Les Aigles de la République ★★☆☆

George Fahmy (Fares Fares) est une star adulée du cinéma égyptien. Sa renommée, pense-t-il, le rend intouchable et lui donne bien des passe-droits comme celui de vivre avec Donya, sa jeune maîtresse (Lyna Khoudri). Mais ses certitudes vacillent lorsqu’il est remplacé dans le film qu’il tourne avec une autre actrice, Rula Addad, elle aussi mise à pied, et qu’il reçoit des menaces voilées au sujet de son fils. Il comprend vite qu’il ne peut refuser la proposition empoisonnée qui lui est faite : interpréter le chef de l’Etat dans un film consacré à sa gloire. Son tournage se fait sous la supervision sourcilleuse des services secrets. Il le rapproche du ministre de la défense et de sa séduisante épouse (Zineb Triki).

Sélectionné en compétition officielle en mai dernier à Cannes, d’où il est reparti bredouille, Les Aigles de la République constitue le troisième volet de la « trilogie du Caire », après Le Caire confidentiel (2017) et La Conspiration du Caire (2022). Les trois volets de cette trilogie sont indépendants les uns des autres. Mais on y trouve les mêmes ingrédients : l’acteur Fares Fares, une ambiance lourde de complots ourdis, un scénario compliqué à souhait…

La bande-annonce des Aigles de la République m’avait mis l’eau à la bouche parce qu’elle me faisait miroiter tout ce qui m’attire au cinéma : une histoire captivante sur fond d’imbroglio politique, des personnages hauts en couleurs, une débauche de moyens, une musique puissante et élégante (encore une fois signée Alexandre Desplat).

Force m’est de dire hélas que j’ai été un peu déçu. Le film n’est pas à la hauteur des espérances qu’il avait fait naître en moi. Sans doute Tarik Saleh a-t-il mis les moyens dans cette super-production franco-suédo-dano-finlandais dont le budget approche les dix millions d’euros, tournée avec tambours et trompettes en Turquie. Sans doute ses acteurs, à commencer par l’immense Fares Fares, Lina Khoudry qui n’a pas un rôle facile de jeune première arriviste et la vénéneuse Zineb Triki dont je suis définitivement tombé sous le charme depuis Le Bureau des légendes, sont-ils séduisants. Sans doute aussi le scénario offre-t-il son lot de rebondissements grâce auxquels les deux heures du film passent sans regarder sa montre.

Pour autant, on peut reprocher aux Aigles de la République un scénario trop alambiqué, pas toujours très lisible, qui finit par égarer le spectateur, d’autant qu’il se résume finalement à pas grand chose : notre héros, aussi attachant soit-il, qui rappelle les héros des films noirs américains des années cinquante, est obligé de renoncer aux rares principes auxquels il semblait croire et le pouvoir égyptien – le film est interdit de projection en Égypte – se révèle un théâtre d’ombres maléfiques.

La bande-annonce

Kika ★★★☆

Kika (Manon Clavel) est assistante sociale à Bruxelles, mariée et mère de famille lorsque deux événements inattendus bouleversent sa vie. Le premier : la rencontre avec David (Makita Samba) dont elle tombe éperdument amoureuse. La seconde : la mort aussi brutale qu’inattendue de David, terrassé par un AVC, qui laisse Kika hagarde, à la rue, sans un sou. Refusant tout secours, Kika en dernière extrémité se résout à se prostituer.

Kika – qui pour moi restera à tout jamais un titre associé à un film d’Almodovar en talons aiguilles – est une réalisation étonnante qui mérite l’excellent bouche à oreille qui l’accompagne depuis sa projection à Cannes en mai dernier à la Semaine de la critique.

C’est un film qui joue sur deux tableaux.

D’une part, c’est une comédie cocasse, l’histoire d’une fille comme tout le monde, une Girl next door, qui fait la découverte du monde du BDSM, ses codes, ses pratiques et qui manifeste à cette découverte la même naïveté, le même étonnement que vous ou moi y manifesteriez – quoique je ne vous connaisse pas…. et que vous ne me connaissez peut-être pas ! Spanking, pegging, edging, face-sitting, si ces mots vous sont inconnus, alors ce film élargira votre vocabulaire et, si ces pratiques ne vous révulsent pas, vous fera beaucoup rire. Venue du documentaire, Alexe Poukine nous fait découvrir cet univers avec une curiosité gourmande sans verser dans le prosélytisme ou dans l’anathème. Son cinéma fait penser à celui, féministe et sororal, de Noémie Lvovsky, de Sophie Letourneur ou de Justine Triet première formule.

D’autre part, sur une veine plus grave, Kika est une tragédie, le récit d’un deuil dont l’héroïne ne réussit pas à se consoler. Enceinte de son compagnon décédé, en charge de sa première fille, sans toit, refusant la main tendue par son ex-mari, par sa mère et par son beau-père, Kika traverse une profonde dépression. Le BDSM lui sert d’exutoire. On en découvre alors la face plus sombre, moins cocasse : une façon, pour celui qui domine et pour celui est dominé, d’exorciser ses démons à travers une violence contrôlée.

Manon Clavel (La Vérité, Le Répondeur) est parfaite dans le rôle titre. Elle lui prête à la fois sa gravité et sa candeur.

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Un poète ★★★☆

Oscar Restrepo est un loser magnifique. Ce quinquagénaire disgracieux, dépressif et suicidaire, a tout raté dans sa vie. Il se dit poète, a certes dans sa jeunesse publié deux recueils, mais n’a plus rien publié depuis. Il a eu une fille d’un premier mariage ; mais, après son divorce, il est retourné vivre chez sa mère vieillissante et n’a plus guère de contact avec sa fille qui est en passe d’entrer à l’Université. Il trouve dans l’alcool une échappatoire à son mal-être. Sans emploi, il consent, sous la pression de sa famille, à donner des cours dans un lycée. Il y rencontre une jeune élève issue d’un milieu très pauvre qui se révèle être une grande poétesse cachée.

Un poète nous vient de Colombie. Son action se déroule à Medellin. Elle pourrait se dérouler n’importe où dans le monde car son sujet est universel. Son héros est truculent. Il s’agit d’un acteur amateur, d’un enseignant casté par hasard par le réalisateur Simon Mesa Soto. Il ressemble à un gnome ridicule.

Un poète aurait pu se contenter de regarder son héros se débattre dans sa vie quotidienne : avec sa fille qui ne veut plus le voir, avec sa famille qu’épuisent ses foucades, avec ses collègues poètes qui peinent à cacher leur mépris, avec ses élèves enfin que son enseignement pour le moins hétérodoxe déconcerte. Mais Un poète fait mieux : dans sa seconde moitié, il raconte une histoire, celle de la relation entre Oscar et Yurlady, cette élève douée sur laquelle il projette ses espoirs de poète raté. Cette histoire qui aurait pu être un épisode parmi d’autres de la vie quotidienne du héros prend un tour et une importance inattendus. Elle est surprenante, drôle et dramatique à la fois. Elle interroge les rapports de classe, les rapports de genre.

Cheminant sur la crête entre drame et comédie, Un poète est un film original comme on en voit rarement, subtil et attachant.

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On Falling ★★☆☆

Aurora (Joana Santos) est portugaise. Elle travaille en Ecosse dans une immense plateforme de distribution. Sa scannette au poing, elle arpente inlassablement les allées de l’entrepôt pour y trouver les produits qui doivent être expédiés. Sa productivité et la moindre de ses haltes sont contrôlées à distance. Le soir, Aurora regagne la colocation anonyme qu’elle partage avec d’autres travailleurs immigrés comme elle.

On Falling pourrait être un documentaire sur l’aliénation au travail. C’est une oeuvre de fiction. Son statut ambigu m’a rappelé le livre de Joseph Ponthus au succès amplifié par la disparition précoce de son auteur, À la ligne, et un documentaire sorti en salles en 2013 qui instruisait le procès du travail en abattoir, Entrée du personnel.

Mieux encore qu’un documentaire à charge l’aurait montré, On Falling raconte le quotidien des employés des grandes entreprises de logistique : les cadences débilitantes, la surveillance permanente, la solitude…. Il le fait sans sombrer dans la caricature comme parfois les films de Ken Loach auxquels On Falling fait penser : ici il n’y a pas de « méchant » patron ni de « gentil » travailleur. Le management est aimable et compréhensif. Aurora a le droit de quitter la réunion à laquelle elle est pourtant tenue d’assister. Si elle n’obtient pas une autorisation d’absence pour aller passer un entretien d’embauche, car elle en a fait la demande trop tardivement, elle pourra sans préjudice, le matin même, feindre d’être malade. Mais cette tutelle cauteleuse est peut-être plus terrifiante encore que le serait une direction caricaturalement abusive : ainsi de la barre de chocolat paternaliste offerte à Aurora pour ses bons résultats.

Le scénario multiplie les non-dits. On ne saura rien des motifs qui ont poussé Aurora à venir travailler en Ecosse. On ne saura rien non plus de ses attaches au Portugal, de sa famille, de ses amis qu’elle y a laissés. On comprend qu’elle tire le diable par la queue et qu’une dépense imprévue suffit à mettre l’équilibre de son budget en péril. Dans sa colocation, elle essaie timidement de retrouver un peu de la chaleur humaine qui lui fait si douloureusement défaut. Elle y fait la connaissance d’un autre travailleur immigré comme elle, venu de Pologne. La romance qui se noue, avant de se dénouer bien vite dans un plan muet que je n’oublierai pas de sitôt, est déchirante.

Certes, on pourra reprocher à On Falling son minimalisme. Cinq fois, six fois, sept fois, la même scène se répète. Mais cette répétition a un sens : comme dans le livre de Ponthus, elle nous fait ressentir l’abrutissement causé par la répétition sempiternelle des mêmes gestes au travail.

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Klára déménage ★☆☆☆

La vie de Klára a basculé. Mariée, mère de deux enfants, elle a décidé de déménager et de s’installer dans un petit appartement du centre ville. Sa meilleure amie Ági lui prête main forte pour transporter ses cartons de déménagement dans sa petite Peugeot rouge.

Klára déménage est un film minuscule. Il se déroule à Budapest un 2 janvier. « 2 janvier » est d’ailleurs son titre original que les distributeurs internationaux ont conservé, à l’exception des distributeurs français qui lui ont préféré une forme verbale, assez rare (on pense à Camille redouble).

Son idée n’était pas idiote : raconter à travers la noria des cartons et les allers-retours en voiture le délitement d’un couple. Mais le procédé fait vite long feu, même si le scénario a l’intelligence d’apporter à chaque épisode une légère variante, par exemple en ajoutant un troisième personnage (le frère de Klára ou son nouvel amoureux).

Le premier plan du film, qui commence avec Ági et le dernier, qui finit avec elle qui, après avoir passé la journée à aider son amie, va rejoindre son compagnon, interrogent. La vraie héroïne du film, comme d’ailleurs l’affiche tendrait à le suggérer, n’est-elle pas Ági plutôt que Klára ? Ce changement de focale est intéressant. Mais il est trop tardif et trop évanescent pour donner du sel à un film qui en est par trop dépourvu.

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La Disparition de Josef Mengele ★★☆☆

Josef Mengele est tristement célèbre pour les crimes qu’il a commis à Auschwitz où ce médecin, obsédé par la gémellité, a pratiqué des expérimentations sur des prisonniers. Après la Seconde Guerre mondiale, il s’est réfugié en Amérique latine et s’y est caché jusqu’à sa mort en 1979. Le romancier strasbourgeois Olivier Guez a consacré un livre soigneusement documenté à sa longue cavale, couronné par le prix Renaudot en 2017.

Réalisateur russe exilé en Allemagne, Kirill Serebrennikov s’est emparé de ce roman pour évoquer à sa façon cette figure monstrueuse du XXe siècle. On y trouve les traits caractéristiques du réalisateur de Leto, de La Fièvre de Petrov, de La Femme de Tchaïkovski et de Limonov : l’usage très stylisé du noir et blanc – que viendra interrompre une seule scène en couleurs sur laquelle nous reviendrons – des plans-séquences d’une maîtrise époustouflante – tel celui d’un mariage organisé parmi la fine fleur de la diaspora nazie de Buenos Aires – une mise en scène enfiévrée….

Présenté à Cannes Première, une sélection parallèle créée en 2021, La Disparition de Josef Mengele a divisé la critique avant de décourager le public qui l’a boudé. Certains ont salué le souffle du réalisateur et le talent de son acteur principal, August Diehl (Une vie cachée), qui relève le défi d’interpréter Mengele à tous les âges de sa vie sans sombrer dans la caricature. J’aurais scrupule à ne pas leur donner raison. Mais d’autres s’interrogent sur le sens de ce biopic répétitif qui montre un homme habité par ses démons, encroûté dans ses certitudes que rien, pas même la visite de son fils et les questions légitimes que celui-ci lui pose, ne vient ébranler.

Le débat se focalise sur cette fameuse séquence en couleurs située au mitan du film. Il s’agit, nous dit-on, d’images tournées à Auschwitz par un officier SS avec sa caméra amateur. On y voit Mengele et ses collaborateurs procéder au tri des prisonniers à l’arrivée des convois de déportation, envoyant les plus fragiles à la chambre à gaz, en prélevant d’autres pour d’horribles expérimentations dont ils ne sortiront pas vivants. On le voit également opérer au bloc. La scène est ponctuée par un concert donné par un orchestre de nabots difformes. Elle crée, à dessein, le malaise. Exhibitionnisme malsain ? ou souci de montrer l’immontrable ?

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Météors ★★★☆

En Haute-Marne, à Saint-Dizier, une ville écrasée par le chômage et l’ennui, Mika (Paul Kircher), Daniel (Idir Azougli) et Tony (Salif Cissé) forment un trio inséparable. Après une soirée de beuverie qui tourne mal, Mika et Daniel sont rattrapés par la Justice. Ils ont six mois, d’ici l’audience de leur procès, pour s’amender et, s’agissant de Daniel, pour soigner la cirrhose qui le ronge. Grâce à Tony, le duo trouve à s’employer sur un site d’enfouissement de déchets radioactifs.

Il aura fallu attendre plus de huit ans le nouveau film de Hubert Charuel, le réalisateur de Petit Paysan, succès surprise de l’automne 2017 (550.000 entrées, trois Césars). La surprenante réussite de son premier film a-t-elle inhibé le jeune réalisateur ? Son second est sorti le mois dernier sans guère de publicité. Il n’a pas rencontré son public et est quasiment sorti des écrans après quelques semaines à peine. C’est immérité. Car Météors – un titre à la signification cryptique – a bien des qualités.

La première est, comme Petit Paysan avant lui, de décrire un milieu, ici après la paysannerie la France périphérique, une ville moyenne sans grâce, surplombée par la tour Miko (le glacier y a installé son usine en 1954, aujourd’hui désaffectée) et survolée par les Rafale de la Base aérienne 113.

La deuxième est de diriger un trio d’acteurs d’une étonnante qualité. Même si je ne porte pas Paul Kircher dans mon cœur – je trouve à ce « fils de » un jeu très réduit – force m’est de reconnaître qu’il est parfait dans le rôle de Mika. Comme Salif Cissé, découvert chez Guillaume Brac et qu’on voit de plus en plus souvent dans des rôles d’une admirable diversité (Spectateurs !Le Répondeur). Mais c’est le nouveau venu Idir Azougli, la casquette à l’envers, le poil au menton, l’accent marseillais, qui leur vole la vedette.

La troisième est un scénario qui évite un écueil très fréquent : se borner à camper des personnages sans les faire vivre. Météors a un début, un milieu, une fin, trois composantes qui pourraient sembler évidentes mais qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Il contient son lot de rebondissements qui font avancer l’action et les personnages et maintiennent la tension et l’attention pendant tout le film jusqu’à son dénouement inattendu.

La quatrième, la principale, est le sujet qu’il traite, l’amitié masculine, façon Des souris et des hommes, avec ses pudeurs et son intensité. Aucune romance superflue ne l’en dévie. Il le fait avec humour et avec gravité. Météors réussit à être léger et sérieux à la fois.

L’insuccès de ce film précieux est injuste.

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Springsteen: Deliver Me From Nowhere ★☆☆☆

En 1982, après le succès mondial de The River et la tournée qui l’a accompagné, Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) ressent le besoin de se resourcer. Il loue une maison dans le New Jersey près de sa ville natale. Sur un magnétophone à cassettes, muni seulement de sa guitare acoustique et de son harmonica, il enregistre les chansons qu’il a écrites à partir de ses recherches, notamment sur les meurtres en série commis par Charles Starkweather dans les années 1950 au Nebraska. Il enregistre même une première version de Born in the USA qui ne sera finalement pas retenue dans cet album. Son label Columbia est très inquiet de ses choix artistiques ; mais son manager Jon Landau (Jeremy Strong) lui apporte un soutien sans faille.
Pendant la composition de cet album, Springsteen a une liaison avec la sœur d’un ancien camarade d’école ; mais cette bluette ne l’empêche pas de sombrer dans une profonde dépression.

Encore un nouveau biopic musical ? hélas oui. Après Bob Marley, après Elton John, après Elvis Presley, après Bob Dylan, et avant John Lennon, Mick Jagger et David Bowie auxquels finira bien par être consacrés un biopic, il était inévitable que Bruce Springsteen, le « Boss », ait droit au sien.

Le parti retenu n’est pas de raconter sa vie depuis son enfance – même si des références y seront faites via des flashbacks lourdingues en noir et blanc – mais de se concentrer sur un épisode bien précis de sa vie. C’est le même parti qui avait été retenu dans Un parfait inconnu sur Bob Dylan. Ici, le réalisateur Scott Cooper utilise un livre éponyme de Warren Zanes consacré à la confection d’un album méconnu, coincé entre les deux méga-succès de The River (1980) et Born in the USA (1984).

Le sujet touchera-t-il les fans de Bruce ? Peut-être. Quant aux autres ? pas sûr.
Parce qu’il est de la farine désormais insipide et répétitive dont sont faits tant de biopics vus et revus où l’on voit naître comme par miracle des morceaux d’anthologie – ainsi de l’enregistrement de Born in the USA sous les yeux (et les oreilles) ébahis de tout le studio.

Sans doute Jeremy Allen White, connu des amateurs de séries pour Shameless et pour The Bear, habite-t-il le rôle, interprétant le chanteur, ses jeans serrés, ses cheveux gras, à la perfection. Mais cela ne suffit pas à faire un film. La romance bien terne qu’il noue avec une blonde peroxydée n’apporte rien à l’histoire. Sans surprise, trop classique, Springsteen est un mauvais service rendu au chanteur légendaire qui, à mes yeux, aurait plus mérité le Nobel de littérature que cet ours mal léché de Bob Dylan.

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Les Braises ★★☆☆

Karine et Jimmy forment un couple uni et aimant. Karine (Virgine Efira) travaille dans une pâtisserie industrielle. Jimmy (Arieh Worthalter) dirige une petite entreprise familiale de transport routier. En couple depuis une vingtaine d’années, ils ont eu un garçon et une fille désormais lycéens l’un et l’autre. Quand éclate fin 2018 le mouvement des Gilets jaunes, Karine en devient l’une des militantes les plus enflammées alors que Jimmy n’y croit pas.

Quelques réalisateurs français, rompant avec la vieille habitude très gauloise d’en parler le moins possible, se frottent à la chose publique et à la politique : Pierre Schoeller (L’Exercice de l’Etat, Rembrandt), Stéphane Demoustier (L’Inconnu de la Grande Arche), Sylvain Desclous (La Campagne de France, De grandes espérances), Nicolas Pariser (Alice et le maire, Le Grand Jeu)… Thomas Kruithof est de ceux-là qui, avec Les Promesses, avait consacré son précédent film à une édile locale du 9.3 qui peinait à organiser sa succession.

Il s’attaque à un des mouvements les plus importants et les plus passionnants qu’ait connu la France ces dernières années : les Gilets jaunes. Chacun d’entre nous y a été confronté et s’en est fait son opinion. Pour certains, c’est le cri de colère légitime d’une France périphérique qui étouffe ; pour d’autres, c’est un chaos sans mot d’ordre, une explosion de violence sans raison.

Thomas Kruithof n’écrit pas un essai politique sur les Gilets jaunes qui en éclairerait la généalogie, en proposerait une typologie (mouvement d’extrême droite ? d’extrême gauche ?) et en raconterait l’histoire. C’est un cinéaste. Il choisit de rabattre le mouvement des Gilets jaunes sur un couple. Les braises du titre, ces feux dormants qu’une étincelle peut relancer, sont une métaphore qui peut être interprétée dans deux sens : métaphore politique, celle d’une France qui pourrait s’enflammer et métaphore sentimentale, celle d’un couple vieilli qui brûle encore des feux de l’amour.

J’ai un peu regretté ce parti pris. J’aurais aimé voir un film qui ait le courage de s’attaquer à son vrai sujet : les Gilets jaunes. L’idée de le traiter par le crible du déchirement d’un couple me semblait mièvre et réductrice.

Mais je dois lucidement reconnaître que le résultat est bon. Il l’est d’abord grâce aux deux acteurs. On peut regretter de voir Virginie Efira et Ariel Worthalter partout et tout le temps. mais il faut reconnaître qu’ils sont l’un comme l’autre absolument excellents et qu’on ne saurait leur reprocher la moindre erreur de carre.
Mais il l’est surtout parce qu’à travers ce couple, c’est tous les Gilets jaunes qui sont évoqués, la peur du déclassement (analysée doctement dans les ouvrages d’Eric Maurin et de Louis Chauvel), la France périphérique, le sens de l’engagement, l’invention d’autres formes d’actions citoyennes…

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L’Inconnu de la Grande Arche ★★★☆

En 1983, un concours d’architecture est lancé pour la construction du bâtiment destiné à clore la perspective royale qui part du Louvre vers l’ouest via l’Arc de triomphe. Un architecte inconnu l’emporte. Il est danois, a la cinquantaine bien entamée et n’a quasiment rien construit sinon sa propre maison et quatre églises. Il avance une proposition audacieuse : un cube de cent mètres de côté de verre et de marbre.

Stéphane Demoustier (frère de) se frotte décidément à des sujets intéressants et sait les traiter avec intelligence. Après La Fille au bracelet, sur l’insondable culpabilité d’une jeune femme, après Borgo, sur l’acclimation compliquée dans une prison corse d’une jeune surveillante venue du continent, voilà qu’il se lance dans l’adaptation du récit que Laurence Cossé a consacré en 2016 à des événements vieux de plus de trente ans : la réalisation compliquée de la Grande Arche de la Défense.

Un architecte scandinave un peu lunaire s’est retrouvé aux manettes d’un projet pharaonique par la seule volonté du prince, le président Mitterrand (Michel Fau, sphinxial), qui s’est personnellement impliqué dans sa sélection et l’a constamment soutenu. Le problème est que l’intégrité artistique de Johan Otto von Spreckelsen (Claes Bang) s’est vite heurtée au mur des réalités, à la réglementation tatillonne qui l’empêche d’utiliser telle ou telle colle pour joindre ses vitres, aux restrictions budgétaires qui le privent du marbre de Carrare qu’il souhaite utiliser et qu’il va lui-même acheter en Toscane, aux rivalités politiques qui menacent le projet lorsque la gauche perd les élections législatives de 1986.

Les résistances que rencontre Spreckelsen sont incarnées par deux personnages que le film a l’intelligence de ne pas caricaturer. D’une part Subilon, un conseiller présidentiel vibrionnant, interprété par Xavier Dolan. D’autre part Paul Andreu (Swann Arlaud), l’architecte surdoué qui avait signé l’aérogare de Roissy à vingt-neuf ans à peine et qui accepte modestement de se mettre au service de son collègue. Un autre personnage de fiction a été rajouté, celui de l’épouse de Spreckelsen (Sidse Babett Knudsen) qui essaie, sans guère de succès, de ramener son mari à la raison quand il s’arc-boute sur ses principes.

Un moment, j’ai cru que le film allait être celui que j’aurais aimé voir : un éloge du compromis. J’espérais que l’architecte intraitable accepterait de faire quelques concessions pour sauver son projet et que les résistances technocratiques qui le brimaient finiraient par céder pour laisser son art s’exprimer. Patatras ! la réalité s’est rappelée à moi et aux protagonistes et le film a pris une autre direction.

Cette absence de happy end m’a frustré. Mais, tout bien considéré, il faut y voir plus une qualité qu’un défaut. Le film, comme le livre qu’il adapte, est fidèle aux faits, lesquels, on le sait hélas, ne sont pas toujours ceux qu’on espère.

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