Le Principal ★★☆☆

Sabri Lahlali (Roschdy Zem) est le principal adjoint d’un collège d’une grande ville de province. Issu de l’immigration, ce passionné de lettres dur à la tâche a réussi à s’intégrer à force de persévérance, à la différence de son frère (Hedi Bouchenafa) qui a sombré dans la dépendance. Sabri soumet Naël, son fils unique, dont la musique est la seule passion, à une discipline de fer contre l’avis de sa mère (Marina Hands), qui enseigne dans le même collège et dont Sabri est séparé depuis peu. Il nourrit pour Naël de grandes espérances au point de franchir la ligne rouge le jour des épreuves du brevet que l’adolescent passe et que Sabri a la responsabilité de superviser.

Roschdy Zem a réussi à atteindre une célébrité telle que désormais un film peut se faire sur son seul nom. Ce Principal en est la preuve, dont l’acteur mange en majesté toute l’affiche et dont son seul nom occupe le sommet – sacrifiant au passage ceux de Yolande Moreau, qui interprète sa supérieure directe, et de Marina Hands. Mais le procédé est efficace, qui m’aura appâté et aura sans doute appâté aussi tous les spectateurs – et ils sont nombreux – qui apprécient cet acteur.

Le personnage qu’il interprète ici est ambigu. Il est spontanément antipathique. Les premières images du film le montrent engoncé dans son costume cravate impeccable, le bureau rangé au cordeau dans un ordre maniaque, aussi exigeant avec lui-même qu’avec les collégiens dont il a la charge et même avec son propre fils. Mais cette froideur apparente cache des failles internes qui le rendent plus sympathique : on imagine que ce proviseur-adjoint a dû se battre pour en arriver là où il est et que la moindre erreur pourrait lui faire dégringoler l’échelle sociale qu’il a péniblement gravie.
Je ne connais pas assez bien le fonctionnement de l’Education nationale pour savoir si le scénario est crédible. Il me semble l’être.

Le film est sec comme une trique. S’il compte quelques personnages secondaires – ce frère paumé envers qui Sabri fait preuve d’une humanité dont il est par ailleurs bien avare, cette principale jouée par la gouailleuse Yolande Moreau qui nourrit pour son adjoint des sentiments maternels voire plus – il se concentre en 1h22 montre en main sur son intrigue.

Pourquoi n’est-il pas aussi réussi qu’on aurait pu l’espérer ? Peut-être parce que son scénario, même s’il reste ouvert, demeure somme toute assez prévisible : on se doute bien, rien qu’en voyant la bande-annonce, qu’à un moment ou un autre, la tricherie de Sabri sera découverte et que son fils et lui devront en supporter les conséquences. Peut-être aussi parce que ses personnages manquent d’épaisseur et de mystère : celui interprété par Marina Hands manque par exemple de profondeur, celui interprété par Hedi Bouchenafa, aussi réussi soit-il, n’apporte rien au récit.

La bande-annonce

Trenque Lauquen ★☆☆☆

Laura a disparu. Cette botaniste solitaire s’était récemment installée dans la petite ville de Trenque Lauquen, perdue dans la pampa, à plusieurs centaines de kilomètres à l’ouest de Buenos Aires. Elle y avait même une émission à la radio locale consacrée aux femmes célèbres. Pour la préparer, elle était devenue une habituée de la bibliothèque municipale. C’est là qu’elle découvrit, dans les plis d’un vieil ouvrage, une missive oubliée qui la mit sur la piste d’une relation secrète entretenue près de cinquante plus tôt entre une institutrice de la ville et un bel Italien.
Lorsque Laura disparaît, deux hommes partent à sa recherche. Le premier est son compagnon, le second un employé municipal qu’elle avait associé à sa quête et qui était lentement tombé amoureux d’elle.

Avez-vous vu La Flor, cet objet cinématographique non identifié long de 814 minutes et diffusé en salles début 2019 en quatre épisodes, nonobstant le sage adage de Hitchcock : « La durée d’un film devrait être directement liée à la capacité de la vessie humaine » ? L’avez-vous aimé – ce qui, si vous vous souvenez de la critique décoiffante que j’en avais faite, n’était pas mon cas ?

Si – pour ma plus grande admiration s’agissant de la question 1 et pour ma plus grande surprise s’agissant de la question 2 – vous répondez positivement à ces deux questions, courez voir Trenque Lauquen qui reproduit les mêmes schémas labyrinthiques et volontairement incompréhensibles que La Flor, dans un format plus humain (quatre heures seulement ce qui, à l’aune des treize heures passées de La Flor, lui donne des airs de court métrage).
Si non, ce qui, au doigt mouillé, doit représenter environ 99.99 % de la population, n’allez pas y perdre votre temps sauf si vous avez, comme moi, une tendance coupable au masochisme.

Pourquoi, me direz-vous lui mets-je alors une étoile et pas zéro ? La première raison en est, je l’ai dit, cette durée plus supportable : La Flor était un supplice narcoleptique qui s’est étalé sur deux jours alors que Trenque Lauquen n’a hypothéqué qu’une seule soirée. La seconde, ironie mise à part, est le respect dû au cinéma inventé par ce drôle de collectif de cinéastes argentins, El Pampero Cine, dont j’ai le droit de dire que je ne l’aime pas, mais pas celui d’affirmer qu’il ne vaut rien.

La bande-annonce

Ramona fait son cinéma ★☆☆☆

Tout commence mal entre Ramona et Bruno… ou tout commence trop bien entre ces deux trentenaires madrilènes qui se rencontrent par hasard et tombent amoureux l’un de l’autre sans savoir que le lendemain Ramona participera au casting du film que Bruno est sur le point de réaliser. La jeune femme, en couple avec Nico, se cabre : elle ne veut pas être engagée sur de mauvaises bases et surtout a peur de tromper son copain. Bruno au contraire s’enflamme.

Ramona fait son cinéma a tout pour séduire. À commencer par sa bande-annonce qui m’avait fait de l’oeil. Un pressentiment accentué par la critique de Berthe Edelstein (uniquement accessible hélas sur Facebook, mais à mon grand dam largement meilleure aux miennes) qui en disait le plus grand bien.
On me promettait « un croisement ibérique entre Woody Allen, Hong Sang Soo et la Nouvelle Vague française ». J’ai beaucoup pensé au Frances Ha de Noah Baumbach : dans le même noir et blanc trendy, une héroïne trentenaire (ici, la sylphide Greta Gerwig, là la brune Lourdes Hernandez) se cherche. On pourrait aussi citer – car Ramona lui ressemble – l’héroïne de Eva en août, un film que je n’avais pas aimé mais que tous mes amis encensent.

N’en rajoutons pas de peur de faire crouler ce petit film sous trop de références écrasantes. Car hélas, Ramona croule vite. Si sa première scène est délicieuse, celle de la rencontre, dans un café où les deux héros marivaudent, puis dans ses alentours, les autres, organisées dans une succession de saynètes séparées par des intertitres, sont plus laborieuses. Le scénario devient inutilement bavard provoquant vite un ennui croissant. D’autant que l’enjeu est faible – Ramona quittera-t-elle Nico pour Bruno ? – et le suspense ténu.

Loin de la légèreté attendue et malgré sa louable concision (1h20 au compteur et au comptoir) et le charme indéniable de sa ravissante héroïne, Ramona fait son cinéma m’a donné l’impression d’un produit stéréotypé, voué à une péremption fatale (dans dix ans, je fais le pari que ce film sera effroyablement daté et démodé) sans profondeur et sans intérêt.

La bande-annonce

Les Âmes sœurs ★★☆☆

Jeanne (Noémie Merlant) habite les dépendances d’un manoir décrépi perdu dans les forêts ariégeoises, que lui a concédées un châtelain misanthrope et dépressif (André Marcon) . Elle apprend que le blindé de son frère, David (Benjamin Voisin), qui s’est engagé dans l’armée à la fin d’une adolescence tapageuse, a sauté sur une mine au Mali laissant le jeune soldat dans le coma. Il en sort miraculeusement mais a perdu la mémoire. Sa sœur va patiemment l’aider à la retrouver, quitte à faire ressurgir un passé refoulé.

André Téchiné a quatre-vingt ans passés. Il tourne des films depuis près de cinquante ans : Hôtel des Amériques (1981), Ma saison préférée (1993), Les Roseaux sauvages (1994) sont ses oeuvres les plus célèbres. Nommé six fois pour le César du meilleur réalisateur, il ne le remporta qu’une seule fois pour Les Roseaux sauvages. D’autres que lui se seraient à cet âge encroûtés en répétant ad nauseam les mêmes recettes éculées. Claude Lelouch en offre hélas le triste exemple. Mais le cinéma d’André Téchiné reste étonnamment neuf. La raison en vient peut-être des jeunes acteurs qu’il a toujours fait tourner et qui insufflent un vent d’air frais dans son cinéma : Gérard Depardieu et Isabelle Adjani en 1976 dans Barocco, Wadeck Stanczack et Manuel Blanc, tous deux couronnés du César du meilleur espoir masculin, le premier pour Rendez-vous en 1986, le second pour J’embrasse pas en 1992, Elodie Bouchez et Laurence Côte qui ont décroché la même récompense, la première pour Les Roseaux sauvages en 1994, la seconde pour Les Voleurs en 1996 ou, plus récemment, Kacey Mottet-Klein et Corentin Fila dans Quand on a 17 ans.

Ce vent d’air frais, ce sont Noémie Merlant et Benjamin Voisin qui l’insufflent à leur tour. J’ai déjà dit ici l’enthousiasme que la première provoque en moi. Son talent ne m’avait pas sauté aux yeux dans ses premiers rôles, qui furent en fait souvent des seconds, en demi-teinte. Il explose depuis qu’elle s’est faite une place en haut de l’affiche. Son interprétation, pleine d’humour, dans L’Innocent de Louis Garrel m’avait transporté (« Je veux draguer le chauffeur »).
Benjamin Voisin me convainc un chouïa moins. Le César du meilleur espoir masculin que lui a valu Illusions perdues – qui, à mes yeux, n’était pas, loin s’en faut, le meilleur film de 2021 – me semble un peu surcoté.

Ces jeunes pousses prometteuses, Téchiné les dirige de main de maître dans un scénario tiré au cordeau, qu’il a co-écrit avec Cédric Anger, un réalisateur de trente ans son cadet (on lui doit notamment La prochaine fois je viserai au cœur et L’amour est une fête). La première partie de ces Âmes sœurs est quasi-documentaire qui montre le lent rétablissement de David pris en charge par le service de santé des armées aux Invalides – et nous rappelle le récit autobiographique poignant de Philippe Lançon hospitalisé au même endroit. Puis l’intrigue se déplace dans les Pyrénées ariégeoises, filmées au gré des saisons, comme souvent dans les films de Téchiné qui aiment à alterner les paysages urbains et ruraux.

Si André Téchiné est un si grand réalisateur, si ses jeunes acteurs sont des talents si prometteurs, si ses scénarios sont si bien écrits, d’où viennent alors mes réticences ? D’une histoire dans laquelle je ne suis pas vraiment rentré pour deux raisons. La première est que son sujet – dont je ne peux rien dire même si d’autres critiques le font sans vergogne – m’a paru terriblement outré. La seconde est la façon dont les personnages le vivent : autant le personnage de Jeanne, écartelée entre les sentiments contradictoires que lui inspire son frère, m’a touché, autant celui amoral sinon immoral de David m’a déconcerté sinon franchement rebuté.

La bande-annonce

Beau Is Afraid ★☆☆☆

Beau (Joaquin Phoenix), la quarantaine, vit seul dans un appartement miteux d’une ville en pleine déréliction. Gravement paranoïaque, il est suivi par un psy. Il a promis à sa mère de prendre l’avion pour se rendre à son anniversaire mais rate son vol après une nuit sans sommeil. Le temps de traverser la rue pour acheter une bouteille d’eau, son appartement est squatté par des vagabonds et Beau doit passer la nuit dehors. Au réveil il apprend le décès accidentel de sa mère.

Ari Aster est le wonderkid du cinéma americain. Deux films ont suffi pour asseoir sa réputation : Hérédité, que j’ai franchement détesté (zéro étoile et un coup de gueule), et Midsommar que j’ai absolument adoré (quatre étoiles et la première place de mon Top 10 2019). Aussi son troisième opus était-il attendu par tous avec une immense impatience. En juin 2020, Ari Aster annonçait qu’il s’agirait d’une « comédie cauchemardesque » de quatre heures avec Joaquin Phoenix. Son titre : Disappointment Blvd. Finalement le film dure une heure de moins et a changé de titre (je ne suis pas convaincu que Beau Is Afraid soit plus catchy). Mais la « comédie cauchemardesque » est bien là.

Qu’en penser ? J’avoue une extrême hésitation.

Son format en impose, autant que les cinq cents pages d’un énorme roman comme les Américains savent le faire quand ils lorgnent le Pulitzer (un lecteur miséricordieux pourrait-il m’expliquer en mp pourquoi les romans français sont si courts et les romans américains systématiquement si longs ?). Son sujet aussi : Beau Is Afraid est une plongée cauchemardesque dans la psyché d’un grand paranoïaque, castré par sa mère. Son interprétation enfin : s’il ne l’avait pas déjà remporté si récemment pour Joker, ce rôle-là aurait certainement valu à Joaquin Phoenix le prochain Oscar du meilleur acteur.

Mais une fois ces compliments révérencieusement égrenés, on peut s’autoriser quelques réserves. La première, précisément, est la durée hors normes de ce film obèse. Trois heures, c’est long. Très long. D’autant que ce road movie en quatre tableaux (la ville/ la maison de banlieue/ le théâtre perdu au fond des bois/ la maison de la mère) aurait fort bien pu durer une heure de plus… ou une heure de moins…

La seconde, la plus radicale, est son sujet. J’ai déjà dit ici combien la folie me semblait un thème cinématographique surcoté en mentionnant les réserves que m’inspiraient des chefs d’oeuvre unanimement reconnus comme Spider de Cronenberg, Répulsion de Polanski, π de Aronofsky… « Il est un peu fou, de plus en plus fou, vraiment très très fou » voilà comment, selon moi, se résument ces films-là sans enjeu sinon celui, joué d’avance et pas vraiment enthousiasmant, de s’enfoncer progressivement avec son héros dans une folie de plus en plus délirante.

Peut-être ne suis je pas assez fêlé pour m’identifier à ces personnages. On me répondra alors que je ne suis guère plus juif pour m’identifier à ceux des films sur l’Holocauste qui me touchent pourtant tellement. Et l’on me répondra aussi que, fêlés, nous le sommes tous un peu à un degré ou à un autre. L’argument est donc irrecevable.
Mais ces films sur la folie – et Beau Is Afraid vient s’ajouter à cette longue liste – ne me touchent pas. Si, à la limite, j’ai aimé le premier quart du film, qui se déroule dans l’appartement en état de siège de Beau, très vite, je me suis désintéressé de son sort. Le comble a été atteint dans le dernier quart du film, interminable épilogue d’un règlement de comptes freudien entre Beau et sa mère. Quant à la scène finale, je n’y ai rien compris et je n’ose plus poser la question qui me tenaille devant la quasi-totalité des films que je ne comprends pas ces temps-ci, la faute à mon âge sénescent ou à la complexité croissante de scénarios nébuleux : est-ce qu’il meurt à la fin ?!

La bande-annonce

Jeanne du Barry ★★★☆

Rarement un film aura-t-il autant monopolisé l’attention. La responsabilité en revient-elle au festival de Cannes qui agit comme une caisse de résonance ? À la disette qui nous sèvre chaque année en avril et mai de bons films ? À la personnalité éruptive de sa réalisatrice qui a réussi opportunément en crachant à la figure d’Edwy Plenel à susciter la polémique ? À celle de Johnny Depp dont l’image de star a été écornée par ses démêlés judiciaires avec Amber Heard, son ex-femme, et dont le recrutement sur ce tournage pourrait constituer un défi lancé au féminisme #MeToo ?

Jeanne du Barry a fait l’ouverture du festival de Cannes mardi soir et, depuis, il ne se passe pas un seul jour sans qu’on me demande mon avis sur lui. C’est un peu contraint et forcé que je suis allé le voir hier. Je ne le regrette pas une seconde.

J’en ai lu déjà tant de critiques fielleuses que, par esprit de contradiction, j’ai envie d’en prendre la défense.

La plupart évoquait moins le film lui-même que ce qu’il y avait autour. À commencer par sa réalisatrice-actrice principale -co-productrice. J’ai nommé Maïwenn « l’hystérique » (le mot étant désormais voué aux gémonies par les féministes radicales en raison de son étymologie, je n’ose plus l’employer sans guillemets). On critique son omniprésence (elle est de tous les plans… mais le film n’a-t-il pas pour titre le nom de son personnage et pour sujet l’histoire de son ascension, de sa gloire et de sa chute ?), son égocentrisme (elle filme moins la favorite de Louis XV qu’une métaphore de sa propre vie lorsque, à dix-sept ans à peine, Luc Besson l’intronisa Première Dame du cinéma français), les libertés qu’elle a prises avec l’Histoire (par exemple, Jeanne n’épousa pas Jean du Barry, lequel était déjà marié, mais son frère Guillaume pour devenir comtesse et être admise à la Cour) son jeu et parfois même – ce qui n’est pas galant – son physique.
Sur un point, Maïwenn me semble en effet critiquable : son anachronisme. La désinvolture de la du Barry, sa coiffure et jusqu’au tutoiement qu’elle s’autorise avec le Roi sont apocryphes. Une telle liberté à la Cour du Roi n’était tout simplement pas concevable. Mais cet anachronisme est-il si grave ? Ni vous ni moi n’avons jamais été à la Cour du Roi pour attester du préjudice causé par ce film pour en avoir travesti la réalité. Et si cet anachronisme en sert l’esprit, lequel cherche à mettre en scène une femme libre qui entend insuffler un peu d’air frais dans un protocole empesé, pourquoi ne pas le lui autoriser ?

Avant de reprocher à Maïwenn son égocentrisme et son hystérie, il faudrait faire bonne mesure et saluer le chemin qu’elle a parcouru. Hystériques, ses précédents films l’étaient sans conteste :  Polisse, Mon roi, ADN… Par contraste, Jeanne du Barry marque un tournant dans son oeuvre, vers un cinéma plus apaisé, plus classique.
Classique ! Le mot est lancé. Est-ce une insulte ? Pas sous ma plume.
Et précisément, pour le résumer en une phrase, Jeanne du Barry est à mes yeux un grand et beau film classique.

Par son histoire : celle d’une courtisane, pour ne pas dire une catin, sortie du ruisseau qui, moins par ambition personnelle que poussée par l’homme qui lui sert à la fois de proxénète et de mari (Melvil Poupaud), sera présentée au Roi et partagera bientôt sa couche. Maïwenn a la faiblesse de peindre son héroïne comme une grande amoureuse. La réalité fut sans doute moins romantique. Jeanne a vingt-cinq ans quand elle est présentée au Roi ; Louis XV en a cinquante-huit et est déjà rongé par la vérole qui l’emportera six ans plus tard. Leur relation fut moins une longue histoire d’amour que le point de fixation d’une sourde guerre de chapelles à la Cour entre coteries.

Par ses décors somptueux, filmés à l’intérieur même du château de Versailles, ses costumes, ses coiffures, ses bijoux.

Et enfin, on ne l’a pas assez souligné, par sa brochette de seconds rôles exceptionnels. On a beaucoup glosé sur Johnny Depp, méconnaissable. On a parfois l’impression qu’il consacre toute son énergie à parler correctement le français. Il n’en est pas moins excellent dans un jeu tout en retenue. En douteriez-vous ? Regardez sa bouche dans la bande-annonce lors de la présentation de Jeanne du Barry à la Cour !
Mais il faut dire un mot des autres acteurs qui, perruqués et costumés, s’effacent derrière leurs rôles : j’ai bien failli ne pas reconnaître Pierre Richard, Noémie Lvovsky, India Hair, Pascal Greggory…
Mention spéciale à Benjamin Lavernhe, curieusement dénommé La Borde alors que le premier valet du roi s’appelait Lebel. Il est absolument irrésistible dans le rôle du plus proche confident du Roi – et de son pourvoyeur de maîtresses – attaché à faire respecter le protocole implacable de la Cour mais manifestant à l’égard de Jeanne une humanité touchante.

La bande-annonce

Hokusai ★☆☆☆

Katsushika Hokusai est un peintre japonais dont la vie enjambe les dix-huitième et dix-neuvième siècles. Il est devenu universellement célèbre avec La Grande vague de Kanagawa, la première estampe de la série Trente-six vues du mont Fuji, réalisée en 1830 ou 1831.

Sorti fin 2020 au Japon, Hokusai s’annonce comme un biopic très classique. D’ailleurs son classicisme est sa principale qualité autant que son premier défaut. On y suit de sa jeunesse jusqu’à sa mort le parcours du dessinateur japonais, son apprentissage auprès du grand éditeur Tsutaya qui se battit contre la censure, l’affirmation de son propre style, à rebours de celui qui était à l’époque de mode, la façon dont il peignit la Grande Vague et dont il la coloria avec du bleu de Prusse qui venait d’être introduit dans l’archipel et enfin sa vieillesse auprès de sa fille O-Ei. On y découvre un génie consacrant chaque instant de sa vie à son art (il réalisa plus de trois mille estampes) au point de se laisser dévorer par lui.

Hokusai présente une autre particularité qui s’apparenterait presque à un vice de fabrication. Il laisse beaucoup de place aux personnages secondaires. À Tsutaya, l’éditeur de Hokusai, dans la première partie du film. À Tanehiko, un samouraï qui, au mépris des règles qui régissent sa caste, se consacre à l’écriture et dont Hokusai illustre les publications, dans sa seconde partie.

Ces personnages trop développés ont le défaut de nous détourner du personnage principal, de sa vie et de son oeuvre. Ce serait tout à fait loisible, voire utile, dans une série longue de plusieurs heures – dont Hokusai donne l’impression d’être une version abrégée. Mais, dans un film de quatre-vingt-dix minutes à peine, ce défaut de construction déséquilibre l’ensemble au risque de lui faire perdre ses bases.
On ne s’ennuie pas devant ce spectacle riche en rebondissements ; mais on en sort avec le besoin pressant d’aller chercher sur Wikipedia les informations que ce film trop confus ne nous a pas fournies.

La bande-annonce

Temps mort ★★☆☆

Trois détenus bénéficient d’une permission le temps d’un week-end. La soixantaine, Julien Hamousin est sur le point d’achever une longue peine. Il cherche un emploi pour se réinsérer et hésite à revoir sa femme et ses enfants avec lesquels il n’a eu aucun contact pendant les vingt années qu’il vient de passer en prison. La quarantaine, Anthony Bonnard souffre de graves troubles psychiques et d’une dépendance à l’alcool qui se marie mal avec son traitement médical. Son état l’empêche de renouer avec sa famille et avec son fils des liens normaux. La vingtaine, Colin Elajmi est tombé pour un sombre trafic sans dénoncer ses complices. Sa mère ne le lui a pas pardonné.

La prison, Eve Duchemin l’a d’abord filmée avec l’oeil du documentariste avant d’avoir l’idée d’en faire l’objet d’une fiction. Cette familiarité avec son sujet se sent dans un film qui, comme le récent Je verrai toujours vos visages, mais avec moins de bonheur que lui, flirte avec les frontières de ces deux genres. Avec une grande sensibilité est exploré le défi de la réinsertion, un angle mort des films sur la prison (ils sont pourtant pléthore) qui filment à foison des détenus entre quatre murs sans envisager un jour leur élargissement (je suis injuste en ne pas mentionnant l’avant-dernier film de Robert Guédiguian Gloria Mundi). Que devient un ancien détenu après sa sortie de prison ? Comment ses proches l’accueillent-ils ? Retrouve-t-il sa place ? Retrouve-t-il une place ?

À ces questions, Temps mort apporte une réponse bien pessimiste à travers les cas presqu’archétypaux d’un vieux détenu dont la vie gâchée est désormais derrière lui sans espoir de nouvelle chance, d’un malade qui aurait plus sa place dans un hôpital psychiatrique que dans un centre de détention et d’un jeune dealer (dont je n’ai pas compris ce qu’il advenait à la dernière image) sevré d’amour maternel.

On reprochera au film son montage qui, un peu trop systématiquement, passe d’une histoire à l’autre sans établir de ponts entre elles. Le scénario et le montage de Je verrai toujours vos visages étaient, de ce point de vue, mieux réussis. Temps mort devient inéluctablement un film à sketches où fatalement on s’attache à une histoire plus qu’à une autre. Celle de Colin est, selon moi, la plus faible ; celle d’Anthony m’a plus marqué. Le mérite en revient à Karim Leklou, grenade dégoupillée prête à exploser à chaque instant. Cet acteur est décidément incroyable. À chacune de ses apparitions, mes critiques lui consacrent un long paragraphe dithyrambique. Qu’y a-t-il dans son jeu, dans sa présence qui m’impressionne autant ? Sa corpulence qui rappelle Gérard Depardieu ou Raimu ? Son regard halluciné ? Sa voix ? Son rire dément ?

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Le Jeune Imam ★☆☆☆

À douze ans, après avoir commis un larcin qui risque de salir l’honneur de sa famille, le jeune Ali Diallo est renvoyé par sa mère au Mali chez son oncle suivre les cours d’une école religieuse. Il revient à Montfermeil dix ans plus tard avec pour seul bagage ses études théologiques. Bien vite, grâce à sa faconde, il devient l’imam de la mosquée du quartier. Profitant de sa popularité grandissante, Ali organise pour ses ouailles le pèlerinage à La Mecque sans se douter de l’arnaque dont il va être victime et qui va causer sa chute.

On connaît le réalisateur Kim Chapiron pour ses films nerveux qui peignent une jeunesse testostéronée habitée par la fureur de vivre : Sheitan (2005), Dog Pound (2009) et La Crème de la crème (2014). Entouré de ses amis de toujours, le réalisateur Ladj Ly (Les Misérables) et le scénariste Ramzi Ben Sliman, il s’empare d’un sujet culotté qui aurait pu, si la campagne de presse avait été plus agressive, faire polémique.

Comment devient-on imam dans le 9.3 ? Le sujet est passionnant et aurait pu, à lui seul, nourrir tout un film. D’ailleurs Le Jeune Imam l’évoque en son mitan quand il montre comment Ali utilise les réseaux sociaux pour asseoir son autorité. Il y aurait eu bien d’autres choses à dire sur la place de l’Islam dans les banlieues, le rôle qu’il exerce chez les immigrés arabes et subsahariens des deuxième et troisième générations, la communautarisation qu’il induit ou au contraire la pacification qu’il favorise. Mais hélas, Le Jeune Imam n’en dit mot.

La façon dont Ali devient imam n’est qu’un épisode du film coincé entre deux autres qui l’étouffent. Le premier est un prologue trop long qui décrit l’enfance d’Ali au Mali et la façon dont le prend sous son aile son oncle, dans une scène où l’on croirait revoir Jean Valjean et Mgr Myriel (clin d’oeil aux… Misérables ?). Le second est le simulacre de thriller, inspiré nous annonce-t-on d’une histoire vraie et, en fait, en mélangeant plusieurs, organisé autour d’une arnaque au pèlerinage, la pénurie de visas pour le haj conduisant nombre de croyants crédules à confier leurs économies à des agences de voyage peu scrupuleuses.

On comprend à la fin du film que son sujet est la relation d’Ali avec sa mère qui l’a abandonné au Mali, le sevrant d’amour maternel, et dont il essaie désespérément de reconquérir l’affection. Ce sujet-là a, selon moi, beaucoup moins d’intérêt que celui que nous promettait le film et dont j’ai été frustré.

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La Dernière Reine ★★☆☆

Pour sauver son royaume des Espagnols qui l’assiègent, l’émir d’Alger, Salim at-Toumi, n’a d’autre alternative que de demander l’aide des corsaires. Arudj remporte la victoire mais manifeste bientôt le désir, avec ses frères, de s’installer à Alger et de supplanter l’émir. La femme de celui-ci, la princesse Zaphira, au nom des intérêts de son fils, le jeune Yahia, va se dresser contre l’usurpateur.

La Dernière Reine est un film étonnant comme on n’en voit guère. C’est un film algérien, un pays qui hélas, par manque de moyens, peine à trouver sa place sur la scène mondiale. Les moyens justement, Adila Bendimerad, qui co-réalise le film et en interprète le rôle principal, est allée les chercher en France, à Taïwan, au Qatar et en Arabie saoudite, un curieux amalgame de pays aux cultures et aux traditions cinématographiques très disparates. On pouvait redouter que le résultat ressemble à ces immondes vinasses, mélange de cépages de la CEE, dont les poivrots de mon enfance s’enivraient faute de mieux.

Mais il n’en est rien. La Dernière Reine frappe au contraire par sa cohérence, son ambition, sa débauche de moyens, le soin apporté à ses décors luxueux, à ses costumes somptueux.
De quoi s’agit-il ? D’un drame shakespearien à la sauce orientale façon Game of Thrones, les scènes olé-olé en moins pour ne pas offusquer les investisseurs du Golfe. D’un film de cape et d’épée qui rivaliserait presque avec Les Trois Mousquetaires. D’un drame féministe… mais où, là encore, pour satisfaire aux canons de ses investisseurs sourcilleux, les femmes restent très sages.

Nadine Tereszkiewicz, qu’on connaît bien, joue un personnage secondaire, celui d’Astrid, la femme scandinave du corsaire Arudj. Son visage familier est le seul élément qui nous rattache à cet ovni exotique.

La bande-annonce