Marche ou crève ★☆☆☆

Dans une Amérique dystopique ravagée par la guerre civile, les autorités organisent une épreuve cruelle. Elles rassemblent une cinquantaine de jeunes hommes tirés au sort et promettent à celui qui marchera le plus longtemps sans jamais ralentir le rythme une fortune colossale et la réalisation d’un vœu.

The Long Walk est le tout premier roman de Stephen King, publié en 1979 sous pseudonyme. C’est une métaphore à peine voilée de la guerre du Vietnam. Stephen King condamne l’enrôlement forcé de jeunes bleus envoyés à une mort certaine par un pouvoir militariste incarné par la figure monstrueuse du Major (interprété par un Mark Hamill méconnaissable) et oppose à cette barbarie la force de la fraternité humaine.

Francis Lawrence, le réalisateur de la série Hunger Games – dont le point de départ présente une grande similarité avec celui de Marche ou crève – ressuscite ce livre méconnu du « maître du suspense » (sic) américain cinquante ans plus tard. Il résonne différemment dans l’Amérique trumpienne. Lawrence se lance un défi redoutable : se concentrer sur la marche et sur elle seule, comme s’il filmait un long traveling de plusieurs centaines de kilomètres pendant lequel ses personnages ne feront qu’une seule chose : marcher jusqu’à l’épuisement.

Une fois ce défi lancé, on se demande avec gourmandise comment le scénario va le relever. Hélas, la surprise est vite éventée. Une fois les principaux personnages introduits, le film les verra les uns après les autres être éliminés dans des circonstances que les règles du jeu condamnent à être répétitives : celui qui ralentit est, après trois avertissements, exécuté d’une balle sans sommation. Comme de bien entendu [et je ne divulgâche pas grand chose en l’écrivant] ce sont les deux principaux protagonistes, en tête – ou plutôt en pied – d’affiche qui survivent les derniers, le seul suspens [que je ne divulgâcherai pas] étant de savoir lequel des deux survivra le dernier.

Si l’idée de départ de Marche ou crève est sacrément alléchante, son traitement insipide est décevant. Francis Lawrence semble prendre un plaisir malsain à filmer la violence que le roman de Stephen King dénonçait. Pour autant, on voit mal ce qui a poussé la commission de classification à interdire ce film aux moins de seize ans.

La bande-annonce

Nouvelle Vague ★★★☆

À la fin des années cinquante, à Paris, quelques jeunes gens bourrés de talent travaillent aux Cahiers de cinéma et rêvent de réaliser leurs premiers films. Le succès des Quatre Cents Coups à Cannes en 1959 les y incite. Parmi eux, Jean-Luc Godard réussit à obtenir un financement d’un producteur, Georges de Beauregard. Il tournera À bout de souffle avec un jeune espoir français, Jean-Paul Belmondo, et une starlette américaine, Jean Seberg, récemment révélée par Preminger.
Le tournage commence à Paris. Les méthodes hétérodoxes de Godard désarçonnent son équipe technique et ses acteurs et ulcèrent Beauregard.

Richard Linklater est décidément un cinéaste étonnant qui, depuis trente ans, loin des modes mainstream, essaie constamment de se remettre en question et de relever de nouveaux défis. Il est l’auteur de la trilogie Before Sunset/ Before Sunrise/ Before Midnight avec le duo Ethan Hawke/ Julie Delpy. Il a surtout réalisé l’un des tout meilleurs films du siècle, Boyhood, qui suit pendant une dizaine d’années, de l’enfance à l’adolescence un jeune garçon élevé par des parents divorcés.

Il relève avec Nouvelle Vague un double pari sacrément culotté : tourner un vrai/faux making of du film le plus iconique de la Nouvelle Vague et retrouver l’esprit pionner de ces jeunes cinéastes iconoclastes.

Le résultat est saisissant d’authenticité. Tourné en noir et blanc et en 4:3, Nouvelle Vague nous replonge dans le Saint-Germain des Prés de Truffaut, Chabrol, Varda et Melville (interprété par Tom Novembre, un des rares noms du casting qui ne compte quasiment que des inconnus), mieux qu’une séance au Champo – qui a droit à son caméo – ne saurait le faire. Je laisse à plus cinéphile que moi le soin de traquer quelques erreurs ; mais, du peu que je connais de la vie et de l’oeuvre de Godard, et du tournage, fameux, d’À bout de souffle, je n’en ai repéré aucune. J’ai au contraire été sensible au soin jaloux avec lequel Linklater reconstitue ce tournage dans les lieux mêmes où il a eu lieu, les acteurs, leur apparence, leur tenue…

Le mieux étant l’ennemi du bien, c’est cette fidélité scrupuleuse qui aurait pu constituer la principale limite du film. L’obsession de la reconstitution aurait pu étouffer tout le reste. Mais Linklater réussit à éviter cet écueil. Si sa reconstitution est ultra-fidèle, elle laisse vivre la folle originalité de Godard, son culot bravache, sa prétention un peu folle de redéfinir la grammaire du cinéma, de le libérer de toutes les contraintes qui l’enserraient. Godard n’a pas trente ans ; mais, avec Truffaut et Chabrol, avec un appétit gargantuesque, il a tout vu pendant ses années aux Cahiers et prétend avoir tout compris du cinéma.

Sous nos yeux, il le réinvente. C’est un pur fantasme de cinéphile devenu réalité.

La bande-annonce

King of Kings: à la poursuite d’Edward Jones ★☆☆☆

Qui connaît Edward Jones (1898-1963) ? Il n’a même pas les honneurs d’une page Wikipedia à son nom. Pourtant, il fut l’un des hommes les plus riches des Etats-Unis. Descendant d’esclaves, obligé de fuir le Mississipi sous la menace du Ku Klux Klan, il s’installe avec ses deux frères et sa mère à Chicago et y fait fortune dans l’entre-deux-guerres grâce à un jeu d’argent illégal, l’ancêtre de la Loterie nationale. Sa petite-fille Harriet Marin a décidé d’exhumer sa mémoire.

Ce documentaire raconte une vie rocambolesque. Edward Jones s’est follement enrichi, a dû émigrer, en France en 1937, au Mexique quelques années plus tard, a été emprisonné, kidnappé par la mafia… King of Kings nous plonge dans le Chicago de Scarface, de la Prohibition, de la mafia de Sam Giancana avec lequel Jones et ses frères ont mené un combat à mort. Il évoque aussi les discriminations dont étaient victimes les Afro-Américains.

Pour exhumer cette mémoire effacée, sa petite-fille Harriet Marin est revenue de Paris où elle a immigré à Chicago. Elle a interviewé quelques rares survivants de ces temps anciens – parmi lesquels un lointain cousin, le célèbre Quincy Jones – et des historiens. Elle a rassemblé des archives. Le défaut du montage est d’être lesté d’une musique envahissante et inutile.

Symboles d’un melting pot américain à l’envers, les descendants d’Edward Jones ont essaimé à travers le monde. On a parfois l’impression que ce documentaire a d’abord été réalisé pour eux et que nous, simples spectateurs, avons été conviés à une soirée diapo qui ne nous était pas destinée. Mais l’originalité du destin d’Edward Jones nous autorise à nous y inviter.

La bande-annonce

Papamobile ☆☆☆☆

Un nouveau pape vient d’être élu. C’est un Français qui entend réformer la Curie. Mais les cardinaux lui annoncent que les caisses sont vides. Pour financer son premier voyage à l’étranger, il faut lever des fonds privés. Une chef de cartel agenaise, productrice de pruneaux, installée au Mexique, se propose pour organiser la venue du pape.

Papamobile est arrivé sur les écrans avec une réputation sulfureuse… ou plutôt il n’y est pas arrivé. Car il n’a bénéficié le 13 août, en plein été, que d’une « sortie technique » dans quelques rares salles de six villes reculées de province : Avignon, Bagnoles-de-l’Orne, Saverne, Douvaine, Évian-les-Bains et Romans-sur-Isère… Une explication s’impose.

Tourné en 2023, le film n’a pas trouvé de distributeur. Son producteur, en conflit ouvert avec le réalisateur, a refusé d’investir les 200.000 euros nécessaires à sa promotion et à sa distribution. Mais pour vendre son film à OCS ou à Amazon Prime, qui en le mettant sur leur catalogue satisfont leurs obligations de production de films français, Papamobile devait au préalable satisfaire les conditions minimales de sortie en salles.

Pour voir Papamobile, je suis allé dans l’unique salle parisienne qui le diffuse, à l’unique séance de la semaine où il est programmé (les Franciliens pourront le voir aussi à Vitry et à Livry-Gargan à des horaires improbables). Je pense que la plupart des spectateurs étaient comme moi animés de la curiosité malsaine de voir le pire nanar de l’année.

Nous avons été servis ! Rien ne va dans cette comédie ratée. Ni le scénario faiblard, ni les gags pas drôles, ni les scènes d’action tournées à la va-vite, ni le jeu calamiteux des acteurs, à commencer par l’héroïne qui doit probablement son recrutement au seul fait qu’elle soit la conjointe du réalisateur. Kad Merad assure le service minimum, laissant parfois transparaître son désarroi à s’être embarqué dans pareille galère.

Si quelques spectateurs s’esclaffent, c’est pour se moquer des passages les plus ratés – et ils sont nombreux. Je prends le pari que Papamobile va devenir culte. On le regardera en disant que c’est le plus mauvais film, la comédie la plus ratée, réalisée depuis l’indépassable Attaque de la moussaka géante.

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L’Été de Jahia ★★☆☆

Un centre d’accueil belge héberge des immigrés qui attendent fébrilement le résultat de leur demande d’asile. Parmi eux, Jahia, seize ans à peine, doit veiller sur sa mère, qui souffre de stress post-traumatique. Jahia se lie d’amitié avec Mila, une immigrée biélorusse de son âge.

Il se dégage de L’Été de Jahia le même parfum que celui des films des frères Dardenne, notamment les deux derniers, Jeunes Mères et Tori et Lokita. Quasiment dans les mêmes décors, Olivier Meys, qui avait signé en 2019 Les Fleurs amères, filme à ras du sol, sur un mode documentaire, des adolescents à peine sortis de l’enfance, plongés à leur corps défendant, dans les affres du monde des « grands » : une insertion impossible dans un pays qui ne veut pas d’eux, une maternité précoce.

Les actrices Noura Bance et Sofiia Malovatska ont l’ingénuité des acteurs amateurs des frères Dardenne. Leurs sentiments sont purs, l’amitié qui lentement se noue entre elles est sans concession. Comme dans les films des Dardenne, un événement inattendu coupe le film en deux. L’évoquer, c’est déjà trop en dire. Rien ne l’avait laissé pressentir. On redoute la façon, simpliste, dont le scénario aurait pu en tirer les conséquences. Fort heureusement, il évite cette facilité qui aurait affadi sa trajectoire.

Pudique et émouvant, L’Été de Jahia évite à la fois le misérabilisme et la bien-pensance.

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Un médecin pour la paix ★☆☆☆

Originaire d’une famille de paysans du sud de la Palestine installée à Gaza depuis 1948, Izzeldin Abuelaish est devenu à force de travail un chirurgien reconnu. En 2009, il perd trois de ses filles et sa nièce dans le bombardement de son immeuble par un char israélien. Son témoignage en direct sur une chaîne télévisée israélienne marque durablement la mémoire. Réfugié au Canada avec ses enfants survivants, le docteur Abuelaish plaide pour la réconciliation des deux peuples et encourage l’éducation des jeunes filles. Sa résilience lui a valu le surnom de Mandela du Proche-Orient.
Il a raconté son histoire en 2011 dans une autobiographie traduite en vingt-trois langues Je ne haïrai point : Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix. La documentariste franco-américaine Tal Barda le filme en 2021 à l’occasion de son retour à Gaza pour l’audience devant la Cour suprême du procès en responsabilité qu’il a intenté contre l’Etat israélien.

La façon dont le cinéma raconte le conflit israélo-palestinien mériterait une longue étude. La plupart des fictions et des documentaires qui sortent sur les écrans sont ouvertement pro-palestiniens : No Other Land, Voyage à Gaza, Yallah Gaza… Rares sont ceux qui prennent à bras le corps la complexité des enjeux : Bye bye Tibériade, This is my Land, Foxtrot, les films d’Elia Suleiman bien sûr (Intervention divineLe Temps qui reste), ceux d’Amos Gitai, Les Citronniers… Quasiment aucun n’est ouvertement pro-israélien sinon peut-être Israël, le voyage interdit, le long documentaire autobiographique de Jean-Pierre Lido sorti en 2020.

Dans quelle catégorie ranger celui-là, sorti confidentiellement dans les salles fin avril avant d’en disparaître rapidement ? Tout dépend (hélas) de ses opinions personnelles. Qui est pro-palestinien l’applaudira en affirmant qu’il montre les dégâts provoqués par les opérations militaires incessantes de Tsahal dans la bande de Gaza qui, sous prétexte d’éradiquer le Hamas, asphyxie les civils, leur offrant comme seule perspective la mort ou l’exil. Qui est pro-israélien au contraire se défendra en affirmant que Tsahal mène une guerre juste contre une organisation terroriste, qu’aucune guerre hélas ne produit aucun effet collatéral, que rares sont dans le monde les belligérants qui, comme le montre le film, fournissent des soins médicaux aux populations civiles placées sous la responsabilité de leur ennemi et leur laissent un libre accès à leurs médias et à leurs tribunaux.

Autant dire que faire la critique de ce documentaire est une aventure bien périlleuse.
On peut lâchement se borner à en évoquer les qualités cinématographiques. Et c’est là que le bât blesse. Car ce documentaire à la facture très classique n’en a guère. C’est un sous-produit télévisuel, lesté d’une musique envahissante, comme si la tragédie vécue par ce père éploré avait besoin d’être surlignée. Rien ne justifiait sa sortie en salles.

La bande-annonce

L’Évangile de la révolution ★☆☆☆

En Amérique latine, dans les années 70 et 80, l’Eglise catholique s’est dressée contre les dictatures militaires. Au nom de la « théologie de la libération », elle a pris le parti des plus pauvres contre la domination des plus riches. Elle a appuyé des mouvements révolutionnaires et s’est attiré les foudres du pape Jean-Paul II.

Documentariste altermondialiste, François-Xavier Drouet a beaucoup voyagé en Amérique latine et y a été influencé par les pratiques zapatistes du pouvoir. En bon marxiste, il pensait, de son propre aveu, que la religion se résumait à l’opium du peuple avant de reconsidérer ses certitudes et de porter sur le fait religieux en Amérique latine un regard moins réducteur. Il souligne combien le message porté par la théologie de la libération rejoint celui des mouvements révolutionnaires : agir pour un règne de justice en faveur des plus pauvres.

Son documentaire est divisé en quatre parties qui se déroulent successivement au Salvador, au Brésil, au Nicaragua et au Mexique. On découvre l’histoire souvent mal connue de ces pays où des dictatures se sont heurtées à des mouvements révolutionnaires. Des hommes d’Eglise se sont courageusement dressés contre les pouvoirs établis : Monseigneur Óscar Romero au Salvador, assassiné en 1980 en pleine messe, Dom Hélder Câmara ou Leonardo Boff au Brésil.

En faisant étape au Nicaragua, le voyage auquel nous invite F.-X. Drouet évoque un pays où la dictature a été renversée. La rébellion sandiniste a pris le pouvoir et y a hélas reproduit les mêmes mécanismes de domination que ceux qu’elle entendait éradiquer.

Le choix de ces quatre pays pourra sembler arbitraire. Le documentaire en oublie d’autres, aussi importants dans l’histoire de l’Amérique latine et dans celle de la théologie de la libération, comme le Pérou ou l’Argentine. On pourra également reprocher au montage sa division un peu simpliste qui aurait mieux convenu à un reportage en plusieurs épisodes qu’à un film d’un seul tenant.

Aux quatre épisodes s’ajoute un dernier en forme d’épilogue. Alors que les quatre premiers évoquaient le passé, celui-ci évoque le présent et l’avenir. Il dresse le bilan de la théologie de la libération. Bilan mitigé : certes les dictatures sont tombées, mais la démocratie en Amérique latine reste fragile, comme le montrent l’exemple brésilien et les dérives extrémistes du président Bolsonaro. Quant à la religion catholique, elle souffre de la concurrence grandissante des mouvements évangéliques. F.-X. Drouet filme un sermon hallucinant d’un pasteur dément dans un temple brésilien. Il donne froid dans le dos.

La bande-annonce

Kontinental ’25 ☆☆☆☆

Un clochard se suicide en se pendant à un radiateur durant son expulsion du local qu’il occupait sans titre. Orsolya, l’huissière de justice chargée de cette expulsion, ne se remet pas de ce drame et cherche auprès de son entourage le réconfort.

Dans le très riche cinéma roumain (Mungiu, Puiu, Porumboui….) Radu Jude occupe une place à part : celle de sujets très provocateurs qui critiquent le régime roumain, les discriminations dont il est coupable, et celle d’un traitement formel radical (son dernier film, N’attendez pas trop de la fin du monde comportait un plan fixe de quarante-cinq minutes !).

Kontinental ’25 se présente à nous sous les atours sympathiques d’une comédie avec son affiche arty, son titre  façon Europe 51 et son affiche qui rappelle Audrey Hepburn et les films américains des années 50. Le contre-sens – ou plutôt la tromperie sur la marchandise – ne pouvait pas être plus grand.

Car Kontinental ’25 – dont je n’arrive pas à comprendre le titre – a les deux pieds dans le monde contemporain. Il a été tourné à Cluj, la capitale de la Transylvanie, dont chaque coin de rue est filmé en plans fixes, au point, lors de la dernière séquence d’une vingtaine (?) de plans immobiles successifs, qu’on a l’impression de visiter une exposition photo sponsorisée par JC Decaux. Il met en scène un clochard dont on suit d’abord les déambulations jusqu’à son suicide. Le film alors change de focale et se concentre sur le personnage d’Orsolya, que ses origines hongroises désignent à l’hostilité de la population roumaine.

Le sujet pourrait être intéressant : comment une huissière de justice vit-elle le suicide du clochard qu’elle a expulsé de son domicile ? Mais son traitement devient vite insupportable. Radu Jude filme en plans fixes les longs tête-à-tête qu’Orsolya a successivement avec son mari, avec son patron, avec sa meilleure amie, avec sa mère, avec un ancien étudiant et avec un prêtre. Ces plans interminables et leur logorrhée sont venus à bout de ma résistance, à l’exception peut-être de celui avec l’étudiant qui prend un tour savoureux.

La bande-annonce

Un simple accident ★★★☆

Vahid croit reconnaître, au seul son de sa démarche, le tortionnaire unijambiste qui, des mois durant, l’a martyrisé, les yeux bandés, durant son emprisonnement pour un supposé délit pourtant véniel. Vahid le kidnappe, le ligote, le roue de coups, menace de l’enterrer vivant ; mais au moment de sceller sa vengeance, il est pris d’un doute face aux dénégations de l’individu : n’y a-t-il pas erreur sur la personne ? Pour en avoir le cœur net, Vahid retrouve des compagnons de cellule et essaie avec eux de percer à jour l’identité du captif.

Un simple accident a obtenu la Palme d’or à Cannes. Il est l’œuvre de Jafar Panahi, sans doute le réalisateur iranien le plus célèbre de son époque, auréolé à la fois par la moisson de récompenses prestigieuses obtenues dans tous les festivals du monde (Léopard d’or à Locarno pour Le Miroir, Lion d’or à Venise pour Le Cercle, Ours d’or à Berlin pour Taxi Téhéran…) et par son statut de résistant intransigeant à la censure iranienne qui voulait le bâillonner (il a été assigné à résidence, il lui a été interdit de réaliser des films, une interdiction qu’il a contournée en continuant à filmer au nez et à la barbe (!) des autorités, il a été plusieurs fois emprisonné…).

Autant dire que la sortie de son film était attendue avec impatience. Une impatience décuplée lors de l’avant-première organisée en sa présence fin septembre au Forum des images par le Club Allociné.

Ma première réaction a été un peu mitigée, comme c’est souvent le cas face à un film qu’on nous a survendu. « Tout ça pour ça » me suis-je dit. Et je commençais déjà à nourrir le procès d’un jury qui s’est donné bonne conscience en décernant la Palme à un film si politiquement correct alors que d’autres œuvres, cette année, l’auraient autant sinon plus mérité : Sirāt, Valeur sentimentale, The History of Sound (que je n’ai pas vu mais dont on dit le plus grand bien)….

Mais, en écoutant le débat avec Jafar Panahi, en me documentant sur le film et son arrière-plan, en le laissant lentement infuser, j’ai rapidement mis sous le tapis mes réserves mesquines. Un simple accident est un grand film qui méritait la Palme. La simplicité de son dispositif, presque théâtral (cinq personnes dans un minivan se déchirent sur le sort de leur prisonnier), ne doit pas nous tromper. Il s’agit d’une réflexion puissante sur le pardon, la rédemption et le vivre-ensemble : peut-on pardonner à son tortionnaire ? peut-on l’oublier ? a-t-on le droit de s’en venger sans en devenir à son tour le tortionnaire ?

Un simple accident courait un risque fatal : celui de faire du surplace, une fois les personnages introduits et la situation installée, ou celui, symétrique, de passer d’une scène à l’autre sans rime ni raison. Mais son scénario est remarquable, qui ménage un crescendo jusqu’à une scène finale, ou plutôt à une longue scène qui précède la toute dernière, en plan fixe américain, qui solde tous les comptes. La toute dernière scène est plus brève. Elle a la forme d’un point d’orgue et interroge : l’amie italienne qui m’accompagnait en a eu une compréhension radicalement différente de la mienne.

Paradoxalement, on rit souvent dans Un simple accident qui multiplie les situations cocasses – dont la bande-annonce donne l’avant-goût de quelques unes. Ces scènes désamorcent une tension qui deviendrait vite insupportable (c’est le reproche que je faisais à La Jeune Fille et la Mort, au point de départ très proche). Le revers de la médaille – et c’est le seul reproche que je ferais au film – est que cet humour nous tient à distance de la gravité du sujet. Un simple accident est un film qui m’aura beaucoup fait réfléchir mais qui ne m’aura pas ému.

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La Tour de glace ☆☆☆☆

Dans la Savoie des années 70, Jeanne (Clara Pacini), une jeune orpheline, fugue de son foyer. Elle trouve refuge dans un hangar de la ville voisine qui abrite, le temps d’un tournage, les décors d’un film, La Reine des neiges. La diva Cristina Van der Berg (Marion Cotillard) interprète le rôle principal et fascine Jeanne.

Née en 1961, diplômée de l’Idhec, l’ancêtre de la Fémis, Lucile Hadzihalilovic est l’auteur d’une œuvre rare, d’une grande cohérence, constituée de quatre longs métrages à peine. Tournant le dos aux engagements politiques et sociaux de ses camarades de promotion (Laurent Cantet, Robin Campillo, Dominik Moll…), elle a opté pour un cinéma purement esthétique, hors du temps, flirtant avec le conte. L’enfance et les démons qui la hantent constituent son terreau de prédilection : Innocence, son premier film sorti en 2005, se déroulait dans un pensionnat de jeunes filles, Evolution, son deuxième en 2016, mettait en scène de jeunes garçons soumis à d’inquiétantes expérimentations, Earwig son troisième en 2023 avait pour héroïne une jeune femme édentée appareillée avec un dentier en verre.

La Tour de glace est tout aussi bizarre, tout aussi envoûtant que ces précédents films. Il est construit autour de la fascination qu’exerce sur la jeune Jeanne, une star de cinéma qu’on croirait tout droit sortie d’un magazine de mode. Marion Cotillard – qui en faisait la promotion sur France Télévision devant Léa Salamé avant d’être maladroitement interrogée sur son couple – y est plus impériale que jamais. Son interprétation convoque les grandes figures du cinéma : Marlene Dietrich, Greta Garbo, Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges

On peut se laisser hypnotiser par cette œuvre hypnotisante. Le Monde s’y est laissé prendre qui y voit un chef d’œuvre. J’avoue hélas être totalement hermétique à ce cinéma-là où je m’ennuie ferme, d’autant que le film dure presque deux heures. Envoutant et scintillant pour Le Monde, La Tour de glace m’a semblé surtout ennuyeux et kitsch.

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