Serre moi fort ★★★☆

« Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va. » Un beau matin d’hiver, Clarisse (Vicky Krieps) prend sa voiture et quitte sa maison, son mari (Arieh Worthalter) et ses deux enfants, Louise et Paul, pour dit-elle « rouler vers la mer ». Mais bien vite la narration se brouille et les questions surgissent, entretenues par les paroles de Clarisse, « Ce n’est pas moi qui suis partie, j’invente » : qui quitte qui ? qui rêve qui ? qui pleure qui ?

On l’aura compris : Serre moi fort est un film sur la séparation et sur la perte. On n’en dira pas plus pour ne pas révéler le ressort sur lequel tout le film repose, même si le réalisateur lui-même n’en fait pas mystère et le dévoile dans ses interviews. Une accumulation d’indices minuscules le laisse augurer jusqu’à ce qu’il s’éclaire, au milieu du film environ, sans pour autant être expressément nommé.

Tout l’art de Serre moi fort est dans ce lent dévoilement. Si un film doit recevoir le César du meilleur montage, une récompense souvent décernée sans qu’on en comprenne vraiment les motifs (qu’y avait-il de si original dans le montage des Misérables, de Jusqu’à la garde ou de 120 bpm pour que ces oeuvres là soient récompensées ?), c’est bien celui-là, qui entrelace avec un art achevé flashbacks et flashforwards, souvenirs et projections.

Il est aussi dans le talent des interprètes, au premier chef de sa tête d’affiche, l’étonnante Vicky Krieps qui mène depuis sa révélation dans Phantom Thread une carrière étonnante. On l’a vue récemment dans Bergman Island, dans Old. Elle y était déjà remarquable. On la verra bientôt dans The Survivor, un film hollywoodien du vétéran Barry Levinson. 2021 aura décidément été son année.

Il y a un autre acteur à part entière dans Serre moi fort : la musique omniprésente que joue au piano la petite Louise, à laquelle Clarisse imagine un brillant avenir de soliste. On aurait aimé qu’il s’agisse d’une fugue de Bach pour filer la métaphore. Il s’agit surtout de pièces de Rameau, mais aussi de Beethoven ou de Debussy. Elle n’en pare pas moins ce film d’une élégance à couper le souffle.

Seule réserve très subjective, qui pourrait être de taille et qui explique d’ailleurs les réserves de nombreux spectateurs. Le sujet du film aurait pu, aurait dû m’émouvoir jusqu’au tréfonds. Car il est de ceux qui me font sangloter. Pourtant, j’y suis resté extérieur. Je n’ai pas été touché.

La bande-annonce

Délicieux ★★☆☆

Ancien boulanger, promu grace à son amour de la cuisine et à son talent, Pierre Manceron (Grégory Gadebois) travaille au service du duc  de Chamfort (Benjamin Lavernhe). Mais l’orgueilleux maître queux est limogé pour avoir refusé de se plier au lourd protocole de la maison et avoir osé servir une mise en bouche à la pomme de terre et à la truffe à son maître et à ses invités. Dégoûté de la vie et de la cuisine, il reprend l’auberge de son père récemment décédé au fond du Cantal. L’arrivée de Louise (Isabelle Carré), qui lui demande de la prendre comme apprentie, lui redonnera progressivement goût à la vie et l’incitera à inventer le premier restaurant.

Avec une gourmandise communicative – et quelques libertés avec la réalité des faits – Eric Besnard nous raconte une page très politique de l’histoire de la gastronomie française : l’invention du restaurant. Jusqu’alors, les riches comme les pauvres mangeaient chez eux : les premiers trop grassement d’interminables banquets, les autres trop chichement des soupes maigres. Les relais de poste et les auberges se souciaient plus de la santé des bêtes que de l’appétit des voyageurs. Surtout, le strict cloisonnement social qui caractérisait la France de l’Ancien Régime rendait impossible que des convives de classes sociales différentes prennent leur repas ensemble.

Deux amies cinéphiles ont vu Délicieux et en ont fait deux critiques radicalement divergentes.
La première encense ce feel-good movie, l’interprétation parfaite de Grégory Gadebois et d’Isabelle Carré (qui, la cinquantaine approchant, porte crânement ses rides), l’excitation de nos papilles devant ces plats amoureusement mitonnés, la lumière de plans millimétrés qui rappellent la peinture de genre de Lupin Baugin.
La seconde a la dent bien plus dure. Elle reproche à ce film d’être bien gentillet et trop manichéen. Elle dit même s’y être ennuyée. Elle le compare à d’autres oeuvres qui ont le même sujet ou la même atmosphère et qui étaient, chacune dans leur registre, autrement plus mémorables : Ridicule – que la scène d’ouverture copie sans talent – Tous les matins du monde, Le Festin de Babette….

Ces deux opinions sont radicalement incompatibles. Et pourtant, dans une impossible posture (macronienne ?), je suis d’accord avec toutes les deux. La première aurait mis haut la main trois étoiles à Délicieux, la seconde une à peine, et encore…. Comme de bien entendu, ne voulant me fâcher avec aucune mais risquant de ne satisfaire ni l’une ni l’autre, j’en mettrai salomonesquement deux.

La bande-annonce

Supernova ★☆☆☆

Sam (Colin Firth) et Tusker (Stanley Tucci) vivent en couple depuis vingt ans. Sam est pianiste, Tusker écrivain. Sam est anglais, Tusker américain.
Mais une maladie dégénérative irréversible a été diagnostiquée à Tusker qui sait sa fin prochaine. Profitant d’un concert donné par Sam, les deux amants entreprennent, avec leur vieux camping-car et leur chien, un voyage qu’ils savent être le dernier, dans le nord de l’Angleterre.

Jetez un oeil à la bande-annonce de Supernova. Elle vous arrachera des sanglots. De deux choses l’une. Si vous aimez être plongé dans l’ambiance crépusculaire des films sur la fin de vie qui, bizarrement, ces temps-ci, ont la cote (The Father, Falling, en attendant le 22 septembre Tout s’est bien passé), si vous aimez l’émotion que ces films suscitent et le feel-good paradoxal qu’ils procurent, courez le voir. Si au contraire, ces histoires vous tétanisent, dispensez-vous en.

Dispensez-vous en d’autant plus que, dans ce registre là, Supernova ne brille ni par son originalité (des films sur le dernier voyage de vieux couples, lucides sur leur fin prochaine, on en a déjà vu beaucoup), ni surtout par sa qualité.

Il est certes porté de bout en bout par la qualité de l’interprétation de ses deux têtes d’affiche, Colin Firth et Stanley Tucci, en passe de devenir des monstres sacrés du cinéma, dont on n’attendait pas moins.

Mais ce numéro d’acteurs mis à part, rien ne saille dans Supernova, rien ne dépasse. On y assiste, à pas d’escargot, à cet ultime voyage ponctué par une fête-surprise chez la sœur de Sam et de longs tête-à-tête entre les deux amants. Comme l’écrit excellemment  Mathieu Macheret dans le monde : « à force de faire étalage de sa retenue et de sa dignité, le film en devient dégoulinant de pudeur ostensible ».

La bande-annonce

Boîte noire ★☆☆☆

Le nouvel Atrian800, ralliant Paris de Dubaï, s’écrase dans les Alpes, tuant tous les passagers et l’équipage. Le Bureau Enquêtes Accidents (BEA) est immédiatement dépêché sur les lieux pour éclaircir les circonstances du drame.
Matthieu Vasseur (Pierre Niney), un jeune acousticien fraîchement émoulu de l’ENAC, se voit confier le soin de décrypter la fameuse boîte noire. Ses premières investigations le conduisent à des conclusions qui sont immédiatement rendues publiques : l’avion a été victime d’un attentat perpétré par un passager qui a fait irruption dans le cockpit en profitant de l’inattention d’une hôtesse. Mais, au fur et à mesure de la progression de l’enquête, les soupçons de Matthieu Vasseur s’orientent dans une autre direction : la panne technique qui, si elle se confirmait, mettrait en péril l’avenir commercial de l’Atrian800 et menacerait son constructeur.

La bande-annonce de Boîte noire m’avait mis l’eau à la bouche. Elle promettait un thriller nerveux, une sorte de Chant du loup aéronautique, interprété par les meilleurs acteurs français du moment, jeunes (Pierre Niney, Lou de Laâge, Guillaume Marquet) et moins jeunes (André Dussollier, Olivier Rabourdin, Aurélien Recoing, André Marcon).

Quelle ne fut donc pas ma déception durant la première heure du film qui, après la mise en place que j’imaginais (Boîte noire commence par un plan-séquence virtuose dans la cabine de l’Atrian800 quelques instants avant le crash), semble s’installer paresseusement dans une intrigue cousue de fil blanc : la thèse de l’attentat terroriste a été échafaudée de toutes pièces par des industriels véreux qui veulent dissimuler les insuffisances techniques de leur avion, insuffisances que le jeune Matthieu, à force d’intelligence et d’entêtement, réussira finalement à révéler.

Fort heureusement, Boîte noire ne suit pas jusqu’au bout ce scénario trop bateau. Mais il met une bonne heure à s’en affranchir, au risque de décourager en cours de route pas mal de spectateurs, moi y inclus, à force d’incohérences (comment peut-on par exemple concevoir un seul instant que la Commission de déontologie – chargée de valider les départs des hauts fonctionnaires dans le secteur privé – autorise la jeune ingénieure interprétée par Lou de Laâge à aller pantoufler chez l’avionneur dont elle a la charge de certifier le dernier appareil ?).

La seconde heure de Boîte noire est plus surprenante. Elle l’est d’ailleurs trop peut-être. Elle sème le doute sur Matthieu Vasseur, sur la solidité de son diagnostic, sur sa fâcheuse tendance à imaginer des complots partout (le « complotiste » deviendra-t-il le nouveau méchant des films post-Covid ?). Ses soupçons paranoïaques sont-ils fondés ? ou sont-ils le produit de son cerveau malade ? Cette ambiguïté sauve le film du naufrage vers lequel sa première moitié semblait l’entraîner. Mais, les fausses pistes, les loopings et les coups de théâtre sont trop nombreux dans sa seconde moitié, et pas assez virtuoses, pour que Boîte noire remplisse les espérances que sa bande-annonce avait suscitées.

La bande-annonce

The Swimmer / Le Plongeon (1968) ★★☆☆

Ned Merrill (Burt Lancaster) décide par un beau dimanche d’été, alors qu’il est de sortie chez des amis dans une riche banlieue du Connecticut, de rentrer chez lui de façon originale : non pas en reprenant sa voiture mais, vêtu de son seul maillot de bain, en nageant dans chaque piscine des propriétés que son chemin traverse. Commence pour lui un long chemin qui se révèle progressivement un retour aux sources.

The Swimmer est un film qui appartient à la mythologie de Hollywood. Il a été produit par Sam Spiegel, un nabab autoritaire qui, de mèche avec Burt Lancaster, décida de renvoyer le réalisateur Frank Perry. Son remplaçant, le jeune Sydney Pollack – qui n’est pas crédité au générique – tourna de nouvelles scènes et en retourna d’anciennes, changeant plusieurs acteurs.

Le résultat est passablement déconcertant. Le film tout entier repose sur un motif aussi simple qu’étonnant : l’histoire d’un homme qui rentre chez lui en nageant (l’expression en anglais est encore plus synthétique et marquante : to swim home).

Son héros, Burt Lancaster, de chaque plan, n’y porte qu’un seul costume – sauf dans une scène où il l’enlève : un maillot de bain noir. À cinquante ans passés, la star américaine est au sommet de sa gloire. Il a eu un Oscar pour Elmer Gantry, a triomphé dans Le Guépard et Le Prisonnier d’Alcatraz. L’ancien acrobate de cirque a un corps d’athlète, tout en muscles. Mais son visage buriné et sa bedaine naissante trahissent son âge. Prendrait-on aujourd’hui le risque de montrer le corps ainsi affaibli d’une star vieillissante ?

The Swimmer est adapté d’une nouvelle de John Cheever publiée dans The New Yorker en 1964. Accessible en ligne aujourd’hui, cette courte nouvelle fait douze pages à peine. Son motif se résume à presque rien. Le film dure pourtant quatre-vingt-quinze minutes. Un danger le menace : la succession de saynètes, une pour chacune des piscines traversées par notre star en maillot. Mais, le film, fidèle à la nouvelle, prend lentement une teinte surréaliste, alors que le trouble de Ned grandit autour de la solidité de ses souvenirs. Il se termine par une scène d’anthologie qui laisse un souvenir durable.

La bande-annonce

Nadia, Butterfly ★☆☆☆

Nadia a vingt-trois ans et a décidé de prendre sa retraite. Pourquoi ? Parce qu’elle est nageuse professionnelle de papillon et qu’elle veut partir au sommet de sa gloire après les Jeux olympiques. Elle manque d’un cheveu une médaille dans l’épreuve individuelle ; mais, avec ses trois partenaires, elle décroche le bronze pour le Canada dans le relais. Les deux jours suivants, avant de quitter Tokyo, elle décompresse, entre soulagement et nostalgie.

Pascal Plante est un jeune réalisateur canadien, ancien nageur de compétition, qui faillit même être sélectionné pour les JO de Pékin en 2008. Nul n’était mieux placé que lui pour filmer de l’intérieur la compétition et les états d’âme de ces nageuses qui sont tout à la fois des athlètes d’exception soumises à une discipline de fer et des jeunes femmes ordinaires qui vivent une vie extraordinaire : elles ont certes sillonné le monde, mais pour n’en voir quasiment que les piscines et sans jamais réserver elles-mêmes leurs billets d’avion ou leurs chambres d’hôtel.
Il a confié le rôle de Nadia à Katerine Savard, une gloire nationale de la natation au Canada, qui avait précisément décroché le bronze au relais 4×200 de Rio en 2016 – mais qui, à vingt-sept ans passés, n’a pas abandonné la compétition.

Pascal Plante relève particulièrement bien le premier défi : celui de la caméra immersive au cœur de l’événement sportif. Il filme « comme si on y était » la course, ses coulisses, sa tension, ses bruits… La scène est très réaliste – disent les nageurs aguerris alors que moi qui m’aventure rarement au delà du petit bassin à la piscine serais bien en peine d’émettre un jugement averti – sans pour autant égarer le néophyte.

C’est peut-être hélas dans sa seconde partie que Nadia, Butterfly est moins convaincant, quand il suit la nageuse dans sa « descente ». Pourtant, là encore, il se montre d’une fidélité scrupuleuse avec la réalité des faits, suivant pas à pas l’héroïne en interview, à sa séance de massage, à une soirée au Village olympique où elle s’autorise les transgressions qui lui étaient interdites avant la course… Ce refus de toute dramatisation inutile se retourne contre le film, le privant de toute tension. Sans doute est-il au plus près des émotions contradictoires que traverse la future ex-nageuse professionnelle. Mais ces émotions sont trop confuses, trop alambiquées pour nourrir la substance d’un film.

Paradoxalement, le refus de tout psychologisme de 5ème set d’Axel Lutz, qui racontait une histoire similaire – l’entêtement d’un joueur de tennis professionnel de trente-huit ans – était plus convaincant.

La bande-annonce

Le Fils de l’épicière, le Maire, le Village et le Monde ★★☆☆

Lussas est un petit village du sud de l’Ardèche. Depuis une trentaine d’années, grâce à l’énergie de deux hommes, Jean-Marie Barbe, le président de l’association Ardèche Images, et Jean-Paul Roux, le maire, s’y tiennent chaque été les États généraux du film documentaire. Le documentaire de Claire Simon filme un moment particulier de cette vie associative : la création de Tënk, une plate-forme de vidéos documentaires à la demande, et la construction de L’Imaginaire, un espace de formation et de post-production.

Le Fils de l’épicière, le Maire, le Village et le Monde a une immense qualité : il filme, dans la durée, la vie associative, l’énergie incroyable qu’elle exige, la fierté qu’elle procure quand les objectifs sont atteints, mais aussi la somme de petits tracas quotidiens qu’elle provoque.

Il suscite évidemment notre empathie pour ses deux héros : Jean-Marie Barbe et Jean-Paul Roux sur les épaules desquelles l’entreprise repose. La question de leur succession se pose comme elle se pose toujours, un jour ou l’autre, à ce genre d’entreprises : comment les pérenniser au-delà de leurs pères fondateurs ?

Il montre surtout les difficultés quotidiennes d’une petite structure associative. On imagine le temps qu’il aura fallu à Claire Simon pour gagner la confiance des divers protagonistes, pour poser sa caméra et la faire oublier avant de réussir à filmer ces scènes que nous avons tous vécues un jour ou l’autre dans notre vie professionnelle où, autour d’enjeux parfois obscurs sinon ridicules, les egos s’affrontent, pas toujours paisiblement.

Le documentaire est moins heureux quand il esquisse un parallèle avec le patient labeur des vignerons alentour. On comprend aisément le propos et on n’a ni l’expérience ni l’expertise pour en réfuter la thèse : les agriculteurs de Lussas cultivent la vigne avec la même patience que les employés de Ardèche Images essaient péniblement d’arriver au seuil de 10.000 abonnés qui garantira la viabilité de Tënk. Ce sont les mêmes difficultés qu’ils rencontrent et auxquelles ils doivent réagir, avec un mélange similaire de rouerie paysanne et de fatalisme.

La bande-annonce

Laila in Haifa ★☆☆☆

Amos Gitaï est originaire de Haïfa, la grande ville portuaire du nord d’Israël. il y a découvert le club Fattoush, un café-restaurant doublé d’un espace d’exposition, où se côtoient Juifs et arabes, Israéliens et Palestiniens, hommes et femmes, homos et hétéros. Il aurait pu y filmer un documentaire. Il préfère la fiction.

Unité de temps. Unité de lieu. Tout se passe l’espace d’une soirée, quasiment en temps réel. Tout aurait pu d’ailleurs tenir sur une scène de théâtre. Tout aurait pu être filmé en un long plan séquence, techniquement magistral et dont d’ailleurs le premier plan du film – qui commence par une bastonnade sur le parking du club – laisse augurer ce qu’il aurait pu être.

L’affiche du film évoque « 5 femmes. 5 histoires ». J’ai dû aller regarder le casting pour les identifier. Car ces cinq histoires là, d’importance inégale, ne sont pas immédiatement identifiables.

À tout seigneur tout honneur, commençons par Laila, la propriétaire du club. Elle donne son nom au film alors qu’elle n’en est pas au centre. La raison en est peut-être dans l’allitération que son prénom permet.
Khawla travaille au Club. Elle est mariée à Hisham le cuisinier qui aimerait lui faire un enfant, mais entretient une liaison avec Gil, le photographe que Laila expose – et dont elle est, elle aussi l’amante.
Naama est israélienne et la demi-soeur de Gil. De passage dans le bar, elle y rencontre un séduisant palestinien avec lequel elle ira immédiatement faire l’amour sur le siège arrière de sa voiture.
Bahira est une activiste palestinienne qui déborde de haine. Elle est venue au club pour racketter Kamal, le mari de Laila, beaucoup plus âgé qu’elle, dont l’immense fortune finance les hobbies de sa jeune épouse.
Hanna, la soixantaine bien entamée, est une veuve qui cherche encore l’âme sœur. Un rendez-vous en ligne la confronte à un date passablement surprenant.
On pourrait encore évoquer Roberta qui veut faire jouer son carnet d’adresse pour exposer Gil à Los Angeles. Mais on a déjà épuisé le quota féminin annoncé sur l’affiche.

Vous n’y avez rien compris ? Moi non plus ! Et c’est bien là que le bât blesse.
Car, si l’on voue une admiration révérencielle à Amos Gitaï qui, depuis plus de trente ans, surplombe de son oeuvre impressionnante le cinéma israélien, si l’on ne peut qu’applaudir au projet interculturel de son film, on doit hélas, constater que le résultat en est fort brouillon sinon totalement incompréhensible.
Ces chassés-croisés polyglottes (les personnages s’expriment en hébreu, en arabe et en anglais selon leur identité culturelle) me sont restés passablement obscurs. Et quand j’en ai enfin compris le sens – ou plutôt quand j’ai cru les avoir compris – j’y suis resté insensible.

La bande-annonce

Une histoire d’amour et de désir ★★★★

Ahmed et Farah se rencontrent le premier jour de la rentrée à la Sorbonne, sur les bancs de la fac de lettres, dans un cours consacré à la poésie arabe galante. Lui (Sam Outalbali), fils d’immigré algérien, vient du 9-3. Elle (Zbeda Belhajamor) débarque tout droit de Tunisie. Entre eux, c’est le coup de foudre immédiat. Mais chacun l’exprime à sa façon. Lui, engoncé dans les codes virilistes des cités, combat le désir qu’il éprouve. Elle, plus libérée, ne comprend pas ce garçon qui lui résiste.

Disons-le tout net : Une histoire d’amour et de désir est le meilleur film du mois. Et à ceux qui, perspicaces, m’opposeront qu’il est sorti le 1er septembre et que j’écris sa critique dès le 5 du mois, je renchérirai : Une histoire d’amour et de désir est le meilleur film d’un été qui, ces jours-ci, à Paris tout au moins, semble délicieusement jouer les prolongations !

Comme son titre l’annonce, Une histoire d’amour et de désir est d’abord un film qui raconte les premiers émois d’un couple amoureux et sa découverte de la sexualité. Il le fait avec une sensualité débordante, avec pudeur mais sans pruderie, en convoquant les plus belles pages de la littérature arabe érotique, un moyen – certes un peu téléphoné – d’exciter les sens des personnages – et des spectateurs avec eux – mais aussi de rappeler que l’Islam n’a pas pour seul visage celui des Talibans obscurantistes de Kaboul.

Le sujet du premier amour pourrait sembler convenu. il a déjà été si souvent traité dans la littérature et au cinéma. Mais Leyla Bouzid le renouvelle en renversant les rôles. Contrairement aux usages, ce n’est pas la fille, timide et vierge, qui résistera au garçon, mais l’inverse. Ici, c’est Ahmed qui, malgré le désir qui l’enflamme, repousse les avances de Farah. Son attitude, qui désarçonne la jeune fille, a plusieurs causes. Elle s’explique par son inexpérience (Ahmed est puceau), par sa timidité (il est maladivement incapable d’exprimer ses sentiments et de prendre la parole en public). Elle s’explique aussi par les valeurs dans lesquelles il a grandi, dans sa famille et dans sa cité, où la fille doit impérativement conserver sa virginité jusqu’au mariage et où celles qui ne respectent pas cette règle – comme Farah dont la sexualité débridée le choque – ne méritent pas le respect.

Car, Une histoire d’amour et de désir, comme son titre ne l’annonce pas, est aussi un film social sinon politique. Ahmed et Farah incarnent deux façons archétypales d’être magrébin en France aujourd’hui. Le père d’Ahmed est un intellectuel algérien déclassé qui a dû fuir les années de plomb en Algérie. Au chômage de longue durée, il nourrit une double rancœur contre l’Algérie qui l’a rejeté et contre la France qui l’a si mal accueilli. Son fils a été élevé dans l’ignorance de la culture et de la langue de ses origines avec comme seule planche de salut la poursuite d’études supérieures à Paris. Farah a un profil bien différent. Double autobiographique de la réalisatrice Leyla Bouzid, elle est issue de la classe moyenne tunisienne, francophone et francophile. Elle est née et a grandi à Tunis, y a passé son baccalauréat. Mais, douloureusement consciente du manque d’opportunités que son pays lui offre, elle vient à Paris, poussée par ses parents, y poursuivre ses études (comme Leyla Bouzid qui, après des études de lettres à la Sorbonne, intégra la Fémis).

J’avais adoré le premier film de Leyla Bouzid, sorti fin 2015, À peine j’ouvre les yeux. Je lui ai préféré encore le deuxième. Espérons qu’il ne faudra pas attendre si longtemps le troisième. Quant à Sam Outalbali, l’acteur si juste qui joue Ahmed, on devrait le revoir très bientôt sous la direction de Cédric Jimenez, le réalisateur de BAC Nord, dans Novembre, le film qu’il vient de tourner sur les attentats du 13-Novembre avec Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain….

La bande-annonce

Pour l’éternité ★☆☆☆

Pour l’éternité est le dernier film du réalisateur suédois Roy Andersson. Projeté à la Mostra de Venise à l’automne 2019, sa sortie en France a été plusieurs fois repoussée à cause de la pandémie. Il emprunte la même forme radicale que les précédents films de ce réalisateur rare (il a réalisé six longs-métrages seulement en cinquante ans de carrière) : une succession kaléidoscopique de vignettes filmées en longs plans fixes dans des décors froids sinon lugubres où évoluent des personnages d’âge mûr écrasés par la fatigue de vivre.

Présentée ainsi, l’oeuvre de Roy Andersson n’attirera que quelques cinéphiles pointus et passablement masochistes. J’en fais partie, qui ne rate aucun de ses films depuis l’étonnant Chansons du deuxième étage qui le fit découvrir hors de son pays natal en 2000.

Pour autant, j’ai beau être masochiste, j’avoue avoir approché mes limites avec ce film-là, qui pourrait être son dernier (Roy Andersson a 78 ans). Chacun de ses plans, à l’exception peut-être du treizième, repris par l’affiche, qui montre deux amoureux à la Chagall survoler une ville en ruines, charrie une telle tristesse qu’on se sent vite écrasé. Que dire par exemple du quatrième : « A woman, described by the narrator as “incapable of feeling shame,” turns and looks back at the camera with an annoyed expression » ou du tout dernier : « A man’s car breaks down on a country road, and he attempts to fix it himself with little success. » ?

On a la furieuse impression que le réalisateur a monté à la va-comme-je-te-pousse une succession de saynètes dont l’idée lui serait progressivement venue et dont on peine à comprendre la cohérence. Sans doute chacun de ces plans, au cadrage millimétré, dont le sujet sinon les couleurs rappellent le désespoir qui sourd dans les tableaux de Edward Hopper, constituent-ils autant d’oeuvres d’art. Mais elles seraient peut-être plus à leur place dans une installation muséographique que dans une salle de cinéma.

La bande-annonce