On se souvient tous que trois jours après l’attentat du Bataclan, Antoine Leiris avait posté sur Facebook un texte poignant. Sa compagne, la mère de son petit garçon, âgé d’un an à peine, venait de décéder. Aux auteurs de l’attentat, il écrivait : « Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils mais vous n’aurez pas ma haine. (…) Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un oeil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu »
Quatre mois plus tard, il publie chez Fayard un court essai dans lequel il raconte les douze premiers jours « d’une vie à trois qu’il faut poursuivre à deux ». Succès de librairie immédiat.
Son adaptation au cinéma est une fausse bonne idée. Bien sûr, elle parie sur la notoriété de son auteur et de son texte, espérant attirer une audience captive de lecteurs curieux. Le pari ne va pas de soi : tous les lecteurs d’Antoine Leiris iront-ils voir ce film ? Leur émotion n’aura-t-elle pas déjà été entamée par les autres films consacrés aux attentats du 13 novembre 2015 dont les hasards de la programmation provoquent la sortie en masse ces dernières semaines : Revoir Paris avec Virginie Efira, Novembre avec Jean Dujardin ?
Fidèle au livre, Vous n’aurez pas ma haine suit pas à pas Antoine depuis le matin de ce funeste vendredi 13 dont on sait par avance que ce sera le dernier qu’il partagera avec sa femme. On le scrute, avec un voyeurisme malaisant, tandis qu’il apprend les fusillades au Stade de France puis au Bataclan, comme nous l’avons tous fait ce soir-là et comme nous en avons tous gardé le souvenir si précis. Mais on sait que l’inquiétude vite levée que nous avons tous plus ou moins vécue aura pour lui des suites autrement dramatiques. On le suit ensuite durant les jours qui suivent les attentats entamer avec résilience un long deuil, entouré de la sollicitude de ses proches, avec son fils désormais orphelin.
L’écriture de ce texte soulevait deux questions intéressantes : pourquoi Antoine Leiris l’a-t-il écrit ? quelles conséquences a-t-il eues sur sa vie ?
Hélas le film ne répond ni à l’une ni à l’autre. Ou bien il y répond mal. Ou bien encore les réponses qu’il y donne sont d’une telle banalité qu’elles n’ont aucun intérêt.
On ne saura rien du passé d’Antoine Leiris sinon qu’il était encalminé dans l’écriture d’un roman qui n’avançait pas. On ne saura pas ce qui l’a incité à écrire ce texte sur Facebook. Il dira plus tard l’avoir écrit d’un trait durant la sieste de son fils. On ne saura pas surtout ce qui l’a incité à y faire preuve d’une si grande magnanimité à l’égard des assassins de sa femme. Car c’est bien là le point le plus intéressant de ce texte, sur lequel le film ne nous dit rien : qu’y avait-il, dans la vie d’Antoine, dans ses engagements politiques, dans sa philosophie de vie, qui l’a incité à faire preuve d’une telle lucidité et d’une telle intelligence ?
On ne saura guère plus des conséquences de la publication de ce texte et de la soudaine notoriété qu’elle a conférée à Antoine Leiris. On le voit faire la tournée des plateaux. Il est désormais reconnu dans la rue par des inconnus. Et après ?
Faute de creuser ces sujets-là, Vous n’aurez pas ma haine s’enlise dans un pathos sirupeux, certes efficace (il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas verser sa larme) mais sans grand intérêt.