La Grande Évasion (High Sierra) (1941) ★★★☆

Roy Earle (Humphrey Bogart) sort de prison avant le terme de la lourde peine qu’il purge pour un cambriolage. Il doit sa libération à un caïd de la pègre, Big Mac, qui en échange lui demande de cambrioler un hôtel de luxe à Palm Springs avec la complicité d’un employé. Pour le seconder, Big Mac adjoint à Roy deux gouapes inexpérimentées. Tout se complique quand l’une d’elles ramène Marie (Ida Lupino), une danseuse de cabaret.

La Grande Evasion – moins connu que son homonyme de John Sturges sorti en 1963 avec Steve McQueen, Charles Bronson et James Coburn – fait partie des films mythiques qui ont fait l’histoire d’Hollywood. Cette adaptation très fidèle du polar de W.R. Burnett (que j’ai lu dans la foulée en 10/18) consacre le talent de Humphrey Bogart. Jusqu’alors l’acteur, déjà quadragénaire, avait végété dans des seconds rôles. Avec High Sierra il occupe pour la première fois la tête d’affiche qu’il ne quittera plus (Le Faucon maltais, Casablanca, Le Grand Sommeil…). La légende veut que le premier rôle de High Sierra lui soit revenu après le refus successif des autres acteurs auxquels il aurait été proposé : Paul Muni, James Cagney, Edward G. Robinson….

High Sierra est aussi important dans l’histoire de Hollywood à un autre titre. Il fait la transition entre le film de gangsters et le film noir – dont la date de naissance homologuée sera Le Faucon maltais tourné quelques mois plus tard. Au premier il emprunte son scénario : le braquage d’un grand hôtel par un trio de gangsters. Au second, même s’il n’a pas pour héros un détective privé et n’a pas un décor urbain et nocturne, il emprunte son fatalisme et la complexité de ses personnages. En femme fatale, Ida Lupino – dont la célébrité à l’époque lui avait valu de voir son nom placé au-dessus de celui de « Bogie » – est emblématique de cette veine.

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Temps sans pitié (1957) ★★☆☆

David Graham (Michael Redgrave), un romancier raté, à peine sorti de cure de désintoxication, revient en Angleterre pour y apprendre que son fils Alec a été condamné à mort pour un crime qu’il n’a pas commis. Il dispose de vingt-quatre heures seulement pour l’innocenter. David acquiert vite la conviction que l’auteur du crime est Robert Stanford (Leo McKern), un richissime constructeur automobile ; mais il ne dispose d’aucune preuve. Il conçoit alors un plan audacieux pour sauver son fils.

Temps sans pitié, sorti en 1957, est un film charnière dans l’oeuvre de Joseph Losey. C’est le troisième film tourné en Angleterre par ce réalisateur américain chassé de son pays par le maccarthysme. Il le fait connaître en France. Il annonce ses films les plus marquants : The Servant, The Messager (Palme d’or 1971) et Monsieur Klein (César du meilleur film et du meilleur réalisateur 1977) dont il partage le même pessimisme, la même fascination pour la déchéance, la même froideur.

Pour la première fois, Joseph Losey travaille aux décors avec Richard MacDonald qui divise le plan en différents niveaux et joue avec les miroirs. Le procédé sera abondamment utilisé ensuite, notamment dans The Servant, soulignant lourdement sur la fausseté des apparences et la duplicité des personnages

Joseph Losey et son scénariste Ben Barzman avaient décidé d’adapter une banale pièce de théâtre organisée autour de la résolution d’une intrigue policière. Mais ils en modifient profondément l’économie en filmant, dès le pré-générique, le crime et en en révélant par conséquent l’auteur. L’enjeu de l’histoire n’est donc plus d’en découvrir l’identité – on sait d’ores et déjà que le riche Robert Stanford est coupable – mais de savoir comment David Graham réussira à le démasquer et à innocenter son fils injustement accusé. La façon dont il y parviendra est particulièrement révélatrice du noir pessimisme qui habite toute l’oeuvre de Losey.

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Hollywood ★★☆☆

À Hollywood, quelques années après la Seconde Guerre mondiale, quelques jeunes gens rêvent de célébrité malgré les obstacles : Jack, jeune père de famille, obligé de se prostituer pour gagner sa vie, Archie, scénariste noir et homosexuel, Roy, acteur sans talent, Claire, jeune première étouffée par ses parents, Raymond, réalisateur sous contrat et sa femme Camille, une beauté afro-américaine cantonnée aux rôles de soubrettes.

Hollywood est la toute dernière mini-série Netflix, en ligne depuis le 1er mai. Les premiers de ses sept épisodes sont assez poussifs : on y découvre une galerie trop nombreuses de personnages – que le résumé ci-dessous a essayé poussivement d’énumérer – qu’on peine à identifier et que la suite du récit d’ailleurs oubliera en partie. L’écriture aurait été plus efficace si elle s’était concentrée sur un nombre plus limité de caractères.

Hollywood mélange l’histoire vraie et la fiction. On y croise quelques stars de l’époque : Viviane Leigh, décrite comme une hystérique, Rock Hudson sauvé par les efforts désespérés de son agent, Henry Wilson, pour que son homosexualité reste cachée du grand public, Hattie Mc Daniel, qui obtint en 1940 le tout premier Oscar décerné à une actrice afro-américaine pour son second rôle dans Autant en emporte le vent, Tallulah Bankhead, célèbre pour avoir la première révélée publiquement sa bisexualité… Ils sont filmés avec un soin jaloux apporté aux décors et aux costumes qui rend justice à l’exubérance et l’optimisme du temps.

Mais le scénario opte pour la fiction en imaginant le succès d’un film, Meg, produit par la veuve soudainement émancipée d’un nabab tyrannique, écrit par un scénariste noir et dont le premier rôle féminin aurait été joué par une actrice noire. Les studios de l’époque ne l’auraient jamais permis. Et du coup Hollywood, quittant ostensiblement le terrain de la reconstitution historique, prend des tours de conte de fées : il s’agit de réécrire l’histoire des majors hollywoodiennes en les débarrassant du racisme, de la misogynie et de l’homophobie qui y ont longtemps prévalu (il fallut attendre 1964 pour qu’un acteur noir se voit décerner l’Oscar du meilleur rôle et l’homosexualité de Rock Hudson ne fut révélée qu’à sa mort).

On peut adhérer à cette réécriture euphorisante de l’histoire – un peu avec le même plaisir régressif que celui qu’on prend devant les chasseurs de nazis de Inglorious Basterds. On peut aussi trouver l’exercice un peu futile.

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Mrs. America ★★★☆

Mère de six enfants, épouse d’un notable de l’Illinois, Phyllis Schlafly a milité de tous temps dans les rangs des Républicains se présentant sans succès à trois reprises, en 1952, en 1960 et en 1970 aux élections à la Chambre. Spécialiste des questions de défense, anticommuniste chevronnée, c’est sur un tout autre terrain qu’elle deviendra célèbre dans les années soixante-dix : l’anti-féminisme. Mrs. America raconte le combat qu’elle mènera, face aux grandes figures féministes de l’époque, contre l’Equal Rights Amendment, un projet d’amendement constitutionnel reconnaissant l’égalité des sexes.

Diffusée depuis le 16 avril sur Canal plus, la mini-série Mrs America s’est achevée avant-hier avec son neuvième épisode. Une belle brochette de stars y raconte une page du féminisme américain mal connue de ce côté-ci de l’Atlantique : les années soixante-dix, coincées entre le libéralisme de la décennie précédente et le retour en force du conservatisme durant la décennie suivante. L’époque est marquée par une cause : la ratification de l’ERA votée par le Congrès en 1972 mais qui nécessite l’approbation des trois quarts des États fédérés américains pour entrer en vigueur.

Le combat se déroule entre deux camps que tout oppose. D’un côté, Phyllis Schlafly, impeccablement interprétée par la souveraine Cate Blanchett, sa mise en pli impeccable, ses tailleurs et ses lavallières collet-monté, et sa cohorte de petites mains gloussantes qui la secondent indéfectiblement dans son arrière-cuisine où elles confectionnent un bulletin qu’elles postent à tous ses supporters. De l’autre, les féministes new yorkaises et washingtoniennes, terriblement tendance (ah ! les lunettes Aviator de Rose Byrne !), que les combats des années soixante ont rodées aux manoeuvres politiciennes.

Les deux camps ne sont pourtant pas si monolithiques qu’il n’y paraît. Et l’avantage de cette série de près de neuf heures est le temps qu’elle prend à en décrire les dissensions internes.
Du côté de Phyllis Schlafly, le personnage joué par l’excellente Sarah Paulson incarne les contradictions de l’anti-féminisme : cette femme au foyer découvre dans l’engagement militant l’ivresse des responsabilités et d’une autonomie qu’elle refuse paradoxalement autres.
De l’autre côté, c’est la diversité, pas toujours facile à coaliser, qui prévaut avec « l’intersectionnalité » des luttes féministes, noire et lesbienne. D’ailleurs ce camp-là n’a pas, contrairement à l’autre, une seule figure de proue, mais plusieurs qui ont chacune leur épisode : Gloria Steinem (Rose Byrne), l’éditrice en chef de la revue féministe Ms., Shirley Chisholm (Uzo Aduba), afro-américaine candidate malheureuse à l’investiture républicaine en 1972, Betty Friedan (Tracey Ullman) , féministe vieillissante dont la célébrité acquise une décennie plus tôt avec la publication de son livre-manifeste The Feminine Mystique s’étiole, Bella Abzug (Margo Martindale), qui préside sous Carter la Convention nationale des femmes avant d’en être brutalement évincée.

L’Histoire ainsi racontée a une résonance particulière avec notre époque. Elle permet de mesurer les progrès accomplis depuis quarante ans pour la promotion des droits des femmes. Mais elle donne à réfléchir aussi sur leur fragilité.

La série a néanmoins un défaut structurel. Elle ne tient pas le plateau égal entre les deux camps. Comment d’ailleurs le pourrait-elle ? Notre cœur et notre raison penchent sans hésitation en faveur des féministes tant les thèses défendues par le camp de Phyllis Schlafly nous révulsent.

Sa conclusion dans son dernier épisode est un modèle d’ambiguïté. Ronald Reagan, après avoir emporté la primaire républicaine à la surprise générale, écrase Jimmy Carter, inaugurant une révolution conservatrice aux accents étonnamment trumpiens. Mais Phyllis Schlafly, jugée trop clivante, est écartée des responsabilités auxquelles elle aspirait (elle se voyait ambassadrice à l’ONU ou secrétaire à la Défense). Le dernier plan la surprend dans sa cuisine, seule, pelant des pommes pour le dîner familial sempiternellement servi à dix-huit heures. Glaçant.

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Mon ket ★★☆☆

L’humanité se divise en deux catégories. D’un côté ceux qui connaissent les caméras cachées de François Damiens alias François l’embrouille, d’abord diffusées sur RTL, puis sur Canal plus et Internet ; de l’autre ceux qui ne les connaissent pas.

L’humanité se divise en deux autres catégories. D’une part ceux que ces séquences d’humour vache font hurler de rire tant est bluffant le culot de l’humoriste et hilarant les réactions des inconnus qu’il piège. D’autre part ceux que ces saynètes mettent mal à l’aise soit qu’ils n’auraient jamais eu le culot d’un François Damiens soit qu’ils redoutent d’en être un jour la victime innocente.

Après que ses émissions lui ont acquis une certaine notoriété, François Damiens est devenu un acteur de cinéma reconnu. Il a fait ses premières armes dans la comédie, en y interprétant d’abord des seconds rôles (un espion belge abruti dans OSS 117 : le Caire nid d’espions, Monsieur Blédur dans Le Petit Nicolas…) puis en montant en tête d’affiche dans Une pure affaire qui lui vaut le Prix d’Interprétation masculine au Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez. Sa légitimité s’est accrue lorsque François Damiens a endossé des rôles plus graves : il est nominé deux années de suite aux Césars du meilleur acteur pour La Famille Bélier en 2015 et pour Les Cowboys en 2016.

Pour la première fois, François Damiens passe derrière la caméra en 2018 pour signer la réalisation de Mon ket. Il renoue avec ses premiers amours : la caméra cachée. Avec une poignée d’acteurs, pour assurer la continuité du scénario, il en reproduit le dispositif : l’infirmière à laquelle il fait croire qu’il a un téléphone portable coincé dans l’anus, la cliente scandalisée devant laquelle il apprend à son fils de onze ans à crapoter, les beaux-parents scandalisés auxquels il annonce son mariage avec leur fille, sont des anonymes surpris par des caméras invisibles dont on imagine sans peine la sophistication qu’il a fallu pour les dissimuler et le nombre de prises infructueuses avant d’aboutir à l’effet attendu.

Le résultat est inégal. Les parties sont meilleures que le tout. On peine à s’intéresser à l’histoire convenue de cet évadé de prison qui cherche à reconquérir l’affection de son fils. Certaines séquences sont poussives ; d’autres en revanche sont franchement hilarantes. Tout bien considéré, on rit plus franchement en revisionnant les sketches de François l’embrouille qui n’ont pas pris une ride.

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Achik Kérib (1988) ★☆☆☆

Orphelin de père, Kérib est un achik, un troubadour qui chante des épopées en s’accompagnant de son instrument. Il est amoureux de Magoul-Megeri. mais son père s’oppose au mariage de sa fille avec un jeune homme désargenté. Éperdu de chagrin, Kérib part sur les routes. Magoul-Megeri promet de l’attendre mille jours et mille nuits.

Paradjanov fait partie des grandes figures panthéonisées du septième art. Les Chevaux de feu est souvent cité parmi les (cent ? mille ?) meilleurs films de l’histoire du cinéma. Il y a à cela plusieurs raisons. Toute sa vie durant, l’homme s’est battu contre le régime soviétique qui l’a opprimé et son courage mérite reconnaissance. À rebours du réalisme socialiste imposé, il a redonné vie aux traditions folkloriques des régions reculées qu’il est allé filmer. Le résultat fut une oeuvre élégiaque, à mi-chemin du documentaire anthropologique et de la reconstitution mythologique.

On pourra si l’on est anthropologue du Caucase ou spécialiste de littérature persane, se passionner pour ses reconstitutions de miniaturiste où chaque plan est construit comme un tableau. On pourra aussi, si l’on a le goût de la poésie se laisser hypnotiser par la fascination catatonique que produit l’enchaînement des saynètes et les poses hiératiques des personnages.

Mais on risque aussi, si on a comme c’est mon cas une sensibilité de brute, bâiller aux corneilles voire s’assoupir carrément devant un spectacle dont le seul mérite est de ne durer qu’une heure vingt.

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Adam’s apples (2005) ★☆☆☆

Crâne rasé, croix celtique tatouée à l’avant-bras, portrait d’Hitler en poche, Adam (Ulrich Thomsen) est un néo-nazi qui vient d’être relâché de prison. Ivan (Mads Mikkelsen), un pasteur qui collabore à un programme de réinsertions d’anciens prisonniers, l’accueille dans sa cure, où il rejoint trois autres marginaux : un ex-tennisman obèse et alcoolique, un immigré pakistanais braqueur de stations-services et une travailleuse humanitaire enceinte et dépressive.

En 2003, Anders Thomas Jensen tournait Les Bouchers verts, mettant en scènes deux bouchers faisant commerce de viande humaine. La recette – si l’on ose dire – était excellente, mélange d’humour très noir et de fable sociale. Deux ans plus tard, il récidivait avec Adam’s apples (dont on se demande pourquoi diable le traducteur le sort sous son titre anglais) que j’avais raté à sa sortie et que je regarde en DVD confiné deux décennies plus tard.

Les ingrédients sont quasiment les mêmes que dans Les Bouchers verts – viande humaine et cannibalisme en moins : humour pince sans-rire, cynisme, critique au karcher de certains travers de la société danoise protestante et hypocrite. Sans parler du jeu excellent des deux acteurs : Ulrich Thomsen révélé par Lars von Trier et Mads Mikkelsen, ici à contre-emploi, qui, depuis, a fait la carrière hollywoodienne que l’on sait. Mais la sauce ne prend pas aussi bien.

Certes, Adam’s Apples évite le boulevard convenu qu’on redoutait qu’il emprunte : la noirceur de l’âme d’Adam le néo-nazi s’attendrira au contact de la bonté angélique d’Ivan. Il préfère emprunter un chemin de traverse surprenant : Ivan va s’avérer encore plus frappadingue, plus traumatisé qu’Adam, obligeant celui-ci à amender sa vie et faire taire sa haine.

Pour autant, une fois que le film est engagé dans cette voie, aussi cynique et ironique soit-elle, il ne fait ni rire suffisamment ni n’émeut assez pour qu’on y trouve jusqu’à son terme prévisible beaucoup d’intérêt.

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Miracle à Milan (1951) ★★☆☆

Toto a été recueilli à sa naissance par une vieille femme dont la mort le laisse bientôt seul au monde. Quelques années plus tard, à la sortie de l’orphelinat, Toto rejoint une troupe de clochards dans un bidonville. Sa bonne humeur et sa gentillesse y font merveille. Mais le pétrole découvert sur le terrain occupé par les vagabonds excite la cupidité des promoteurs qui décident de les en chasser. Ils ne devront leur salut qu’à une intervention miraculeuse.

Vittorio De Sica vient de réaliser Le Voleur de bicyclette quand il décide  de porter à l’écran un court roman de son complice Cesare Zavattini. Le message en est simple, qui imprègne à l’aube des Trente Glorieuses le cinéma de Capra (La vie est belle) à Kurosawa (L’Ange ivre) en passant par Chaplin ou Clair dont De Sica-Zavattini se réclament expressément : la bonté sauvera le monde.

Le temps de Miracle à Milan, De Sica fait des entorses au néo-réalisme italien dont Le Voleur de bicyclette avait fait de lui un des représentants les plus emblématiques avec Rossellini, Visconti et De Santis. Il y reviendra avec Umberto D. un an plus tard, souvent considéré comme son chef d’oeuvre le plus abouti.

Certes, Miracle à Milan a les pieds bien ancrés dans une réalité sociale. Le film se déroule dans le lumpenprolétariat milanais, parmi les habitants d’un bidonville. Mais De Sica ne fait pas oeuvre de sociologue, pas plus qu’il n’entend délivrer un message politique. De part, en part, de sa première scène à la toute dernière, Miracle à Milan s’inscrit résolument dans le genre de la fable poétique sinon surréaliste.

À sa sortie en Italie en février 1951, il est accueilli par une critique hostile qui reproche à De Sica son virage fantaisiste. Mais il tient sa revanche au Festival de Cannes qui lui décerne sa Palme d’or, coiffant Eve de Mankiewicz ou Los Olvidados de Buñuel.

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Made in Bangladesh ★☆☆☆

Shimu a vingt-trois ans. Elle vient de se marier. Elle travaille à Dacca, la capitale du Bangladesh, dans un atelier qui fabrique des T-shirts pour l’exportation. Ses conditions de travail et celle de ses camarades sont exécrables. Son salaire est misérable ; ses horaires sont élastiques et ses heures supplémentaires ne sont pas rémunérées ; la sécurité n’est pas assurée et lorsqu’un incendie se déclare, une employée trouve la mort.
Cet événement provoque chez Shimu une prise de conscience : avec l’aide d’une ONG, elle va créer un syndicat pour la défense des droits des travailleuses. Mais, pour atteindre son objectif, il faudra que Shimu franchisse bien des obstacles à commencer par le veto de son mari, les hésitations de ses collègues, l’inertie de l’administration et les coups fourrés de la direction de l’entreprise prête à tout pour bâillonner la moindre contestation sociale.

La condition féminine au Bangladesh. L’exploitation des travailleuses dans une usine textile au service d’une industrie mondialisée. Les sujets les plus graves ne font pas toujours les meilleurs films.

Bien sûr, on n’aurait ni cœur ni cerveau si on ne laissait pas toucher par Made in Bangladesh. Le précédent film de Rubaiyat Hossain, Les Lauriers-roses rouges (qui diable a eu la fumeuse idée d’une pareille traduction ?), avait déjà fait mouche. Mais celui-ci a décidément trop de défauts pour emporter la conviction : une direction d’acteurs trop lâche, une image surexposée et artificielle, un scénario cousu de fil blanc qui se termine en queue de poisson… Le spectateur européen s’enthousiasmera devant la chatoyance des saris multicolores ; mais cet atout-là ne saurait, à lui seul, faire oublier les défauts trop nombreux dont ce Made in Bangladesh est lesté.

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La Casa de Papel Saisons 1 & 2 ★★★☆

Des repris de justice braquent la Monnaie royale de Madrid pour le casse du siècle. Il ne s’agit pas seulement de s’emparer du magot mais de prendre les employés en otage et de tenir un siège de plusieurs jours pour faire tourner les rotatives à pleine vitesse et s’enfuir avec un butin d’un milliard d’euros. Le cerveau de l’opération, prévue dans les moindres détails, se fait appeler le Professeur et en a tous les attributs : veste en tweed, cravate, barbe et lunettes. Quant aux huit membres de l’opération, un nom de ville a été attribué à chacun : Berlin, Tokyo, Nairobi, Denver, Moscou, Rio, Helsinki, Oslo…

Voilà plus de deux ans que Netflix a entamé la diffusion de La Casa de Papel suscitant à travers le monde entier un engouement communicatif. Les combinaisons rouges des braqueurs, leurs masques à l’effigie de Salvador Dalí et jusqu’à la musique remastérisée de Bella Ciao sont devenus iconiques.

Ce succès est-il mérité ? À mon sens oui. Car la série réussit le pari de maintenir un tempo d’enfer pendant ses vingt-deux épisodes (treize dans la première saison et neuf dans la deuxième sans qu’on comprenne d’ailleurs la raison d’être de cette césure). Pendant plus de seize heures au total qui se binge-watchent compulsivement, on reste suspendu au sort du professeur et de ses acolytes en espérant secrètement leur réussite. Car, comme souvent dans les films de braquage, les criminels sont plus séduisants que les policiers qui les pourchassent.

La Casa de Papel comporte quelques retours en arrière sur la préparation du braquage dans une planque à la campagne, le temps d’y anticiper chaque événement et d’y forger un esprit d’équipe. Mais la série évite un défaut redouté : consacrer à chacun des cambrioleurs un épisode avec son flashback lourdement démonstratif. C’était le biais dans lequel Lost tombait – qui devait s’éterniser pendant plus de cent-vingt épisodes.

Certes, La Casa de Papel n’est pas sans défaut. Le principal est sans doute l’accumulation d’invraisemblances (celle qui m’a le plus frappé est la vitesse avec laquelle les protagonistes avalent les soixante kilomètres entre Madrid et Palomeque). Un autre est l’accumulation de romances, plus ou moins improbables, entre Tokyo et Rio, entre Denver et une otage et, plus que tout, entre deux autres protagonistes principaux dont je ne dévoilerai pas le nom mais dont l’idylle plombe sérieusement la crédibilité du récit.

Mais ces défauts ne pèsent guère en balance du plaisir qu’on prend à cette série addictive, à ces innombrables rebondissements et à ces personnages charismatiques.

Se pose la question à la fin de la deuxième saison – dont on ne dévoilera rien qu’on ne sache déjà en révélant qu’elle voit le braquage se conclure. Faut-il regarder les deux suivantes, qui n’ont été tournées qu’en raison du succès des deux premières et qui repartent sur de nouvelles bases ? Ou faut-il s’en dispenser pour rester sur une bonne impression ?

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