Le Rire et le Couteau ★★★☆

Sergio est un ingénieur embauché par une ONG pour réaliser en Guinée Bissau l’audit environnemental d’un projet de route censée désenclaver l’arrière-pays mais traversant une mangrove fragile. Ce jeune trentenaire taiseux rejoint son affectation en voiture, à travers le Sahara. Il découvre progressivement son travail et son environnement.

Le Rire et le Couteau a été projeté à Cannes dans la section Un certain regard. Sa durée est hors normes : trois heures trente. Je me plains trop souvent de l’obésité de certains films pour ne pas souligner que cette durée est, ici, parfaitement appropriée. Car elle nous laisse le temps de pénétrer un univers et de nous débarrasser de nos préjugés.

Le parcours de son réalisateur, Pedro Pinho, engagé dans la militance altermondialiste, et les interviews qu’il a données autour du film pouvaient laisser craindre une charge en règle contre le post-colonialisme et ses avatars capitalistes. Mais heureusement, son film évite le piège du manichéisme.

Loin d’opposer pied à pied les Noirs et les Blancs, les gentils et les méchants, Le Rire et le Couteau prend le temps d’analyser les relations qui se nouent autour de Marcello dans toute leur complexité. Il jette un regard d’une rare intelligence sur la « situation postcoloniale », pour reprendre le titre du livre séminal de Marie-Claude Smouts qui m’a nourri dans l’écriture de « La France en Afrique » (c’était le moment #Autopromotion !)

Le Rire et le Couteau interroge le sens de l’action humanitaire en Afrique. Est-elle utile ? ou donne-t-elle au Blanc bonne conscience ? les deux répond le film qui a l’intelligence d’examiner la question sous plusieurs aspects, en filmant par exemple la tournée en brousse d’une bande d’humanitaires blondinets interrogeant les habitants sur l’usage qu’ils font des latrines impeccables qui leur ont été livrées.

Il interroge aussi le sens du progrès. La route que Sergio construira bouleversera l’écosystème des paysans ; elle encouragera aussi l’exode rural ; mais elle facilitera l’accès aux villes, la commercialisation des productions, l’évacuation sanitaire des malades…

Sergio se rend sur un chantier situé en plein désert. De vieux Portugais y sont employés comme contremaitres. Ils vivent loin de leur famille, avec pour seule motivation l’appat du gain. Leur dur labeur est interrompu par quelques beuveries et par des sorties au night-club du village du coin tenu, mondialisation oblige, par une maquerelle chinoise.

Le Rire et le Couteau explore aussi le domaine de l’intime et ici encore propose de dépasser les frontières. Bisexuel, Sergio va faire deux rencontres. Gui, un travesti brésilien, moustachu et poilu, venu en Guinée Bissau à la recherche de ses racines africaines. Et Diara, une auto-entrepreneuse débrouillarde, reine de la nuit, perruquée, maquillée et piercée.

Après trois heures trente, Le Rire et le Couteau se termine en épingle à cheveux, sans répondre aux questions en suspens. On trouvera à bon droit cette issue frustrante habitué qu’on est à l’usage qui veut qu’un film se close sur lui-même. Mais celui-ci ressemble à la vraie vie qui, pour le meilleur et pour le pire, ne donne pas toujours les réponses aux questions qu’elle lance.

La bande-annonce

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