comme si on y était » la course, ses coulisses, sa tension, ses bruits… La scène est très réaliste – disent les nageurs aguerris alors que moi qui m’aventure rarement au delà du petit bassin à la piscine serais bien en peine d’émettre un jugement averti – sans pour autant égarer le néophyte.

C’est peut-être hélas dans sa seconde partie que Nadia, Butterfly est moins convaincant, quand il suit la nageuse dans sa « descente ». Pourtant, là encore, il se montre d’une fidélité scrupuleuse avec la réalité des faits, suivant pas à pas l’héroïne en interview, à sa séance de massage, à une soirée au Village olympique où elle s’autorise les transgressions qui lui étaient interdites avant la course… Ce refus de toute dramatisation inutile se retourne contre le film, le privant de toute tension. Sans doute est-il au plus près des émotions contradictoires que traverse la future ex-nageuse professionnelle. Mais ces émotions sont trop confuses, trop alambiquées pour nourrir la substance d’un film.

Paradoxalement, le refus de tout psychologisme de 5ème set d’Axel Lutz, qui racontait une histoire similaire – l’entêtement d’un joueur de tennis professionnel de trente-huit ans – était plus convaincant.

La bande-annonce