Hors-service ★☆☆☆

Cinq (ou six) anciens fonctionnaires qui viennent de quitter leur emploi se retrouvent dans un hôpital désaffecté : un policier, une enseignante, une anesthésiste, une magistrate, un postier. Ils y partagent leur amertume sur le travail qu’ils ont dû abandonner faute de moyens suffisants pour le mener à bien, souvent brisés physiquement et psychiquement.

Hors-service instruit le procès de la casse du service public. Les griefs sont bien connus : les grands services publics (l’école, la Justice, la police, l’hôpital…) sont désormais régis par une logique managériale au détriment tant des usagers qui bénéficient d’un service public dégradé que des fonctionnaires soumis à une logique de rentabilité. Ceux-ci sont désormais placés dans une situation intenable : satisfaire aux critères de performance qui leur sont imposés par leur hiérarchie au risque de sacrifier leurs administrés.

Ce procès hélas n’a rien de nouveau. Il est régulièrement instruit depuis une quarantaine d’années au nom du dépenser moins, du dépenser mieux.

Le documentaire de Jean Boiron-Lajouis vise juste à s’attaquer à ce sujet-là. Mais il vise mal avec un parti pris de mise en scène déconcertant. Il a en effet choisi de rassembler ses protagonistes dans un non-lieu, dans un hôpital désaffecté qu’ils réhabilitent lentement dans le but utopique d’en faire un lieu d’accueil pour d’anciens agents publics en rupture de ban.

Tel est le fil rouge médiocrement crédible de Hors-service qui se réduit vite à de longs dialogues. Pour en rompre la monotonie, le scénariste a proposé à chacun des protagonistes de reconstituer dans une pièce son ancien bureau et d’y rejouer les gestes de sa vie quotidienne. Mais cet artifice particulièrement scolaire ne suffit pas à sortir le film de la lente spirale dans laquelle il s’enfonce : le remâchement d’une déception professionnelle. Sans doute, cet échange aura-t-il permis aux protagonistes de retrouver entre eux un peu de l’estime de soi qu’ils avaient injustement perdue. Mais, faute d’ouvrir des perspectives, ce procès à charge, qui ne laisse pas la parole à l’autre partie, se résume à une ennuyeuse psychanalyse de groupe dont le spectateur se sent exclu.

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Sous tension ★★☆☆

Costas, la trentaine, vit toujours chez sa vieille mère. Il a trouvé un poste d’agent de sécurité à l’hôpital. Il a une fiancée, plus jeune que lui, qui termine ses études à l’université, et un frère, qui élève seule une petite fille que Costas adore.

Sous tension nous vient de Grèce. Son titre original est Wishbone, qu’on aurait pu traduire « furcula » ou « os de la chance ». C’eût été aussi hasardeux que le titre finalement retenu, qui n’a aucun sens.

Sans sirtaki ni ciel bleu, Sous tension se déroule dans les décors anomiques d’une grande ville (Athènes ?) en hiver. On pense aux cinémas roumain ou iranien, à leurs héros, des « Mr Nobody » écrasés par un destin qui les broie.

Costas est pris dans un engrenage dont il ne trouve pas l’issue. Pour payer les dettes contractées par son frère et éviter que la maison hypothéquée de sa mère soit saisie, il doit accepter un marché sordide : témoigner à charge contre un médecin hospitalier dans le procès intenté par un avocat véreux suite au décès d’un patient.

Sous tension hésite entre drame social, sur fond de crise économique grecque, d’appauvrissement généralisé et de déclassement des classes moyennes, et film noir. Sans doute le propos aurait-il pu être resserré et le film tenir en moins de deux heures. Mais en dépit de ses longueurs, Sous tension n’est pas sans intérêt.

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Stups ★★★☆

Au tribunal judiciaire de Marseille comparaissent des hommes et des femmes accusés de participer au trafic de stupéfiants comme vendeurs, comme transporteurs, comme guetteurs ou comme « nourrices » (les personnes qui conservent à leur domicile les stupéfiants). Avec leurs avocats, ils essaient tant bien que mal d’infléchir le président du tribunal, qui ne se laisse pas faire, en niant les faits contre toute évidence ou en invoquant leur vie de galère, leur volonté de se réinsérer ou leur regret d’un acte isolé accompli sous la pression d’un gain élevé et facile.

Cinq ans après nous avoir fait pénétrer au cœur de la prison des Baumettes (Des hommes), Alice Odiot et Jean-Robert Viallet restent dans la cité phocéenne et y tournent un documentaire similaire, aux comparutions immédiates et chez le juge des enfants. On y voit la Justice à l’œuvre, pas celle qui fait la Une des journaux avec ses grands procès médiatiques, sur lesquels tous les internautes, surtout ceux les moins versés en droit pénal, ont un avis définitif, mais celle, quotidienne, qui juge des petits délinquants misérables impliqués de près ou de loin dans le trafic de stupéfiants.

Il y a deux façons de recevoir ce film, selon qu’on soit de gauche ou de droite. La première est d’y voir une Justice de classe, exercée par des Blancs, appartenant aux CSP les plus aisées (les bijoux dorés de la procureure rutilent), maniant une langue absconse que les accusés ne comprennent pas (ah ! les « nonobstant » de la procureure !), maniant parfois à l’égard des accusés une ironie méprisante et versant souvent dans un paternalisme déplacé. La seconde au contraire salue le travail patient des juges qui ne se laissent pas amadouer par les dénégations embrouillées des accusés et les forcent à se confronter à leurs actes et à en assumer les conséquences. Ils se féliciteront qu’à rebours de l’image qui a cours, la Justice ne soit pas si laxiste et emprisonne ceux qui lui sont déférés.

L’immense qualité de Stups est de garder le juste milieu entre ces deux lectures trop tranchées. Elle nous montre la Justice telle qu’elle est, telle qu’elle se fait, confrontée à l’humanité des inculpés qui comparaissent devant elle, mais aussi chargée de rappeler la Loi et la faire respecter. Elle interroge les différentes fonctions de la peine. Sa fonction répressive, protective et dissuasive en premier lieu : la peine sanctionne la commission d’un délit, protège la société de sa réitération et est censée dissuader l’inculpé de la récidive. Sa fonction éducative ensuite : l’accusé est censé sortir de prison dans de meilleures dispositions qu’il n’y est entré, prêt à se réinsérer dans une société qui l’avait temporairement banni.

C’est évidemment sur ce dernier point que le bât blesse. À quoi sert, nous interroge Stups, de mettre en prison des pauvres bougres auxquels la société ne propose aucun espoir et qui fatalement, dès qu’ils seront sortis de prison, comme le montrent d’ailleurs leurs casiers judiciaires bien remplis, n’auront d’autres solutions que de replonger dans la même spirale criminelle ? C’est sur cette interrogation que se clôt le documentaire, sur la condamnation à la prison ferme d’une femme toxicomane, enceinte, violentée par des dealers, acculée à servir de « nourrice » et sur le regard interrogateur de son avocat.

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Marche ou crève ★☆☆☆

Dans une Amérique dystopique ravagée par la guerre civile, les autorités organisent une épreuve cruelle. Elles rassemblent une cinquantaine de jeunes hommes tirés au sort et promettent à celui qui marchera le plus longtemps sans jamais ralentir le rythme une fortune colossale et la réalisation d’un vœu.

The Long Walk est le tout premier roman de Stephen King, publié en 1979 sous pseudonyme. C’est une métaphore à peine voilée de la guerre du Vietnam. Stephen King condamne l’enrôlement forcé de jeunes bleus envoyés à une mort certaine par un pouvoir militariste incarné par la figure monstrueuse du Major (interprété par un Mark Hamill méconnaissable) et oppose à cette barbarie la force de la fraternité humaine.

Francis Lawrence, le réalisateur de la série Hunger Games – dont le point de départ présente une grande similarité avec celui de Marche ou crève – ressuscite ce livre méconnu du « maître du suspense » (sic) américain cinquante ans plus tard. Il résonne différemment dans l’Amérique trumpienne. Lawrence se lance un défi redoutable : se concentrer sur la marche et sur elle seule, comme s’il filmait un long traveling de plusieurs centaines de kilomètres pendant lequel ses personnages ne feront qu’une seule chose : marcher jusqu’à l’épuisement.

Une fois ce défi lancé, on se demande avec gourmandise comment le scénario va le relever. Hélas, la surprise est vite éventée. Une fois les principaux personnages introduits, le film les verra les uns après les autres être éliminés dans des circonstances que les règles du jeu condamnent à être répétitives : celui qui ralentit est, après trois avertissements, exécuté d’une balle sans sommation. Comme de bien entendu [et je ne divulgâche pas grand chose en l’écrivant] ce sont les deux principaux protagonistes, en tête – ou plutôt en pied – d’affiche qui survivent les derniers, le seul suspens [que je ne divulgâcherai pas] étant de savoir lequel des deux survivra le dernier.

Si l’idée de départ de Marche ou crève est sacrément alléchante, son traitement insipide est décevant. Francis Lawrence semble prendre un plaisir malsain à filmer la violence que le roman de Stephen King dénonçait. Pour autant, on voit mal ce qui a poussé la commission de classification à interdire ce film aux moins de seize ans.

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Nouvelle Vague ★★★☆

À la fin des années cinquante, à Paris, quelques jeunes gens bourrés de talent travaillent aux Cahiers de cinéma et rêvent de réaliser leurs premiers films. Le succès des Quatre Cents Coups à Cannes en 1959 les y incite. Parmi eux, Jean-Luc Godard réussit à obtenir un financement d’un producteur, Georges de Beauregard. Il tournera À bout de souffle avec un jeune espoir français, Jean-Paul Belmondo, et une starlette américaine, Jean Seberg, récemment révélée par Preminger.
Le tournage commence à Paris. Les méthodes hétérodoxes de Godard désarçonnent son équipe technique et ses acteurs et ulcèrent Beauregard.

Richard Linklater est décidément un cinéaste étonnant qui, depuis trente ans, loin des modes mainstream, essaie constamment de se remettre en question et de relever de nouveaux défis. Il est l’auteur de la trilogie Before Sunset/ Before Sunrise/ Before Midnight avec le duo Ethan Hawke/ Julie Delpy. Il a surtout réalisé l’un des tout meilleurs films du siècle, Boyhood, qui suit pendant une dizaine d’années, de l’enfance à l’adolescence un jeune garçon élevé par des parents divorcés.

Il relève avec Nouvelle Vague un double pari sacrément culotté : tourner un vrai/faux making of du film le plus iconique de la Nouvelle Vague et retrouver l’esprit pionner de ces jeunes cinéastes iconoclastes.

Le résultat est saisissant d’authenticité. Tourné en noir et blanc et en 4:3, Nouvelle Vague nous replonge dans le Saint-Germain des Prés de Truffaut, Chabrol, Varda et Melville (interprété par Tom Novembre, un des rares noms du casting qui ne compte quasiment que des inconnus), mieux qu’une séance au Champo – qui a droit à son caméo – ne saurait le faire. Je laisse à plus cinéphile que moi le soin de traquer quelques erreurs ; mais, du peu que je connais de la vie et de l’oeuvre de Godard, et du tournage, fameux, d’À bout de souffle, je n’en ai repéré aucune. J’ai au contraire été sensible au soin jaloux avec lequel Linklater reconstitue ce tournage dans les lieux mêmes où il a eu lieu, les acteurs, leur apparence, leur tenue…

Le mieux étant l’ennemi du bien, c’est cette fidélité scrupuleuse qui aurait pu constituer la principale limite du film. L’obsession de la reconstitution aurait pu étouffer tout le reste. Mais Linklater réussit à éviter cet écueil. Si sa reconstitution est ultra-fidèle, elle laisse vivre la folle originalité de Godard, son culot bravache, sa prétention un peu folle de redéfinir la grammaire du cinéma, de le libérer de toutes les contraintes qui l’enserraient. Godard n’a pas trente ans ; mais, avec Truffaut et Chabrol, avec un appétit gargantuesque, il a tout vu pendant ses années aux Cahiers et prétend avoir tout compris du cinéma.

Sous nos yeux, il le réinvente. C’est un pur fantasme de cinéphile devenu réalité.

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King of Kings: à la poursuite d’Edward Jones ★☆☆☆

Qui connaît Edward Jones (1898-1963) ? Il n’a même pas les honneurs d’une page Wikipedia à son nom. Pourtant, il fut l’un des hommes les plus riches des Etats-Unis. Descendant d’esclaves, obligé de fuir le Mississipi sous la menace du Ku Klux Klan, il s’installe avec ses deux frères et sa mère à Chicago et y fait fortune dans l’entre-deux-guerres grâce à un jeu d’argent illégal, l’ancêtre de la Loterie nationale. Sa petite-fille Harriet Marin a décidé d’exhumer sa mémoire.

Ce documentaire raconte une vie rocambolesque. Edward Jones s’est follement enrichi, a dû émigrer, en France en 1937, au Mexique quelques années plus tard, a été emprisonné, kidnappé par la mafia… King of Kings nous plonge dans le Chicago de Scarface, de la Prohibition, de la mafia de Sam Giancana avec lequel Jones et ses frères ont mené un combat à mort. Il évoque aussi les discriminations dont étaient victimes les Afro-Américains.

Pour exhumer cette mémoire effacée, sa petite-fille Harriet Marin est revenue de Paris où elle a immigré à Chicago. Elle a interviewé quelques rares survivants de ces temps anciens – parmi lesquels un lointain cousin, le célèbre Quincy Jones – et des historiens. Elle a rassemblé des archives. Le défaut du montage est d’être lesté d’une musique envahissante et inutile.

Symboles d’un melting pot américain à l’envers, les descendants d’Edward Jones ont essaimé à travers le monde. On a parfois l’impression que ce documentaire a d’abord été réalisé pour eux et que nous, simples spectateurs, avons été conviés à une soirée diapo qui ne nous était pas destinée. Mais l’originalité du destin d’Edward Jones nous autorise à nous y inviter.

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Papamobile ☆☆☆☆

Un nouveau pape vient d’être élu. C’est un Français qui entend réformer la Curie. Mais les cardinaux lui annoncent que les caisses sont vides. Pour financer son premier voyage à l’étranger, il faut lever des fonds privés. Une chef de cartel agenaise, productrice de pruneaux, installée au Mexique, se propose pour organiser la venue du pape.

Papamobile est arrivé sur les écrans avec une réputation sulfureuse… ou plutôt il n’y est pas arrivé. Car il n’a bénéficié le 13 août, en plein été, que d’une « sortie technique » dans quelques rares salles de six villes reculées de province : Avignon, Bagnoles-de-l’Orne, Saverne, Douvaine, Évian-les-Bains et Romans-sur-Isère… Une explication s’impose.

Tourné en 2023, le film n’a pas trouvé de distributeur. Son producteur, en conflit ouvert avec le réalisateur, a refusé d’investir les 200.000 euros nécessaires à sa promotion et à sa distribution. Mais pour vendre son film à OCS ou à Amazon Prime, qui en le mettant sur leur catalogue satisfont leurs obligations de production de films français, Papamobile devait au préalable satisfaire les conditions minimales de sortie en salles.

Pour voir Papamobile, je suis allé dans l’unique salle parisienne qui le diffuse, à l’unique séance de la semaine où il est programmé (les Franciliens pourront le voir aussi à Vitry et à Livry-Gargan à des horaires improbables). Je pense que la plupart des spectateurs étaient comme moi animés de la curiosité malsaine de voir le pire nanar de l’année.

Nous avons été servis ! Rien ne va dans cette comédie ratée. Ni le scénario faiblard, ni les gags pas drôles, ni les scènes d’action tournées à la va-vite, ni le jeu calamiteux des acteurs, à commencer par l’héroïne qui doit probablement son recrutement au seul fait qu’elle soit la conjointe du réalisateur. Kad Merad assure le service minimum, laissant parfois transparaître son désarroi à s’être embarqué dans pareille galère.

Si quelques spectateurs s’esclaffent, c’est pour se moquer des passages les plus ratés – et ils sont nombreux. Je prends le pari que Papamobile va devenir culte. On le regardera en disant que c’est le plus mauvais film, la comédie la plus ratée, réalisée depuis l’indépassable Attaque de la moussaka géante.

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L’Été de Jahia ★★☆☆

Un centre d’accueil belge héberge des immigrés qui attendent fébrilement le résultat de leur demande d’asile. Parmi eux, Jahia, seize ans à peine, doit veiller sur sa mère, qui souffre de stress post-traumatique. Jahia se lie d’amitié avec Mila, une immigrée biélorusse de son âge.

Il se dégage de L’Été de Jahia le même parfum que celui des films des frères Dardenne, notamment les deux derniers, Jeunes Mères et Tori et Lokita. Quasiment dans les mêmes décors, Olivier Meys, qui avait signé en 2019 Les Fleurs amères, filme à ras du sol, sur un mode documentaire, des adolescents à peine sortis de l’enfance, plongés à leur corps défendant, dans les affres du monde des « grands » : une insertion impossible dans un pays qui ne veut pas d’eux, une maternité précoce.

Les actrices Noura Bance et Sofiia Malovatska ont l’ingénuité des acteurs amateurs des frères Dardenne. Leurs sentiments sont purs, l’amitié qui lentement se noue entre elles est sans concession. Comme dans les films des Dardenne, un événement inattendu coupe le film en deux. L’évoquer, c’est déjà trop en dire. Rien ne l’avait laissé pressentir. On redoute la façon, simpliste, dont le scénario aurait pu en tirer les conséquences. Fort heureusement, il évite cette facilité qui aurait affadi sa trajectoire.

Pudique et émouvant, L’Été de Jahia évite à la fois le misérabilisme et la bien-pensance.

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Un médecin pour la paix ★☆☆☆

Originaire d’une famille de paysans du sud de la Palestine installée à Gaza depuis 1948, Izzeldin Abuelaish est devenu à force de travail un chirurgien reconnu. En 2009, il perd trois de ses filles et sa nièce dans le bombardement de son immeuble par un char israélien. Son témoignage en direct sur une chaîne télévisée israélienne marque durablement la mémoire. Réfugié au Canada avec ses enfants survivants, le docteur Abuelaish plaide pour la réconciliation des deux peuples et encourage l’éducation des jeunes filles. Sa résilience lui a valu le surnom de Mandela du Proche-Orient.
Il a raconté son histoire en 2011 dans une autobiographie traduite en vingt-trois langues Je ne haïrai point : Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix. La documentariste franco-américaine Tal Barda le filme en 2021 à l’occasion de son retour à Gaza pour l’audience devant la Cour suprême du procès en responsabilité qu’il a intenté contre l’Etat israélien.

La façon dont le cinéma raconte le conflit israélo-palestinien mériterait une longue étude. La plupart des fictions et des documentaires qui sortent sur les écrans sont ouvertement pro-palestiniens : No Other Land, Voyage à Gaza, Yallah Gaza… Rares sont ceux qui prennent à bras le corps la complexité des enjeux : Bye bye Tibériade, This is my Land, Foxtrot, les films d’Elia Suleiman bien sûr (Intervention divineLe Temps qui reste), ceux d’Amos Gitai, Les Citronniers… Quasiment aucun n’est ouvertement pro-israélien sinon peut-être Israël, le voyage interdit, le long documentaire autobiographique de Jean-Pierre Lido sorti en 2020.

Dans quelle catégorie ranger celui-là, sorti confidentiellement dans les salles fin avril avant d’en disparaître rapidement ? Tout dépend (hélas) de ses opinions personnelles. Qui est pro-palestinien l’applaudira en affirmant qu’il montre les dégâts provoqués par les opérations militaires incessantes de Tsahal dans la bande de Gaza qui, sous prétexte d’éradiquer le Hamas, asphyxie les civils, leur offrant comme seule perspective la mort ou l’exil. Qui est pro-israélien au contraire se défendra en affirmant que Tsahal mène une guerre juste contre une organisation terroriste, qu’aucune guerre hélas ne produit aucun effet collatéral, que rares sont dans le monde les belligérants qui, comme le montre le film, fournissent des soins médicaux aux populations civiles placées sous la responsabilité de leur ennemi et leur laissent un libre accès à leurs médias et à leurs tribunaux.

Autant dire que faire la critique de ce documentaire est une aventure bien périlleuse.
On peut lâchement se borner à en évoquer les qualités cinématographiques. Et c’est là que le bât blesse. Car ce documentaire à la facture très classique n’en a guère. C’est un sous-produit télévisuel, lesté d’une musique envahissante, comme si la tragédie vécue par ce père éploré avait besoin d’être surlignée. Rien ne justifiait sa sortie en salles.

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L’Évangile de la révolution ★☆☆☆

En Amérique latine, dans les années 70 et 80, l’Eglise catholique s’est dressée contre les dictatures militaires. Au nom de la « théologie de la libération », elle a pris le parti des plus pauvres contre la domination des plus riches. Elle a appuyé des mouvements révolutionnaires et s’est attiré les foudres du pape Jean-Paul II.

Documentariste altermondialiste, François-Xavier Drouet a beaucoup voyagé en Amérique latine et y a été influencé par les pratiques zapatistes du pouvoir. En bon marxiste, il pensait, de son propre aveu, que la religion se résumait à l’opium du peuple avant de reconsidérer ses certitudes et de porter sur le fait religieux en Amérique latine un regard moins réducteur. Il souligne combien le message porté par la théologie de la libération rejoint celui des mouvements révolutionnaires : agir pour un règne de justice en faveur des plus pauvres.

Son documentaire est divisé en quatre parties qui se déroulent successivement au Salvador, au Brésil, au Nicaragua et au Mexique. On découvre l’histoire souvent mal connue de ces pays où des dictatures se sont heurtées à des mouvements révolutionnaires. Des hommes d’Eglise se sont courageusement dressés contre les pouvoirs établis : Monseigneur Óscar Romero au Salvador, assassiné en 1980 en pleine messe, Dom Hélder Câmara ou Leonardo Boff au Brésil.

En faisant étape au Nicaragua, le voyage auquel nous invite F.-X. Drouet évoque un pays où la dictature a été renversée. La rébellion sandiniste a pris le pouvoir et y a hélas reproduit les mêmes mécanismes de domination que ceux qu’elle entendait éradiquer.

Le choix de ces quatre pays pourra sembler arbitraire. Le documentaire en oublie d’autres, aussi importants dans l’histoire de l’Amérique latine et dans celle de la théologie de la libération, comme le Pérou ou l’Argentine. On pourra également reprocher au montage sa division un peu simpliste qui aurait mieux convenu à un reportage en plusieurs épisodes qu’à un film d’un seul tenant.

Aux quatre épisodes s’ajoute un dernier en forme d’épilogue. Alors que les quatre premiers évoquaient le passé, celui-ci évoque le présent et l’avenir. Il dresse le bilan de la théologie de la libération. Bilan mitigé : certes les dictatures sont tombées, mais la démocratie en Amérique latine reste fragile, comme le montrent l’exemple brésilien et les dérives extrémistes du président Bolsonaro. Quant à la religion catholique, elle souffre de la concurrence grandissante des mouvements évangéliques. F.-X. Drouet filme un sermon hallucinant d’un pasteur dément dans un temple brésilien. Il donne froid dans le dos.

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