Sergent-major Eismayer ★☆☆☆

Charles Eismayer est instructeur dans l’armée autrichienne. Sa réputation le précède : un militaire implacable qui prend un plaisir sadique à maltraiter les jeunes recrues sous prétexte de les faire rentrer dans le moule. En fait, sous le masque de dureté qu’il affiche volontiers et sous l’apparence d’un bon mari et d’un bon père, Eismayer cache un secret. Il éclatera à l’arrivée de Mario Falak, un jeune engagé d’origine étrangère qui n’hésite pas à afficher son homosexualité.

Ce film autrichien est tiré d’une histoire vraie. Sponsorisé par Têtu, on en connaît par avance, au vu de son affiche et de son résumé, l’enjeu sinon le dénouement.

Il faut lui reconnaître son originalité – Le Monde écrit joliment qu’il s’agit d’un croisement de Full Metal Jacket et de Love Story – et sa sensibilité – il faut du courage pour faire son coming out dans l’institution militaire volontiers viriliste sinon homophobe. Mais Sergent-major Eismayer est écrasé par le didactisme qui le porte et tué dans l’œuf par l’absence de surprise de son scénario.

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Déménagement ★☆☆☆

Ren a onze ans. Ses parents divorcent. Elle ne le supporte pas.

Malgré le succès que sa projection à Cannes en 1993 avait rencontré, Déménagement n’était jamais sorti en salles en France. Cet oubli est réparé trente ans après, trop tard hélas pour donner à son réalisateur, Shinji Somai (1948-2001) la place qu’il aurait méritée dans le cinéma japonais entre les grands anciens (Kurosawa, Oshima, Imamura…) et la nouvelle pousse (Kitano qui l’éclipse, Miike, Kiyoshi Kurosawa, Kore-Eda…).

Sans doute, Déménagement fait-il son âge, avec ses longs travellings, le grain de son image en 16mm, son son parasité. Mais il a bien vieilli. Son histoire est de tous les temps et de toutes les latitudes, celle du divorce de deux parents et de ses répercussions sur leur enfant : Diabolo Menthe en France, Kramer contre Kramer aux Etats-Unis, ce chef d’œuvre glaçant qu’était Faute d’amour en Russie…

Le film est porté par l’énergie de sa jeune actrice, Tomoko Tabata, qui a poursuivi depuis une brillante carrière au cinéma et au théâtre et qui raconte dans Le Monde les conditions du tournage qui ne seraient plus tolérées de nos jours. Son interprétation rappelle celle de Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre Cents Coups.

Mais hélas, Déménagement, qui dure plus de deux heures, m’a perdu dans sa dernière demi-heure où l’on voit la jeune héroïne s’égarer dans la forêt avant de se retrouver au bord du lac Biwa et d’y accepter l’inéluctable séparation de ses parents. Je comprends que ce long détour était nécessaire à l’économie du film. Mais sa longueur et sa langueur, qui contrastent avec la pétillante énergie du reste du film, ont eu raison de ma résistance.

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Augure ☆☆☆☆

Après une longue absence, Koffi (Marc Zinga) revient au Congo présenter sa compagne Alice (Lucie Debay), enceinte de jumeaux, à sa famille. Mais Koffi, qui souffre d’épilepsie et a un angiome sur la joue gauche, passe pour un sorcier chez les siens qui l’accueillent froidement. Pendant son séjour, il croisera le chemin de trois personnes frappées comme lui d’ostracisme en raison de leur originalité et de leur refus des convenances.

Le musicien et cinéaste Baloji aurait pu, pour son premier film, tourner un banal retour au pays natal. Né au Katanga, émigré très jeune en Belgique, sans doute aurait-il pu puiser dans son histoire personnelle pour le raconter. Mais il a opté pour un autre parti, plus onirique, qui s’inspire du « réalisme magique ».

Le résultat, qui fait la part belle aux costumes et à la musique auxquels Baloji lui-même a mis la main, a été salué à Cannes dont il est reparti avec le Prix de la nouvelle voix. Augure avait été choisi pour représenter la Belgique pour l’Oscar du meilleur film étranger ; mais il ne figure pas dans l’ultime liste des quinze titres restés seuls en lice.

Le résultat n’en est pas moins déconcertant. Une fois passé le choc de la rencontre avec la famille de Koffi, le scénario s’étiole dans une succession de rencontres inutiles. Avec elles, l’attention du spectateur s’évapore. Très vite, on se désintéresse du sort de Koffi et d’Alice pour sombrer dans l’ennui.

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Shttl ★★★☆

Mendele, un jeune Juif prometteur, a quitté son village en Galicie, à la frontière de la Pologne récemment occupée par le Reich, et s’est arraché à l’amour de Yuna, sa promise, pour aller étudier à Kiev. Devenu officier de l’Armée rouge, il en revient le 21 juin 1941 pour apprendre qu’un chidoukh, un mariage arrangé, va unir Yuna à son ami d’enfance, Folie, qui a versé dans l’hassidisme et renie toute forme de collaboration avec les Soviets. Le lendemain, Hitler lancera l’opération Barbarossa qui va entraîner l’invasion de ces territoires par la Wehrmacht et l’anéantissement de ses populations juives.

Shttl est une réalisation franco-ukrainienne tournée, avant l’invasion russe de 2022, à une heure de route de Kiev, dans un shtetl, un ancien village juif entièrement reconstruit pour l’occasion. Le réalisateur est français. L’équipe est largement ukrainienne. Le film est tourné en yiddish, cette langue germanique parlée par les Juifs ashkénazes que la Shoah a quasiment annihilée.

Ady Walter raconte avoir voulu parler de la Shoah sans la montrer. Sacrée gageure ! Il a eu l’idée de raconter le quotidien de ce petit village juif en faisant planer sur lui, dès la première scène, la menace d’un anéantissement imminent. Le film tout entier repose sur cette tension-là : le spectateur sait que, demain, ces êtres de chair et d’os qui se disputent sur leur avenir seront froidement exécutés par l’envahisseur nazi.

Ady Walter raconte avec une grande fidélité historique les tensions qui traversent un petit village juif d’Europe orientale. Deux voire trois courants s’y opposent. Le premier, bundiste, voit dans l’occupation soviétique et la collaboration une opportunité, une ouverture possible à la modernité. C’est Mendele qui l’incarne dans le film. En réaction, le deuxième, profondément réactionnaire, revendique le repli identitaire, le refus de toute hybridation, la défense de la pureté hassidique. Folie en est dans le film la figure presque caricaturale Un troisième se fait lentement jour – qui s’attire l’hostilité des deux premiers – qui voit dans la constitution en Palestine d’un Foyer national juif la seule issue possible à l’insoluble tension née de la confrontation du bundisme et du hassidisme.

Ces débats historiques et politiques sont aussi passionnants qu’ardus. Ady Walter fait le pari audacieux de ne pas les simplifier dans un manichéisme réducteur – par exemple dans la façon dont il se refuse à caricaturer l’antisémitisme ukrainien mais à montrer au contraire l’interpénétration des populations et des idiomes (le personnage de Damian, l’ami ukrainien de Mendele, est particulièrement intéressant à ce titre).
Il évite le piège du didactisme en optant pour une forme audacieuse et très efficace. Shttl est filmé en plans-séquences virevoltants, la caméra toujours en mouvement, suivant à la trace ses héros qui arpentent le village en tous sens. Ce choix technique confère une énergie folle au film qui donne l’impression d’être tourné en temps réel. Elle culmine dans la scène finale, qui ne nous surprend guère mais qui ne nous sidère pas moins.

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Légua ★★☆☆

Dans un petit village du nord du Portugal, une belle maison est entretenue par Emilia, une vieille domestique acariâtre. Ana, la quarantaine, l’assiste. Le mari d’Ana est un maçon  qui la pousse à émigrer en France pour y trouver plus d’opportunités. Le fils d’Ana a déjà quitté le nid familial et sa fille est sur le point de le faire. Mais quand la santé d’Emilia décline, Ana, avec une fidélité indéfectible, reste à ses côtés pour l’accompagner dans ses derniers jours.

J’ai rarement vu affiche plus mal choisie que celle de ce film. On y voit de dos l’héroïne, Ana, au milieu d’une vallée sauvage, noyée dans la brume. On en escompte un film où la nature jouera un grand rôle alors qu’au contraire l’essentiel de Légua se déroule entre quatre murs.

Le sujet du film est rude. Il traite de la fin de vie. Le mot évoque les débats politiques sur le droit à mourir qui entourent le projet de loi promis par le président Macron. Pourtant à aucun moment, durant la lente agonie d’Emilia, le sujet n’est évoqué. C’est la mort simplement que Légua regarde en face. La mort nue, lente, inexorable. Celle qui attend nos proches – ou qui les a emportés déjà – notre père, notre mère, notre compagne ou notre compagnon…

Abandonnée à elle-même, sans famille ni amis, Emilia n’a qu’Ana pour l’aider. Ana pourrait se dérober. Rien ne la lie à son aînée, avec laquelle la relation n’était pas spécialement chaleureuse, qui ne lui a jamais manifesté beaucoup d’amitié, sinon le métier qu’elles ont exercé ensemble. Ana accepte pourtant sans mot dire, malgré l’incompréhension des siens, cette tâche bien ingrate. Le film est long, éprouvant, qui nous montre les efforts silencieux d’Ana pour égayer Emilia, la nourrir, la baigner, la langer….

On sort de la salle le moral dans les chaussettes en se demandant si on aura ce courage, cette humanité et en se demandant aussi qui les aura pour nous…

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The Survival of Kindness ★☆☆☆

Une femme noire en haillons est prisonnière d’une cage au milieu du désert. Elle réussit à s’en échapper. Le monde autour d’elle a été dévasté par une terrible maladie contagieuse. Les rares survivants se protègent avec des masques à gaz. Les populations blanches poursuivent inlassablement les gens de couleur et les exécutent sans sommation.

Le réalisateur Rolf De Heer – qui a réalisé en 1993 Bad Boy Bubby qui restera à jamais gravé dans ma mémoire – raconte que le confinement l’a empêché de réaliser le film à gros budget qu’il était sur le point de tourner. Son équipe et lui ont été contraints de travailler à un projet plus modeste, impliquant moins d’acteurs et moins de moyens.

Le résultat est pourtant loin d’être minimaliste. The Survival… nous fait traverser des paysages spectaculaires, depuis le désert de l’Australie méridionale jusqu’aux montagnes de Tasmanie. Comme les grands films post-apocalyptiques (Mad Max, Terminator, La Route, The Walking Dead…), il crée une « atmosphère », décalée et inquiétante.

Une fois campé le décor, le film post-apocalyptique a deux ressources, éventuellement cumulables. La première, la plus banale, est de raconter une histoire, comme n’importe quel film d’action. C’est ce que font les grands classiques du genre que je viens de citer. La seconde, plus difficile à manier, est de revenir sur les causes de l’apocalypse. C’est ce que fait magistralement La Planète des singes dans son ultime plan saisissant – peut-être le meilleur « dernier plan » de l’histoire du cinéma (avec celui de Psychose ?) – ou L’Armée des douze singes.

Le défaut de The Survival… est de ne faire ni l’un ni l’autre. L’histoire qu’il raconte peine à débuter et, quand elle débute enfin, s’avère bien ténue. Quant à éclairer les circonstances qui ont conduit le monde dans l’état qu’il est, il renonce paresseusement à nous éclairer. Sa fin m’a laissé pantois. Je n’y ai rien compris. Vos lumières, en commentaires ou en DM, me seront précieuses.

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Menus-Plaisirs – Les Troisgros ★★☆☆

Le « pape du documentaire » a posé sa caméra dans la maison Troisgros à Roanne, le plus vieux restaurant trois étoiles Michelin de France. Quatre générations de chefs s’y sont succédées. Ce temple de la gastronomie française a été fondé en 1930 par Jean-Baptiste et Marie Troisgros en face de la gare de Roanne. Leurs deux fils, Jean et Pierre en ont pris la tête dans les 50ies et y ont conquis leurs étoiles. C’est leur petit-fils, Michel qui le dirige aujourd’hui après en avoir déménagé le fonds en 2017 pour s’installer à Ouches, à quelques kilomètres de Roanne, dans un splendide domaine ouvert sur les champs du Forez. Son fils aîné, César, le seconde ; son fils cadet, Léo, tient les rênes du domaine du Colombier, un autre établissement de la maison Troisgros, dans le Brionnais.

Toujours vert, à quatre-vingt-dix ans passés, Frederick Wiseman ne change rien à la méthode qu’il utilise depuis plus de cinquante ans. Il choisit une institution : un asile psychiatrique dans le Massachussetts (Titicut Follies, 1967), un centre d’aide sociale à Manhattan (Welfare, 1975), le ballet de l’Opéra de Paris (La Danse, 2009), la bibliothèque publique de New York (Ex Libris, 2017), la mairie de Boston (City Hall, 2020)… Avec une équipe très légère, il y accumule des dizaines d’heures de tournage dont il conserve une infime partie au montage qui dure de longs mois. Aucune interview, aucune voix off, aucun sous-titre ni carton explicatif, aucune musique n’est ajouté.

La méthode a un atout : elle est profondément immersive. Elle nous fait pénétrer au cœur des institutions, réalisant le vœu qu’on a souvent fait en sachant sa réalisation impossible : « j’aurais aimé être une mouche pour…. ». Comme une mouche invisible, le spectateur accompagne les Troisgros au marché pour y acheter leurs produits, chez leurs fournisseurs, des éleveurs, des affineurs, des viticulteurs et même un apiculteur, dans leur cuisine pour l’amoureuse préparation de leurs menus à la tête de leur brigade affairée, dans la salle à la rencontre de leurs clients (que j’ai trouvé bien débraillés, me faisant de la clientèle d’un trois étoiles une image plus élégante, ce qui est sans le doute le signe de mon snobisme et/ou de mon complexe de classe).

Un conseil : ne pas aller voir ces Menus-Plaisirs, un titre délicieusement ambivalent, le ventre vide au risque de transformer les quatre heures qu’il dure en longue torture affamante. Car, c’est une marque de fabrique de Wiseman, ce documentaire est obèse. Cette durée se justifie-t-elle ? Wiseman en aurait-il moins dit, aurait-il été moins efficace, si son documentaire avait été réduit de moitié ?

C’est bien sûr le principal reproche que l’on peut adresser à cette expérience exigeante. Ce n’est pas le seul. L’autre, plus essentiel encore, vise la méthode même de Wiseman. Son refus obstiné de toute explication laisse en suspens de trop nombreuses questions. Quelle est l’histoire de la maison Troisgros (pour la présenter au début de cette critique, j’ai dû aller fureter sur Internet) ? Comment les étoiles Michelin ont-elles été acquises et surtout conservées ?  Quelle place la famille Troisgros occupe-t-elle dans la gastronomie française, par rapport notamment au « Pape » Bocuse, à Lyon si proche, ou aux grands noms de la Nouvelle Cuisine ? Que leur inspirent les trajectoires des Robuchon, des Ducasse, des Alléno qui s’internationalisent et accumulent les étoiles à la pelle dans toutes leurs succursales ? Que pensent-ils de la vogue récente de la gastronomie et de l’engouement médiatique suscité par Top Chef et par ses multiples succédanés ? Comment ont-ils traversé la crise du Covid ? Autant de questions qui, par la faute d’une méthode trop austère, restent sans réponses.

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Les Colons ★☆☆☆

En 1901, au sud de la Patagonie, un riche propriétaire foncier, José Menéndez, missionne trois hommes, un ancien lieutenant de l’armée anglaise, un ranchero mexicain et un métis chilien, pour aller prendre possession de nouvelles pâtures pour ses bêtes. Ils rencontrent un détachement militaire argentin venu borner la frontière entre l’Argentine et le Chili et des Indiens autochtones.

Les Colons a le mérite de raconter une page méconnue de l’histoire contemporaine : le génocide des Indiens Selknam ou Onas suite à la privatisation de leurs terres, l’extinction de leurs ressources de chasse, la répression de leur révolte et finalement leur lente extinction par l’effet de la tuberculose.

Il est filmé dans des paysages grandioses. Une musique (d)étonnante l’accompagne.

Les Colons est composé de deux parties radicalement séparées. La seconde se déroule sept ans après la première. Elle a pour héros un politicien venu de Santiago chargé d’enquêter sur les faits commis quelques années plus tôt, d’en retrouver les témoins et d’indemniser les victimes.

Les Colons est une œuvre édifiante qui mérite d’être vue. C’est un western dépaysant tourné à mille lieux de Monument Valley. C’est un film épique et radical qui m’a rappelé les austères paysages islandais de Godland. Comme dans Godland, on resent le froid, la faim, la crasse qui accompagnent les héros pouilleux dans ces contrées ingrates et glacées. Pour éprouvantes que soient certaines scènes – le film aurait pu être accompagné d’un avertissement pour prévenir le plus jeune public auquel il n’est clairement pas destiné – Les Colons n’en reste pas moins hélas un spectacle désincarné où les acteurs, assez médiocres, à l’exception peut-être d’Alfredo Castro, acteur de prédilection de Pablo Larrain, dans le rôle de José Menéndez, peinent à donner chair à leurs personnages et à faire naître pour eux de l’empathie.

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Winter Break ★★☆☆

Les vacances de Noël approchent à Barton, un lycée pour garçons huppé de la Nouvelle-Angleterre au début des 70ies. M. Hunham (Paul Giamatti), professeur d’histoire ancienne, s’y voit confier la tâche rebutante de surveiller les rares pensionnaires contraints d’y passer les fêtes. Parmi eux, Angus (Dominic Sessa), un élève doué mais turbulent, apprend à la dernière minute l’annulation des vacances paradisiaques que sa mère lui avait fait miroiter dans une île tropicale. Marry (Da’vine Joy Randolph), la cheffe de la cantine, récemment endeuillée par la disparition de son fils unique au Vietnam, préfère elle aussi rester à Barton, loin de l’effervescence des fêtes.

Alexander Payne (Sideways, The Descendants, Nebraska, Downsizing) est un cinéaste de la nostalgie. Son Winter Break est un hommage revendiqué au cinéma des 70ies, qui s’ouvre par un long générique reproduisant à l’identique ceux de l’époque (je me demande à quel moment de l’histoire du cinéma les génériques qui longtemps précédèrent les films basculèrent à leur toute fin, épargnant au spectateur la purge de leur long défilé mais lui ôtant du même coup cette lente introduction qui l’emmenait du monde extérieur jusqu’à l’intérieur du film). Il en possède la même colorimétrie désaturée, le même son grésillant, la même graphie jusqu’à l’indication du copyright qui indique MCMLXXI.

Winter Break voudrait nous donner l’impression d’avoir été tourné à l’époque qu’il filme et y réussit fort bien. Pour autant, son sujet est intemporel. Il pourrait, après une longue mise en place qui retarde le moment où nos trois héros sont enfin réunis, sembler banal voire téléphoné : trois recalés de la vie vont en se serrant les coudes y reprendre goût. C’est la banalité de ce scénario planplan et sans surprises qui m’interdit de lui donner une meilleure note.

C’est son seul défaut, même s’il est de taille. Car, pour le reste, Winter Break est une réussite totale. Ses trois acteurs principaux sont, chacun dans leur registre, parfaits. Paul Giamatti, qu’on a si souvent vu dans une floppée de rôles secondaires, laisse exploser son talent. L’imposante Da’vine Joy Randolph réussit avec un jeu minimaliste à donner à son personnage une rare profondeur. Quant à Dominic Messa, je sens chez lui le potentiel d’un Malcom McDowell et prends le pari qu’on le reverra bientôt tout en haut de l’affiche.

L’histoire que Winter Break raconte, pour prévisible qu’elle soit, n’en reste pas moins profondément attachante. Derrière la façade austère qu’affiche le professeur Hunham, qui prend un plaisir sadique à rendre à ses élèves leurs copies en sifflotant la Chevauchée des Walkyrie, on sait déjà que se cache un homme au grand cœur. On pressent qu’il a un lourd secret à cacher et on attend gentiment qu’il le révèle. Angus, son élève, est trop blessé par l’abandon de sa mère et l’absence de son père pour ne pas chercher dans ce professeur old school une figure paternelle de substitution. Là encore, on sait par avance qu’il la trouvera et qu’à la fin du film, il sortira grandi de cette rencontre.

Winter Break est un film triste qui fait du bien.

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Rue des dames ★☆☆☆

Mia (Garance Marillier, découverte dans Grave) enchaîne les galères. Elle apprend qu’elle est enceinte ; son copain, Nabil, est en liberté conditionnelle ; expulsée de son appartement, elle trouve refuge dans un hôtel miteux ; sa relation avec sa patronne, dans le salon de manucure qui l’emploie, se détériore ; et la combine qui lui permet d’arrondir ses fins de mois – faire rentrer des clientes de son salon dans des soirées VIP – risque de lui valoir des poursuites pour proxénétisme.

Les deux rappeurs Hamé & Ekoué signent leur deuxième film. Le premier, en 2017, avait donné le ton : Les Parisiens racontait le destin contrarié de deux frères algériens dans un Pigalle intemporel. Rue des dames se passe quelques pâtés de maisons plus loin, dans le dix-septième arrondissement, derrière la place de Clichy. Loin des clichés, c’est un Paris paupérisé qui est décrit, un Paris de la débrouille.

Contrairement à ce que son affiche laisse escompter, Rue des dames est un film choral qui met en scène plusieurs personnages : outre Mia, on y croise Issa, un chauffeur Uber débrouillard, Yohann (Sandor Funtek, la révélation de Suprêmes), un flic borderline, Diane, qui se demande ce qu’elle va faire du polichinelle qu’un footballeur célèbre lui a mis dans le tiroir, César, un entremetteur louche…. Tous les personnages se débrouillent, se démerdent pour survivre, quitte à se perdre dans les mensonges qu’ils accumulent et à trahir la confiance des rares soutiens sur lesquels ils pouvaient encore compter.

Cette absence de manichéisme fait tout l’intérêt de cette panoplie de caractères. Mais Rue des dames souffre d’un défaut rédhibitoire de construction. Hamé & Ekoué ont voulu faire tenir dans un film standard trop de personnages, trop d’intrigues secondaires. Le spectateur s’y perd, qui ne sait plus où donner de la tête.

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