
On ne présente plus Sergei Loznitsa, né en 1964 en Biélorussie soviétique, installé à Berlin depuis 2011, dont la filmographie alterne des documentaires (Maïdan, Babi Yar) et des fictions (Dans la brume, Une femme douce). Le 5 novembre dernier sortait sur les écrans en France Deux procureurs dont j’ai dit le plus grand bien. Trois semaines plus tôt sortait ce documentaire consacré à la vie quotidienne en Ukraine depuis février 2022 et le déclenchement des hostilités russes.
Loznitsa utilise le même procédé que celui qu’il avait déjà employé pour raconter Maïdan : une succession de courtes scènes filmées sans commentaires et montées sans transitions. La première scène est l’enterrement de quatre soldats dans une église orthodoxe. Elle se répètera deux fois, signe que la mort et le deuil font désormais partie du quotidien des Ukrainiens. La guerre, on ne la verra pas directement. Mais on en constatera les stigmates, dans les immeubles écroulés où les secouristes s’affairent pour exhumer des victimes, dans les paysages urbains défoncés, dans ces zones minées et patiemment déminées, dans le corps des anciens combattants mutilés qui suivent une douloureuse rééducation….
Mais si Loznitsa filme la mort, il filme surtout la vie : des mariages, des naissances dans une maternité, des fêtes joyeuses, des enfants à l’école… On ne voit aucune figure officielle. Quand Loznitsa s’approche d’une cérémonie présidée par Zelensky, il ne montrera pas le chef de guerre en treillis, sa caméra préférant s’attarder sur un militaire chargé du service d’ordre qui flirte avec une accorte spectatrice.
De l’invasion proprement dite, de sa chronologie, de ses modalités, on ne dira rien. C’est le (gros) angle mort du film. Loznitsa refuse d’expliquer. Il veut montrer. Mais est-ce suffisant ? En quoi sa démonstration serait-elle moins puissante si elle s’accompagnait de quelques éléments de contextualisation ? On peine à ne pas reprocher au réalisateur son radicalisme qui nous prive de quelques éclaircissements utiles – par exemple sur la localisation des scènes qu’il filme.
Pourrait-on reprocher à ce documentaire de faire œuvre de propagande ? Sans doute. Loznitsa est manifestement en empathie avec ceux qu’ils filment et qui sont les victimes d’une guerre d’agression lancée par un voisin impérialiste. Comment l’en blâmer ? Une scène, une seule, est ambiguë : celle filmée dans une librairie qui rassemble des livres d’occasion dont on comprend bientôt qu’il s’agit d’ouvrages russes voués au pilon (suite à un oukase du gouvernement ? ou parce que leurs lecteurs s’en sont spontanément débarrassés ?).








