Lucy in the Sky ★☆☆☆

Lucy Cola (Natalie Portman) rêvait depuis l’enfance de voyager dans l’espace. Son rêve est devenu réalité à force de travail et de sacrifices. Après une mission spatiale, elle doit se réacclimater à la banalité du quotidien. Lucy n’a qu’une seule obsession : repartir.

Lucy in the Sky est le film miroir de Proxima. Celui-ci racontait les angoisses d’une spationaute française sur le point de partir en mission, tiraillée par la séparation à venir avec son mari et sa fille, angoissée de ne pas être à la hauteur de la mission exaltante qui l’attend. Celui-là pourrait être la suite de celui-ci. On y retrouve presque la même femme, de retour de mission. L’angoisse est toujours là ; mais elle a changé de nature.

Lucy in the Sky est directement inspirée d’une histoire vraie : après avoir participé en juillet 2006 à une mission à bord de Discovery, l’astronaute américaine Lisa Nowak a, en février 2007, agressé et tenté de kidnapper une femme qui entretenait une liaison avec l’astronaute William Oefelein dont Nowak était éprise.

L’affaire Nowak a jeté le soupcon sur l’équilibre psychologique des astronautes missionnés dans l’espace et sur l’efficacité des tests censés dépister des troubles éventuels. Malheureusement cette dimension n’est guère exploitée. Le film se focalise sur son héroïne que l’on voit lentement basculer dans la folie.

Lucy in the Sky met en scène une winneuse, une première de la classe qui n’a jamais connu l’échec. L’histoire aurait tout aussi bien pu concerner une championne olympique ou une danseuse étoile – comme celle d’ailleurs que Natalie Portman avait interprétée dans Black Swan. Du coup la similarité que j’évoquais à l’instant avec Proxima s’avère moins évidente qu’il n’y paraît. Si le film français nous emmenait dans les étoiles, le film américain, qui nous ramène sur terre, est moins original.

La bande-annonce

The Good Wife – Saison 1 ★★☆☆

Épouse aimante du procureur de Chicago, mère de famille attentionnée, Alicia Florrick voit sa vie exploser quand l’adultère de son mari est révélé et quand des accusations de corruption conduisent à son incarcération. L’ancienne avocate qui avait arrêté de travailler pour se consacrer à sa famille se voit obligée à la quarantaine de reprendre du service. Elle est recrutée dans une grande firme de Chicago dont l’un des deux associés est un ancien camarade d’université.

The Good Wife est une série iconique. Lancée en 2009, elle a connu sept saisons, pas moins de cent cinquante-trois épisodes et une diffusion quasi-universelle (aux États-Unis sur CBS et en France sur M6 et Téva). La série et son actrice principale, Julianna Margulies, ont remporté un nombre impressionnant de récompenses. Un spin-off a même été lancé en 2017, The Good Fight, dont on dit qu’il est aussi bon sinon meilleur que The Good Wife lui-même.

Il est vrai que The Good Wife fonctionne terriblement bien. Chaque épisode de quarante-trois minutes tapantes est réglé comme du papier à musique. On y voit un procès se dérouler à tout berzingue et se conclure le plus souvent à l’avantage d’Alicia, servie par sa maîtrise du droit, son intelligence émotionnelle et l’assistance souvent précieuse de Kalinda, une détective privée aux méthodes peu conventionnelles. Parallèlement, et à un rythme beaucoup plus lent, la situation familiale d’Alicia évolue, écartelée entre l’impossible pardon du comportement de son mari et l’attirance qu’elle éprouve pour le beau et preux Will Gardner.

Cette recette bien éprouvée est le principal atout de la série dans laquelle on se glisse, au début de chaque épisode, comme on le ferait dans de confortables charentaises. Mais, le temps passant, cette répétition métronomique devient son principal défaut : une fois qu’on a terminé la première saison, et quelque grand le plaisir qu’on y ait pris, on ne voit guère l’intérêt de regarder les cent-trente épisodes suivants, sans doute tout aussi rebondissants mais probablement similaires.

Beau-père (1980) ★★★☆

Rémi (Patrick Dewaere), la quarantaine, est un pianiste d’hôtel dépressif sans talent. Il vit en couple avec Martine (Nicole Garcia) et sa fille Marion (Ariel Besse), une adolescente un peu rebelle. Quand Martine meurt accidentellement, quand Charly (Maurice Ronet), le père de Marion, refuse d’en assurer la garde, c’est à Rémi qu’il incombe de prendre l’adolescente sous sa coupe. Mais la situation devient bientôt intenable pour lui quand la jeune fille se déclare follement amoureuse de lui et se jette à son cou.

J’avais vu Beau-père à la télévision dans les années quatre-vingts et en ai gardé un souvenir très vif. Je l’ai revu trente ans plus tard, en octobre dernier, au Champo, à l’occasion d’un hommage rendu à Patrick Dewaere dont c’était l’un des derniers films. Beau-père lui valut sa dernière nomination au César du meilleur acteur, une récompense pour laquelle il fut cinq fois nominé, quasiment cinq années de suite, en 1977, 1978, 1980, 1981 et 1982, mais qu’il n’obtint jamais.

L’affiche de Beau-père, qui fit scandale, annonce la couleur. Son thème est sulfureux : l’inceste (même si Rémi et Marion ne partagent pas le même sang), la pédophilie (Marion a quatorze ans). Nul doute que ce genre de films-là serait impossible à tourner de nos jours.

Mais pourtant, si son thème est provocateur, Beau-père n’a rien de salace. D’ailleurs Bertrand Blier se serait opposé au choix de l’affiche par son distributeur, lui en préférant une plus sage qui ne dénudait pas le buste d’Ariel Besse. C’est au contraire un film pudique qui raconte avec une grande tendresse une histoire d’amour interdit. Tout y est un peu triste, depuis le deuil de Martine qui laisse Rémi et Marion épleurés, jusqu’à cette banlieue parisienne sans charme filmée sous un ciel maussade. Il n’est pas jusqu’à l’échappée belle à Courchevel où les deux amants se connaîtront enfin qui ne soit pas cafardeuse.

Tout part comme toujours chez Blier d’un texte très écrit. Le miracle est que les acteurs ne sont jamais artificiels en le récitant. Patrick Dewaere est au sommet de son art. Il faut le voir dans la première scène, face caméra, en smoking, derrière son piano, s’ennuyant cent sous l’heure dans un thé dansant. On reconnaît Nicole Garcia dans un rôle trop bref, et Nathalie Baye, toutes deux éclatantes de jeunesse. La jeune Marion est jouée par Ariel Besse. Ce fut pour elle un coup d’éclat sans lendemain. Le rôle avait été proposé, dit-on, à Sophie Marceau, qui venait de se révéler avec La Boum et qui connut ensuite le succès que l’on sait…

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Beasts of No Nation ★★☆☆

Le jeune Agu coule des jours heureux dans une petite ville d’Afrique de l’Ouest entre son père, sa mère, son frère aîné et sa petite sœur. Mais la guerre civile menace cet Eden. Sa mère et sa sœur doivent s’enfuir à la capitale. Quand l’armée régulière exécute sous ses yeux son père et son frère, Agu n’a d’autre alternative que de s’enfuir dans la jungle. Il y est recueilli par un bataillon d’enfants-soldats dirigé par un « commandant (Idris Elba) aussi charismatique que violent.

En 2005, Uzodinma Iweala publiait Beasts of No Nation, un court roman de deux cents pages à peine (traduit en français trois ans plus tard aux Editions de l’olivier sous le titre Bêtes sans patrie). Après d’âpres négociations, Netflix – qui n’était pas encore la plateforme qu’elle est devenue – en achetait les droits et confiait au réalisateur américain Cary Fukunaga le soin d’en faire un film. Anticipant les débats qui agitèrent la sortie de Roma trois ans plus tard et son triomphe aux Oscars, la profession se déchirait sur l’accueil à réserver à Beasts of No Nation, privé de salles, directement diffusé en ligne.

Beasts of No Nation a un immense atout et un sévère handicap : Idris Elba.

L’immense acteur, qui aurait fait un James Bond d’exception, aimante le film – qu’il a par ailleurs co-produit. Il l’aimante par son charisme. Il l’aimante aussi par l’ambiguïté de son personnage, un criminel de guerre, ivre de pouvoir, violent et pédophile qui, malgré ses défauts rédhibitoires, réussit pourtant à être attachant. Pendant tout le film, le spectateur résiste contre la sympathie spontanée que l’acteur inspire. Ce pourrait être un défaut de scénario ; mais tout bien réfléchi, ce n’en est pas un, le jeune Agu éprouvant lui aussi un infini besoin de reconnaissance de la part de ce père de substitution.

Le défaut de construction est ailleurs. Idris Elba est si fascinant, si charismatique, si omniprésent à l’écran, qu’il fait dévier la focale du film. Les enfants-soldats auraient dû être son sujet, comme c’était le sujet du film, à travers l’expérience d’Agu, sa séparation traumatisante d’avec les siens, les violences barbares qu’il subit ou qu’il inflige (âmes sensibles s’abstenir), les drogues hallucinogènes qu’il ingurgite, les privations débilitantes qu’il endure. Le jeune acteur ne s’en sort pas si mal, évitant le cabotinage qui pollue si souvent le jeu à son âge. mais face à Idris Elba, il ne peut pas faire le poids. Beasts of No Nation n’est pas un film sur les enfants-soldats ; c’est un film sur le colonel Kurz !

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The Coldest Game ★☆☆☆

Alors que la crise des missiles de Cuba place États-Unis et URSS au bord du gouffre fin 1962, un match d’échecs se déroule à Varsovie entre un grand maître soviétique et un génie des mathématiques, appelé à la dernière minute pour remplacer le joueur américain qui vient d’être mystérieusement assassiné.

J’adore les films d’espionnage aux histoires à tiroirs, sur fond de Guerre froide, avec des agents de la CIA courageux, des officiers soviétiques cruels et des espionnes du KGB vénéneuses (j’espère que cet élément ne me classera pas définitivement dans la classe des machistes sexistes). Si L’espion qui venait du froid constitue à mes yeux LE chef d’oeuvre indépassable, Sens unique, L’Affaire Farewell ou La Taupe comptent au nombre de mes films préférés depuis que j’ai l’âge d’aller au cinéma.

Dans ces conditions, j’étais un client tout désigné pour regarder pendant le confinement la dernière production Netflix sur ce thème. Les scénaristes ont imaginé une partie d’échecs en pleine crise des missiles de Cuba. Ce choix, sans lien avec la réalité historique, n’a pour seule utilité que de relier deux arcs narratifs : celui de la confrontation américano-soviétique à Cuba et celui d’une partie d’échecs au meilleur des cinq manches.

Hélas, le procédé fait long feu. Une fois qu’une équipe de la CIA est allée récupérer dans un rade new-yorkais l’alcoolique joueur d’échecs interprété par Bill Pullman, une fois que le match commence dans un immense hôtel stalinien de Varsovie, l’intrigue fait du sur-place. Tourné sous la direction d’un réalisateur polonais, le film se sent obligé de rendre un hommage appuyé au courage de la Pologne, écrasée sous la botte soviétique durant la Guerre froide. Comme de bien entendu, l’histoire connaît quelques rebondissements. Tel personnage se révèle agent double ; tel autre manifeste un courage et une abnégation inattendus. Mais on perd vite tout intérêt dans son dénouement.

Autrement plus convaincant était en 2014 Le Prodige, le film consacré à Bobby Fischer, interprété par Tobby Maguire, qui affronta Boris Spassky en 1972 à Reykjavik dans un match d’anthologie qui résumait à lui seul le bras de fer américano-soviétique de la Guerre froide.

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Sogni d’Oro (1980) ★☆☆☆

Michele Apicella, double autobiographique de Nanni Moretti, fait la tournée promotionnelle de son dernier film et tourne le suivant, une adaptation de la vie de Sigmund Freud. Un conflit l’oppose à un jeune réalisateur dont son producteur a décidé de financer sa comédie musicale sur mai 68. Apicella décide de le défier dans un débat télévisé.

Sogni d’oro (1981) n’est pas le premier film de Nanni Moretti mais son troisième après Je suis un anarchiste en 1976 et Ecce Bombo en 1978. Mais c’est celui grâce auquel il accède à la notoriété, en Italie et à l’étranger, grâce notamment au prix spécial du jury que lui délivre la Mostra de Venise.

Nanni Moretti n’a pas encore trente ans ; mais il a déjà trouvé sa voie. Sur le fond comme sur la forme, tout son cinéma est déjà inscrit dans Sogni d’oro qui connaîtra ensuite d’innombrables déclinaisons : Bianca, Journal intime, Aprile, Mia Madre…. La forme : la chronique autobiographique volontiers ironique voire satirique. Le fond : questionnements intimes, réflexions artistiques, interrogations politiques.

Regarder aujourd’hui Sogni d’oro, grâce à Arte TV qui diffuse une rétrospective de son oeuvre, c’est effectuer un bond en arrière de presque quarante ans et explorer la généalogie du cinéma de Moretti. Le film est construit de bric et de broc qui enchaîne, sans toujours se soucier de les relier les unes ou autres, des scènes plus ou moins convaincantes. Nanni Moretti est de chaque plan : avec sa mère, derrière la caméra, devant son public qui lui reproche son élitisme. On aperçoit Laura Morante pour la première fois, qui deviendra son actrice fétiche.

Sogni d’oro a mal vieilli. Les thèmes qu’il brasse (la crise du cinéma d’auteur, la médiocrité de la télévision, la faillite du gauchisme…) semblent bien datés. On lui préfèrera les films de la maturité et au premier chef La Chambre du fils.

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Détective Dee : La Légende des rois célestes ★☆☆☆

À la cour de l’empereur, le détective Dee voit désormais ses talents reconnus. En témoignage de sa bravoure, l’épée Dragon docile lui est officiellement remise. Mais l’impératrice s’en inquiète qui corrompt le chef de la garde et lui ordonne de dérober Dragon docile à Dee.
Les manœuvres de l’impératrice risquent d’affaiblir Dee alors que la dynastie est menacée par le complot ourdi par les Sorciers masqués, une mystérieuse confrérie en mal de vengeance qui utilise des pouvoirs magiques importés d’Inde.

Après Le Mystère de la flamme fantôme sorti en 2011 et La Légende du dragon des mers sorti en 2014, le troisième volet des aventures du détective Dee est sorti en salles en 2018. On y retrouve ce mandarin de la dynastie Tang, réputé pour son intelligence et sa capacité de déduction, véritable Sherlock Holmes chinois, qui inspira au sinologue Robert van Gulik le personnage du juge Ti.

Venu du wu xia pan, le film de sabre, genre très populaire en Chine, le réalisateur hong-kongais Tsui Hark utilise les moyens délirants que les studios de Chine continentale mettent à sa disposition. Le scénario passablement touffu, qui emprunte aux feuilletons d’aventures, importe moins que les scènes de bataille dopées aux effets spéciaux. Dans un délire d’images et de sons, on y voit des décors et des costumes d’un luxe extravagant, des combats d’arts martiaux défiant les lois de la gravité, des créatures fantastiques dessinées à la palette graphique qui empruntent à la fois à la mythologie chinoise et aux mangas japonais.

Face à une telle avalanche, le spectateur n’a guère d’autres alternatives que de débrancher son cerveau et se laisser impressionner. La recette, dit-on, fait merveille en Chine où les aventures du détective Dee concurrencent les blockbusters hollywoodiens. Leur importation en Occident ne va pas pour autant de soi ; car les spectateurs ne sont pas encore habitués à cette forme de cinéma. C’est le signe que la Chine peine encore à faire rayonner à travers le monde son soft power. Pour combien de temps ?

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Parlement ★☆☆☆

Samy est jeune et plein d’allant. Il vient d’être recruté au Parlement européen pour y travailler auprès d’un eurodéputé français, centriste et passe-muraille. Il découvre non sans effroi la machinerie européenne que le récent Brexit a rendue bien cafardeuse. Il y fait vite la rencontre de deux autres assistants : Rose, une Britannique obligée, à son corps défendant, d’assister une Eurosceptique pro-Brexit et Thorsten, un Allemand qui travaille auprès de la conseillère politique, particulièrement machiavélique, d’un groupe de droite.
Embobiné par un lobbyiste italien, Samy doit rédiger pour son député un rapport sur la pêche et défendre un amendement pour la protection des requins.

Une série drôle et pédagogique à la fois sur le Parlement européen qui combattrait  avec humour les lieux communs qui circulent au sujet de cette institution et nous en ferait découvrir les arcanes ? On dit oui ! Et on sermonne nos enfants pour la regarder avec nous, malgré leurs sourcils sceptiques et leurs bâillements d’ennui, quitte à se serrer un peu sur le sofa familial devenu trop petit depuis qu’ils ont trop vite grandi.

Il faut reconnaître à France Télévisions un sens élevé du service public pour avoir développé ce sitcom politique et europhile. L’idée en était excellente, qui louche vers les séries anglo-saxonnes Veep et The Thick of It. Mais, faute de moyens, le résultat ne convainc pas.

Parlement n’est pas sans charme, à commencer par ses personnages : Xavier Lacaille (Samy) joue très bien le bizuth de bonne volonté, un peu perdu dans son costume mal ajusté – même si son ignorance des principes les plus élémentaires de la procédure européenne laisse dubitatif sur le sérieux de son recrutement. Liz Kingsman est touchante dans le rôle d’une jeune Britannique rivée à une députée pro-Brexit frappadingue.
Parlement n’est pas sans humour qui décoche quelques piques, souvent politiquement incorrectes, à l’arrogance allemande ou au siège de Strasbourg.
Mais Parlement manque désespérément d’un ingrédient essentiel : un scénario qui tienne la durée et donne envie, à la fin de chaque épisode, aussi bref soit-il (vingt-six minutes seulement), de regarder le suivant.

Du coup Parlement manquera sa cible. Il décevra les europhiles et n’attirera pas les eurosceptiques. Nos deux dadais ont déserté le sofa familial dès la fin du premier épisode. Soupirs….

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Jinpa, Un conte tibétain ★☆☆☆

Un routier traverse un haut plateau tibétain. Son attention détournée par le vol d’un vautour, il percute une brebis et la tue. Quelques kilomètres plus loin, il prend un voyageur en stop. L’homme lui confie se rendre à un village proche pour s’y venger de l’assassin de son père.

Pema Tseden est un réalisateur tibétain qui a accepté de passer sous les fourches caudines de la censure pékinoise pour réaliser des films. Aussi ne faut-il y chercher aucun message politique, aucun arrière-texte militant. Après Tharlo, le berger tibétain, sorti il y a deux ans, il revient sur les écrans français avec Jinpa, un conte tibétain qu’il a réalisé à partir de deux nouvelles, l’une de sa plume, J’ai écrasé un mouton, l’autre de Tsering Norbu, L’Assassin.

Jinpa, un conte tibétain est produit par Wong Kar Wai et l’ombre du maître, plane sur le film. Jinpa a des faux airs de western comme Les Cendres du temps. Son héros, le routier, a le look arty des héros de WKW, lunettes de soleil, blouson en cuir, pull violet. La bande son qui place en majesté une version très contemporaine de O Sole Mio entonnée à tue-tête par le héros, rappelle les curieux mélanges musicaux de In the Mood for Love. Enfin et surtout, le travail hyperstylisé de Lu Songye, le directeur de la photographie, rappelle celui de 2046.

Hélas, comme dans 2046, on n’y comprend vite plus grand chose dans ce récit pourtant minimaliste sinon que les deux héros, qui portent le même prénom, vivent l’expérience troublante d’une transsubstantiation plus ou moins fantastique, le corps de l’un passant dans celui de l’autre comme les âmes migrent dans le bouddhisme. On accepte de se laisser entraîner durant la première moitié du film, au fur et à mesure que la cohérence du scénario se délite ; dans la seconde en revanche, notamment dans une interminable scène de saloon revécue deux fois à travers les yeux des deux héros, notre adhésion se délite.

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The Affair ★★★★

Noah Solloway (Dominic West) a tout pour être heureux : une femme magnifique, quatre enfants, son métier d’enseignant et un rêve sur le point d’éclore : devenir écrivain même si le succès n’a pas été au rendez-vous de son premier livre… En vacances à Long Island en famille, il rencontre Allison, une serveuse de restaurant, mariée elle aussi, dévastée par la mort brutale de son fils unique. Leur liaison adultère va faire exploser leurs couples.

En lisant le palmarès des meilleures séries de la décennie ou du siècle, j’ai découvert en janvier dernier The Affair, coincé entre Breaking Bad, Downton Abbey, Game of Thrones, Tchernobyl et Black Mirror. Je n’en avais jamais entendu parler. De quoi s’agissait-il ? « Un adultère raconté à la Rashomon » ? Mazette….

La marque de fabrique de la série en effet, que ses réalisateurs respecteront jusqu’au dernier épisode, est de raconter une même histoire depuis plusieurs points de vue. Au début, il s’agit de Noah et d’Allison : comment chacun a vécu leur première rencontre, au Lobster Roll, ce restaurant de fruits de mer où Allison travaille et où Noah s’arrête sur le chemin des vacances avec sa bruyante famille. Mais bien vite le procédé est élargi à d’autres personnages et à d’autres événements : Helen, la femme de Noah, Cole, le mari d’Allison…. Et pour éviter un procédé qui deviendrait vite lassant, il ne s’agit plus de raconter le même événement de plusieurs points de vue, mais d’entrelacer les arcs narratifs en en montrant ce que traverse tour à tour chacun des personnages.

Le scénario est d’une complexité que seule permet une série étalée sur cinq saisons, comptant au total plus de cinquante épisodes de près d’une heure chacun. De quoi laisser le temps de creuser les personnages, de quoi permettre aussi de se perdre dans des histoires secondaires qui auraient été sacrifiées au montage d’un film d’une heure trente pressé comme un citron. Un film doit aller à l’essentiel sans dévier du fil rouge, bref et tendu, autour duquel il est tendu. Une série de plusieurs saisons est une longue pelote qu’un scénariste démiurgique peut dévider à sa guise en s’autorisant des détours, des bifurcations et même des impasses que le cinéma n’autorise pas.

La tension des deux premières saisons est maintenue par une enquête policière autour d’un meurtre dont on ignorera jusqu’au dernier moment et la victime et l’auteur. Le rythme retombe un peu dans la saison 3 malgré l’apparition en guest stars de la trop rare Irène Jacob, l’interprète à jamais lumineuse de La Double Vie de Véronique, et du gentil Brendan Fraser dans un rôle à contre-emploi de maton sadique. Pour son final, The Affair se paie un détour dystopique pas vraiment indispensable dans un 2053 anxiogène.

Pourquoi The Affair m’a-t-il tant ému ? Par les thèmes qu’il traite et par la subtilité qu’il y met. The Affair est une radioscopie au scalpel du couple CSP+ américain, qui parfois prête à sourire de ce côté-ci de l’Atlantique tant nos cousins américains semblent le surinvestir. Mais au final, qu’on regarde The Affair seul.e ou avec son conjoint, on sera immanquablement assailli de questions : qu’est-ce que le couple ? qu’y apporte-t-on ? qu’en retire-t-on ? quels sacrifices suis-je prêt à consentir pour lui ?

Dans The Affair, il est question d’amour, de désir, de culpabilité et de rédemption. La balance est chargée me direz-vous. Elle l’est. Mais elle se donne les moyens de l’être dans une oeuvre ample et fluide qui évite le piège du manichéisme et du moralisme. Noah qui trompe sa femme et devra en assumer les lourdes conséquences n’est pas un salaud haïssable, pas plus qu’Helen, sa femme, n’est une sainte humiliée ou Allison, sa maîtresse, une victime expiatoire. « Tout le monde a ses raisons » aurait dit Jean Renoir dont La Règle du jeu aurait fait une épatante série polyphonique.

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