Le Champ des possibles ★★☆☆

La quarantaine, Daniel traverse une mauvaise passe. Il vient d’être mis à pied de l’académie de police où il était chargé d’instruire les jeunes recrues. Privé de salaire, contraint de licencier son assistante de vie, il doit s’occuper de son vieux père impotent. Sa seule planche de salut est la relation virtuelle qu’il entretient avec Sara, qu’il a rencontrée sur les réseaux sociaux. Sur un coup de tête, il décide de traverser le Brésil pour faire sa rencontre. Mais Sara glisse entre les doigts de Daniel qui ne comprend pas son entêtement à lui échapper.

Le Champ des possibles (audacieuse traduction de Deserto Particular) repose sur un mystère qu’on a scrupule à lever mais que révèlent sans vergogne l’affiche du film, la lecture attentive de son casting et la quasi-totalité des critiques qui en rendent compte.

Ami lecteur qui n’aimez pas être spoilé et qui avez prévu, malgré sa diffusion confidentielle, d’aller voir ce film, interrompez ici votre lecture ! Les autres ont déjà compris que Sara est un garçon et que son refus de rencontrer Daniel s’explique par la crainte de sa réaction homophobe.

Le premier tiers du film installe le décor et laisse planer le doute sur l’identité de Sara – même si quelques indices semés ici ou là, telle l’annonce de l’homosexualité de la sœur de Daniel, nous mettent la puce à l’oreille. Longtemps retardée, la rencontre des deux hommes a enfin lieu dans le deuxième tiers du film, provoquant inévitablement la surprise et la colère de Daniel. Son troisième tiers tranche la question binaire de la réaction de Daniel : violente comme le laissent augurer les faits à l’origine de sa mise à pied ? ou pacifiée ?

J’ai aimé ce Champ des possibles pour plusieurs raisons.
La première est la moins évidente. Elle renvoie pourtant à un phénomène très contemporain, très cinématographique et pourtant encore peu exploité à l’écran : les rencontres in real life suscitées par les réseaux sociaux. Il y a là, selon moi, matière à mille histoires comiques, dramatiques, policières….
Les deux autres sont plus classiques. Elles concernent les deux héros du film. Daniel incarne la virilité masculiniste é-branlée dans ses convictions. Sara, lui (si j’ose dire), est un superbe portrait de travesti, d’une beauté confondante, qui peine à trouver sa place dans un monde qui lui est spontanément hostile. Sans doute l’épilogue du film est-il un peu trop convenu. Mais il nous livre une belle leçon d’humanité et d’espoir.

La bande-annonce

Rabah Ameur-Zaïmeche : Dernier Maquis (2008) ★★☆☆/Les Chants de Mandrin (2011) ★☆☆☆

À l’occasion de la sortie du Gang des bois du temple, le Grand Action a la bonne idée de reprogrammer les précédents films de Rabah Ameur-Zaïmeche. C’est l’occasion, si vous ne l’avez pas vu, de découvrir Histoire de Judas, qui compte au nombre des films préférés d’une personne qui m’est chère, ou de voir, comme j’en ai eu l’occasion, ses autres films.

Dernier Maquis est le dernier film d’une trilogie sur la banlieue, ouverte en 2002 par Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? et poursuivie en 2006 par Bled number one. Son action se déroule dans une petite entreprise dirigée par Mao, interprété par Rabah Ahmeur-Zaïmeche en personne. Feignant la proximité avec ses employés, Mao ouvre pour eux une salle de prières où ils peuvent exercer leur culte et se choisir un imam. Mais ce libéralisme cache en fait un comportement plus sournois.

Les Chants de Mandrin est à première vue un film radicalement différent, dans le temps et dans l’espace. Il se déroule au milieu du XVIIIème siècle, dans les Causses où les compagnons de Mandrin, un bandit de grand chemin capturé et roué vif à Valence en 1755, poursuivent tant bien que mal l’œuvre de leur chef et font publier par un éditeur clandestin ses écrits révolutionnaires.

Pour autant, les deux films présentent une réelle unité. Au premier chef à cause de la même bande d’acteurs qu’ils font tourner : des amateurs, proches du réalisateur et qui font, pour certains, partie de sa propre famille. Le résultat est assez déconcertant, surtout quand il s’agit de demander à des Français d’origine maghrébine d’interpréter des bandits de grand chemin du XVIIIème siècle.

Au-delà des différences historiques et géographiques, ce qui intéresse R.A.Z. ce sont les mêmes prolétaires – même si l’expression est anachronique pour désigner des bandits de grand chemin au dix-huitième siècle. Des gens de peu qui se battent pour défendre un idéal ou, à tout le moins leur dignité. J’ai trouvé particulièrement intéressant dans Dernier Maquis la place occupée par la religion, opium des peuples, utilisée par Mao pour endormir ses employés. Au contraire, dans Les Chants de Mandrin, je regrette qu’on n’en sache pas plus sur l’idéologie défendue par Mandrin dont seule la veine poétique de ses Chants est évoquée.

Enfin et peut-être surtout, c’est la même façon de tourner qu’on retrouve d’un film à l’autre, dans les films de R.A.Z. Elle détonne de celle à laquelle on est aujourd’hui habitué, dans des films millimétrés où rien n’est laissé au hasard. Au contraire, chez R.A.Z, la caméra s’attarde sur des détails insignifiants, le scénario se fait la malle, offrant par exemple au beau milieu de Dernier maquis, comme dans cette scène bucolique où Géant (Sylvain Roume) libère un ragondin, une échappée belle. Seul défaut que je reproche à Dernier Maquis : sa fin bâclée.

La bande-annonce de Dernier Maquis
La bande-annonce des Chants de Mandrin

Le Grand Chariot ★☆☆☆

Un père (Aurélien Recoing) aidé de ses trois enfants (Louis, Esther et Léna Garrel) dirige le théâtre de marionnettes créé par sa propre mère (Francine Bergé). Mais cette belle harmonie familiale se brise lorsque le père décède brutalement, bientôt suivi dans la tombe par la grand-mère. Leur disparition place les survivants face à un choix douloureux : perpétuer la tradition familiale au risque de s’étioler ? ou trouver enfin sa voie ailleurs, au risque de la trahir ?

Chez les Garrel, on est saltimbanque de père en fils. Le grand-père, Maurice, décédé en 2011, fut lui-même marionnettiste avant de monter sur les planches et de faire une immense carrière au cinéma. Son fils, Philippe, né en 1948, devint réalisateur et a signé depuis cinquante ans une trentaine de films, lents et intimistes. De tous, c’est le petit-fils, Louis, né en 1983, qui est devenu le plus connu. Mais sa célébrité ne doit pas occulter sa sœur, Esther, qui a joué chez Christophe Honoré, chez Noémie Lvovsky ou chez Valérie Donzelli.

Avec beaucoup de pudeur, Philippe Garrel met en scène cet univers familial si particulier. Il a demandé à Aurélien Recoing – dont la ressemblance avec Pierre Moscovici ne cesse de me troubler – d’interpréter son rôle. Avec une admirable modestie, il fait disparaître son personnage dès le premier tiers du film. C’est un parti pris regrettable, même s’il a sa logique. C’est en effet cette première demi-heure qui constitue la meilleure partie du film, tant l’atmosphère qui règne dans cette famille est attachante. Mais le scénario avait besoin d’avancer et la mort du père en est l’occasion. Le problème est que l’histoire racontée dans l’heure suivante, notamment celle de Peter, cette pièce rapportée qui rejoint la troupe de marionnettistes avant de la quitter pour vivre sa vocation de peintre, n’est guère convaincante.

La bande-annonce

Les Feuilles mortes ★★☆☆

Ansa (Alma Pöysti) travaille dans un supermarché. Holappa (Jussi Vatanen) est ouvrier dans une usine. Ces deux solitaires vont se rencontrer un soir dans un bar, se regarder et se plaire sans avoir besoin d’échanger plus que quelques paroles. Mais le sort contrariera leur rapprochement.

Aki Kaurismäki avait annoncé après le semi-échec de L’Autre Côté de l’espoir sa retraite du cinéma. Pour le plus grand soulagement de ses fans, il est revenu sur sa parole et nous livre, en quatre-vingt-une minutes tout compris, le plus kaurismäkien de ses films, prolongement intemporel de sa trilogie du prolétariat, entamée il y a près de quarante ans.

On y retrouve avec un plaisir régressif tout ce qui fait la saveur de ses films : ses acteurs mutiques (Alma Pöysti et Jussi Vatanen sont des sosies en plus jeune de Kati Outinen et de Matti Pellonpää), ses décors intemporels en formica et bakélite, ses histoires minuscules, ses musiques vintage, ses clins d’œil à Chaplin ou à Godard….

Le jury de Cannes ne s’y est pas trompé qui lui a décerné son Grand Prix, comme on décerne à un grand réalisateur à la fin de sa carrière une récompense pour l’ensemble de son œuvre.

Il est difficile de trouver à ce film quasi-parfait des défauts sinon celui de résumer ou de répéter toute une œuvre. Aki Kaurismäki n’a plus rien à dire. Donc il se répète. C’est un reproche extrêmement violent que je lui adresse, une seconde après avoir dit que son film était parfait. À le supposer justifié, ce reproche ne devrait dissuader d’aller voir ces Feuilles mortes ni ceux qui connaissent et qui aiment le cinéma du maestro finlandais, lesquels prendront plaisir à le retrouver, ni ceux qui ne le connaissent pas, lesquels seront curieux de le découvrir.

La bande-annonce

L’Arbre aux papillons d’or ★☆☆☆

Thien habite Saïgon. Sa belle-soeur y meurt dans un accident de scooter laissant derrière elle, un orphelin de cinq ans, Diao. Accompagné de son neveu, Thien ramène la dépouille de sa belle-soeur dans son village natal. Elle y est enterrée dans la religion catholique. Ce voyage est pour Thien l’occasion de se replonger dans son passé.

Auréolé de la Caméra d’or, le prix qui recompense le meilleur premier film de la sélection cannoise, L’Arbre aux papillons d’or bénéficie, pour sa sortie en France d’un accompagnement tout particulier de son distributeur, Nour films, qui a multiplié les avant-premières. Celle à laquelle je me suis rendu était comble. Elle était coorganisée par un ciné-club vietnamien et la salle, à ma grande surprise, était quasi exclusivement remplie de spectateurs de la diaspora heureux de se réunir dans un bruyant bruissement exotique. Sans doute ont-ils retrouvé dans le film des images, des sonorités qu’ils avaient connues ou dont leurs parents leur avaient transmis le souvenir. La charge nostalgique du film était pour moi moins puissante.

Le cinéma vietnamien s’exporte mal. Trần Anh Hùng, un réalisateur né au Vietnam mais réfugié en France où il a fait carrière, avait connu une brève célébrité dans les 90ies avec L’Odeur de la papaye verte, Caméra d’or à Cannes et César de la meilleure première oeuvre, et Cyclo. J’en ai le souvenir de deux films très lents plongés dans la moiteur tropicale. Ce même réalisateur, tournant le dos à tout exotisme indochinois, vient de signer La Passion de Dodin Bouffant avec Juliette Binoche et Benoît Magimel qui sortira sur les écrans en novembre. Ces dernières années, je crois avoir vu un seul film vietnamien, Mekong Stories, au printemps 2016, qui, avec son héroïne déchirée entre deux garçons, louchait du côté de Jules et Jim.

L’Arbre aux papillons d’or dure près de trois heures. J’ai dit souvent les réserves que m’inspiraient de tels formats. Son rythme lent, ses longs travellings ont tôt fait de nous plonger dans une hypnose catatonique.  D’autant que le récit mélange bientôt, sans les distinguer clairement, les souvenirs que les assoupissements du héros ressuscitent, et sa vie contemporaine. Certains trouveront l’expérience fascinante. D’autres comme moi piqueront bientôt du nez, ajoutant à la narcolepsie du héros celle du spectateur.
Le résultat est nébuleux, mon manque d’attention m’interdisant un jugement plus radical… ou, pour le dire plus nettement, j’ai tellement dormi que je n’en ai pas vu grand-chose !

La bande-annonce

Mystère à Venise ★★☆☆

Retiré des affaires du monde, Hercule Poirot (Kenneth Branagh) s’est installé dans la Cité des doges. Un policier italien (Riccardo Scamarcio) assure sa protection. Une amie romancière (Tina Fey), pariant sur son cartésianisme et son goût des défis, réussit toutefois à le sortir de sa retraite pour le faire assister, la nuit d’Halloween, à une séance de spiritisme dans un splendide palazzo vénitien où la fille de la propriétaire (Kelly Reilly) a trouvé la mort deux ans plus tôt. Mais la soirée, qui réunit une dizaine de convives, s’achève par la mort de l’un des participants. Refusant d’en imputer la responsabilité aux esprits qui hanteraient cette lugubre demeure, Hercule Poirot mène l’enquête.

Après avoir adapté deux des plus célèbres romans d’Agatha Christie, Le Crime de l’Orient-Express et Mort sur le Nil, déjà portés à l’écran dans les 70ies avec Peter Ustinov dans le rôle du méthodique détective belge, Kenneth Branagh signe un troisième épisode à partir d’un de ses romans moins connus (publié en France sous les titres La Fête du Potiron ou, plus vendeur, Le Crime d’Halloween). Il en a déplacé l’action à Venise filmée sous une pluie hivernale. Les mauvaises langues diront que les vues de la ville, au début et à la fin du film, en constituent les meilleurs moments.

Entre les deux, la caméra s’enferme dans un huis clos, comme les enquêtes à la Cluédo nous y ont habitués. Toute adaptation d’Agatha Christie qui se respecte  doit en effet sacrifier à ce rituel inviolable. La règle est simple. Un crime est commis. Une dizaine de personnages sont suspectés, l’enquête menée d’une main de fer par Poirot permettant de révéler chez chacun des coupables potentiels un pan caché de son histoire personnelle qui justifierait son acte.

Pour donner du piment à cette recette éculée, il faut un sacré talent. Kenneth Branagh en a plus qu’il n’en faut. On lui avait fait le reproche de beaucoup cabotiner dans les deux premiers opus. Il est plus sobre ici. Et c’est tant mieux. Il concentre son talent sur la réalisation. Non tant dans le scénario qui, hélas, est si corseté qu’il ne faut guère en attendre de surprises que dans la mise en scène : les décors, les lumières, la musique tirent ce film vers l’horreur, le fantastique, le giallo, ce genre italien qui connut ses heures de gloire dans les 70ies avec Mario Bava et Dario Argento.

Mystère à Venise n’est pas le navet affligeant que certains m’avaient décrit. Il est loin aussi d’être un chef d’oeuvre. C’est un film qui ne ment pas sur la marchandise et qui plaira aux amateurs du genre.

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Un métier sérieux ★★☆☆

Doctorant besogneux en sciences physiques, après avoir échoué en médecine, Benjamin (Vincent lacoste) accepte un remplacement en mathématiques au collège. Ses premiers pas sont difficiles. Il a du mal à se faire respecter de ses élèves et, plus encore, à s’en faire comprendre. mais il peut compter sur l’accueil chaleureux et le soutien de ses collègues du lycée Molière : Meriem (Adèle Exarchopoulos), une autre prof de maths qui a un contact fantastique avec ses élèves, Fouad (William Lebghil), le prof d’anglais sur qui tout glisse, Sandrine (Louise Bourgoin), la prof de SVT psycho-rigide et Pierre (François Cluzet), le vieux prof de français qui leur sert à tous de grand frère ou de parrain.

C’est peu dire que j’avais beaucoup de réticence avant d’aller voir le nouveau film de Thomas Lilti, ce médecin généraliste passé par passion du cinéma à la réalisation et qui avait si bien documenté dans HippocrateMédecin de campagne et Première année le mal-être de l’hôpital et des professions de santé. Je pensais déjà en avoir épuisé les charmes en lisant son résumé, en regardant son affiche et en voyant sa bande-annonce : une longue publicité comme on en a déjà vu tellement (La Vie scolaire, Les Héritiers, Entre les murs…) pour l’Education nationale, dont la sortie coïncide opportunément avec la rentrée des classes, mettant à l’honneur une poignée de sympathiques enseignants qui, malgré un salaire insuffisant, une hiérarchie obtuse et un manque de moyens criant, réussissent tant bien que mal à transmettre à des élèves dont l’attention devient de plus en plus difficile à capter mais tout compte fait attachants, un peu de connaissance et beaucoup d’humanité.

Ce cahier des charges bien-pensant à souhait est hélas scrupuleusement rempli. Un métier sérieux passe en revue l’ensemble des épreuves que rencontre un professeur : les classes incontrôlables, le conseil de discipline convoqué pour sanctionner un élève qui est sorti des clous au risque de l’exclure définitivement, les frites à la cantine, la classe de mer, l’exercice alerte incendie et ses consignes inapplicables, etc… (il y manquait peut-être l’altercation avec le parent d’élève qui se pique d’apprendre au professeur son métier, une scène à peine ébauchée et qui, à en croire les professeurs de plus en plus souvent confrontés à cette situation désagréable, est hélas monnaie courante aujourd’hui).

Mais Thomas Lilti exécute ce programme imposé avec un tel talent qu’après une première demi-heure un peu lente à démarrer, on s’y laisse prendre. La galerie de personnages, brillamment interprétés par quelques-uns des meilleurs acteurs français du moment dont Lilti a su gagner la fidélité – Vincent Lacoste jouait déjà dans Hippocrate, François Cluzet dans Médecin de campagne et William Lebghil dans Première année – ne se réduit pas à des caricatures. Chacun gagne en profondeur au fur et à mesure que le film progresse au point qu’on en vient à l’apprécier comme le premier épisode d’une série à venir (sur le modèle de Hippocrate qui sait ?). En particulier la façon dont leurs vies privées et leur travail s’entremêlent, qu’on aurait pu craindre artificielle, est très bien réussie, qui montre qu’un bon prof, capable de résister à une classe de trente élèves, peut échouer dans l’éducation de son gamin – et vice-versa.
J’ai bien sûr fondu une fois encore pour Adèle Exarchopoulos que je trouve confondante de naturel et pour François Cluzet en vieux briscard de la salle des profs. Mais il faut aussi saluer le rôle terriblement ingrat de Louise Bourgoin.

Sans doute Thomas Lilti n’est-il guère sorti de sa zone de confort en sortant de l’hôpital. Sans doute ce film-là augure-t-il le suivant qu’il pourrait consacrer à la police et celui d’après à la magistrature, en attendant ceux sur les gardes-forestiers et les inspecteurs des impôts peut-être…. Ils utiliseront peut-être les mêmes recettes. mais, quand la recette est bonne, pourquoi ne pas la réutiliser ?

La bande-annonce

Le Livre des solutions ★★☆☆

Quand ses producteurs lui annoncent qu’ils cessent de financer son dernier film, Marc Becker s’enfuit dans les Cévennes chez sa tante Denise (Françoise Lebrun, égérie de Jean Eustache) avec sa monteuse (Blanche Gardin) et son assistante (Frankie Wallach, égérie de EDF) pour en boucler le montage. Mais cette fuite à la campagne exacerbe la créativité débordante du réalisateur, au grand dam de ses proches.

Michel Gondry, le réalisateur le plus perché, le plus branque, le plus imaginatif qui soit, est de retour, huit ans après son dernier film Microbe et Gasoil, quinze ans après Soyez sympas, rembobinez, qui est le plus représentatif de son cinéma de la bricole, dix-neuf ans après The Eternal Sunshine of a Spotless Mind, qui lui valut une gloire immédiate.

Le Livre des solutions est une autobiographie auto-dérisoire, un hommage à sa tante, mais surtout l’autoportrait de l’artiste en doux dingue. Michel Gondry, à soixante ans passés, n’est plus un jeune homme ; mais il a trouvé son alter ego chez Pierre Niney, jeune trentenaire vibrionnant qui n’a jamais été aussi à l’aise que dans ce cinéma là, où toute sa fougue, toute son inventivité, tout son charme fiévreux peuvent s’exprimer sans entraves.

Le Livre des solutions multiplie les trouvailles. les scènes cocasses ou tendres s’y succèdent sans temps mort. On ne s’y ennuie pas. On y rit parfois, on y sourit souvent, au camiontage ou à l’assistant catarrheux jusqu’au tout dernier plan qui met en abyme le réalisateur et son film. On se laisse attendrir dès que Françoise Lebrun, avec sa voix d’une douceur inimitable berce son remuant neveu. Seul point faible : l’absence de scénario à proprement parler, le montage du film de Marc constituant le prétexte plus que la raison d’être à cette succession de vignettes.

Le Livre des solutions a le défaut de ses qualités. Il est trop gentil. Et la gentillesse, c’est comme la crème chantilly : à petite dose, c’est délicieux, à grosse dose, ça devient vite écœurant.

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Alam ★☆☆☆

Tamer, Shekel et Safwat sont trois étudiants d’un lycée arabe en Israël qui, comme tous les lycées du pays, s’apprête à fêter avec pompe l’indépendance nationale le 14 mai. Mais si cette date marque pour les Juifs d’Israël l’indépendance, elle marque aussi pour les Arabes la Nakba, la catastrophe qui les a dépossédés de leurs biens et forcés à l’exil. Pour commémorer la Nakba, Safwat voudrait remplacer le drapeau israélien qui orne la façade du lycée par un drapeau palestinien. Tamer, que son histoire familiale a dissuadé de tout engagement politique, n’y est guère favorable. Mais, l’arrivée dans le groupe de Maysaa va le faire changer d’avis.

Tourné en Tunisie, où réside désormais son réalisateur d’origine palestinienne, financé par des fonds saoudiens, qataris et tunisiens, Alam est un film ouvertement militant et pro-palestinien,, qui critique le sort réservé aux populations arabes en Palestine et la négation des souffrances endurées par leurs ancêtres en 1948.
Il ne se réduit pas à cette seule dimension. C’est aussi un coming-of age movie, un film sur la sortie de l’adolescence et la conscientisation politique chez un groupe de lycéens. Tamer, le héros, présente le caractère le plus nuancé, celui dont l’histoire familiale est la plus creusée, celui dont le parcours est le plus subtil : c’est pour plaire à Maysaa qu’il acceptera de prendre un engagement que, sans elle, il n’aurait sans doute pas pris.

Pour autant, Alam est beaucoup trop sage pour susciter l’intérêt. Il n’y a rien de bien subversif dans les actions soi-disant clandestines de ces jeunes, rien de bien nouveau dans les émotions qu’ils éprouvent.

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Querelle (1982) ★★★☆

Querelle (l’acteur américain Brad Davis auréolé du succès de Midnight Express et des Chariots de feu) est un matelot embarqué à bord du Vengeur, un aviso commandé par le lieutenant (sic) Seblon (l’Italien Franco Nero, grand héros de westerns spaghettis). Querelle fait escale à Brest où il retrouve son frère Robert (l’Autrichien Hanno Pöschl). Robert est l’amant de Lysiane (la Française Jeanne Moreau) qui tient un bar, la Feria, avec son mari Nono (l’Allemand Günther Kaufmann).
Pour coucher avec Lysiane, les clients de la Feria doivent jouer aux dés avec Nono. S’ils gagnent, ils peuvent jouir des charmes de la patronne ; s’ils perdent, ils doivent se donner au patron.

Querelle est un film mythique. Parce que c’est le dernier de Rainer Fassbinder, brutalement décédé dans des circonstances troubles (rupture d’anévrisme ? overdose ?) alors qu’il travaillait à son montage. Parce que c’est l’adaptation du sulfureux livre du non moins sulfureux Jean Genêt.
Son affiche avait fait scandale et avait été interdite (ne reculant devant aucune audace pour satisfaire, cher lecteur, votre curiosité intellectuelle, je l’ai publiée au regard de ma critique en espérant qu’elle ne me vaudra pas les foudres – avec un d – de la censure).

Mais c’est surtout son atmosphère homo-érotique, artificielle (le film a été entièrement tourné en studio à Munich) et baroque qui donne à Querelle son parfum inimitable. Je n’ai pas réussi à déterminer si Jean-Paul Gaultier s’en est inspiré ou si, au contraire, c’est lui qui a inspiré à Fassbinder cette ambiance immédiatement identifiable.

Dans mes critiques de films « anciens », je pose souvent la question de savoir s’ils ont bien vieilli ou pas. La réponse est éminemment subjective. J’ai l’impression que la mienne est souvent négative, étant peut-être trop influencé par le cinéma d’aujourd’hui, ses tics et ses tocs, pour goûter à sa juste valeur le cinéma dit « classique ».
Je n’ai pas aimé Querelle ; car je n’ai pas aimé son scénario trop confus et son ambiance lourde et poisseuse. Pour autant, je ne crois pas que ce film intemporel ait mal vieilli. Il a réussi à créer une forme incroyablement novatrice et audacieuse, en parfaite adéquation avec son sujet. Qu’on l’aime ou pas, force est d’en reconnaître la cohérence et la force.

La bande-annonce