Laurent Amédéo (Vincent Lindon) est délégué syndical chez Perrin Industrie à Agen. Le sous traitant automobile bât de l’aile. Deux ans plus tôt, un plan quinquennal de sauvegarde de l’emploi a été signé avec la direction en échange d’une augmentation de la durée de travail sans contrepartie salariale. Mais le groupe allemand auquel Perrin appartient ne veut rien entendre : Agen n’est pas assez compétitif et doit fermer. Laurent Amédéo va se battre. Il ne veut pas du chèque que lui fait miroiter la direction. Il veut sauver son emploi et celui de ses 1100 camarades.
Avec son septième film, Stéphane Brizé est au sommet de son art. Chacun est meilleur que le précédent. Déjà Le Bleu des Villes en 1998 et Je ne suis pas là pour être aimé en 2004, qui racontaient le mal être d’une pervenche pour le premier et d’un huissier de justice pour le second, avaient ce je-ne-sais-quoi qui retenait l’attention. Puis c’est la rencontre avec Vincent Lindon. Mademoiselle Chambon en 2008 d’une rare délicatesse. Quelques heures de printemps en 2012, un film sur l’euthanasie que je défie quiconque de voir sans en être durablement traumatisé. Puis La Loi du marché en 2015 qui vaut à Vincent Lindon, qui campe un chômeur en fin de droit arc-bouté sur le peu de dignité qu’on lui laisse, une Palme d’Or de la meilleure interprétation masculine amplement méritée.
En guerre met en scène le même acteur dans un rôle similaire. Ceux qui ont aimé La Loi du marché y trouveront le même plaisir. C’est le seul défaut de ce film. Et, vu le plaisir qu’on avait pris il y a trois ans au précédent film de Stéphane Brizé, c’est un défaut vite pardonné.
En guerre raconte moins une guerre qu’une grève. Et si le titre n’avait déjà été utilisé avec la postérité que l’on sait par Eisenstein, il lui aurait mieux convenu. Cette grève, c’est celle que Laurent Amedeo et ses camarades de lutte décident de mener contre la decision inique de l’entreprise. Une fermeture et une vague de licenciements doublement injustes car elles interviennent en violation de la parole donnée deux ans plus tôt et qu’elles frappent un site de production qui, nous dit-on, dégage des profits, quand bien même les actionnaires se plaindraient qu’ils ne soient pas suffisants.
Sur un mode quasi documentaire, Stéphane Brizé filme la grève. L’effet de réalité est amplifié par l’utilisation autour de Vincent Lindon d’acteurs non professionnels frappants de vérité. On n’oubliera pas de sitôt Mélanie Rover, la militante CGT à l’accent chantant et aux réparties bien senties, qui a son avenir tout tracé au cinéma si la rage du syndicalisme l’abandonne.
Des grèves au cinéma, on en a déjà filmées beaucoup sans remonter à Eisenstein. Ces dernières années j’ai particulièrement été marqué par deux documentaires : La Saga des Conti en 2013 et Des Bobines et des Hommes en 2017.
Mais ce qui frappe ici, c’est la cohérence du geste cinématographique. Le scénario, la musique, le cadrage, le montage participent tous d’un même but : filmer un combat qu’on croit perdu d’avance. Car c’est cette trajectoire tragique et rectiligne que semble annoncer le film. On ne sait s’il faut saluer sa rigueur ou déplorer son absence de surprise.
Mais la surprise viendra à la fin du film. Une fin qui précisément semble ouvrir les possibles alors qu’on les croyait jusqu’alors condamnées. C’est une fin à tiroirs que je vous laisse découvrir. Il y a d’abord une rencontre qu’on pensait impossible. Et puis il y a un geste insensé, glaçant, monstrueux, tout aussi inattendu que logique. Et ce geste ouvre une perspective que la voix d’un journaliste, la même que celle qui avait ouvert le film deux heures plus tôt, esquisse.