Levante ★★☆☆

Sofia a dix-sept ans. Joueuse talentueuse d’une équipe de volley ball, elle a été repérée par une recruteuse qui lui propose de partir au Chili en vue d’une prochaine professionnalisation. Mais cette offre inespérée qui lui ouvre le futur dont elle a toujours rêvé est brutalement remise en cause par la nouvelle qu’un test de grossesse lui révèle : Sofia est enceinte. Or, au Brésil, l’avortement est illégal.

Il y a deux ans, l’adaptation du roman d’Annie Ernaux L’Evénément montrait le parcours du combattant d’une jeune étudiante au début des 60ies en France pour procéder à un avortement clandestin. Si la liberté pour les femmes de disposer de leur corps est aujourd’hui, sous nos latitudes un droit acquis, Levante vient douloureusement nous rappeler que ce n’est pas le cas partout et que ce qu’a vécu dans les 60ies la jeune Annie Ernaux, d’autres jeunes femmes ailleurs dans le monde le vivent encore aujourd’hui.

Pour donner de la chair à son sujet, la jeune cinéaste brésilienne Lillah Hallah a imaginé une équipe de volley-ball inclusive où Sofia trouve auprès de sa coach une mère de substitution et auprès de ses coéquipières autant d’amies qui l’entourent de leur affection. Il règne dans cette équipe soudée une sororité badass (le mot du jour…. pour les plus de cinquante ans !) qui force la sympathie. Unie pour la victoire aux championnats régionaux, l’équipe est unie pour défendre Sofia dont la grossesse et la volonté affichée d’avorter au mépris de la loi attisent la haine d’une infirmière pro-life et des réseaux évangélistes qu’elle mobilise.

Sélectionné en compétition à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2023, ce premier film nous réserve une fin maligne, à laquelle on ne s’attendait pas, qui sort Sofia du dilemme dans lequel elle s’était enfermée (qu’elle garde ou qu’elle se débarrasse de son foetus, elle aurait dû renoncer à sa carrière sportive). Levante accumule décidément les qualités : c’est un film sociétal sur un enjeu politique contemporain ; c’est un film joyeusement queer sur un groupe de filles délurées et solidaires ; c’est une histoire bien écrite qui nous tient en haleine jusqu’à sa dernière image.

[Spoiler : Elles se marièrent et n’eurent aucun enfant.]

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Un hiver à Yanji ★☆☆☆

Yanji est une ville de Mandchourie à la frontière de la Corée du nord célèbre, l’hiver venu, pour ses sculptures sur glace. Trois personnes s’y croisent : Haofeng, un jeune trader dépressif venu de Shanghai y assister au mariage d’un ami, Nana, une guide touristique, et Xiao, un jeune sans éducation employé dans le restaurant de sa tante.

Un hiver à Yanji est vendu comme un Jules et Jim chinois. Il y a tromperie sur la marchandise. Un hiver à Yanji n’a pas la légèreté ni la sensualité de son prestigieux modèle truffaldien. S’il campe un triangle amoureux, ses différents côtés sont inégaux. Nana et Xiao sont amis de longue date au début du film ; peut-être une relation se serait-elle nouée entre eux avec le temps ; mais l’arrivée de Haofeng et la passion qui naît entre Nana et lui lève cette hypothèque. Autre côté négligé du triangle : il n’y a aucune alchimie, ni amicale, ni homo-érotique, entre Haofeng et Xiao. Point de triangle donc, mais en fait deux segments de droite avec Nana à leur intersection.

Moins que le trio formé par ces trois personnages, le véritable héros du film est la ville de Yanji. Le film commence d’ailleurs par un long plan quasi-documentaire, où l’on voit des travailleurs, lourdement harnachés pour éviter de tomber dans l’eau, débiter des blocs de glace sur la rivière. Yanji abrite une nombreuse communauté coréenne. Le chinois et le coréen y sont indifféremment utilisés. Un parc d’attraction sur la Corée y a même été ouvert, qui accueille les touristes chinois en mal d’exotisme.

Un hiver à Yanji aurait pu creuser cette veine documentaire et dresser le portrait de cette ville frontière, à cheval sur deux pays et sur deux cultures. Il opte pour une veine plus fictionnelle et se focalise sur les trois personnages principaux qu’il accompagne dans une longue errance dans les montagnes qui surplombent la ville et où se perche un lac céleste.

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La Chimère ★☆☆☆

Un Anglais prénommé Arthur (Josh O’Connor, le jeune prince Charles de The Crown) sort de prison et revient en Toscane sur les traces de Beniamina son amour défunte. Arthur possède un don hors du commun qui permet à la bande de voyous avec qui il s’est acoquiné de localiser des tombes étrusques enfouies et d’écouler en contrebande les œuvres d’art qui y étaient ensevelies.

Alice Rohrwacher est, comme son nom ne l’indique pas (son père, violoniste allemand, épousa une enseignante italienne et devint apiculteur en Ombrie), une réalisatrice italienne. Ses trois précédents films – Corpo celeste (2011), Les Merveilles (2014), Heureux comme Lazzaro (2018) – lui valent le titre écrasant d’étoile montante du cinéma transalpin.

Alice Rohrwacher a un style bien à elle, quelque part entre le néo-réalisme italien, l’onirisme fellinien et le réalisme magique latino-américain. La Chimère en est l’exemple le plus abouti. Film intemporel, censé se dérouler dans les 80ies, mais qui aurait aussi bien pu se dérouler quarante ans plus tard ou plus tôt (Heureux comme Lazzaro jouait déjà sur cette indétermination), il suit un scénario très lâche, sans grand enjeu, qui constitue tout au plus un prétexte pour raconter les pérégrinations de son héros.

Josh O’Connor, sexy en diable, y interprète un Anglais perché, doté d’un don dont il ne sait que faire, débarqué en Italie on ne sait comment. Son chemin croise celui d’une vieille aristocrate  qui refuse d’accepter le décès de sa fille et sur laquelle ses autres filles veillent dans un brouhaha joyeux. Dans un palais décati, cette douairière, majestueusement interprétée par Isabella Rossellini, donne des cours de chant à une jeune femme prénommée Italia (Carol Duarte). Comme dans tous les films d’Alice Rohrwacher, sa sœur aînée, Alba, fait une apparition, dans le rôle d’une trafiquante d’oeuvres d’art.

La Chimère est un peu trop foutraque à mon goût. Et beaucoup trop long. Il aurait pu, sans préjudice, être écourté d’une bonne demi-heure. Ses deux heures et dix minutes sont inutilement diluées, même si sa dernière scène, référence transparente à la catabase (!) d’Orphée et d’Euridyce, est sublimement poétique.

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Past Lives ★★☆☆

Na Young et Hae Sung ont douze ans. Aussi intelligents et travailleurs l’un que l’autre, ils se disputent la première place de leur classe. Une grande complicité les soude, qui sera rompue par le départ des parents de Na Young au Canada.
Na Young, qui se fait désormais appeler Nora, et Hae Sung ont vingt-quatre ans. Ils se sont perdus de vue. Grâce à Facebook, ils renouent le contact. Entre New York où Nora s’est installée, et Séoul où Hae Sung suit des études d’ingénieur, ils passent de longues heures à discuter sur Skype.
Nora et Hae Sung ont trente-six ans. Ils ont mûri et ont pris des chemins différents. Nora s’est mariée avec un écrivain juif new-yorkais rencontré durant une résidence d’artistes. Hae Sung, qui est resté célibataire, vient lui rendre visite à New York et discute avec elle, l’espace d’une journée des choix qu’ils ont faits et de ceux que la vie a faits pour eux.

François Ozon avait intitulé un de ses films 5*2 qui brossait en cinq épisodes, antéchronologiques, l’anatomie d’un couple. Ce film-ci pourrait s’appeler 3*2 (trois épisodes pour raconter un couple qui n’en sera jamais un) ou encore 12*3 (la vie d’un homme et d’une femme racontée en trois tableaux à 12, 24 et 36 ans).

Le pitch de ce film, son affiche, les quelques mots prononcés par sa distributrice, l’immense Michèle Halberstadt, au début de son avant-première organisée par le club Allociné, m’avaient follement mis l’eau à la bouche. Il faut confesser mon goût coupable pour ces sujets-là : rien ne me transforme plus en petites flaques d’eau que la nostalgie des amours disparues. En témoigne, si besoin en était, la vénération dans laquelle je tiens Docteur Jivago, Love Story ou La La Land.

Hélas, Past Lives s’est révélé en-deça de mes attentes. Pourtant, j’en ai adoré l’actrice principale, Greta Lee – même si j’ai eu un peu de mal à la trouver crédible, née en 1983, dans le rôle d’une fille de 24 ans. Son visage frise la perfection. Je fais une fixation sur sa glabelle (c’était le mot du jour). Pour faire bonne mesure, force m’est de reconnaître que l’acteur masculin est beau comme un Dieu.

Le défaut de Past Lives est son scénario trop ténu. Il repose tout entier sur une ambiguïté qui n’en est pas une. On sait par avance l’avenir de la relation de Nora et de Hae Sung. Toute autre conclusion que celle à laquelle parvient inéluctablement le film n’aurait eu aucun sens. Dès lors, privé d’enjeu, Past Lives se réduit à un double ressassement : pourquoi sommes-nous devenus ce que nous sommes ? à quel moment aurions-nous pu évoluer différemment ?

Reste pour autant une dimension du film très stimulante : son héroïne est une Coréenne qui, comme la réalisatrice Celine Song, a quitté enfant son pays avant d’embrasser une autre culture. La relation de Nora avec Hae Sung n’est pas seulement celle d’une femme devenue adulte avec son amour d’enfance ; c’est aussi celle d’une personne qui a changé de pays, de continent, de culture et qui continue d’entretenir avec son pays d’origine et sa langue maternelle, une relation contrariée.

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Fremont ★★☆☆

Interprète pour l’armée d’occupation américaine, Donya a vingt ans. Elle a fui son pays lorsque les talibans y ont pris le pouvoir. Elle s’est réfugiée en Californie, à Fremont, où s’est implantée une importante communauté afghane. Elle a trouvé un emploi à San Francisco dans une entreprise familiale qui produit des fortune cookies, ces confiseries chinoises en forme de croissant de lune dans lesquelles sont insérés un papier et un aphorisme. Donya a du mal à se faire à sa nouvelle vie. Insomniaque, elle souffre de l’éloignement et de la solitude.

Fremont est un film minuscule. Son noir et blanc, son minimalisme, son humour pince-sans-rire rappellent les premiers films de Jarmusch ou de Kaurismäki. Deux amies, au goût très sûr, m’ont dit avoir adoré ce film. Hélas, à mon plus grand regret, sans l’avoir détesté, je ne partage pas leur enthousiasme.

La figure de Donya est certes profondément attachante. Elle est d’abord profondément crédible : elle n’a pas vécu d’histoire extraordinaire ni traversé des épisodes traumatisants. C’est simplement une personne née dans un pays martyr, qui a travaillé avec l’occupant américain, sans que personne l’y contraigne, et qui doit aujourd’hui en tirer les conséquences. Son sort est d’ailleurs plutôt enviable : elle est arrivée saine et sauve aux États-Unis, y a un emploi, une couverture sociale. Elle bénéficie même de séances gratuites chez un psychothérapeute.
Donya n’est pas une victime. C’est au fond une adulte ordinaire qui souffre de solitude et qui cherche les moyens de la rompre. Elle a certes au travail une collègue affable. Mais Donya n’a que faire de cette envahissante amitié ; elle cherche l’amour. Aucun romantisme mièvre ne viendra pourtant ternir l’âpre simplicité de Fremont. Le chemin sinueux que prendra l’amour est la piquante surprise du dernier tiers du film.

Pour autant, aussi attachante que soit la personnalité de Donya, son monolithisme m’a tenu à distance. Eût-il été interprété par une actrice plus convaincante, le personnage aurait eu une tout autre épaisseur. Victime de ses qualités, la lenteur et la douceur, Fremont ne m’a pas emporté.

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Les Trois Mousquetaires : Milady ★☆☆☆

Le jeune d’Artagnan (François Civil) est fraîchement intégré au corps des Mousquetaires où il s’est fait un trio d’amis, Athos (Vincent Cassel), Porthos (Pio Marmaï) et Aramis (Romain Duris). Dès son arrivée à Paris, le fougueux Gascon est tombé follement amoureux de Constance Bonacieux (Lyda Khoudri), la lingère de la reine Anne d’Autriche (Vicky Krieps). Mais la jeune femme a été enlevée après qu’elle eut découvert l’identité d’un complot fomenté contre le roi Louis XIII (Louis Garrel). N’écoutant que son courage et son amour, D’Artagnan mettra tout en oeuvre pour retrouver sa dulcinée. Mais il trouvera sur sa route Milady (Eva Green), l’espionne du cardinal de Richelieu (Eric Ruf), qui cache un lourd secret.

Le premier volet de ces Trois Mousquetaires a rencontré un éclatant succès, critique et public. Il a attiré plus de trois millions de spectateurs en salles. Ses distributeurs ont fait le choix culotté de décaler la sortie de son second (deuxième ?) volet de plus de huit mois – alors que les deux volets ont été tournés en même temps et dans le désordre. On peut d’ores et déjà prendre le pari qu’il sera le blockbuster de ce mois de décembre. On pourrait aussi prendre celui qu’on le comparera souvent à Napoléon pour mieux critiquer la congénitale incapacité des réalisateurs anglo-saxons à raconter l’Histoire de France.

Pourtant, en sortant de l’avant-première, massivement organisée, partout en France, dimanche dernier à 18h (pourquoi organiser des avant-premières ? pourquoi les concentrer sur ce seul créneau ?), c’est la déception qui l’emporte.

La première raison en est les infidélités faites au roman. On en avait déjà relevé quelques-unes dans le premier volet. Elles sont industrielles dans le second qui ne conserve quasiment rien de l’oeuvre du Dumas. J’ai passé toute la séance à me tourner vers mon voisin, plus fin lettré que moi, et à lui demandéerd’un ton ahuri « C’était dans le livre ?! » m’attirant systématiquement la même réponse outragée : « Mais non !! ». Certes, l’histoire passe par La Rochelle – reconstituée sous les murailles de Saint-Malo – et son siège célèbre. Mais c’est à peu près le seul point d’adhérence avec le livre. Tout le reste est né de la fertile imagination des scénaristes, notamment le rôle joué par Gaston d’Orléans, frère du roi, le personnage d’Hannibal (clin d’oeil au général Dumas ? hommage au roman à succès Prince Ebène ? ou tribut acquitté au wokisme ?) ou enfin la supplication de deux chefs de guerre protestants tout droit inspirée de Silence de Scorsese.

Mais pointer les trahisons au roman me semble un exercice bien mesquin – auquel le critique se livre souvent moins pour blâmer le film qu’il recense que pour faire l’étalage cuistre de sa culture. On me dira certes que ces Trois Mousquetaires s’annonce comme l’adaptation d’un roman dont on est en droit d’exiger qu’elle lui soit fidèle. Pour autant, la fidélité n’est pas une fin en soi – ni à un livre ni même, oserais-je ajouter, à une vie historique comme celle de Napoléon au sujet duquel la polémique a fait rage. Ce qui importe me semble-t-il, c’est la cohérence du film. Quelques pas de côté ne me choquent pas, s’ils servent le film.
Or, rien ne marche dans ce second volet. Les scènes d’action, filmées au ras du sabot des chevaux ou avec un drone en plan aérien, s’y succèdent à un rythme effréné. Tout au plus sont-elles interrompues par quelques séquences où l’on voit François Civil, le regard dans le vide, essayer de comprendre où il en est, le spectateur avec lui, et savoir qui trahit qui. Ces scènes d’action sont filmées, comme un jeu vidéo, avec une caméra épileptique qui s’agite dans tous les sens. Le procédé, immersif, plonge certes le spectateur au cœur de l’action ; mais il a surtout comme résultat de lui donner la nausée et un violent mal de tête.

On fait grand cas de l’interprétation d’Eva Green. C’est une excellente actrice. Peut-être la plus grande James Bond girl qui ait jamais été. Mais hélas, la mise en scène ne lui rend pas justice. Au lieu de jouer sur son charme diabolique, elle la transforme en ninja rebondissant qui livre avec D’Artagnan dans une écurie enflammée un duel guère crédible.

Un dernier mot sur les suites de ce film. Ceux qui ont lu le roman de Dumas et s’en souviennent savent comment se termine Les Trois Mousquetaires. Par respect pour les autres, je ne peux le révéler. La fin de ce second volet s’en écarte, laissant en augurer un troisième. Pour autant, les producteurs ont dit qu’il n’aurait pas de suite, sinon une éventuelle adaptation de Vingt Ans après et du Vicomte de Bragelonne. C’est à n’y plus rien comprendre….

La bande-annonce

Bâtiment 5 ★★☆☆

À Montvilliers, une commune de la banlieue parisienne, les tensions sociales s’exacerbent après le décès du maire, son remplacement par un néophyte et la mise en oeuvre imminente d’un projet de réhabilitation urbaine qui passe par l’évacuation d’une barre d’immeubles.

Quatre ans après l’immense succès des Misérables (deux millions d’entrées, prix du jury à Cannes et quatre Césars dont celui du meilleur film soufflé à J’accuse), c’est peu dire qu’on attendait avec impatience le deuxième film de Ladj Ly. Il se présente comme le deuxième volet d’un triptyque consacré à la banlieue.

Depuis sa sortie, j’ai lu beaucoup de critiques, souvent défavorables, à son sujet. La principale est la comparaison à son désavantage avec Les Misérables. Je ne suis pas le dernier moi non plus à comparer le film dont je fais la critique à d’autres, aux films précédents du même réalisateur ou bien à d’autres films d’autres réalisateurs sur le même sujet ou dans le même genre. Pour autant, je suis toujours un peu mal à l’aise à en faire un critère d’appréciation d’un film ; car il postule une comparaison que le spectateur, qui n’a pas nécessairement vu ces précédents, n’est pas toujours en mesure d’évaluer. Pour le dire autrement : si vous avez vu Les Misérables, peut-être trouverez-vous Bâtiment 5 moins bien ; mais si vous ne l’avez pas vu, Bâtiment 5 n’est pas mal du tout.

Autre critique adressée à Bâtiment 5 dans la presse : son manichéisme.
Certes, le cinéma de Ladj Ly est militant. Avec une rigueur documentaire, il stigmatise les impasses de la politique de la ville menée depuis quarante ans. Il affiche son parti pris, du côté des pauvres, des mal-logés et contre ceux qui en profitent et ne font rien.
Est-il pour autant manichéen ? Je ne le crois pas. Je trouve au contraire que les quatre personnages principaux du film sont bien campés et ne versent pas dans la caricature. Le nouveau maire (Alexis Manenti), un pédiatre de profession, voudrait bien faire. L’autre adjoint (Steve Tientcheu), qui revendiquait à bon droit cette magistrature, n’est pas un traître à sa race, mais au contraire un immigré de la deuxième ou troisième génération qui connaît bien le quotidien de ses administrés. La jeune Haby (Anta Diaw) est la figure par laquelle s’incarne la colère des populations menacées d’expulsion ; mais elle ne verse pas dans le communautarisme et se revendique Française d’aujourd’hui. Blaz (Aristote Luyindula) est un jeune homme placide et doux qui, à force d’humiliations, basculera, lui hélas, dans la violence.

La fin du film manque de basculer dans l’excès et le grotesque. Elle est sauvée in extremis par le tout dernier plan et par le beau geste de Haby qui tourne le dos à la violence anarchique pour lui préférer le débat démocratique et la lutte politique.

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Soudain seuls ★★☆☆

Benjamin (Gilles Lellouche) et Laura (Mélanie Thierry) naviguent dans l’hémisphère sud. Sur le chemin du Chili, ils décident de faire un détour pour visiter une île déserte et montagneuse. Le temps d’y accoster, d’en découvrir quelques arpents, un orage les surprend, les obligeant à s’y abriter pour la nuit. À leur réveil, leur bateau a disparu. Dans l’attente d’hypothétiques secours, Benjamin et Laura doivent s’organiser pour survivre dans les ruines d’une station baleinière désaffectée.

Adapté du roman de la navigatrice Isabelle Autissier, qui connait bien ces latitudes australes, Soudain seuls est un survival movie. Le genre part d’un même postulat mais connaît plusieurs variations géographiques : un personnage, isolé du monde, doit lutter pour sa survie sur une île déserte (Seul au monde avec Tom Hanks), sur un bateau à la dérive (All is Lost avec Robert Redford), au milieu de l’Inlandsis groenlandais après un accident d’avion (Arctic avec Mads Mikkelsen), dans un parc naturel américain la main bloquée sous un rocher (127 heures avec James Franco) ou six pieds sous terre (Tunnel, Burried).

Le genre pose de sacrés défis aux scénaristes. Le premier est de donner à comprendre les réactions et les décisions du héros, seul et nécessairement muet. De ce point de vue-là, lui adjoindre un acolyte facilite les choses, comme c’est le cas ici où Benjamin et Laura dialoguent. Le deuxième est de créer des événements dans un temps nécessairement suspendu : que diable peut-il arriver à un homme dont la main est immobilisée sous un rocher sinon la lancinante attente, la soif et la faim ? De ce point de vue-là encore, laisser leur mobilité à Benjamin et à Laura permettra de montrer comment ils s’organisent pour se nourrir, se chauffer, se construire un fragile refuge et enfin, lorsque les secours tarderont à venir, organiser leur départ. Le troisième est de ponctuer le film de signaux d’espoir dont on sait structurellement qu’ils seront déçus. Si un avion de secours apparaît au bout de vingt minutes de film, il est par avance acquis qu’il s’éloignera sans apercevoir les naufragés…. sans quoi ils auraient été sauvés et le film se serait arrêté là. Le quatrième enfin est l’issue binaire du suspense que le film a installé : mourront-ils ou pas ? Avoir deux naufragés permet de multiplier les issues possibles : mourront-ils tous les deux ? un des deux réussira-t-il à se sauver ?

Soudain seuls coche toutes les cases du survival movie. Il a une qualité qui se renverse en défaut. Il voudrait y ajouter une autre dimension : la tragédie du couple. On découvre par bribes, à travers leurs échanges, les tensions qui opposent Benjamin et Laura, leur histoire, les conditions de leur rencontre, les hypothèques qui pèsent sur leur avenir. On a même droit à quelques scènes de ménage, suivies de réconciliations qui auraient été plus crédibles dans un F2 parisien que dans un abri de fortune sur une île déserte au large de l’Antarctique.

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Perfect Days ★★★☆

La soixantaine, solitaire, Hirayama répète chaque jour la même routine. Il se lève aux aurores, se rase soigneusement, enfile sa combinaison et part dans son minivan à son travail. Il est chargé de l’entretien des toilettes publiques pour une société tokyoïte. Il s’acquitte méticuleusement de sa tâche. Son collègue, le jeune Takashi est autrement plus fantasque, plus bavard et moins méticuleux. À midi il s’octroie une pause dans un jardin public et déjeune d’un sandwich en regardant la nature. Son travail achevé, Hirayama enfourche son vélo, passe aux bains publics et dîne dans un restaurant souterrain. Parfois, il fait un détour par une librairie pour y renouveler son stock de lectures, et par un bar où il a ses habitudes.

Hirayama, pour des motifs qui resteront obscurs, a décidé de se retirer du monde. La brutale apparition de sa nièce, dont il s’occupera pendant quelques jours, lèvera un pan sur le mystère de son passé sans nous expliquer les raisons de son choix de vie. Hirayama a choisi de mener une vie érémitique en plein Tokyo. Il y accomplit le travail le plus vil qui soit. Mais Il le fait avec une telle application que sa dignité n’en est pas affectée. Au contraire, Hirayama trouve dans sa routine quotidienne, aussi modeste soit-elle, son équilibre et sa joie.

Perfect days est un film minimaliste qui ne raconte rien ou presque. Inutile de laisser planer un suspens qui n’a pas lieu d’être ou d’escompter d’étonnantes révélations qui ne viendront jamais : Hirayama n’est pas un ancien agent de la CIA que la prise en otage de sa fille obligera à un ultime acte de bravoure façon Taken 1, 2 ou 3 ! Hirayama est tout simplement un homme qui a longtemps cherché la paix intérieure et qui a fini par la trouver en faisant du mieux possible son travail et en s’adonnant à ses loisirs : la musique  pop des 70ies, la lecture, la contemplation des saisons qui passent derrière l’objectif de son appareil photo….

Ainsi résumé, le film avec ses deux heures et cinq minutes pourrait sembler bien ennuyeux. Il n’en est rien. Car Wim Wenders réussit, par le miracle de sa mise en scène, à donner du rythme à une vie qui n’en a guère. La répétition monotone des jours est filmée sous un angle chaque fois différent, avec un montage qui lui donne une coloration inédite. Prenez l’exemple du réveil de Hirayama auquel on assiste au moins quatre ou cinq fois et qui n’est jamais exactement filmé de la même façon. De micro-événements surviennent : les lubies de Tikashi – qu’on imaginerait plus volontiers dans un film de Takeshi Kitano que chez Wim Wenders – l’arrivée susévoquée d’une nièce, la rencontre de l’ex-mari de la patronne du bar que Hirayama fréquente, etc.

L’autre atout du film est la morale qu’il professe. Une morale peut-être autobiographique que nous livre Wim Wenders, ce si jeune réalisateur de soixante-dix huit ans. Au départ de Perfect Days était une commande publicitaire que lui avait passée la municipalité de Tokyo sur les toilettes publiques de Shibuya. Comme Hirayama qui réussit, malgré son emploi dévalorisé, à faire de chaque journée un moment de bonheur, Wim Wenders réalise une oeuvre d’art à partir d’une commande banalement mercantile.

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Rien à perdre ★★☆☆

Mère célibataire, Sylvie (Virginie Efira) tire à Brest le diable par la queue et élève seule ses deux enfants, Jean-Jacques (Felix Lefebvre, révélé chez Ozon), un adolescent qui a trouvé dans la trompette et la pâtisserie un moyen de soigner sa boulimie, et Sofiane. Une nuit où Sylvie travaillait et où Jean-Jacques n’était pas rentré, le petit Sofiane se brûle au second degré en voulant se cuisiner des frites. Un signalement à l’Aide sociale à l’enfance provoque son placement. Sylvie, effondrée, se rebelle.

Il y a deux façons de lire ce film.

La première, la plus spontanée, érige Sylvie en victime d’un système administratif aveugle qui ignore le lien qui l’unit à son fils, l’amour qu’elle est capable de lui prodiguer, le trou béant dans lequel elle va s’enfoncer si Sofiane lui est retiré ainsi que le traumatisme dévastateur que cette séparation causera chez l’enfant. Ce film-là a l’avantage de la simplicité. Virginie Efira y est parfaite, qui suscite spontanément notre sympathie en Erin Brockovitch de l’ASE. Mais le film a le défaut de ses qualités : il sombre vite dans le manichéisme. Et il se condamne à une surenchère bien vite irritante – chaque tentative de Sylvie pour retrouver Sofiane se heurte au refus obtus de l’administration de le lui rendre – jusqu’à un épilogue prévisible : n’ayant plus « rien à perdre », l’héroïne n’a d’autres solutions que de brûler ses vaisseaux.

Mais Rien à perdre se prête aussi à une lecture plus subtile. Il n’oppose plus bord à bord une mère aimante à une administration butée. Plus subtilement, il laisse planer un doute sur les failles de Sylvie et, surtout, montre que l’administration, guidée par un principe de précaution, agit pour le bien de l’enfant.  Cette subtilité-là, c’est India Hair qui l’instille dans le rôle d’une assistante sociale toute en nuances. Ce film-là est autrement plus ouvert que le précédent. Mais il souffre d’un défaut paradoxal et rédhibitoire : Virginie Efira. L’actrice est si connue, si belle, si solaire, qu’on ne peut que prendre fait et cause pour elle. Pour tourner ce film-là, la réalisatrice Delphine Deloget aurait dû choisir une actrice moins connue, moins séduisante.

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