Petites danseuses ★★☆☆

La caméra empathique d’Anne-Claire Dolivet filme pendant une année une troupe de fillettes qui suivent les cours d’un atelier de danse dans le dix-huitième arrondissement parisien. Elle s’attache à quatre d’entre elles, Jeanne, la plus jeune, six ans à peine, Olympe, la plus espiègle, Ida, la plus douée et Marie, la plus hésitante.

Le sujet de ce documentaire peut inspirer quelques préventions. On pourrait craindre qu’il ait été paresseusement choisi pour attirer le public captif de toutes ces petites filles qui rêvent de devenir étoiles de l’Opéra et de leurs mères qui projettent sur elles leurs rêves inaboutis.

Et sa première moitié corrobore ces craintes. Sans grande originalité, on assiste à quelques leçons où l’on voit évoluer ces enfants minuscules qui essaient de se plier à l’implacable discipline de la barre sous la férule d’une professeure exigeante mais juste ; on suit ces jeunes filles, chez elles, où on imagine volontiers que la réalisatrice a eu l’autorisation de tourner en obtenant l’accord de parents d’abord réticents à dévoiler leur intimité.

Mais lentement, le documentaire prend de l’intérêt. Derrière des images gentillettes de fillettes en tutu qui s’essaient aux entrechats, on découvre une étonnante palette de sentiments : leur passion pour la danse, leur rêve à la fois inaccessible et admirablement ambitieux d’en faire leur métier, leur concentration, la peur qui les prend aux tripes – et qu’elle nous communique – à l’approche des concours, leur douleur physique quand elles se blessent, leur joie ineffable quand elles décrochent enfin une médaille.

Je me suis surpris à m’émouvoir alors que rien a priori, dans cette palette de sentiments-là n’aurait dû me toucher : je n’ai pas fait des pointes enfant et n’ai pas de petite fille hélas à accompagner à son cours de danse. Et j’imagine alors l’émotion que doit ressentir la petite spectatrice de six ans assise au bout de ma rangée et sa maman qui la couve.

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Un triomphe ★★☆☆

Etienne (Kad Mérad) est un acteur en galère. Sa vie privée est un champ de ruines : sa femme, actrice elle aussi, l’a quitté et sa fille étudiante s’est éloignée de lui. Sa vie professionnelle n’est pas en meilleur état : il n’est plus remonté sur les planches depuis des années.
Aussi accepte-t-il le job alimentaire que lui propose son ami Stéphane (Laurent Stocker) : animer un atelier de théâtre en prison. La tâche s’avère difficile pour Etienne qui doit se faire accepter des détenus et convaincre la directrice de la prison (Marina Hands) de l’autoriser à monter avec eux En attendant Godot.

Un triomphe fait partie de ces films noyés de bons sentiments dont on imagine, à la seule lecture du résumé, le moindre des rebondissements. On sait par avance les difficultés qu’Etienne rencontrera pour réussir à faire jouer la pièce de Beckett par des acteurs amateurs, brochette soigneusement représentative de tous les profils qu’on rencontre en prison (le caïd algérien, l’immigré burkinabé, le Kevin blanc analphabète….). On pressent que son énergie et son enthousiasme vaincront tous les obstacles et que le film se terminera sous les ovations du public avec des acteurs soudainement touchés par la grâce des planches et un metteur en scène réconcilié avec lui-même et, qui sait, avec sa fille et sa femme en prime.

Un triomphe ne remplit qu’en partie ce cahier des charges un peu trop formaté pour susciter un réel enthousiasme. Certes Kad Mérad, qui n’a plus grand chose à prouver, parfait dans le rôle, réussit à entraîner avec lui la petite bande de détenus qu’il a réussi à recruter. En attendant Godot sera monté, la troupe et son metteur en scène ovationnés. Le film aurait pu s’arrêter là et je me serais rengorgé de mon infaillible clairvoyance – et de mon cynisme mesquin.

Mais Un triomphe dure un quart d’heure de plus. Je n’en dirai rien pour ne pas en gâcher le plaisir, sinon que ce quart d’heure s’inspire de l’histoire vécue en 1986 en Suède par le metteur en scène Jan Johnsson. L’épisode suscita un commentaire amusé de Samuel Beckett qui était encore en vie à l’époque : « C’est ce qui est arrivé de mieux à ma pièce depuis que je l’ai écrite ». Je vous laisse le découvrir.

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Fragile ★★★☆

Az (Yasin Houicha) est né et a grandi à Sète. Il est depuis longtemps en couple avec Jessica (Tiphaine Daviot) qui rompt avec lui le jour où il lui demande sa main et le laisse éploré. Mais Az peut compter sur ses amis pour le réconforter et sur Lila (Oulaya Amamra), une jeune chorégraphe qui est allée se brûler les ailes à Paris, pour lui apprendre à danser et reconquérir son aimée.

Emma Benestan fut l’assistante réalisatrice d’Abdellatif Kechiche. Elle réalise son premier film à Sète, sur les lieux même où furent tournés La Graine et le Mulet et Mektoub, my love. Elle filme les mêmes jeunes et leurs marivaudages amoureux. Certes sa caméra n’a pas la même intensité que celle de son impressionnant mentor. Elle ne suscite pas non plus le même malaise que le male gaze reproché à Abdellatif Kechiche.

Fragile est autrement plus léger, qui louche volontiers du côté de la comédie romantique (la réalisatrice parle dans son dossier de presse mi-ironique d’un Dirty Dancing sétois). Trois étoiles pourrait sembler bien généreux pour un film si frivole et l’est probablement. Mais Fragile est parfaitement réussi, drôle, touchant, crédible, enthousiasmant. Son scénario ménage quelques efficaces rebondissements jusqu’à sa conclusion prévisible mais enthousiasmante. Sa direction d’acteurs est aux petits oignons, qu’il s’agisse des seconds rôles particulièrement réussis interprétés par Guillermo Guiz et Raphaël Quenard, ou de Oulaya Amamra, César du meilleur espoir féminin pour Divines en 2017, qui confirme si besoin en était, que le cinéma français compte une nouvelle star.

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Drive My Car ★☆☆☆

Yūsuke Kafuku, un acteur de théâtre renommé, est invité à Hiroshima en résidence pour y monter une adaptation d’Oncle Vania avec une troupe cosmopolite et polyglotte. Il est veuf depuis deux ans. Sa femme, scénariste pour la télévision, est morte brutalement après que Yūsuke a découvert son infidélité, le frustrant d’une explication qu’il n’a jamais pu avoir avec elle. Pour le rôle d’Oncle Vania, Yūsuke recrute Kôji Takatsuki, un jeune acteur qu’il suspecte d’avoir eu une liaison avec sa femme. La production lui impose un chauffeur, une jeune femme mutique, Misaki Watari, dont Yūsuke accepte mal la présence mais avec laquelle va bientôt se nouer un lien puissant.

Drive My Car arrive sur nos écrans auréolé de son prix du scénario à Cannes où, disent les mauvaises langues, la Palme d’or ne lui aurait échappé qu’au seul motif de l’obligation dans laquelle s’était cru le jury de la décerner à une réalisatrice. Il est l’oeuvre de Ryūsuke Hamaguchi, un jeune réalisateur japonais, dont les précédents films – Senses et Asako I & II – avaient favorablement impressionné la critique – à défaut de me convaincre tout à fait.

Dans ma critique de Asako I & II, je regrettais d’être déjà passé à côté de Senses et de passer à côté de ce film-là. Je pourrai hélas rajouter aujourd’hui, à mon grand regret, n’avoir pas adhéré à Drive My Car.

Mon regret est d’autant plus grand qu’autour de moi, je n’en lis que du bien – à l’exception d’une ou deux passionarias anti-conformistes. Partout, tous et toutes s’enthousiasment et s’enflamment : « La beauté de Drive My Car réside dans sa manière de donner chair à une série d’abstractions et de dispositifs purement théoriques, d’employer toutes sortes d’éléments du médium cinéma pour leur faire dégorger leur sensualité autonome et en faire les instruments d’une vérité singulière » écrit un Jacques Mandelbaum sous ecsta dans Le Monde. « Un film qui résonne indirectement avec le vécu intime de chacun·e et qui risque de briller longtemps dans la nuit noire de notre inconscient chaviré » renchérit un Thierry Josse inclusif dans Les Inrocks.

J’avais lu ces critiques avant d’aller voir le film. [Beaucoup de mes amis me disent qu’ils s’interdisent de lire les critiques avant de voir un film afin de ne pas être « influencés ». Je suis d’une opinion radicalement différente, estimant au contraire utile d’aborder une oeuvre avec toutes les clés en main pour la comprendre et l’apprécier]. Je m’étais préparé à voir une oeuvre marquante, par sa durée (près de trois heures), par son ambition. Je n’ai certes pas été déçu : le film est long et ambitieux, qui traite de questions essentielles : la vie, la mort, l’amour. Mais – et c’est une grande frustration car je peine à y mettre des mots – je n’ai pas été embarqué. Ce road movie, dont le personnage principal est peut-être la SAAB rouge de son héros, m’a laissé sur le bord du chemin.

La faute selon moi à une succession de situations que j’ai trouvées trop improbables, à commencer par cette scénariste qui invente ses histoires dans un demi-sommeil, après l’amour, et qui les reconstitue le lendemain matin avec l’aide de son mari. Le personnage de Takatsuki, jeune premier ombrageux, auquel le metteur en scène confie contre toute raison le premier rôle de sa pièce et qui se révèlera sans que rien ne le laissât présager ultra-violent, m’a semblé un ton en-dessous du reste de la distribution. Enfin, j’ai trouvé trop facile le personnage de Misaki, la chauffeure qu’il faut lester d’un lourd passé familial pour lui donner l’intensité dramatique qu’elle n’a pas.

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Passion simple ★★★☆

Hélène (Laetitia Dosch), professeure de lettres à la Sorbonne, mère de famille divorcée, raconte la passion exclusive et dévorante qu’elle a connue un hiver durant pour Alexandre (Sergei Polunin), un jeune diplomate russe en poste à Paris. Pendant plusieurs mois, elle a vécu  dans la petite maison qu’elle occupe en banlieue ouest avec son fils unique, l’attente fébrile de ses visites, la fièvre de leurs peaux réunies, l’orgasme de leurs étreintes, la douleur de le voir se rhabiller et la quitter si vite pour rejoindre sa femme. Entre ses rencontres épisodiques, Hélène continue à vivre : elle s’occupe de son fils, donne ses cours, va au cinéma avec une amie, fait ses courses au supermarché. Mais sa vie toute entière est suspendue aux appels de cet amant fuyant et à l’annonce tant attendue de leurs prochains rendez-vous amoureux.

Passion simple est un roman d’Annie Ernaux, écrit à la première personne du singulier, sorti en 1992. L’auteure, déjà célèbre de La Place, avait déjà atteint la cinquantaine et décrivait l’état de subjugation dans laquelle l’avait plongée la passion amoureuse éprouvée pour un amant russe avec lequel pourtant elle n’avait rien en commun.

Ce témoignage d’une grande brièveté – le livre fait quatre-vingts pages à peine – avait été fraichement accueilli par la critique féministe. Elle reprochait à Annie Ernaux de décrire une femme soumise, dominée, esclave de ses sens, réduite à attendre passivement les visites de son amant. En un mot, une femme passionnée d’un homme qui se joue d’elle. Que l’auteure dresse au final un bilan positif de cette liaison, qu’elle estime qu’elle en était sortie grandie et meilleure semblait une preuve supplémentaire de son aveuglement.

Le livre faisait l’impasse sur les rencontres de l’auteure avec A., laissant au lecteur les imaginer sinon les fantasmer. Danielle Arbid filme sans fard leurs corps amoureux : le corps tatoué et musculeux d’Alexandre dont on comprend volontiers l’attraction qu’il exerce sur son amante, celui d’Hélène, blond, rond, lisse et nu (il serait de mauvaise grâce de lui reprocher d’être trop beau par rapport à celui dix ou vingt ans plus âgé, qu’on imaginait être celui de Annie Ernaux). Sa caméra, tout en douceur, baigne dans une lumière hivernale et évite les pièges du male gaze.

Passion simple réussit à la fois à être profondément sensuel et extrêmement cérébral. Profondément sensuel, il l’est grâce à ces scènes d’amour torrides sans jamais être graveleuses. Mais Passion simple ne se réduit pas à cette simple dimension. Comme son titre l’annonce, il s’agit de la description chimiquement pure d’une passion exclusive et oblative, de celles que Éluard décrivait : « j’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde » et de la sublimation de l’être aimé décrite par Stendhal et son analyse de la cristallisation amoureuse. Qu’elle soit vécue par une femme importe finalement peu – dévoilant l’inanité de la critique ultra-féministe : un homme l’éprouverait tout identiquement. L’histoire de cette passion-là reste à écrire… et à filmer.

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Tom Medina ★☆☆☆

Tom Medina est un jeune homme à l’énergie débordante. Il débarque en Camargue chez Ulysse pour y apprendre le métier de gardian. Au contact de la nature, malgré les visions qui le hantent, Tom cherche la paix qu’il n’avait jamais connue.

Tony Gatlif a soixante-dix ans bien sonnés. Il tourne des films depuis quarante ans, reconnaissables au premier coup d’oeil qui ont pour héros des parias au grand cœur. Fils de gitan, Gatlif a filmé les Roms, en France et dans le monde, au point de s’en faire le chantre voire l’ambassadeur. Romain Duris fut son acteur fétiche, qui tourna dans trois de ses films : Gadjo Dilo (son plus grand succès), Je suis né d’une cigogne et Exils. David Murgia, un jeune acteur belge venu du cirque, lui ressemble de façon étonnante.

Tony Gatlif vécut une enfance chaotique et connut les maisons de correction. Il fut sauvé par un éducateur qui lui transmit la passion des chevaux. Tom Medina porte cette trace autobiographique.

La Camargue dispute à son acteur principal la tête d’affiche. Tom Medina y est tourné de bout en bout, au bord du Vaccarès, sur les rives de la Méditerranée, dans les rues de Saintes-Maries-de-la-mer. Mais il refuse l’imagerie de carte postale couramment utilisée pour le peindre.

Comme beaucoup de films de Tony Gatlif, Tom Medina bouillonne de vie. Ses personnages débordent d’une énergie communicative et inspirent une empathie immédiate, son héros en premier lieu, mais aussi Ulysse, son père de substitution, que campe Slimane Gazi, un habitué des rôles de gangsters dans un rôle à contre-emploi, et Stella, la fille de celui-ci, interprétée par la chanteuse de brutal pop Karoline Rose Sun.

Pour autant, comme beaucoup de films de Tony Gatlif, Tom Medina pèche par son scénario brouillon. Une fois son héros installé dans le mas d’Ulysse, entre taureaux et moustiques, l’action fait du surplace, les caractères n’évoluent pas, l’ennui s’installe jusqu’au dénouement prévisible.

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La Terre des hommes ★★★☆

Bernard (Olivier Gourmet) est un vieil agriculteur bourru dont l’obstination menace de mener sa ferme à la faillite. Mais Constance, sa fille (Diane Rouxel) et Bruno (Finnegan Odfield), son futur gendre, sont prêts à prendre la relève, à relancer l’exploitation, à y appliquer des méthodes nouvelles. Leur avenir est suspendu à la décision de la Safer, la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural qui est sur le point de se prononcer sur leur dossier. Constance et Bruno croient pouvoir compter sur l’appui de Sylvain (Jalil Lespert), l’influent président du marché local qui encourage leur projet et assure Constance de son soutien.

Le titre de La Terre des hommes résume avec une élégante efficacité les deux sujets qu’entremêle ce drame rural. D’une part, comme dans Petit Paysan ou Au nom de la terre, l’action se déroule dans ce monde paysan qui décidément revient à la mode après une longue éclipse au cinéma. D’autre part, comme dans Slalom, son héroïne est victime de l’emprise d’un homme et à travers lui de la domination d’une société masculiniste qui lui est spontanément hostile.

Pour son second film, le réalisateur Naël Marandin a réussi à réunir autour de lui une belle brochette de stars. On pourrait lui faire le reproche de les sous-utiliser : Olivier Gourmet, que je considère comme l’un des tout meilleurs acteurs actuels, est réduit à une silhouette, Finnegan Oldfield, que je considère quant à lui comme l’un des plus prometteurs, forme avec Constance un couple solaire qui démontre qu’il ne faut pas désespérer de tous les hommes, Jalil Lespert joue avec l’ambiguïté qui le caractérise le rôle d’un prédateur qui n’a pas conscience d’abuser du pouvoir qu’il possède pour abuser d’une femme.

Le film repose sur les frêles épaules de Diane Rouxel. C’était un pari audacieux : la jeune femme – comme le montre d’ailleurs très bien l’affiche – pouvait sembler trop fine, trop jolie, en un mot trop parisienne, pour assumer à elle seule cette responsabilité-là. Pourtant, elle impose sa présence dès les premières images où on la voit avec une belle assurance prendre la température au cul d’un veau malade. Elle est d’une justesse absolue dans la scène qui la confronte à Jalil Lespert où elle exprime la palette des sentiments qui la traversent : la quête d’une empathie, le trouble, la sidération, la peur, la honte et la colère…. C’est à sa composition toute en nuances que La Terre des hommes doit sa belle réussite.

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BAC Nord ★★★☆

Greg (Gilles Lellouche), Antoine (François Civil) et Yass (Karim Leklou) forment un trio de flics inséparables à la BAC Nord, la Brigade anti-criminalité du nord de Marseille. La brutalité des caïds qui imposent leur loi dans des quartiers où les forces de l’ordre ne s’aventurent plus, la pusillanimité de la hiérarchie policière et le manque de moyens de la BAC condamnent ce trio de super-flics à une impuissance qui les ronge. Un tuyau d’une informatrice (Kenza Fortas) leur permettrait pourtant de faire tomber tout un réseau. Mais, pour monter une telle opération au cœur des cités, il leur faudra franchir plusieurs lignes rouges.

BAC Nord est inspiré d’une histoire vraie. En 2012, dix-huit policiers de la BAC Nord de Marseille ont été poursuivis pour trafic de drogue et racket. L’affaire est toujours en cours, le parquet ayant fait appel du jugement de relaxe prononcé en avril à Marseille.

Cette coïncidence suscite un malaise, le même que celui éprouvé devant Grâce à Dieu (le film de François Ozon sur les abus sexuels commis par l’Eglise et couverts par la hiérarchie ecclésiastique sorti avant la condamnation définitive de Bernard Preynat et la relaxe de Philippe Barbarin). Car, même s’il s’en défend, BAC Nord prend parti en faveur des policiers, héroïse leurs actions, les blanchit de leurs accusations.

Le malaise est d’autant plus grand que le discours sous-jacent est sacrément rance : les cités nord de Marseille seraient des zones de non-droit gangrénées par les trafics ; les policiers, impuissants, lâchés par une classe politique irresponsable, seraient incapables d’y faire régner la loi sauf à recourir à des pratiques qui les exposeraient à des enquêtes tatillonnes des boeufs-carottes et à des sanctions pénales. On dirait un clip d’Alliance, le syndicat d’extrême-droite de la police nationale, ou un bulletin d’adhésion au Rassemblement national.

Pour autant, faut-il interdire au cinéma de traiter d’enquêtes judiciaires en cours ? La question avait été portée devant les tribunaux à la sortie de Grâce à Dieu, qui l’avaient autorisée au motif qu’elle s’inscrivait dans un « débat d’intérêt général ». Faut-il récuser un film au motif de l’idéologie qu’il défend ? Libération ne s’en prive pas qui évoque un film « démago et viriliste » « tendance cinquante nuances de droite ». Les films vigilantistes de Charles Bronson ou de Clint Eastwood avaient suscité en leur temps les mêmes et légitimes réserves.

Pour autant, même si on se doit d’exprimer ce malaise – un malaise symétrique à celui ressenti devant Les Misérables qui prenait, lui, ouvertement parti pour les jeunes des cités et légitimait leur violence au nom de la légitime défense face à la violence déployée par la police – force est de saluer l’efficacité du cinéma de Cédric Jimenez. Le réalisateur de La French sait raconter une histoire et la filmer : écrasée de soleil, loin des clichés de carte postale, Marseille devient la scène d’un « western urbain » (Télérama) ponctué de scènes mémorables. Cédric Jimenez sait diriger des acteurs : Gilles Lellouche, qui partageait déjà l’affiche avec Jean Dujardin dans La French, y est époustouflant ; ses deux acolytes, François Civil et Karim Leklou, confirment, s’il en était besoin, leur statut de jeunes gloires montantes du cinéma français. Adèle Exarchopoulos (soupirs énamourés….) et Kenza Fortas réussissent à donner à leurs rôles pourtant mineurs une force rare.

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France ★☆☆☆

France de Meurs (Léa Seydoux) est la présentatrice vedette de I télé, une chaîne d’informations en continu. Elle anime des débats enflammés en direct, interpelle Macron à l’Elysée et part en reportage dans des zones en conflit. Mais ce vibrionisme fou cache en fait un vide abyssal.

Bruno Dumont occupe une place à part dans le cinéma français. Son cinéma, âpre et minimaliste, aspire à la fois à la grâce et à l’animalité – pour reprendre le titre d’un essai qui lui a été consacré. Cet ancien professeur de philosophie filme l’humain au scalpel. Originaire du Nord, il est resté fidèle à son terroir : La Vie de Jésus (1997), L’Humanité (1999), Flandres (2006) s’y déroulent. Il a aussi fait un pas de côté en racontant l’histoire de personnalités historiques : Camille Claudel, Jeanne d’Arc…

Avec France, il s’attaque à tout autre affaire : les dérives de l’information en continu à travers le portrait sans concession d’une vedette du petit écran, d’une Claire Chazal ou d’une Léa Salamé fantasmée.

Autant le dire tout net : la mayonnaise ne prend pas.
Pourtant, il en aurait fallu de peu que l’alchimie marche. Car Bruno Dumont a du talent. Son film se tient. Sa direction d’acteur est impeccable. Léa Seydoux – dont on a longtemps hésité à lui reconnaître du talent, suspectant que son succès tienne plus à sa filiation qu’à ses qualités – n’y a jamais été aussi bonne. Elle est de tous les plans, le teint de porcelaine, le rouge à lèvres vermillon impeccable, dans des tenues époustouflantes qui devraient valoir à France sans hésitation le prochain César des meilleurs costumes.

Mais l’ensemble fonctionne mal, comme si on avait voulu agencer des pièces qui, prises séparément sont d’excellente facture, mais n’ont rien à faire ensemble. Prenons un exemple : Blanche Gardin. Elle fait son petit effet dans le rôle de Lou, la fidèle assistante de France. Elle y a la graine de folie et l’humour parfois trash qui ont fait sa célébrité. Mais, hélas, ces qualités là n’ont rien à voir dans le film et ne lui apportent rien. Idem pour Benjamin Biolay et sa beauté ténébreuse, qui semble se specialiser dans le rôle des époux sacrificiels après le rôle qu’il tenait auprès de Chiara Mastroianni dans Chambre 212. Idem aussi de la musique un brin envahissante de Christophe qui avait mieux sa place dans l’élégie moyenâgeuse de Jeanne qu’ici.

France raconte les dérives d’un système. Il met aussi en scène les failles d’une femme. Cette double dimension est le moteur du film. On lui donne sa chance pendant un moment, laissant à Bruno Dumont le bénéfice du doute. Mais, comme le public de Cannes qui lui a réservé un accueil mitigé (en sélection officielle, France est revenu bredouille), on décroche bientôt. La chute est longue : le film dure deux heures quatorze et aurait gagné à être amputé d’un bon quart.

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Février ★☆☆☆

Petar est berger dans un confin perdu de la Bulgarie, près de la frontière turque. Son père l’était, son grand-père avant lui. Février raconte sa vie en trois tableaux. Enfant, il passe un été paradisiaque auprès de son grand-père à l’alpage, à s’occuper des bêtes et à flâner dans les bois. Après son mariage, il part faire son service militaire et est affecté en mer Noire, au large de Bourgas, à la garde d’un ilot désolé quasi-exclusivement peuplé de goélands. Parvenu au terme de sa vie, Petar passe un dernier hiver dans sa bergerie au risque de mourir de froid dans une tempête de neige.

Le cinéma bulgare n’est pas le plus connu d’Europe. Avec le masochisme et le penchant vaniteux à l’encyclopédisme qui me caractérisent, j’ai vu la plupart des films bulgares distribués en France ces dernières années. Et j’en ai aimé beaucoup : Taxi Sofia de Stephan Komandarev, Glory et, mon préféré, The Lesson, de Kristina Grozeva et Petar Valchanov.

De Kamen Kalev, un jeune réalisateur bulgare formé à la Fémis et qui poursuit sa carrière à cheval entre la France et la Bulgarie, j’avais découvert récemment grâce à Arte et apprécié le tout premier film Eastern Plays. Ce Février est d’une veine très différente. Abandonnant le naturalisme de ses premiers films, Kamen Kalev opte pour un registre plus poétique. Son film est une élégie à la nature, quasiment sans paroles. Il peint le beau portrait d’un homme simple, uni à son environnement par un lien évident, qui ne souffre aucune discussion. C’est en creux une réflexion philosophique sur le sens de l’existence et ce qu’est être à la vie.

Bien sûr, Télérama se pâme et Les Cahiers frôlent l’orgasme : « [Février] vise comme horizon ultime une grandeur qui dépasse l’humain et l’absorbe dans la continuité d’un espace-temps sempiternel ». Quant à moi, un peu honteux de ne pas partager un tel enthousiasme, je dois avouer, le rouge au front, que j’ai trouvé les cent-vingt-cinq minutes très belles mais très longues aussi…

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