Avocate pénaliste, Rita Moro (Zoe Saldaña) est recrutée par Manitas del Monte (Karla Sofia Gascón), un seigneur de la drogue mexicain, pour une mission très particulière : organiser son changement de sexe, simuler sa disparition et accompagner en Suisse sa femme (Selena Gomez) et ses enfants.
Tout ou presque a déjà été dit sur le dixième film de Jacques Audiard. À Cannes, en mai dernier, il a raflé deux prix : celui du Jury – ce qui laisse penser qu’il a raté de peu la Palme d’or – et celui de l’interprétation féminine pour ses quatre actrices – solution un peu batarde pour réconcilier ceux qui voulaient l’attribuer à Zoe Saldaña et ceux qui lui préféraient Karla Sofia Gascón. En couverture de Télérama et de Première, Emilia Perez est accueilli par une critique d’autant plus enthousiaste que l’été cinématographique a été pauvre en sorties retentissantes. Certes quelques voix dissidentes se font entendre (Les Cahiers du cinéma, Les Inrocks) ; mais elles sont largement minoritaires.
Le thème du film est à la fois trop improbable pour être crédible et trop dans l’air du temps pour ne pas être suspect : la réassignation de genre d’un chef de cartel, interprété par une actrice qui, elle aussi, a vécu dans sa chair la même transition. Il n’y a aucun suspens autour de cet enjeu, qui est annoncé dans la bande annonce, révélé dès le début du film et qui en constitue le principal argument publicitaire. L’identité est un thème passionnant, qui d’ailleurs traverse le cinéma d’Audiard depuis ses tout premiers films (Un héros très discret racontait l’histoire d’un homme ordinaire qui se faisait passer pour un héros de la Résistance). Il aurait pu être plus creusé encore ici : pourquoi Manitas décide-t-il de changer de sexe ? par une irrésistible pulsion refoulée depuis l’enfance ? pour échapper à ses rivaux ? pour consacrer sa vie désormais au Bien ?
Plus que par son sujet, c’est par son traitement que Emilia Perez impressionne. C’est un film hybride, qui mêle les genres. Une comédie musicale servie par la musique de Camille et de son compagnon Clément Ducol et par les chorégraphies endiablées de Damien Jalet. Le genre, artificiel à souhait, est casse-gueule. Il ralentit la narration. Pour un peu que les chansons ou leur interprétation soient ratées, tout peut chavirer. Ce danger est évité de justesse dans certaines séquences dispensables. Mais Emilia Perez tient crânement la route, entre polar et mélo.
Emilia Perez n’est peut-être pas le meilleur film de Jacques Audiard. Un prophète le surpassait à mon avis. Pour autant, la capacité de ce réalisateur, aux soixante-dix ans bien sonnés, de se réinventer dans chacun de ses films (le western avec Les Frères Sisters ou la comédie sentimentale avec Les Olympiades) force l’admiration. Pour son œuvre si puissante et si diverse, il aura à bon droit sa place dans les encyclopédies du cinéma du XXIème siècle.
J’ai beaucoup aimé le film pour son style baroque et lyrique assumé que j’ai trouvé très théâtral. J’ai trouvé les chansons touchantes (dont la reprise des passantes à la fin) C’est pas le meilleur Audiart peut être – j’ai mieux aimé moi aussi Un prophète et Les Olympiades – mais c’est du beau cinéma. Audiart, par sa versatilité, c’est notre Ridley Scott.