Pablo Neruda fut le plus grand poète chilien du XXème siècle. Prix Nobel de littérature en 1971, il fut aussi un homme politique de premier plan, engagé au Parti communiste, soutien de Salvador Allende et décédé, dans des conditions troubles, quelques jours après le coup d’État de Augusto Pinochet en septembre 1973.
Ce n’est pas un biopic en bonne et due forme que réalise Pablo Larrain. Plutôt que de s’intéresser aux derniers jours de ce géant de la littérature, Pablo Larrain raconte un épisode méconnu de sa vie. En 1948, le président Videla mène une politique anticommuniste soutenue par les États-Unis. Neruda est destitué de son mandat de sénateur et poursuivi. Menacé d’emprisonnement, le poète prend le chemin de l’exil. Il défie les services de police et compose son grand œuvre, Chant général, un poème épique de quinze mille vers.
Pablo Larrain est désormais bien connu en France. En attendant son Jackie – avec Natalie Portman dans le rôle de l’épouse de John Kennedy – qui sortira le mois prochain, on y a vu le glacial Santiago 73 (2010) l’euphorisant No (2012) et le traumatisant El Club (2015). Trois films qui, chacun à leur façon, interrogent l’identité chilienne après les années de plomb de la dictature.
Le réalisateur chilien continue à disséquer l’histoire de son pays en racontant l’épisode d’une vie d’un géant de sa littérature. Sans doute l’écho de ce film sera-t-il moins fort en France où l’œuvre et la personnalité de Neruda sont moins connues. Aussi la frappante ressemblance de l’acteur principal, Luis Gnecco, avec son modèle ne frappera-t-elle que ceux qui connaissent ses traits (soit qu’ils possèdent une vaste culture littéraire, soit qu’ils viennent de consulter sa notice sur Wikipédia).
Le film raconte une traque. Mais il le fait sur un mode déroutant presque cocasse. Neruda est un hédoniste qui joue au chat et à la souris avec son poursuivant, le policier Oscar Peluchonneau. Il n’est pas sans rappeler le personnage d’Eisenstein dans le dernier film de Peter Greenaway Que viva Eisenstein! . Contre toute attente, aucune tension ne s’installe dans un film inclassable, aux frontières de la reconstitution historique, du drame et de la comédie. Le dernier quart d’heure, qui verse dans un onirisme métaphysique, a achevé de me déconcerter.