Le Diabolique Docteur Mabuse (1960) ★☆☆☆

Un journaliste est tué dans un taxi à Berlin. L’inspecteur Kras (Gert Fröbe) mène l’enquête grâce aux indications, pas toujours très claires, de Cornelius, un voyant aveugle. Ses indications le mènent à l’hôtel Luxor que les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale avaient truffé de caméras. S’y trouvent un riche industriel américain, une femme dépressive poursuivie par son mari jaloux et un soi-disant agent d’assurances au comportement louche.

Longtemps exilé aux États-Unis, où il a tourné quelques uns de ses plus grands films, Fritz Lang est revenu en Allemagne de l’Ouest en 1956 pour y signer un diptyque exotique : Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou. Puis il ressuscite une dernière fois le personnage de Mabuse, créé dans les années vingt par un écrivain luxembourgeois et qu’il avait déjà porté à l’écran deux fois : Docteur Mabuse le joueur (1922) et Le Testament du Docteur Mabuse (1933).

Le docteur Mabuse est une figure du Mal qui traverse le siècle. Dans les années vingt, Fritz Lang dénonce à travers elle la spéculation boursière et les faiblesse structurelles de la République de Weimar. En 1933, au moment de l’ascension de Hitler au pouvoir, il décrivait les dangers de la manipulation des masses. En 1960, en ressuscitant Mabuse, il veut montrer que l’Allemagne prospère est toujours hantée par ses vieux démons, tapis dans l’ombre. Les moyens que Mabuse utilise pour mener à bien ses visées sont étonnamment modernes : un réseau ultra-sophistiqué de caméras qui lui permettent de contrôler les allées et venues de tous les occupants d’un hôtel. On pense au Panopticon de Jeremy Bentham, à Foucault et à 1984.

Le titre original, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, est à ce titre autrement plus efficace que sa pâle traduction française. Les distributeurs anglo-saxons ont démontré plus de lucidité en optant pour The Thousand Eyes of Dr. Mabuse.

La mise en scène de Lang est assez plate. Le temps de l’expressionisme est loin. Citant la scène d’introduction, un meurtre froidement exécuté, les aficionados parleront d’épure. Les plus blasés critiqueront dans le reste du film la piètre qualité du jeu des acteurs, les mouvements de caméra pas toujours très utiles et la lenteur du scénario jusqu’au dénouement final.

Le Diabolique Docteur Mabuse fut accueilli fraîchement par la critique. Il fut le dernier film de Fritz Lang qui s’éteignit à Beverly Hills seize ans plus tard.

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La Planète sauvage (1973) ★★☆☆

Par leur intelligence et leur capacité de méditation, une population de géants pacifiques, les Draags, domine la planète Ygam. Ils en ont relégué les minuscules Oms, réduisant quelques uns au statut d’animal de compagnie, pourchassant les autres dans les franges les plus reculées de la planète.
À la mort de sa mère, un bébé om est recueilli par une famille draag. Il s’en enfuit à l’adolescence avec un serre-tête qui lui fournit les clés de la connaissance et rejoint une tribu om. Fort de leurs nouveaux savoirs, les Oms résistent à la campagne de « désomisation » menée par les Draags et réussissent à construire une fusée pour se réfugier sur la Planète sauvage, un satellite de Ygam.

La Planète sauvage fait figure d’OVNI dans le monde de la BD. Réalisé entre 1968 et 1973 à partir des dessins de Roland Topor dans un studio d’animation tchèque, ce dessin animé français de science fiction s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Loin des pyrotechnies à la Flash Gordon, il délivre un message pacifique qui résonne avec l’air du temps peace and love et flirte avec le surréalisme.

La Planète sauvage a vieilli. Même si les pastels de Roland Topor sont soyeux, l’animation en cut-out (chaque élément du dessin est découpé et assemblé image après image) donne aux personnages une rigidité hiératique. La musique psychédélique supporte mal l’épreuve du temps. Pour autant, le message du film – auquel on peut trouver un sous-texte politique au lendemain de l’écrasement du printemps de Prague par les chars soviétiques – n’a pas pris une ride. Récompense rare pour un dessin animé, il a obtenu le prix spécial du jury au Festival de Cannes en 1973.

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Happy Sweden (2008) ★★★☆

Un père de famille se blesse gravement à l’oeil en tirant un feu d’artifice pour ses invités à son anniversaire. Un chauffeur de bus arrête son véhicule en exigeant que l’auteur d’une incivilité se dénonce. Deux préados écervelées se photographient dans des poses lascives. Une bandes d’amis d’enfance désinhibés par l’alcool se laissent aller à des attouchements homosexuels. Une professeur d’école fait la leçon à ses collègues.

Le réalisateur suédois Ruben Östlund a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2017 pour The Square. Mais deux de ses précédents films y avaient déjà été projetés : Snow Therapy en 2014 et Happy Sweden en 2008. Le plus ancien des deux est d’une facture étonnante. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un film à sketches où cinq courtes historiettes sont successivement racontées. Le montage en est plus complexe, qui entrelace ces cinq récits, sans pour autant qu’existe entre eux aucun lien narratif.

Mais ce montage très sophistiqué n’est pas la moindre originalité du film. Ce qui frappe dans Happy Sweden, c’est le sens du cadre et l’immobilité de la caméra qui raconte en longs plans fixes des situations apparemment anodines. L’action se déroule parfois dans le champ, parfois hors du champ comme dans cette scène en gros plan de la maîtresse d’école qui reproche à ses deux collègues dont on ne voit pas le visage de discuter entre eux sans lui adresser un regard.

Comme dans The Square, comme dans Snow Therapy, Ruben Östlund signe une étude comportementale. Ici il s’intéresse à l’influence du groupe sur l’individu qu’il illustre par une des premières scènes du film : une élève interrogée au tableau préfère faire la réponse que lui soufflent ses camarades plutôt que celle que la raison lui inspire.

On a souvent comparé Ruben Östlund aux autres grands cinéastes nordiques : Aki Kaurismäki dont il aurait partagé l’humour froid, Roy Andersson pour sa mise en scène glacée. Mais c’est avec Michael Haneke que selon moi la proximité est la plus grande. Comme le maître autrichien bi-palmé, Ruben Östlund sait distiller le malaise. On peut trouver l’expérience déplaisante – et j’avoue avec un certain remords avoir fait la fine bouche à The Square dont, le recul aidant, je dois admettre les qualités. Mais on peut aussi y prendre un plaisir masochiste.

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Le Mur (1983) ★★☆☆

Après Yol, Palme d’or à Cannes en 1982 et avant de mourir d’un cancer de l’estomac, Yilmaz Güney consacre son dernier film aux prisons turques. Exilé en France, il reconstitue de toutes pièces à Pont-Saint-Maxence, dans l’Oise, un pénitencier divisé en quatre secteurs : deux secteurs pour les hommes, un pour les femmes et un dernier pour les enfants.

Le résultat est particulièrement poignant, à mi-chemin du documentaire et de la fiction. Certes, on savait depuis Midnight Express que les conditions d’incarcération en Turquie n’étaient pas tendres. Mais, tournant le dos à l’esthétisme kitsch d’Alan Parker – qui, malgré ses pachydermiques défauts, m’avait ému aux larmes quand je l’avais vu à sa sortie – Yilmaz Güney opte pour un parti pris naturaliste. On est tout aussi loin du tire-larmisme de 7. Koğuştaki Mucize, le film sorti sur Netflix, succès mondial du début du confinement, qui lui aussi se déroulait derrière les murs d’une prison turque.

Le Mur ne fait pas dans la dentelle. La violence est montrée sans euphémisation sous son jour le plus cru. Rien ou presque (les scènes de pédophilie sont seulement suggérées) ne nous est épargné de la violence la plus crasse qui est infligée aux jeunes prisonniers.

Yilmaz Güney parle d’expérience. Ce sympathisant communiste, opposant de longue date aux régimes militaires qui se sont succédés en Turquie, a connu toutes les geôles d’Anatolie. C’est en prison qu’il a écrit Yol, son chef d’oeuvre. C’est de prison qu’il réussit à s’échapper pour trouver l’exil en France où il finira ses jours après avoir été déchu de la nationalité turque.

En signant Le Mur, il réalise autant un film qu’il signe un acte politique de dénonciation. La charge est lourde. Elle est parfois caricaturale dans la description de matons sadiques torturant des enfants innocents. On n’a plus guère l’habitude de nos jours de voir un tel militantisme se déployer avec un tel manichéisme. Mais le résultat n’en reste pas moins terriblement efficace.

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Les Destinées d’Asher ★★☆☆

Asher a dix-sept ans et vit dans une ville moyenne au nord de Tel Aviv. Son père vieillissant et malade dirige une petite entreprise de BTP et le presse de prendre sa succession. Asher est encore lycéen. Dans une classe difficile, il ne brille guère. Mais un professeur particulièrement sensible lui offre la possibilité de développer ses talents.

Les Destinées d’Asher est un premier film, largement autobiographique, d’un jeune réalisateur israélien qui fut un temps enseignant en lycée professionnel. L’histoire qu’il raconte est universelle. Le réalisateur Matan Yair a d’ailleurs choisi pour l’interpréter un de ses anciens élèves et l’a fait tourner son propre rôle.

Asher, montagne de testostérone, faisant facilement plusieurs années que son âge, toujours sur le point d’exploser, incapable d’exprimer ses sentiments autrement que par la violence rappelle bien des figures du cinéma et de la littérature : le jeune Antoine Doinel des 400 coups, les héros du Petit criminel de Doillon, de La Tête Haute de Emmanuel Bercot ou de La Prière de Cédric Kahn.

Le scénario est simple au risque d’être simpliste. Les Destinées d’Asher raconte le lent éveil à la conscience d’un jeune homme dont la destinée semblait tracée à l’avance : condamné par ses résultats scolaires, il était voué à prendre la succession de son père. Mais, grâce à un enseignant hors norme, Asher va réaliser qu’un choix est possible, que le champ des possibles lui est ouvert.

Le sujet, déjà mille fois filmé, serait sans intérêt si le scénario du film ne faisait le pari d’un événement surprenant au mitan du film. L’histoire qui jusqu’alors semblait nous conduire sur des rails sans surprise change de sens et de rythme. Sans manichéisme, sans opposer un père biologique sourd aux aspirations d’un fils mal compris au père d’élection que celui-ci se choisirait pour conquérir la liberté de faire ses propres choix, Les Destinées d’Asher trouve le ton juste pour nous étonner et nous émouvoir.

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Champions ★☆☆☆

Rien ne va plus dans la vie de Marco. Sa femme vient de le quitter. Le club de basket qui l’emploie le licencie suite à la violente altercation qui l’oppose à l’entraîneur dont il était l’adjoint. Arrêté au volant en état d’ébriété, il est condamné à quatre vingt dix jours de travaux d’utilité publique pour une association d’aide à des personnes déficientes. Sa tâche :  entraîner leur équipe de basket.

On dit à tort que sport et cinéma ne font pas bon ménage. Mais on se trompe de perspective. À la différence de la télévision, le cinéma peine certes à filmer l’exploit sportif proprement dit. Aucun film n’aura la puissance et l’impact d’une séance de tirs au but retransmise en direct ou d’une balle de match à Roland-Garros En revanche, le cinéma excelle là où il est le meilleur : raconter des histoires. Dès lors, il s’est fait une spécialité, au point de créer un sous-genre, de raconter celle de la création d’une équipe : c’est la clé du succès du Grand bain – qui reprend le schéma de The Full Monty. Mais c’est aussi celle de Invictus (sur l’équipe de rugby d’Afrique du Sud victorieuse de la Coupe du monde de 1995), de Rasta Rockett (sur la première équipe de bobsleigh jamaïcaine participant aux JO de 1988) ou de Comme des garçons (sur la création de la première équipe féminine de football de France).

C’est cette voie bien balisée qu’emprunte Champions. Il le fait en jouant sur la collision de deux mondes : d’un côté Marco, entraîneur d’un club professionnel, de l’autre une bande de doux dingues que rien ne prédispose à devenir des rois du panier.

Champions est un feel good movie un peu trop cousu de fil blanc. Comme de bien entendu, chacun des dix membres de l’équipe a sa minute de gloire, occasion de révéler un aspect attachant de son caractère. Comme de bien entendu, l’entraîneur ronchon s’humanisera au contact de ces joueurs. Comme de bien entendu, l’équipe franchira victorieusement une série d’épreuves sportives et humaines. Jusqu’à la finale qui se conclura, comme de bien entendu, par …

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Breaking In ☆☆☆☆

Après le décès de son père, Shaun Russell revient avec sa fille et son fils dans l’immense résidence où elle a passé son enfance.
Mais quatre criminels, venus cambrioler le coffre-fort du défunt, y ont déjà pénétré qui prennent en otage les deux enfants et menacent leur mère, restée à l’extérieur, de les exécuter si elle prévient la police.
Ils disposent de quatre-vingt-dix minutes environ avant l’intervention de la compagnie de gardiennage alertée par la désactivation des systèmes de sécurité.

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Sur le papier Breaking In peut laisser espérer un film d’action nerveux et efficace, un loisir récréatif qui ne sollicitera pas trop les neurones du spectateur.

Hélas le cahier des charges est loin d’être rempli. Le scénario s’avère d’une platitude accablante, la mère courage réussissant, comme de bien entendu, à défendre sa précieuse progéniture contre les méchants très méchants qui osent lever la main sur elle. Rien dans la succession prévisible des événements qui ponctuent cette prise d’otages ne vient sortir le spectateur de la sidération dans laquelle il glisse lentement. Et, si on veut à tout prix chercher un sous-texte politique à cette histoire, le premier rôle donné à Gabrielle Union, femme et Noire, pèse des tonnes.

Breaking In devait sortir en salles en 2018 . Finalement Universal Pictures a sagement préféré le diffuser directement en DVD/VOD.

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La Casa de Papel Saisons 3 & 4 ★★☆☆

Tokyo, Nairobi, Denver, Rio et tous leurs acolytes sont de retour. À la fin de la saison 2, ils avaient réussi à s’enfuir victorieusement de l’Hôtel de la monnaie avec un butin de près d’un milliard d’euros. Les voici à nouveau réunis pour un nouveau braquage qui vise cette fois-ci la Banque centrale d’Espagne.

La Casa de Papel n’a pas reçu un accueil triomphal à sa première diffusion en Espagne en 2017. C’est grâce à son inscription au catalogue Netflix et à un bouche-à-oreille élogieux que la série a acquis lentement une notoriété planétaire. Aussi le tournage d’une suite était-il inévitable.

Elle reprend les ingrédients qui avaient fait le succès des vingt-deux premiers épisodes (répartis très artificiellement en deux saisons). Un braquage d’une complexité folle – dont les rebondissements les plus chantournés repoussent les limites de la crédibilité. Une brochette de personnages au caractère bien trempé qui, au fil des épisodes, révèle leurs secrets. Une alternance millimétrée de scènes d’action et de romance. Enfin, ce qui n’a pas peu contribué au succès mondial de la série, trois symboles iconiques : les combinaisons rouges que portent les cambrioleurs et leurs otages, les masques à l’effigie de Salvador Dalí qui cachent leur visage et la chanson italienne Bella Ciao qu’un chœur (corse ? basque ?) entonne dans les moments les plus lyriques.

A la fin de la saison 2, je m’étais posé la question de l’opportunité de regarder les saisons suivantes. Parmi vous, certains me l’avaient chaudement conseillé me disant que j’y retrouverai le même plaisir ; d’autres me l’avaient déconseillé soulignant que l’intrigue reproduisait à l’identique celle que j’avais déjà vue.

Vous aviez raison, les uns comme les autres ! Ce nouveau volet se regarde avec la même gourmandise que le précédent. On y retrouve tous les ingrédients qui nous y avaient séduit. Et, le budget ayant considérablement augmenté, ils sont filmés avec une surenchère de moyens assez efficace dans les scènes d’action notamment.
Mais, cette surenchère n’est pas toujours utilisée à bon escient. Ainsi l’équipe du film semble avoir fait le tour du monde, pour aller tourner en Thaïlande ou au Panama quelques brèves scènes exotiques sans grande valeur ajoutée. Plus grave, la psychologisation des personnages tourne bientôt à la caricature, les relations qu’ils nouent confinent au vaudeville (Rio quittera-t-il Tokyo ? Denver se réconciliera-t-il avec Stockholm ?) et le sous-texte féministe lourdement martelé ne brille pas par sa subtilité.

La saison 4 se conclut par son lot bienvenu de rebondissements et de coups de théâtre. Mais elle ne marque pas la fin du cambriolage. On ne pourra donc s’empêcher de regarder la saison 5, prévue pour 2021, pour savoir comment Tokyo, Denver, Lisbonne et les autres se sortiront de la Banque centrale d’Espagne.

La bande-annonce

Les Amants crucifiés (1955) ★★★☆

À la fin du XVIIème siècle, Osan, l’épouse délaissée d’un grand commerçant de Kyoto, demande à Mohei, le contremaître de son mari, un prêt pour venir en aide à son frère, un joueur invétéré. Mohei, qui est en secret amoureux d’elle, subtilise le sceau de son patron pour voler cet argent. Mais il est découvert et arrêté. Osan subit bientôt le même sort.
Les deux complices s’enfuient, se déclarent leur amour mais sont finalement rattrapés. Ils seront crucifiés.

Lorsque Mizoguchi tourne Les Amants crucifiés en 1954, il lui reste deux ans à vivre. Il n’a jamais été aussi prolifique ni aussi talentueux. L’année précédente, Les Contes de la nuit vague après la pluie, Lion d’argent à Venise, l’a fait connaître en Europe et avec lui le cinéma japonais d’après-guerre jusque là enfermé dans un ghetto exotique. La même année il sort L’Intendant Sansho et Une femme dont on parle.

Comme La Vie d’Oharu femme galante ou L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés a pour cadre le Japon féodal. Il s’agit pour Mizoguchi moins de faire oeuvre d’historien que de chercher dans le passé les traces de rapports de classes toujours présents dans le Japon contemporain. Trois pouvoirs dominent la société des Amants crucifiés : celui du créancier (l’argent), celui du fonctionnaire (l’État) et celui du mari (le patriarcat). Contre ces trois pouvoirs, les deux amants se rebellent. Mais ils n’ont rien pour eux sinon leur amour fou. Et leur fin sera fatale.

Un extrait

Shock Corridor (1963) ★★☆☆

Johnny Barrett est un journaliste dévoré d’ambition. Pour gagner le prix Pulitzer, il décide de se faire passer pour fou et d’être interné dans un asile psychiatrique afin d’y enquêter sur le crime irrésolu d’un pensionnaire. Avec la complicité de sa fiancée, qu’il fait passer pour sa sœur, il convainc les psychiatres d’être habité de pulsions incestueuses.
Une fois enfermé, Johnny Barrett mène l’enquête en se rapprochant de trois témoins du crime : un ancien GI victime d’un lavage de cerveau en Corée, un étudiant noir persécuté pour sa couleur de peau au point de se prendre désormais pour un membre du Klan et d’en porter la sinistre cagoule, un savant atomiste retombé en enfance….
Cette plongée au cœur de la folie mettra en péril l’équilibre mental de Barrett.

Filmé en 1963, sorti en France deux ans plus tard, alors que les émeutes de Watts déchiraient les États-Unis, Shock Corridor, malgré son petit budget, a provoqué une onde de choc. Jean-Luc Godard, qui offrira à Fuller un cameo dans Pierrot le fou le qualifie de « chef-d’œuvre du cinéma barbare ».

Ce film politique flirte avec le documentaire. Comme Vol au-dessus d’un nid de coucou dix ans plus tard, il se déroule entièrement derrière les portes closes d’un asile psychiatrique. Ces mêmes portes que Frederick Wiseman franchit pour l’un de ses tout premiers documentaires Titicut Follies en 1967. Car un asile, comme venait de le montrer Michel Foucault dans sa magistrale Histoire de la folie (publié à la même période), est le miroir inversé tendu à nos sociétés.

Les trois internés auxquels Barrett essaie tour à tour de soutirer des informations incarnent un peu démonstrativement les trois maux qui minent les États-Unis : l’hystérie anticommuniste, le délire raciste, l’hubris nucléaire. À ces trois pêchés capitaux s’en ajoute un quatrième dont sera victime le héros : l’orgueil. Car, on l’aura compris, Shock Corridor est une tragédie. La tragédie de l’Amérique vue par Fuller, condamnée par ses vices et que ne viendra sauver aucune rédemption. Une vision pessimiste qui a ces jours ci une résonnance particulièrement amère.

La bande-annonce