Elle a fait beaucoup de bruit sur la Croisette au point d’être cité parmi les favoris pour la Palme. Sans doute le Jury a-t-il fait prévaloir des critères politiques discutables en l’attribuant à Ken Loach ; mais il n’aurait pas eu la main heureuse en la donnant à Paul Verhoeven. Elle est au mieux une adaptation bien tournée et bien jouée du roman de Philippe Djian, que n’importe quel honnête réalisateur français aurait pu signer. Cette œuvre ne manque pas de surprendre dans la filmographie du vieux réalisateur hollandais qui s’était fait connaître aux Pays-Bas dans les années 80 avant d’aller signer à Hollywood quelques-uns des blockbusters les plus stimulants de la fin du siècle dernier (Robocop, Basic Instinct, Total Recall, Starship Troopers…).
Il faut partir du livre de Philippe Djian, que Verhoeven adapte avec une grande fidélité et dont il tire toute son originalité. L’histoire peut sembler complexe, mais se résume en une phrase [attention spoiler] : une femme tombe amoureuse de l’homme qui la viole. Sujet transgressif ? peut-être. Sujet qui manque surtout de crédibilité. Le reproche vaut pour beaucoup de romans de Djian : Incidences, adapté au cinéma par les frères Larrieu, ou Impardonnables, adapté par Téchiné. Les situations chez Djian sont tellement excessives, tellement incroyables… qu’on finit par ne plus y croire.
C’est le cas ici du personnage de Michelle jouée par l’inévitable Isabelle Huppert – ce que vous ne pouvez pas ne pas savoir car elle fait la couverture de Télérama, de Première et même de Psychologies ! Le cinéma français ne compte-t-il pas d’autres actrices talentueuses que tous les rôles de cinquantenaires doivent systématiquement lui être attribués ? C’est bien simple : je ne peux plus la voir !
Même si je réussis à faire abstraction une minute de l’antipathie naturelle que suscite chez moi Isabelle Huppert, n’en reste pas moins une grande gêne à l’égard du personnage qu’elle joue. Michelle, la cinquantaine, s’est construite à force de volonté et de travail après avoir été dans son enfance la protagoniste involontaire d’un drame familial sanglant. Elle dirige une prospère entreprise de jeux vidéo avec sa meilleure amie. Son fils est un adolescent immature, son ex-mari un écrivain sans le sou, sa mère une vieille femme obsédée par sa jeunesse perdue. Un jour, elle est victime d’un viol à son domicile. Renonçant à en alerter la police, elle cherche elle-même le coupable. Mais ce suspense, sur lequel le film aurait pu se construire, est vite dénoué tant les indices convergent vers son voisin.
Jusqu’à sa conclusion, le film oscille entre le drame et la comédie. Michelle est-elle une victime ou une manipulatrice ? Un soutien de famille ou la pire des égoïstes ? Une masochiste qui s’éveille à l’amour ou une perverse en quête de vengeance ? Michelle a la même ambiguïté que l’héroïne de La Pianiste qui avait valu à Huppert le Prix d’interprétation féminine à Cannes en 2001. Mais cette ambiguïté m’est tellement étrangère qu’elle me reste définitivement incompréhensible.