Un coup de dés ☆☆☆☆

Mathieu (Yvan Attal) et Vincent (Guillaume Canet) sont architectes à Nice. Diplômés de la même école, ils ont scellé leur amitié lorsque Vincent a risqué sa vie pour Mathieu et pour son épouse Juliette (Marie-Josée Croze) qu’un drogué en crise de manque avait pris en otages. Mais les infidélités de Vincent, qui mettent à l’épreuve le couple explosif qu’il forme avec Delphine (Maïwenn), portent un coup à leur amitié.

Yvan Attal est une personnalité en vue du cinéma français. À cause du couple qu’il forme, depuis plus de trente ans, avec Charlotte Gainsbourg. À cause de ses rôles  dans une floppée de films diffusés et rediffusés à la télévision. À cause aussi plus récemment de son passage derrière la caméra : son adaptation des Choses humaines était particulièrement réussie.

Mais hélas rien ne marche dans ce Coup de dés – dont on sait, depuis Mallarmé que, jamais, il n’abolira le hasard – malgré sa brochette de stars bankables et ses décors ensoleillés. Il m’a constamment rappelé l’oubliable Visions de Yann Gozlan sorti à la fin de l’été dernier auquel j’avais avec une grande indulgence accordé la moyenne : même intrigue policière, mêmes stars interchangeables, mêmes paysages méditerranéens….

Certes, le cinéma de Yvan Attal a un atout de taille : on ne s’y ennuie pas. Le scénario réussit à nous tenir en haleine et le montage est ainsi fait qu’il ne nous laisse pas le temps de regarder notre montre. Mais ses défauts l’emportent sur ses qualités. Le principal est pour le moins paradoxal pour un acteur aussi expérimenté : la direction d’acteurs, en roue libre, engluée dans des caricatures maladroites. Quant au récit, on a l’impression à la longue lassante qu’une clause contractuelle lui impose tous les quarts d’heure, jusqu’à l’ultime scène, un coup de théâtre dont la régularité métronomique finit vite par en désamorcer l’intérêt. N’est pas Hitchcock qui veut….

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Si seulement je pouvais hiberner ★★☆☆

Ulzii est un brillant élève que son professeur de physique encourage à se présenter aux Olympiades scientifiques. S’il l’emporte, il pourra décrocher une bourse pour une meilleure école et, qui sait, pour une université à l’étranger. Mais Ulzii est d’un milieu modeste. Sa famille a quitté la campagne pour s’installer en périphérie de la ville, dans une yourte que, depuis la mort de son père, sa mère, qui a sombré dans l’alcoolisme, peine à chauffer. Face à cette mère démissionnaire, c’est à Ulzii qu’incombe la responsabilité de trouver l’argent pour nourrir ses trois cadets.

La Mongolie et ses steppes intimidantes battues par un vent glacial n’ont fait qu’une entrée récente sur la scène cinématographique mondiale. Je me souviens de mon étonnement et de mon émerveillement en 2004 à la sortie de L’Histoire du chameau qui pleure. Et puis il y a eu Le Chien jaune de Mongolie en 2006. Le Mariage de Tuya en 2007, filmé par un réalisateur chinois, avait été tourné en Mongolie intérieure, côté chinois. Ce même réalisateur, Wang Quan’an, a franchi en 2020 la frontière pour s’affranchir de la censure chinoise, et réalisé en Mongolie La Femme des steppes, le Flic et l’Œuf.

Si seulement je pouvais hiberner (dans son titre original Баавгай болохсонBaavgai Bolohson, signifiant littéralement « Si seulement j’étais un ours ») inaugure un sous-genre dans le cinéma mongol dont les quelques précédents reproduisaient, au risque de la répétition, le même schéma : l’histoire d’une famille nucléaire vivant sous sa yourte, au cœur de la plaine déserte, soudainement percutée par l’irruption de la modernité – le cinéma de Pema Tseden (Tharlo, le berger tibétain en 2018, Jinpa, un conte tibétain en 2020, Balloon en 2021) en constituant le pendant tibétain. Ici, la famille nucléaire campagnarde a migré en ville. Une ville filmée en mode documentaire dans un brouillard givrant dont l’opacité trouve sa cause dans la pollution qui y règne.  La famille de Ulzii vit misérablement à sa périphérie, sur un terrain où elle a posé sa yourte, comme si son installation précaire n’avait pas vocation à durer. Sa pauvreté contraste avec les immeubles du centre-ville où la tante d’Ulzii, qui, elle, a fait des études et un beau mariage, est désormais installée.

Si seulement je pouvais hiberner pâtit de la naïveté de son scénario écrit d’avance. Il suit une ligne prévisible : celle du parcours dickensien en diable d’un adolescent méritant qui devra trancher quelques dilemmes douloureux (sécher ses cours au risque de compromettre ses chances de succès au concours pour gagner l’argent nécessaire à soigner son frère poitrinaire) avant de voir ses sacrifices récompensés. Pour autant, on se laissera attendrir par ce gamin sympathique – qui a connu, dans son enfance, les mêmes conditions de vie que le personnage qu’il incarne – et par ce feel-good movie dépaysant, présenté à Cannes le printemps dernier dans la section Un certain regard.

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May December ★★★☆

Gracie Atherton (Julianne Moore) et Joe Yoo avaient défrayé la chronique deux décennies plus tôt lorsque leur liaison avait été rendue publique : mariée et déjà mère de trois enfants, Gracie avait à l’époque des faits trente-six ans et Joe, stagiaire dans l’animalerie gérée par Gracie, treize à peine. Vingt-quatre ans plus tard, alors que le tohu-bohu autour de cette affaire est retombé et que Gracie, une fois purgée sa peine de prison, est revenue vivre à Savannah avec Joe et a fondé avec lui une famille, Hollywood s’apprête à tirer de leur histoire hors normes un film. L’actrice Elizabeth Berry (Natalie Portman) se voit confier le rôle de Gracie. Pour préparer le tournage, la production l’a envoyée à Savannah et a obtenu de Gracie qu’elle ouvre à Elizabeth les portes de sa maison.

Le titre de ce film pourra sembler bien opaque aux non anglophones. Je suis d’ailleurs surpris que les distributeurs français – et encore plus les Québecois – ne l’aient pas traduit. J’ai moi-même dû aller en chercher la signification sur Internet : « A “May-December romance” is when someone in the “May” or “spring” of life (youth) is romantically involved with someone in the “December” or “winter” of life (old age). The saying is from a song, “An Old Man Would Be Wooing,” a ballad from at least 1818 ».

L’affaire Russier remonte à 1969. On se souvient de cette enseignante de trente ans qui s’était suicidée après avoir été condamnée – à une peine légère de sursis – pour avoir entretenu une relation inappropriée avec son élève de quinze ans. La mémoire collective n’a pas oublié les paroles inhabituellement poétiques que le Président de la République de l’époque avait prononcées à son sujet après sa mort : « Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. » On pourrait d’ailleurs se demander les réactions wokistes que susciterait aujourd’hui cette réaction qui semble amnistier, au nom de la passion amoureuse, ce détournement de mineur.

Depuis 1969, les différences d’âge entre les membres de certains couples sont devenues des sujets brûlants. Nul besoin de citer les noms de Brigitte Macron, de Frédéric Beigbeder – qui consacra à ce sujet un livre entier, Oona & Salinger – ou ceux de Judith Godrèche et de Benoît Jacquot. Pour autant, à ma connaissance, aucun film ne s’en est emparé. C’est la principale qualité de May December, de prendre à bras le corps ce couple improbable et en apparence si mal assorti. Il le fait d’une façon doublement intelligente.

Premièrement, il ne nous inflige pas un voyeurisme malaisant en évitant de raconter au présent la rencontre des deux amants. Il les montre au contraire vingt-quatre ans plus tard, formant un couple harmonieux et soudé, avec leurs trois enfants : l’aînée a déjà quitté le nid familial et les deux cadets, dont la cérémonie de remise de diplômes marquant la fin de leurs études secondaires approche, sont sur le point de le faire. Cette apparente félicité est la meilleure des défenses face à tous ceux qui doutaient de la sincérité de leur passion. Voire – mais ce point n’est jamais développé dans le film et c’est dommage – il questionne le bien-fondé de la peine de prison qui a été infligée à Gracie.

Deuxièmement, May December ne se borne pas à raconter l’histoire de Gracie. Elle raconte celle d’Elizabeth, la star hollywoodienne chargée d’interpréter son rôle. Le film se dote ainsi d’une couche de complexité supplémentaire. Il n’y est plus seulement question de la différence d’âge entre Gracie et Joe, mais de celle entre Gracie et Elizabeth, qui a l’âge de Gracie au moment de sa rencontre avec Joe… et donc à quelques mois près l’âge de Joe aujourd’hui !

Il faut ajouter à la finesse de ces deux partis pris deux autres atouts de taille. Le premier est le réalisateur, Todd Haynes, sans doute l’un des plus stimulants du cinéma américain contemporain. Héritier revendiqué de Douglas Sirk, il a signé quelques chefs d’oeuvre : Carol, I’m not There, Loin du paradis… Sa mise en scène embrasse le parti pris audacieux de ressusciter la patine des films des années 70 avec la musique mythique de Michel Legrand et l’usage aujourd’hui passé de mode des zooms arrière.
Le second est les deux stars du film. Julianne Moore accompagne depuis près de trente ans Todd Haynes. Safe en 1995 l’a révélée autant qu’il l’a révélé. Elle est ici d’une troublante ambiguïté jusqu’au dernier plan du film : femme-enfant naïve et fragile ou femme-mère castratrice ? L’autre star est Natalie Portman dont le rôle, en apparence plus lisse, se révèle tout aussi complexe; car elle aussi révèle lentement une vie sentimentale compliquée.

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Stella, une vie allemande ★☆☆☆

Stella est une jeune femme insouciante qui rêve de chanter à Broadway avec la bande d’amis qui l’entourent. Mais, le nazisme et la Seconde Guerre mondiale brisent la vie de cette jeune juive berlinoise. Arrêtée en 1943 par la Gestapo, elle est soumise à un terrible chantage : dénoncer ses amis ou bien être déportée avec ses parents à Auschwitz.

Stella s’inspire d’une histoire vraie et méconnue. Pourtant, à bien y réfléchir, il était logique que, pour traquer les derniers Juifs qui se terraient en Allemagne, la Gestapo utilisât des Juifs préalablement retournés en leur faisant miroiter, pour eux et pour les leurs, un sauf-conduit inaccessible à leurs coreligionnaires.

Stella Goldschlag est à la fois victime et coupable : victime des Nazis qui la traquent, l’arrêtent, la torturent et lui soumettent ce marché diabolique et coupable d’avoir accepté ce pacte faustien et avoir troqué son salut et celui de ses parents contre la vie de plusieurs centaines sinon milliers de Juifs.

Un tel sujet aurait pu faire un film passionnant. Mais bizarrement, rien n’y fonctionne. Ce n’est pas la faute de Paula Beer (Frantz, Transit, Ours d’argent de la meilleure actrice en 2020 pour Ondine, Le Ciel rouge….) qui paie vaillamment de sa personne et porte le film sur ses – charmantes – épaules. Elle réussit à la perfection à rendre crédible son personnage, mélange de frivolité juvénile, de courage et d’aveuglement. Elle aurait pu facilement verser dans deux défauts symétriques : en faire une victime pathétique ou un monstre répugnant. Elle lui conserve au contraire une ambiguïté qui en fait l’humanité et qui pose au spectateur une question sacrément dérangeante : qu’aurions-nous fait à sa place ?

Mais cette interprétation impressionnante est hélas la seule qualité d’un film qui n’en compte guère d’autres. Sa reconstitution du Berlin des années 40 est trop appliquée, sa caméra trop épileptique, son scénario trop haché, qui aurait mieux convenu au tempo d’une mini-série qu’à celui d’un film, durât-il près de deux heures.

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Un silence ★★☆☆

François Schaar (Daniel Auteuil) est un ténor du barreau propulsé au cœur de l’arène médiatique depuis qu’il assure la défense des parents de deux enfants assassinés par un pédophile. Alors que la pression s’accroît, un lourd secret familial, tu depuis presque trente ans, est sur le point d’être révélé.

J’ai entendu de si mauvais retours de ce film que :
a. j’ai bien failli renoncer à aller le voir et ai laissé passer plus de dix jours depuis sa sortie ;
b. je l’ai trouvé bien moins mauvais que ce que j’escomptais.

Joachim Lafosse est un jeune réalisateur belge, plus si jeune, qui, à chacun de ses films, frappe fort et juste. À perdre la raison (2012) – avec une Emilie Dequenne dont on disait encore hier soir avec des amis combien elle était une grande actrice – essayait d’éclairer les motifs d’un quintuple infanticide ; L’Economie du couple, mon film préféré de l’année 2016, disséquait un interminable divorce ; Les Intranquilles nous plongeait dans le quotidien tourmenté d’un peintre bipolaire. Les distributeurs ne s’y sont pas trompés qui mentionnent ces deux derniers films en haut de l’affiche d’Un silence.

On conçoit aisément le potentiel dramatique que Lafosse a décelé dans l’affaire Hissel, du nom de l’ancien avocat de familles de victimes de Marc Dutroux. On ne saurait rien en dire de peur de spoiler les deux coups de théâtre qui viennent clore le film.

On aura déjà anticipé le premier si on a lu quelques critiques du film qui l’évoquent sans voile. Il se laisse d’ailleurs très vite deviner dans le film – même si on n’en perçoit pas immédiatement les contours précis. Le scénario ne le traite pas frontalement. Il s’agit plutôt, en biais de traiter du silence – n’est-ce pas le titre du film ? – et de la honte de ceux qui, pensant bien faire, l’ont imposé. C’est ici le rôle d’Astrid, l’épouse de François, à travers les yeux de laquelle l’intrigue est racontée depuis sa toute première scène qui provoque un long flashback. Le rôle casse-gueule est interprété par Emmanuelle Devos qui parvient non sans mal à s’en dépêtrer. C’est qu’il n’est pas facile de jouer l’épouse aimante, qui a cru bon de pardonner à son mari mais qui, trente ans plus tard, découvre combien elle a eu tort de taire ses crimes.
Et le silence – pourquoi le titre utilise-t-il l’article indéfini ? – a des effets dévastateurs. Il corrompt tout, pendant des années. C’est le rôle de Raphaël, le second enfant des Schaar, un enfant adopté et un adolescent en échec scolaire, de porter ce fardeau.

Je comprends qu’on n’ait pas aimé ce film glaçant, son absence revendiquée de tout pathos, ses décors nocturnes, ses dialogues théâtralisés qui sonnent parfois faux. Pour autant, il ne mérite pas les critiques cinglantes que j’en ai entendues.

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Scrapper ★★☆☆

Georgie (Lola Campbell), douze ans à peine, vient de perdre d’une longue maladie sa mère qui l’élevait seule. La gamine s’est inventé un oncle pour tromper la vigilance des services sociaux. Elle réussit parfaitement à se gérer seule avec l’argent qu’elle gagne en trafiquant des vélos volés. Mais un jour son père biologique(Harris Dickinson remarqué dans Sans filtre), adulescent immature qui vivait jusqu’alors de petits boulots à Ibiza, débarque chez elle et s’y installe au grand dam de Georgie.

Scrapper est le premier film de Charlotte Regan. Molly Manning Walker, qui vient de réaliser How to Have Sex, dont j’ai dit ici tout le bien que j’en pensais, la secondait sur le plateau. Grand prix du jury au festival de Sundance 2023 dans la catégorie des films étrangers, remarqué au festival  de Dinard l’automne dernier, Scrapper porte haut les couleurs d’un jeune cinéma britannique en plein renouveau.

C’est un film mignon aux airs de déjà-vu.
Déjà vues les comédies dramatiques tournées dans ces banlieues de l’Angleterre post-thatchérienne si souvent filmées par Stephen Frears ou Ken Loach où le ciel, bas et lourd, pèse comme un couvercle.
Déjà vus les gadgets visuels à la Trainspotting censés donner un coup de fouet à un scénario un peu mollasson.
Déjà vus des gamins débrouillards capables, sans leurs parents, de s’assumer seuls, voire, renversant l’ordre naturel, assumant eux-mêmes la direction de foyers aux parents dysfonctionnels
Déjà vus enfin, comme dans le récent Aftersun, qui avait enthousiasmé la critique, ces duos père-fille voués évidemment à se réconcilier en dépit des obstacles.

Malgré tous ces défauts, malgré son scénario cousu de fil blanc, Scrapper – la bagarreuse en anglais – n’en reste pas moins un feel good movie attachant doublé d’une réflexion touchante sur le deuil.

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Pauvres créatures ★★★☆

À Londres à l’époque victorienne vit le docteur Godwin Baxter (Willem Dafoe). Le corps mutilé par les expériences pratiquées sur lui par son propre père, il mène à son tour des expériences monstrueuses sur des animaux comme sur des humains. Il a repêché dans la Tamise le corps d’une suicidée et l’a ramenée à la vie en lui greffant le cerveau du foetus encore en vie qu’elle portait. La jeune femme, baptisée Bella (Emma Stone) présente l’apparence d’une adulte formée mais a la maturité d’un nouveau-né. Le docteur Baxter s’adjoint un de ses élèves de la faculté de médecine, Max McCandles (Ramy Youssef) pour veiller sur le développement de la jeune ingénue. Mais, avide de découvrir le vaste monde, Bella trompe leur surveillance pour s’enfuir avec un coureur de jupons, Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo). Les voilà partis pour un long voyage.

Yórgos Lánthimos est, comme son nom l’indique, un réalisateur grec qui, depuis une quinzaine d’années s’est fait un nom dans le monde du cinéma. Ses premières oeuvres tournées en Grèce lui ouvrent les portes de Hollywood. The Lobster, Mise à mort du cerf sacré, La Favorite et aujourd’hui Pauvres créatures, adapté d’un roman culte de l’auteur écossais Alasdair Gray, lui valent un succès grandissant et portent la marque d’un cinéaste unique, post-moderne, aux trouvailles formelles étonnantes, posant sur le monde et ses dérives un regard volontiers buñuelien

Pauvres créatures est servi par deux atouts exceptionnels. Le premier est ses décors rétro-futuristes d’une artificialité revendiquée, qui rappellent les dessins animés de Miyazaki. Le second, c’est Emma Stone qui démontre, si besoin en était, qu’elle est l’une des actrices les plus douées et les plus culottées de sa génération. Elle n’a pas volé le Golden Globe qu’elle vient de recevoir et décrochera peut-être l’Oscar pour ce rôle.

Pauvres créatures est sans conteste le film le plus ambitieux et le plus réussi de ce début d’année. Il a le format – 2h21 – et le souffle des chefs d’oeuvre. Pour autant, il fait partie de ces films qui sur le coup nous clouent à nos sièges mais qui, après un temps de décantation, autorisent quelques réserves. La première est peut-être le manque de rythme de ce récit picaresque qui nous fait voyager autour de l’Europe, de Lisbonne à Paris en passant par Alexandrie et une longue croisière en Méditerranée, autant d’étapes sagement alignées, auxquelles on aurait pu en rajouter une ou deux ou en retrancher autant sans rien ajouter ni ôter à l’économie du récit.
La seconde est plus sérieuse. À la réflexion, Pauvres créatures m’a paru être un film faussement transgressif. Sans doute son héroïne, qui se moque des conventions, est-elle un sacré personnage de cinéma comme on n’en a jamais vu (je ne suis qu’à moitié convaincu par le parallèle tracé par Jacques Mandelbaum dans Le Monde avec le personnage de Dustin Hoffman dans Rain Man). On se demande pendant plus d’une heure où le film veut nous mener, quel message il entend délivrer. On le découvre bientôt : c’est un récit d’émancipation féminine sinon féministe. Un sujet bien conventionnel pour un film qui revendique de ne pas l’être.

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L’Enfant du paradis ★☆☆☆

La petite quarantaine, Yazid est un acteur qui a décroché quelques rôles avant de sombrer dans l’alcool et dans la drogue. Son couple s’y est fracassé. Mais Yazid est en train de remonter la pente, de renouer avec son fils désormais adolescent, de construire une relation stable avec Garance, une actrice comme lui, avant de retrouver la scène.

Salim Kechiouche est venu au cinéma adolescent grâce à Gaël Morel, avant de faire une école de théâtre. Il a tourné dans une vingtaine de films avec Ozon et Kechiche, dans autant de courts métrages, pour le cinéma et pour la télévision ; il a joué au théâtre. Il passe pour la première fois derrière la caméra pour rendre un hommage à son ami, l’acteur Yasmine Belmadi, mort en 2009 dans un accident de scooter, après la fête de fin de tournage de son dernier film, Adieu Gary.

Salim Kechiouche dit avoir croisé beaucoup d’éléments autobiographiques avec ceux de la vie de son ami défunt. Il revendique aussi la part de pure fiction de son film : ni lui ni Yasmine Belmadi n’a ou n’a eu de fils adolescent comme celui qu’on voit dans le film.

Tourné avec un petit budget, quasiment pas distribué (il est sorti le mois dernier en catimini dans deux salles parisiennes), L’Enfant du paradis dure une heure et douze minutes seulement. C’est un film à l’os, dont l’acteur principal, qui en signe aussi la réalisation, beau brun à la virilité incandescente, est de tous les plans.

Sa principale qualité est aussi son principal défaut : sa concision. L’Enfant du paradis se réduit finalement à pas grand-chose. Reproche paradoxal sous ma plume qui a si souvent reproché aux films leurs inutiles longueurs et leurs demi-heures excédentaires !

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Pour ton mariage ★★★☆

Oury Milshtein est inconnu du grand public. Il est pourtant une personnalité importante du cinéma français qui a produit depuis quarante ans plusieurs dizaines de films aux côtés d’Agnès Varda, de Jacques Doillon, d’Arnaud Desplechin ou d’Alex Lutz. Marié à la fille d’Enrico Macias, divorcé, remarié, il a eu de ces deux unions cinq enfants, avant de vivre quelques années avec Kate Barry, la fille de Jane Birkin dramatiquement disparue en 2013. Sa vie, qui pourrait ressembler à celle, joyeusement neurasthénique, de n’importe quel Juif ashkénaze français, a été marquée par un drame dont il est resté inconsolable.

Jetez un œil à cette affiche. On y lit – ce qui n’est pas fréquent – une blague juive. On la croirait tout droit sortie d’un film de Woody Allen. Si on se fie au titre de ce film et si on en lit le pitch, qui insiste sur le mariage grandiose et raté d’Oury Milhstein avec Jocya, la fille d’Enrico Macias, on imagine volontiers un documentaire autobiographique centré sur cette cérémonie ostentatoire et peut-être sur ses suites calamiteuses.

Mais Pour ton mariage n’a pas grand chose à voir avec son titre. À soixante-six ans, Oury Milshtein pressent qu’il n’aura guère d’autres occasions de revenir sur sa vie et, sans y mettre pour autant la moindre ostentation, entend l’embrasser tout entière.

Le résultat est décapant. Décapant dans la façon de le raconter, en partant d’un grand dîner familial avec ses deux ex-femmes – qui s’entendent comme larrons en foire alors qu’on aurait plutôt imaginé une franche détestation entre elles nourrie de mille et une trahisons – et ses enfants soudés dans une étonnante et chaleureuse complicité. Décapant dans ce qu’il raconte de la vie d’un homme, de ses parents et de la relation compliquée qu’il entretint avec son père et avec sa mère, de son éducation en Israël chez une tante, de ses mariages successifs et finalement de sa vie qui va s’achever.

Le résultat est gai comme la blague juive de l’affiche, et triste comme elle. Mazel Tov !

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Le Voyage en pyjama ☆☆☆☆

Victor, la quarantaine, est professeur de lettres. Il quitte le lycée qui l’emploie pour une année sabbatique. Il découvre, sans guère s’en formaliser, que sa femme entretient une liaison avec un collègue de travail. Il ne se laisse pas démonter pour autant et part à bicyclette sur le chemin de Compostelle avec l’épouse de ce collègue. Mais il lui fausse bientôt compagnie pour musarder sur les bords de la Loire. Il y retrouve d’anciennes maîtresses et y fait de nouvelles rencontres.

Pascal Thomas a bientôt quatre-vingts ans. Alors que ses collègues du même âge (Martin Scorsese, Wim Wenders, Hayao Miyazaki) tournent encore des chefs d’oeuvre, Pascal Thomas nous offre le spectacle piteux d’un cinéaste à bout de souffle qui n’a plus rien à dire. Honnête faiseur du cinéma français, il a toujours creusé le même sillon : celui des amours hédonistes, des liaisons éphémères, des passions fugitives… Pour prendre un seul exemple de son répertoire, hélas significatif, citons Celles qu’on n’a pas eues tourné en 1981 avec Michel Aumont, Daniel Ceccaldi, Michel Galabru et Bernard Menez : des hommes, dans un compartiment de train, racontent leurs déboires amoureux.

Ce cinéma-là a terriblement mal vieilli. Le féminisme et #MeToo en ont définitivement invalidé les lourds sous-entendus machistes des mâles alphas très bêtas. Dans les années 2000, Pascal Thomas a eu la bonne idée d’explorer un nouveau genre : celui du remake loufoque des romans d’Agatha Christie. Il a déniché Catherine Frot et André Dussollier pour y jouer. Le succès a été au rendez-vous, surtout auprès des seniors.

Après le flop retentissant de À cause des filles ? en 2019, Pascal Thomas revient cinq ans plus tard avec un nouveau film qui se revendique toujours de la légèreté et du dilettantisme (La Dilettante n’était-il pas son  film le plus réussi ?). Las, cette chronique sentimentale fait pschitt.
La faute à un scénario qui accumule les séquences comme autant de sketches interchangeables et plus ou moins dispensables : Victor aurait pu, sur son chemin, croiser deux amies de plus ou de moins sans que l’économie de l’histoire s’en ressente.
La faute plus encore à une interprétation calamiteuse, à commencer par le héros interprété par Alexandre Lafaurie dont on se demande pour quelle raison il a décroché le rôle sinon ses liens de parenté avec le réalisateur ou avec sa fille, Nathalie Lafaurie, qui a cosigné le scénario. Pascal Thomas a demandé à ses anciens complices de jouer quelques scènes : on voit passer Pierre Arditi, Anny Duperey, Hippolyte Girardot, Irène Jacob… et la seule chose qu’on se dise est qu’ils ont beaucoup vieilli.

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