Nos frangins ★★☆☆

Quelques mois à peine après la mini-série qui lui était consacrée, Malik Oussekine, bastonné à mort par la police dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, en marge des manifestations étudiantes contre le projet de loi Devaquet, revient en tête d’affiche. Une affiche qu’il partage avec un autre Arabe, tué le même soir que lui par une bavure policière aussi scandaleuse, mais dont la mémoire collective n’a pas retenu le nom : Abdel Benyahia.

Le réalisateur Rachid Bouchareb tisse une œuvre qui peut se lire comme la construction de la mémoire d’une identité maghrébine en France. Indigènes (2006) racontait l’histoire des  grands-parents, tirailleurs algériens et goumiers marocains, venus combattre en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Hors-la-loi (2010) évoque les parents, engagés pour l’indépendance de l’Algérie. Nos frangins, dont le titre lui a été inspiré par la chanson « Petite » de Renaud (« Cicatrices profondes pour Malik et Abdel / Pour nos frangins qui tombent… ») est un mausolée érigé à ces frères qui n’aspiraient qu’à s’intégrer et qui furent les victimes d’un « racisme ordinaire » qui le leur refusait.

Rachid Bouchareb sait y faire. Son film est haletant. Il entremêle des images d’archives qui ressuscitent une époque, celle de mon adolescence qui garda à jamais le souvenir de ce drame. Car Malik Oussekine est un nom qui résonne à nos oreilles et que nous n’avons pas oublié.

Deux personnages et deux acteurs sortent du lot. Le premier est Samir Guesmi, décidément un des plus doués de sa génération, dans le rôle pourtant silencieux et ingrat, du père d’Abdel Benyahia, d’abord incrédule et bientôt pétrifié par le chagrin. Le second est Raphaël Personnaz – qui est ex aequo avec Anaïs Demoustier l’acteur le plus sexy que je connaisse – dans le rôle fantomatique – et créé de toutes pièces par les scénaristes – d’un inspecteur de l’IGS

Le parti, on l’a dit, de Nos frangins est de réhabiliter la mémoire d’Abdel Benyahia. Ce parti est louable. Mais il nuit à la cohérence d’un scénario qui aurait gagné à se focaliser sur l’étudiant assassiné rue Monsieur-le-Prince.
On découvre, avec son frère (Rada Kateb), stupéfait de cette découverte, que Malik était en train de se convertir au catholicisme et qu’il souhaitait devenir prêtre. Soit. Mais cela importe-t-il vraiment ? Plus intéressant aurait été d’approfondir les conséquences de ce crime : les marches silencieuses organisées dès le lendemain, le retrait du projet Devaquet et la démission du ministre de l’enseignement supérieur, la récupération de cette affaire par François Mitterrand qui lui permettra dix-huit mois plus tard d’être facilement réélu, les conséquences sur le mouvement étudiant et sur toute une génération de militants (Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray, David Assouline…).

Nos frangins présente, à mes yeux, un dernier défaut. Il voudrait nous faire croire que le crime de Malik Oussekine est toujours d’actualité alors que trente-six ans ont passé. L’intégration des immigrés maghrébins s’est améliorée et même si le « racisme ordinaire » n’a pas disparu, les crimes abjects commis à l’époque ne sont plus de mise. Le projet de loi Devaquet a certes été retiré ; mais la sélection à l’entrée des études universitaires et la concurrence entre universités ont finalement été instaurées. Quant aux violences policières, dont le film voudrait nous faire croire qu’elles perdurent, en signalant que les brigades motocyclistes démantelées après l’affaire Oussekine ont été réinstaurées pour lutter contre les Gilets jaunes, elles ont été significativement réduites grâce à l’effet conjugué d’une formation plus stricte, d’une déontologie aux manquements sévèrement sanctionnés et d’une exposition médiatique qui ne permet plus de les cacher.

La bande-annonce

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