Il était une fois l’Amérique : Hospital (1970) ★★★★

À l’occasion de la rétrospective intégrale programmée au Centre Pompidou de l’ensemble de ses films, Meteor Films, son distributeur en France, ressortent en salles trois de ses documentaires réalisés en noir et blanc au tout début de sa carrière, au tournant des années soixante et soixante-dix. Frederick Wiseman y entame son immense radioscopie des institutions américaines : après un hôpital psychiatrique (Titicut Folies) et un lycée (High School), Frederick Wiseman pose sa caméra dans une brigade de police du Missouri (Law and Order), un grand hôpital new-yorkais (Hospital), un tribunal pour mineurs du Tennessee (Juvenile Court).

Les règles de la grammaire qui régira toute son oeuvre sont déjà posées : des documentaires-vérité, tournés avec une équipe minimale (un cadreur et Wiseman lui-même qui se charge de la prise de son), des heures de rushes, aucun carton explicatif, aucune voix off pour contextualiser et expliquer des images qui parlent d’elles-mêmes grâce à un énorme travail de découpage et de montage.

Hier soir, une conférence-débat était organisée au MK2 Beaubourg devant une salle comble, appâtée par la présence du réalisateur. Hélas, Frederick Wiseman, affaibli par le grand âge (il aura quatre-vingt-quinze ans le 1er janvier) a dû se décommander. Le débat, animé par Hervé Brusini, n’en a pas moins été passionnant. Y participaient Charlotte Garçon des Cahiers du cinéma, la sociologue Nadège Vézinat dont sort aujourd’hui en librairie Le Service public empêché et le documentariste Jean-Xavier Lestrade (Un coupable idéal, Laëtitia) qui a adressé aux films de Wiseman le plus juste des compliments : « ils nous rendent plus intelligents ».

Je pensais avoir vu les meilleurs documentaires de Wiseman et plaçais tout en haut Welfare sur les déshérités qui affluent dans un centre d’assistance sociale à New York. Mais Hospital m’a plus enthousiasmé encore au point que c’est lui que je conseillerais à qui n’aurait jamais vu de documentaire de Wiseman.

On y découvre, de l’intérieur, le fonctionnement d’un grand service public. On y découvre ses employés dévoués mais débordés et ses usagers qui ne demandent qu’une chose : qu’on leur manifeste un peu d’humanité. Les scènes, captées sur le vif, se succèdent dans un tempo qui ne languit jamais. On y voit un gamin en larmes abandonné à lui-même pour lequel les infirmières cherchent désespérément un lit, un travesti pris en charge par un psychiatre qui essaie sans succès d’en confier le soin à l’assistance sociale qui n’en veut pas, une femme âgée, intubée, qui manque de mourir d’un grave œdème pulmonaire, veillée par un prêtre en soutane…

Hospital ressemble à la vie. On y traverse toute une gamme d’émotions. On est ému aux larmes du corps squelettique d’un malade, dont on pressent la fin prochaine, silencieusement ausculté par un médecin. On rit à gorge déployée devant un jeune beatnik sous emprise vomissant tripes et boyaux en plein bad trip. Le film dure 1h24 et on est frustré qu’il se termine si vite – Wiseman aura entendu notre frustration dont les films suivants seront beaucoup plus longs au point de friser l’overdose.

Jean-Xavier de Lestrade a encore raison en citant les deux réalisateurs qui ont influencé son travail et celui de tous les documentaristes français : Wiseman et Depardon. D’ailleurs Hospital rappelle Urgences de Depardon, tourné à l’Hôtel-Dieu de Paris avec le même dispositif une vingtaine d’années plus tard. Sur les deux rives de l’Atlantique (Wiseman s’est installé en France et y a réalisé plusieurs films, sur la Comédie-Française, l’Opéra de Paris, le Crazy Horse ou le restaurant gastronomique des frères Troisgros à Roanne), Wiseman filme les institutions, ceux qui y travaillent, ceux qui en sont les usagers ou les clients. À rebours de tout manichéisme, sans en faire ni le procès ni la publicité, il en décortique le fonctionnement, en révèle les injonctions contradictoires. Magistral.

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Silex and the City, le film ★☆☆☆

Inutile de présenter au Paléolithique, 40.000 ans av. J.-C., la famille Dotcom, le père, Blog, professeur de chasse, la mère, Spam, professeure de préhistoire-géo, et leurs deux enfants, la fille Web, en pleine crise d’adolescence, et le fils Url, militant « alter-darwiniste ». Les bandes dessinées créées par Jul en 2009 et publiées chez Dargaud (le dixième opus est sous presse) puis la centaine de mini-épisodes de trois minutes à peine diffusés sur Arte de 2012 à 2017 leur ont valu une grande notoriété. Après les BD, après la série TV, l’évolution logique de ce produit populaire appelait le film sur grand écran.

Pour réaliser un long métrage, Jul, assisté à la réalisation par Jean-Claude Guigue, s’est donné les moyens de ses ambitions. Il a rassemblé un casting impressionnant avec des acteurs confirmés (Guillaume Gallienne, Frédéric Pierrot, Raphaël Quénard, Léa Drucker…) et des guest stars improbables (Frédéric Beigbeder, Amélie Nothomb et…. François Hollande !). le problème est que le film va tellement vite qu’on ne les reconnaît pas tous.

Tel est d’ailleurs le reproche plus global qu’on pourrait adresser à cette adaptation. Elle fonctionne selon la même formule que les épisodes de trois minutes : la satire de notre époque dans un univers paléolithique à coup de jeux de mots potaches (les parents Dotcom enseignent en « zone d’évolution prioritaire ») et d’anachronismes décalés. Mais ce qui fonctionne pendant trois minutes ne fonctionne pas de la même façon pendant une heure vingt. Les jeux de mots s’enchaînent à un tel rythme qu’on en rate une bonne partie et que, quand bien même on les saisirait, ils deviennent vite lassants. D’autant que le prétexte du film – Blog et Web ramènent d’un voyage dans le temps, filmé en caméra réelle, une clé coudée  Ikéa qui révolutionne leur civilisation – n’est pas suffisamment intéressant pour maintenir l’intérêt. Dommage…

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Langue étrangère ★★☆☆

Fanny (Lilith Grasmug, l’héroïne habitée par la grâce de Foudre) est lycéenne. Elle part en Allemagne à Leipzig chez sa correspondante allemande, Lena. Les deux adolescentes sont aussi dissemblables que possible. La brune Fanny est timide ; la blonde Lena est extravertie et militante.

Tout est inscrit dans ce titre polysémique. Langue étrangère renvoie d’abord à une expérience, aussi traumatisante qu’excitante, que beaucoup d’adolescents ont vécue : le séjour linguistique dans un pays étranger, dont on ne possède que quelques rudiments scolaires de la langue, loin de ses parents pour la première fois de sa vie, dans un foyer étranger dont les us et les coutumes sont inconnus, l’occasion de quelques timides transgressions (la première cigarette, la première cuite….).
Langue étrangère renvoie à un autre registre que la bande annonce spoile : l’attirance homosexuelle de Fanny pour sa correspondante et l’occasion de premières et timides expérimentations.

À ce cahier des charges déjà bien rempli se rajoutent encore quelques strates au risque de la surcharge : les grandes questions politiques qui mobilisent la jeunesse (la lutte contre le réchauffement climatique, la mobilisation anti-fasciste….) et la relation ados-parents ici incarnés par deux stars allemande et française, Nina Hoss, à contre-emploi dans un registre auquel cette immense actrice ne nous avait pas habitués, et Chiara Mastroianni dont je trouve qu’en vieillissant, elle se « deneuvise » de plus en plus, pour le meilleur et pour le pire.

J’avais beaucoup aimé les précédents films de Claire Burger, C’est ça l’amour en 2018 et, plus encore, Party Girl en 2013 co-réalisé avec Maria Amachoukeli. Je n’ai pas été déçu par ce Langue étrangère, ardent et bien écrit, dont le scénario, dont on aurait pu craindre qu’il fasse du surplace, réussit à créer de la tension autour d’un mystère qui se dissipe lentement.

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Anaïs 2 chapitres ★★★☆

Anaïs est une jeune agricultrice bretonne qui, contre vents et marées, a décidé de produire sur son petit lopin de terre des plantes aromatiques.

Marion Gervais rencontre en 2012 Anaïs Kerhoas dans un petit village d’Ille-et-Vilaine. La jeune herboriste habite dans une caravane, sans eau ni électricité. Elle n’a qu’une idée en tête, malgré les difficultés qu’elle rencontre : cultiver des plantes et en faire des tisanes. La réalisatrice la filme dans un moyen métrage de quarante-six minutes Anaïs s’en va-t-en guerre. Elle la retrouve dix ans plus tard sur son petit lopin de terre, endurcie par l’expérience et toujours aussi déterminée. Cette fois-ci elle livre un nouveau combat pour construire sa vie de couple avec Seydou, un ressortissant sénégalais.

La vie à la ferme est, avec l’hôpital et l’école, un des nouveaux sujets de prédilection du cinéma contemporain. On ne compte plus les fictions (Petit PaysanAu nom de la terre…) ou les documentaires (La Ferme des Bertrand, Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettesSans adieuProfils paysansBovines…) qui lui sont consacrés. Ils racontent tous un peu la même histoire : l’attachement des agriculteurs à leur métier, sa nécessité économique et écologique, les épuisantes difficultés auxquelles ils sont confrontés et la vie harassante et misérable à laquelle ils se condamnent en l’exerçant.

Ce documentaire joue la même musique, mais sur un ton différent grâce à son héroïne. La caméra ne la quitte pas d’une semelle. Et on est ravi de la persévérance de sa réalisatrice qui, à dix ans de distance, a ajouté un second volet à son premier chapitre. Le second répond implicitement à la question posée par le premier : l’entêtetement d’Anaïs a-t-il payé ? Il faut dire qu’on ne voyait pas un brillant avenir à cette jeune femme si mince, si frêle qu’un coup de vent manquerait l’emporter, accroupie dans ses « plantes », arrachant à la main les mauvaises herbes. Certes, elle est déterminée à se battre et le clame haut et fort ; mais cet entêtement don-quichottesque est-il un gage de réussite ? On en doute en espérant se tromper.

Dix ans ont passé. Anaïs a mûri ; mais elle a gardé la même silhouette fluette. Qu’est-il advenu de son commerce ? On le devine sans en être tout à fait certain. Marion Gervais la filme dans une autre bataille qu’elle mène avec la même détermination inentamée. Il s’agit de faire venir de Casamance son amoureux, rencontré Dieu sait comment (les réseaux sociaux ? des vacances à Ziguinchor ?). Là encore, on ne parie pas cher sur ses chances de succès. Les services préfectoraux accorderont-ils à Seydou son visa ? Et, s’il s’installe en Ille-et-Vilaine, avec sa femme, s’accoutumera-t-il à la vie paysanne ?

Anaïs, 2 chapitres ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma. Mais son héroïne est tellement solaire, tellement sympathique, son projet de vie tellement atypique, l’énergie qu’elle déploie pour le mener à bien tellement communicative que ce documentaire-là devrait être  remboursé par la Sécu !

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Dahomey ★☆☆☆

En novembre 2021, vingt-six pièces des collections du musée du Quai-Branly, que le corps expéditionnaire du colonel Alfred Dodds avait ramenées du pillage de la ville royale d’Abomey en 1892, ont été restituées au terme d’un accord conclu entre la France et le Bénin. Mati Diop filme leur départ du Quai-Branly, leur arrivée à Cotonou où elles sont exposées au Palais présidentiel, exceptionnellement ouvert au public à l’occasion et le débat que cette restitution suscite parmi les étudiants de l’université.

La jeune cinéaste Mati Diop a fait des débuts retentissants en ratant de peu la Palme d’or à Cannes en 2019 avec Atlantique. Son film suivant est un documentaire d’une heure et huit minutes seulement, qui a obtenu l’Ours d’or à la dernière Berlinale.

Son parti pris est poétique. Elle choisit de donner la parole à l’une des pièces restituées, la vingt-sixième, la statue anthropo-zoomorphe (!) du roi Ghezo. Elle utilise pour cela un synthétiseur qui mixe les voix d’hommes et de femmes. La statue récite en langue fon un texte de l’écrivain haïtien Makenzy Orcel. Les sous-titres sont rédigés en écriture inclusive pour souligner peut-être l’universalité de sa parole et ne pas la réduire seulement à celle d’un monarque mâle.

Ce parti pris est discutable. On aurait aimé en savoir plus sur le retour de ces vingt-six pièces. Comment sont-elles arrivées en France ? Pourquoi la France, cent-vingt ans plus tard, a-t-elle accepté de les restituer au Bénin ? Quelles ont été les conditions financières de cette restitution ? Une loi a-t-elle dû être votée par le Parlement français pour ratifier cet accord international et/ou modifier les dispositions de notre législation ? Le Bénin a-t-il dû fournir des garanties sur leurs futures conditions de conservation ? Quelles voix se sont élevées en faveur de cette restitution ? Quelles autres s’y sont opposées ? Nous n’en saurons rien.

La seule place laissée au débat est celle du dernier tiers du film qui se déroule à l’Université. On apprend dans le dossier de presse que ce débat a été organisé pour les besoins du film, ce qui ôte une grande part de son authenticité. Ce qui frappe, c’est la faiblesse des arguments échangés. Les jeunes étudiants béninois se plaignent d’avoir été élevés et éduqués dans l’ignorance de leur culture. Ils regrettent d’utiliser la langue du colon, le français, au détriment de leur langue primaire. Ils voient dans la restitution de vingt-six pièces seulement, alors que des milliers seraient encore conservées en Europe une « insulte » – ce à quoi une oratrice répond très pertinemment que cette restitution ne constitue qu’un début et qu’au lieu de s’en plaindre, mieux vaudrait réfléchir aux moyens d’en préparer d’autres. Ils récusent la notion, occidentalo-centrée de musée et souhaitent que les pièces restituées soient replacées dans leur environnement original.

Dahomey traite un sujet passionnant : les œuvres d’art qui peuplent les musées occidentaux et qui y sont parvenus souvent par des pillages ou, à tout le moins, des spoliations pour des sommes ridicules, doivent-elles être restituées à leur pays d’origine ? Les marbres d’Elgin à la Grèce ? La Joconde à l’Italie ? L’obélisque de la Concorde à l’Égypte ? Mais les choix de sa réalisatrice pour traiter ce sujet-là sont frustrants.

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Une vie rêvée ★★☆☆

Après avoir perdu sa maison, son emploi, s’être couverte de dettes, Nicole (Valéria Bruni-Tedeschi), la cinquantaine, se retrouve dans une cité HLM du Val-de-Marne, coincée avec son fils, Serge (Félix Lefebvre), dans un appartement minuscule.

Je ne serais pas allé voir Une vie rêvée si les hasards de la programmation ne m’y avaient pas contraints (poke DB qui l’a vu exactement pour les mêmes raisons et un coup de chapeau aux distributeurs qui ont réussi, à attirer au moins deux spectateurs involontaires). Son pitch ne me tentait guère. Son interprète principale non plus : Valérie Bruni Tedeschi semble s’être fait une spécialité de rôles hystériques et exaspérants, une Isabelle Huppert plus jeune, une Sandrine Bonnaire moins sage.

Pendant une heure, j’ai poussé des soupirs d’exaspération devant une histoire qui enchaînait laborieusement toutes les scènes attendues : Nicole et son banquier, Nicole et son fils, Nicole et sa nouvelle amie (Lubna Azabal)…. Mon exaspération a cédé durant la dernière demi-heure. L’histoire y prend un tour inattendu. Est-il crédible ? je n’en suis pas certain. Mais il n’en est pas moins réjouissant.

Et l’honnêteté me force à reconnaître que Valérie Bruni Tedeschi était parfaite dans ce rôle.

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Tatami ★★★☆

L’équipe iranienne de judo participe en Géorgie aux championnats du monde. Dans la catégorie des moins de 60kg, Leila (Arienne Mandi impressionnante de puissance et de ténacité) a de bonnes chances de médaille. Mais la politique s’en mêle confrontant Leila et sa coach Maryam (Zar Amir) à des choix cornéliens.

L’identité des deux co-réalisateurs de Tatami interpelle : Guy Nattiv est Israélien, installé aux Etats-Unis, Zar Amir est Iranienne et vit en France depuis 2008. Son rôle dans Les Nuits de Mashhad lui a valu un prix d’interprétation à Cannes en 2022.

Sous de tels auspices, Tatami ne peut être qu’un film politique. Tatami dénonce la situation des femmes en Iran, condamnées à porter, même dans la pratique du sport, le hijab. Il dénonce l’antisionisme des mollahs et son refus obstiné de tout contact avec des sportifs israéliens. Il dénonce les méthodes répressives utilisées par le régime pour faire pression sur ses ressortissants et les faire rentrer dans le rang.

Il s’inspire de plusieurs histoires vraies : celle d’une joueuse iranienne de taekwondo qui a fait défection avec son mari et celle d’un judoka iranien qui, sous la pression de sa fédération, avait déclaré forfait pour éviter de combattre un adversaire israélien (le régime refuse toute rencontre avec les représentants de ce qu’il appelle « le régime d’occupation sioniste »). Mais précisons que la fédération iranienne n’envoie pas de judokates dans des compétions internationales ; car le port du hijab y est en effet interdit en raison des risques d’étranglement qu’il occasionnerait.

Mais Tatami ne se résume pas qu’à ce seul plaidoyer, aussi admirable et nécessaire soit-il. C’est un film qui n’oublie pas le cinéma. Il est tourné en noir et blanc dans un lieu quasi-unique, le palais des sports de Tbilissi, croisement baroque d’architecture soviétique et brutaliste. Unité de lieu donc mais aussi unité de temps : le film se déroule en temps réel – je me suis demandé, sans en rien savoir, si les matches de judo se succédaient à un rythme aussi rapide dans une compétition internationale. Le tout donne au film un tempo intense qui nous maintient en haleine tout du long.
Dernière qualité : le personnage de Maryam, qu’on pensait secondaire et qu’on craignait de voir enfermé dans une caricature, celle de la gardienne des valeurs du régime, et qui se révèle beaucoup plus subtil.

Une amie m’a dit avoir été déçue par l’épilogue. Certes, celui-ci met un peu trop les points sur les i. On l’aurait compris sans besoin de l’expliciter autant. Pour autant, il m’a semblé moins prévisible que je l’escomptais. En dire plus vous priverait du plaisir de le découvrir.

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À son image ★★☆☆

Antonia est photographe de métier. Après une nuit bien arrosée, elle se tue sur la route de Calvi. Ses proches la pleurent. Son parrain préside son enterrement.

À son image est l’adaptation très fidèle, à quelques scènes près, du roman éponyme de Jérôme Ferrari publié en 2018 (six ans après Le Sermon sur la chute de Rome qui lui valut le Goncourt). C’est le quatrième long métrage de Thierry de Peretti. Les deux hommes ont le même âge et le même attachement contrarié à la terre corse. Les romans du premier, les films du second en portent le témoignage – et pourraient d’ailleurs être la matière d’une stimulante étude universitaire intitulée : « Le nationalisme corse à travers les œuvres de JF et de TdP ».

À son image se veut à la fois la biographie d’une jeune femme corse trop tôt décédée et l’histoire de la naissance du FNLC et ses scissions meurtrières de 1980 aux années 2000.

Mais avec leurs deux sujets, le roman comme le film maintiennent une distance. Thierry de Peretti filme ses personnages à distance. Il ne s’autorise quasiment aucun plan serré. On reste à la surface de la vie d’Antonia dont on ne comprend pas clairement les ressorts de sa passion pour la photographie ou son amour pour Pascal, le beau nationaliste. On reste aussi à la surface de l’histoire du FLNC dont ne sont évoquées que quelques bribes.

Le résultat est paradoxal. Il a un rythme inhabituel. Les scènes sont courtes. Leur chronologie est confuse. Les acteurs pour la plupart amateurs jouent terriblement mal et semblent n’avoir été choisis que pour une seule qualité : leur maîtrise de la langue corse. Ils ne changent pas alors que l’action est censée se dérouler sur plus de vingt années.

Mais ces défauts peuvent se muer en qualités. À son image n’a certes pas le rythme bien huilé des films auxquels on est habitué. Mais il en a un autre, inhabituel, dérangeant, peut-être maladroit mais original. La vie qu’il raconte n’a pas la fluidité des biopics hollywoodiens. Par exemple on ne comprend pas le départ d’Antonia pour la Yougoslavie, sinon par son désir de s’évader de l’atmosphère étouffante et nombriliste de son île. Mais cette absence de fluidité me semble plus réaliste, plus crédible que d’autres biographies trop bien huilées.

Enfin et surtout, Jérôme Ferrari et Thierry de Peretti évitent tout manichéisme. Leur roman/film n’est pas une publicité coproduite par le Conseil régional de Corse à la gloire de l’Île de beauté. Il n’est pas plus un procès à charge contre les dérives du FNLC. C’est plutôt une déclaration d’amour ambiguë à une terre et à ceux qui l’habitent et qui ont parfois le défaut de trop l’aimer.

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