Thierry Michel a bientôt soixante-dix ans. Ce documentariste belge, natif de Charleroi, a filmé le Congo sous toutes ses coutures. L’Empire du silence est le treizième documentaire qu’il consacre à ce pays-continent, grand comme l’Europe, qui compte parmi les plus pauvres du monde malgré ses immenses richesses géologiques. Le douzième, en 2015, était consacré à Denis Mukwege, ce courageux gynécologue qui soigne les victimes de guerre au Kivu et qui s’est vu décerné le prix Nobel de la paix trois ans plus tard.
Son discours de réception à Oslo constitue le fil directeur de L’Empire du silence. Il y rappelle brièvement à ceux qui ne la connaîtraient pas l’histoire de son pays, écrasé pendant trente ans par la dictature mobutiste, dévasté depuis 1996 par une « guerre mondiale africaine » (l’expression est de l’africaniste Gérard Prunier). Il y dénonce surtout le silence étourdissant qui entoure les maux qui affligent la population congolaise dans l’indifférence médiatique générale.
L’Empire du silence a des allures testamentaires. Avec lui, Thierry Michel semble boucler la boucle d’une oeuvre kaléidoscopique qui donnait à voir plusieurs facettes du « drame congolais » (pour reprendre le titre d’un essai éclairant de Colette Braeckman) : la kleptomanie des élites dirigeantes (Zaïre, le cycle du serpent, 1992), la personnalité ubuesque de son dictateur (Mobutu, roi du Zaïre, 1999), le pillage des ressources naturelles de la plus riche province minière du Congo (Katanga Business, 2009), l’assassinat d’un opposant politique (L’Affaire Chebeya, 2011)…
Dans L’Empire du silence, le propos est moins original. Avec beaucoup de pédagogie, une voix off parfois un peu encombrante et le recours à un appareil cartographique très éclairant, Thierry Michel explique comment la première guerre du Congo a éclaté en 1996, comment Paul Kagamé et Yoweri Museveni, les leaders rwandais et ougandais, par défiance à l’égard des extrémistes hutus réfugiés au Kivu, ont soutenu la rebellion congolaise de Laurent-Désiré Kabila jusqu’à ce qu’elle renverse un Mobutu vieillissant. Il explique ensuite comme la deuxième guerre du Congo a débuté deux ans plus tard lorsque le nouveau président congolais a entendu se débarrasser de la pesante tutelle de ses mentors.
En racontant ses pages sombres de l’histoire congolaise, Thierry Michel convoque quelques images d’archives particulièrement saisissantes qui montrent d’immenses colonnes de réfugiés faméliques fuyant la guerre et laissant sur les bas-côtés des cadavres par centaines.
Les efforts déployés par les Nations-Unies pour prévenir ces crimes, pour enquêter sur leurs auteurs et, si possible, pour les juger, sont l’autre volet de ce documentaire. Thierry Michel revient sur le massacre de Mbandaka en mai 1997 commis par les rebelles de Kabila sur des civils et soigneusement dissimulé à la mission d’enquête de l’Onu. Il revient également sur l’assassinat de sang-froid de deux enquêteurs de l’Onu américain et suédois en 2017, filmé par les criminels eux-mêmes avec leurs téléphones portables. Il évoque les sinistres personnages de Laurent Nkunda et de Jean-Pierre Bemba en omettant de signaler que l’un et l’autre ont été arrêtés et incarcérés.
Même si L’Empire du silence fait oeuvre utile de pédagogie, je lui adresserai deux reproches. Le premier est de ne rien nous apprendre que nous ne sachions déjà sur les épreuves traversées depuis un quart de siècle par le Congo. Le second est de le faire en répétant une antienne paradoxale : le Congo serait victime de l’indifférence de la communauté internationale et du silence des médias, alors que l’existence même de ce documentaire et sa diffusion démontrent le contraire.
Bonjour.
Vos deux reproches me paraissent assez fallacieux.
Le premier : on apprend rien. Premièrement peut-être est-ce vous qui n’apprenez rien mais personnellement j’ai beaucoup appris. Deuxièmement le docu n’a semble-t-il pas vocation à faire des révélations mais plutôt un bilan à portée des non initiés à cette histoire.
Le second : l’existence même du documentaire prouve qu’il n’y a pas d’indifférence de la communauté internationale. Je ne comprends pas cette soi-disant preuve. Premièrement cela voudrait dire qu’il n’est pas légitime de faire un documentaire engagé dès lors qu’il n’y a pas d’indifférence. Mais alors il faudrait cesser tous les combats dès que l’intérêt de la communauté existe ? Comme si l’intérêt égalait à une victoire… Deuxièmement la simple existence du documentaire ne suffit pas attester de l’existence de cet intérêt, ni à le provoquer. Si l’on peut espérer le soutien de l’opinion publique, encore faudrait-il que le film ait un minimum de succès. Je ne suis pas certain de ce dernier. La séance à laquelle je suis allé a fait deux entrées…
Bien cordialement.